jeudi 14 novembre 2013

- La tempête arrive, dit Akto en regardant par la fenêtre.
- Oui, dit Lyanne qui écoutait un rapport fait par un envoyé des lointaines contrées. La colère de Sioultac monte en ce moment.
Tout le monde avait pris l'habitude de voir le prince-majeur suivre le roi-dragon. Lyanne ne faisait rien pour le décourager. Akto le servait. Pour les autres, les choses étaient moins claires. Son statut faisait beaucoup parler dans le palais. Certains le disaient deuxième personnage du royaume. Ne l'avait-on pas vu conseiller le roi-dragon ? D'autres le pensaient esclave en punition de ce qu'il avait fait, d'ailleurs il remplissait des tâches habituellement réservées aux subalternes inférieurs. Seuls quelques uns savaient que Lyanne appréciait les qualités du prince-majeur. Dranne et Nyagorot en faisaient partie. Dranne qui avait connu Akto depuis son plus jeune âge, avait senti les changements opérés en lui. Il savait le serment prononcé et ce que cela entraînait. Nyagorot qui n'avait jamais douté des qualités du prince-majeur, était étonné que le roi-dragon ne s’appuie pas plus dessus. Il avait fait quelques remarques dans ce sens. Lyanne l'avait interrompu et lui avait donné l'ordre de ne pas insister.
Vrestre, lui, ne savait pas sur quel pied danser. Ce roi-dragon était trop mou. L'armée avait besoin de combats. La paix avec les Gowaï ne l'avait pas satisfait. Pire la cérémonie à laquelle il avait assistée, l'avait mis en rage. Comment pouvait-on s'abaisser à cela ? Chaque fois qu'il y pensait, il frissonnait de colère.
Quand le roi-dragon était revenu à la Blanche avec le Prince-majeur, tous les princes de haut rang avaient été convoqués. S'ils avaient tous remarqué les couleurs des écailles du dragon, devenues rouge sombre presque noires, ils n'avaient pas compris pourquoi ils leur fallait aller dans la plaine à la limite du territoire Gowaï. C'est en arrivant là-bas et en voyant les Gowaï qu'ils avaient compris.  Le roi-dragon s'était dépouillé de ces écailles abîmées pour les offrir aux émissaires du peuple Gowaï. Vrestre avait failli s'étrangler devant l'honneur fait à cette racaille juste bonne à être massacrée. Depuis il cherchait comment faire changer d'avis le roi-dragon, à moins qu'il ne disparaisse. Vrestre était un homme retors et prudent. Le retour du roi-dragon avait aussi été le signe d'une campagne de nettoyage. Tous ceux qui avaient trempé dans le complot de Jorohery, avaient été châtiés. Lui avait profité de la puissance du Bras du Prince-majeur pour prendre de l'ampleur mais avait réussi à ce que son nom ne soit jamais associé à celui de Jorohery. Aujourd'hui, il redoublait de prudence. Si ouvertement il défendait les options militaires, en secret et par personne interposée, il explorait les voies pour se débarrasser de Lyanne. Il avançait d'autant plus lentement que le roi-dragon avait fait devant lui une remarque ambiguë en forme d'avertissement. Bientôt aurait lieu un grand conseil. Il espérait en tirer des informations sur les liens entre les uns et les autres. Il adapterait alors sa stratégie.
Il n'oubliait qu'une chose : la clairvoyance de Lyanne. Le roi-dragon savait que le cœur de Vrestre était encore plus noir que celui de Yaé.
Lyanne écoutait à moitié l'envoyé des terres lointaines. Ce dernier venait assurer le roi-dragon de leur fidélité sans faille. Il s'était lancé dans un historique tout à leur gloire. Lyanne se remémora ce qu'il savait. Il avait vu beaucoup de choses dans les grottes lors de son initiation. Elles se mettaient en place au fur et à mesure qu'il en avait besoin. Les terres lointaines avaient été peuplées il y a bien longtemps par un roi-dragon qui avait fui une invasion. Pendant cette période Cotban avait pris beaucoup de puissance et avait fait reculer le froid. Un roi de la plaine avait alors tenté de conquérir le monde. Pendant plusieurs saisons, il avait remporté victoires sur victoires, jusqu'à cet hiver où la colère de Sioultac avait dépassé ses forces. C'est à partir de ces terres lointaines, au-delà du désert mouvant que le roi-dragon, Ufmal, avait reconquis le royaume.
Insidieusement, le sentiment prit naissance en lui. Il était mal à l'aise. L'envoyé pérorait, Akto était parti chercher à boire, les gardes ressemblaient à des statues. Tout semblait en place et pourtant une sorte de malaise s'insinua en lui. Quelque chose venait de bouger. Lyanne eut l'impression que tout l'équilibre du monde venait de changer. Il regarda autour de lui, sans voir d'anomalie. Il pensa que cela venait de plus loin. Tout en écoutant d'une oreille de plus en plus distraite cet ambassadeur débiter son discours, il laissa son esprit prendre son envol. Non décidément quelque chose n'allait pas. L'air de la Blanche avait subtilement changé. Il sentit une sorte de laisser-aller, tout en pensant que ce n'était pas le bon mot. Il trouva l'esprit de Yaé toujours aussi raide intérieurement, toujours aussi déterminé à chasser les derniers adeptes de Jorohery. Il sentit Vrestre occupé à penser à des manières de prendre le pouvoir. Au moins ceux-là n'avaient pas changé. Il écarta encore sa perception, trouva le peuple Gowaï. Le malaise en lui ne venait pas de chez eux. Cela lui sembla évident. Ils fêtaient encore l'arrivée des écailles rouges.
Serait-ce lui qui avait changé ? Rentrant en lui-même, il s'examina. Il se vit écoutant l'orateur qui en avait bientôt fini et à qui il allait devoir répondre. Ses deux esprits et ses deux corps étaient unis. Si le dragon qu'il était lui renvoyait une image sereine, il sentit le trouble dans l'humain...
- … C'est pourquoi je dépose à vos pieds, Majesté, ce présent qui, j'espère, vous agréera.
Lyanne se concentra sur le présent pour répondre. Il dit des phrases banales, de celles que tout le monde attend qui n'engagent à rien mais font plaisir. Il avait maintenant hâte de se retrouver seul pour analyser ce qu'il ressentait.
Il lui fallut attendre que la réception soit terminée pour pouvoir se retrouver seul. Enfin presque, Akto le suivait toujours. Ils montèrent sur la terrasse. Le vent était violent. S'il ne neigeait pas encore, Lyanne la sentait dans l'air. Si Akto se protégeait autant qu'il pouvait, Lyanne faisait face. Son bâton de pouvoir faisait comme un écran autour de lui, le vent l'évitait. Il fit le tour de la terrasse, s'arrêtant régulièrement pour sentir, ressentir. Il se retrouva poussé par la tempête contre le mur. En face de lui, les monts du chaud. Ils tenaient leur nom de leur rôle. Ils étaient le dernier rempart face aux attaques de Cotban. Lyanne s'immobilisa. Cela venait de par là. Sa mémoire de dragon évoqua l'Appel qui l'avait mis en marche. Là aussi, c'était comme un appel mais un appel intérieur. Là-bas quelque chose se passait. Quelque chose qui le touchait à distance. D'ici, il ne sentait pas bien ce qui se passait. Cela lui sembla évident : il fallait qu'il bouge. Il se retourna, regarda le prince-majeur qui souffrait du froid en silence. Il lui fit signe de rentrer. Après un dernier regard vers les monts du chaud, il fit de même.
- Es-tu toujours prêt à donner ta vie pour moi ? demanda-t-il à Akto.
Celui-ci s'arrêta, mis un genou à terre et le poing sur le cœur.
- Demandez, Majesté et j'obéirai.
- Bien, voilà ce que tu vas faire...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire