jeudi 15 mars 2012


Méaqui courait devant avec ses hommes de tête. Prince dixième, sa place n'était pas ici. Il le savait.Il restait pourtant, donnant le rythme. Il se détendait par l'effort physique. Il ne supportait pas de rester longtemps à côté de Jorohery. Derrière lui vingt guerriers, affutés comme des bonnes lames, suivaient sa trace. Attentifs à tout, ils ouvraient la route de la caravane du Bras du Prince Majeur. A deux portées de flèches, suivait le reste du groupe. Au centre, Jorohery était dans sa litière tirée par un macoca. L'animal de trait suivait sans forcer le rythme des hommes. Tout en courant, il était capable de brouter les lichens qui poussaient sur les rochers. Son cornac devait l'empêcher de le faire afin de ne pas secouer le passager irritable qui se tenait à l'abri dans le traîneau. A chaque incartade de son macoca, il tremblait. La punition n'était jamais loin avec un tel maître. Sa chance dans ce voyage : Jorohery était pressé d'arriver. Il ne voulait pas s'arrêter. Qualimpo menait la deuxième phalange du groupe. Il suivait l'équipage de Jorohery. Nommé depuis peu. Il aimait cette proximité avec le Bras du Prince Majeur. Cela lui conférait une importance qu'il n'aurait pas eue autrement. Le rythme de déplacement était rapide. L'entraînement des hommes était bon, ils ne peinaient pas. Seuls les serviteurs avaient du mal à suivre. Ils serraient les dents et suivaient sans un mot, sans une plainte. Se retrouver seul, abandonné dans ses montagnes blanches était ce qu'ils redoutaient le plus.
Le messager avait dit juste. Méaqui découvrit le village en contrebas après avoir passé le col. Son avant-garde avait à peine fini de se regrouper qu'une conque sonna dans la vallée. Méaqui sourit. Quiloma tenait toujours aussi bien ses hommes. Immobiles et tout de blanc vêtus, ils étaient presque indiscernables dans le paysage. Le guetteur les avait pourtant repérés. Ils arrivaient bien, le soleil commençait à baisser. Il n'y aurait pas d'autre bivouac. Les hommes avaient aussi le sourire. Ils pensaient à la chaleur et au repas qui les attendaient en bas.
Dès qu'ils virent le gros de la troupe, l'avant-garde entama la descente. Méaqui attendit. Quand le macoca fut passé, il dit :
- Seigneur Jorohery, nous arrivons bientôt. Nous passons le dernier col.
- C'est parfait, Prince Méaqui. Vous nous avez fait tenir les délais, dit une voix sortant de la litière. J'ai hâte de sentir ce qu'il s'est passé.
Méaqui reprit sa position à côté de Qualimpo. Celui-ci prit la parole :
- Nous arriverons peu après le coucher du soleil, j'espère que l'accueil sera bon.
- Tu peux faire confiance à Quiloma. Il n'usurpe pas sa réputation. Sa phalange est la pointe de l'armée. Je ne suis pas étonné que ce soit lui qui ait retrouvé la piste.
- Pourtant certains pariaient sur d'autres princes.
- Ne fais pas trop confiance aux gens de cour, ils ne connaissent pas la valeur des hommes.
La descente débuta sans encombre. Le ciel couvert s'assombrissait. La neige tombait. Les deux princes dixièmes regardaient les serviteurs qui suivaient le traîneau. Manifestement il était temps qu'ils arrivent. Ils n'auraient pas tenus une journée de plus à cette allure.
- STOP !
La voix de Jorohery claqua comme un fouet. Le macoca s'arrêta docilement. Les guerriers étaient déjà en train de prendre une position de défense que les serviteurs peinaient à freiner.
Méaqui et Qualimpo s'approchèrent de la litière. Le rideau se tira. Un visage sec sur un cou décharné apparut. Un serviteur se précipita pour étaler un support sous ses pieds pour l'isoler de la neige. Jorohery descendit. Le silence se faisait. Tous les regards étaient braqués sur lui. Il sembla renifler l'air tout autour de lui.
- On s'est battu ici. Il y a eu des morts. Je sens des puissances à l'œuvre dans cette vallée.
Les deux princes regardèrent Jorohery. Celui-ci trembla de tous ses membres. Il se plia en deux comme s'il souffrait puis se releva d'un bon en poussant un cri. Ses yeux étaient devenus noirs. Il se mit à marcher, parcourant le terrain. Comme toujours ceux qui le regardaient, étaient mal à l'aise. Il n'était pas évident de voir cette grande silhouette se déplacer sur la neige sans enfoncer, ni même la marquer. Cela ne dura pas très longtemps. Jorohery sembla rapetisser en arrivant sur la plateforme mise devant le traîneau.
Les deux princes s'approchèrent.
- Beaucoup de morts autochtones, un de chez nous. Tout ceci est sans intérêt continuons. Il n'y a pas de danger pour nous ici.
Il remonta dans son traîneau et tira le rideau. Le cornac remit le macoca en route. Rapidement le serviteur, récupéra et plia la plate forme, tout en rejoignant sa place dans la file.
Les deux princes dixièmes regardèrent les guerriers reprendre la formation de déplacement.
- Je repars devant, dit Méaqui. Je prépare l'arrivée.
Poussant sur ses batons, il s'élança rapidement dans la pente. Sa parfaite maîtrise de la glisse rendit jaloux Qualimpo.

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