Méaqui courait devant avec ses hommes
de tête. Prince dixième, sa place n'était pas ici. Il le savait.Il
restait pourtant, donnant le rythme. Il se détendait par l'effort
physique. Il ne supportait pas de rester longtemps à côté de
Jorohery. Derrière lui vingt guerriers, affutés comme des bonnes
lames, suivaient sa trace. Attentifs à tout, ils ouvraient la route
de la caravane du Bras du Prince Majeur. A deux portées de flèches,
suivait le reste du groupe. Au centre, Jorohery était dans sa
litière tirée par un macoca. L'animal de trait suivait sans forcer
le rythme des hommes. Tout en courant, il était capable de brouter
les lichens qui poussaient sur les rochers. Son cornac devait
l'empêcher de le faire afin de ne pas secouer le passager irritable
qui se tenait à l'abri dans le traîneau. A chaque incartade de son
macoca, il tremblait. La punition n'était jamais loin avec un tel
maître. Sa chance dans ce voyage : Jorohery était pressé
d'arriver. Il ne voulait pas s'arrêter. Qualimpo menait la deuxième
phalange du groupe. Il suivait l'équipage de Jorohery. Nommé depuis
peu. Il aimait cette proximité avec le Bras du Prince Majeur. Cela
lui conférait une importance qu'il n'aurait pas eue autrement. Le
rythme de déplacement était rapide. L'entraînement des hommes
était bon, ils ne peinaient pas. Seuls les serviteurs avaient du mal
à suivre. Ils serraient les dents et suivaient sans un mot, sans une
plainte. Se retrouver seul, abandonné dans ses montagnes blanches
était ce qu'ils redoutaient le plus.
Le messager avait dit juste. Méaqui
découvrit le village en contrebas après avoir passé le col. Son
avant-garde avait à peine fini de se regrouper qu'une conque sonna
dans la vallée. Méaqui sourit. Quiloma tenait toujours aussi bien
ses hommes. Immobiles et tout de blanc vêtus, ils étaient presque
indiscernables dans le paysage. Le guetteur les avait pourtant
repérés. Ils arrivaient bien, le soleil commençait à baisser. Il
n'y aurait pas d'autre bivouac. Les hommes avaient aussi le sourire.
Ils pensaient à la chaleur et au repas qui les attendaient en bas.
Dès qu'ils virent le gros de la
troupe, l'avant-garde entama la descente. Méaqui attendit. Quand le
macoca fut passé, il dit :
- Seigneur Jorohery, nous arrivons
bientôt. Nous passons le dernier col.
- C'est parfait, Prince Méaqui. Vous
nous avez fait tenir les délais, dit une voix sortant de la litière.
J'ai hâte de sentir ce qu'il s'est passé.
Méaqui reprit sa position à côté de
Qualimpo. Celui-ci prit la parole :
- Nous arriverons peu après le coucher
du soleil, j'espère que l'accueil sera bon.
- Tu peux faire confiance à Quiloma.
Il n'usurpe pas sa réputation. Sa phalange est la pointe de l'armée.
Je ne suis pas étonné que ce soit lui qui ait retrouvé la piste.
- Pourtant certains pariaient sur
d'autres princes.
- Ne fais pas trop confiance aux gens
de cour, ils ne connaissent pas la valeur des hommes.
La descente débuta sans encombre. Le
ciel couvert s'assombrissait. La neige tombait. Les deux princes
dixièmes regardaient les serviteurs qui suivaient le traîneau.
Manifestement il était temps qu'ils arrivent. Ils n'auraient pas
tenus une journée de plus à cette allure.
- STOP !
La voix de Jorohery claqua comme un
fouet. Le macoca s'arrêta docilement. Les guerriers étaient déjà
en train de prendre une position de défense que les serviteurs
peinaient à freiner.
Méaqui et Qualimpo s'approchèrent de
la litière. Le rideau se tira. Un visage sec sur un cou décharné
apparut. Un serviteur se précipita pour étaler un support sous ses
pieds pour l'isoler de la neige. Jorohery descendit. Le silence se
faisait. Tous les regards étaient braqués sur lui. Il sembla
renifler l'air tout autour de lui.
- On s'est battu ici. Il y a eu des
morts. Je sens des puissances à l'œuvre dans cette vallée.
Les deux princes regardèrent Jorohery.
Celui-ci trembla de tous ses membres. Il se plia en deux comme s'il
souffrait puis se releva d'un bon en poussant un cri. Ses yeux
étaient devenus noirs. Il se mit à marcher, parcourant le terrain.
Comme toujours ceux qui le regardaient, étaient mal à l'aise. Il
n'était pas évident de voir cette grande silhouette se déplacer
sur la neige sans enfoncer, ni même la marquer. Cela ne dura pas
très longtemps. Jorohery sembla rapetisser en arrivant sur la
plateforme mise devant le traîneau.
Les deux princes s'approchèrent.
- Beaucoup de morts autochtones, un de
chez nous. Tout ceci est sans intérêt continuons. Il n'y a pas de
danger pour nous ici.
Il remonta dans son traîneau et tira
le rideau. Le cornac remit le macoca en route. Rapidement le
serviteur, récupéra et plia la plate forme, tout en rejoignant sa
place dans la file.
Les deux princes dixièmes regardèrent
les guerriers reprendre la formation de déplacement.
- Je repars devant, dit Méaqui. Je
prépare l'arrivée.
Poussant sur ses batons, il s'élança
rapidement dans la pente. Sa parfaite maîtrise de la glisse rendit
jaloux Qualimpo.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire