mercredi 19 décembre 2012

Névtelen était resté le temps d'enterrer toutes les statuettes. Virnita avait fait une fête en son honneur. Elle avait duré tard dans la nuit. Des boissons fortes avaient circulé. Au petit jour, un célibataire du clan Maldana le conduisit à travers le dédale des couloirs vers l'extérieur. Quand il arriva sous le porche d'entrée, Virnita était là. Il regardait le ciel.
- Je ne suis pas chaman, mais le ciel semble augurer une belle journée. Va, Névtelen. J'ai interrogé Ouldanabi pour toi. Les simalbabas seraient incontrôlables par un homme sans nom. Quand tu auras trouvé, ta présence sera un honneur pour nous.
Il lui prit les avant-bras. Ce geste de salutations réveilla l'impression d'une image chez Névtelen. Cela ne dura qu'un instant.
La neige étendait sa blancheur sur tout le paysage. Névtelen regarda s'il voyait une louve noire aux yeux rouges.
- Mes pas vont être plus dangereux que le meilleur des espions. Celui qui les suivra arrivera sans difficulté chez vous.
- Il n'y a pas de risque, Névtelen. Pars vers le soleil levant. Quand tu auras dépassé la falaise à la roche rouge, presse le pas. Une avalanche ne tardera pas.
- Que les dieux vous protègent, Virnita !
- Qu'ils t'accompagnent, Névtelen.
S'enfonçant jusqu'aux genoux, il se mit en marche. Il longeait la paroi de la montagne du cratère. Il n'avait pas fait cent pas qu'il se dit qu'il ne pourrait pas aller loin s'il continuait comme cela. La neige était trop... le nom ne venait pas, mais il existait quelque part. Il était hors de vue de la caverne d'entrée quand lui vint l'idée, ou plutôt quand lui revint le souvenir de ce qu'il fallait faire. Il repéra l'arbre sans difficulté. C'était un chuchotaï. Son écorce épaisse et résistante se découpa avec facilité. Le couteau que lui avait donné le forgeron ouatalbi était une bonne lame. Ce dernier avait les larmes dans les yeux lors de leur séparation. Il avait forgé le métal en suivant tout ce qu'il avait appris avec Névtelen. La lame manquait de grâce, mais bien façonnée, elle ne casserait pas. Fixant les écorces sous ses pieds, il se mit au petit trot. Sa progression fut beaucoup plus rapide. Il avait coupé deux baliveaux et s'en servait de bâtons pour aider sa progression. De nouveau, il retrouva cette étrange impression de savoir ce que son esprit ne se rappelait pas. Il atteignit la falaise à la roche rouge en milieu de matinée. Il pressa le pas comme lui avait conseillé Virnita. Il était loin quand il entendit l'avalanche. Virnita avait raison, le risque était inexistant.
Il courut ainsi jusqu'à la fin d'après-midi. Il s'arrêta en arrivant en haut d'une petite crête. Des rochers balayés par le vent tranchaient sur la neige alentours. Il grimpa dessus. Depuis quelques temps, il avançait sur une ligne de crête dans une forêt aux arbres sombres. Il découvrit un vaste panorama. Le pâle soleil éclairait un paysage presque uniformément blanc. A ses pieds, une rivière serpentait. Assez large, elle courait suffisamment vite pour ne pas se figer avec l'effet du froid. Un village au loin se signalait par les fumées qui s'échappaient des toits. Il compta au moins quinze feux. Un rempart de troncs juxtaposés l'entourait. Tout en mangeant, il regarda avec attention ce qu'il se passait en bas. Il n'avait pas oublié la guerre entre Saraya et Altalanos. Elle continuait probablement, mais pas ici. Le froid et la neige confinaient les hommes dans les abris. Il pensa qu'avant la nuit, il lui faudrait trouver un refuge pour se reposer. C'est alors qu'il le remarqua. Il y avait plus loin dans la vallée, un autre village et au-dessus un fort. Les remparts étaient en pierre et non en bois comme le village. Ayant fini son repas, il ramassa ses affaires. Il regarda une dernière fois en bas et vit un bateau traverser la rivière.
- Un bac ! dit-il tout haut.
A son bord, deux personnes et un marin qu'il regarda manœuvrer dans le courant. Les champs étaient sur l'autre rive. Il regretta que la louve ne soit pas là pour le guider. Maintenant il était sûr qu'il devait aller vers les montagnes où le monstre volant avait son refuge. Restait à trouver la direction.
Il reprit sa progression. Bientôt, il croisa un chemin où la neige tassée permettait de marcher sans raquettes. Il les mit dans son dos comme deux ailes de bois et suivit la voie qui descendait vers la rivière. La route serpentait. Elle permettait sûrement le passage d'une caravane, ou d'une armée. Il marcha tous les sens en éveil. Son instinct sentait le danger. Il prit son marteau à la main et son couteau dans l'autre, non sans avoir réajusté sa charge. Si la neige étouffait les bruits, la forêt assombrissait le peu de lumière du soir. Il marchait sur le bord de la route, sa tenue sombre le rendait discret aux yeux de tous sauf d'une louve dont le regard ardent ne le quittait pas. Névtelen arrivait à un tournant quand il entendit les cris. Il se précipita. Il découvrit quelques gaillards dépenaillés, armés de mauvaises épées attaquant un véhicule. Son surgissement sema la panique parmi les assaillants. En un passage, ils étaient trois hors de combat. Celui qui semblait le chef se retourna contre lui, quant au dernier, seul face aux agressés, il préféra prendre la fuite. L'homme n'était pas au mieux de sa forme et après quelques passes préféra rompre le combat et fuir. On entendit un bruit de chute suivi de grognements et de claquements de mâchoires. Puis ce fut le silence. Névtelen se dirigea vers l'agressé. Il vit un homme un peu bedonnant, qui tenait encore son arme à la main. Névtelen remarqua la bonne facture de cette épée. L'homme devait avoir une certaine richesse pour posséder une telle lame. Du sang coulait sur sa manche. Il regardait Névtelen avec l'air de se demander à quoi s'attendre. Ce dernier commença à faire le tour des corps à terre. Il vit que pas un n'avait survécu à son attaque. L'homme de la carriole avait dû en toucher plusieurs. Ils avaient des plaies faites par une épée. A part le fuyard, ils n'étaient armés que de gourdins et de mauvaises épées. En s'approchant d'un corps étendu, il vit un homme bien nourri. Il avait eu le crâne éclaté par un gourdin. Sur ses habits, il portait une tunique sans manche, ample sur laquelle étaient brodées des armoiries. Ne sentant plus de danger, Névtelen remit son marteau à la ceinture et le couteau dans sa gaine. C'est alors qu'il reçut le choc :
- T'es un ange venu à notre secours !
Névtelen ne comprit pas tout de suite. Un corps frêle s'était accroché à son cou.
- Même que t'as des ailes dans le dos.
- Vodcha ! Ne fais pas ça.
- Daïdaï, on ne risque rien, c'est un ange.
« L'ange » ne savait pas trop quoi dire devant cet ouragan, l'homme non plus. Il essayait de canaliser l'enfant qui se révéla être une fille.
- Vodcha, on ne peut pas rester là. La nuit va tomber et le chemin va être encore plus dangereux. J'ai même cru entendre des loups.
- Daïdaï, il est mort Tosen ?
- Oui, Vodcha, malheureusement. On ne va pas le laisser ici.
Se tournant vers Névtelen, il lui demanda son aide pour monter le corps de Tosen sur la carriole.
- Tu nous as sauvés, sois-en remercié.
L'homme se présenta comme un harda. Il allait au village de Sayompour. Voyant que Névtelen ne comprenait rien, l'homme expliqua qu'il était un marchand itinérant et qu'il allait de village en village pour vendre et acheter. Il proposa à Névtelen de les accompagner et même de se mettre à son service. La paye serait intéressante et la nourriture bonne. De nouveau Vodcha sauta sur Névtelen :
- Dis oui, j'aimerais bien voyager avec un ange.
C'est ainsi que Névtelen rebaptisé Névt par Vodcha, décida d'accompagner le harda comme un serviteur. Daïdaï était le nom familier que Vodcha employait. Cela lui évoqua une autre enfant appelant son père d'un petit nom familier. Il eut presque une image. Son esprit n'arriva pas à en retrouver plus, ce qui lui laissa un sentiment de dépit. Névtelen employa le nom sous lequel il se présentait : Maester.
Après avoir chargé Tosen, ils se remirent en marche. Névtelen jeta un coup d'œil circulaire quand la bête de somme qui tirait la carriole se mit en marche. C'était une race de tracks plus lourde moins rapide mais plus endurante pour tirer une charge. Il répondait au nom de Mimi, ce qui fit sourire intérieurement Névtelen. Ils arrivèrent au bac à la nuit tombante. Le passeur ne résista pas à l'attrait de faire payer une course plus chère. La journée avait été bien calme et les temps bien durs avec cette guerre, c'est pourquoi il demandait un supplément d'autant plus qu'avec ce tracks il ne savait pas si son bateau allait tenir dans le courant qui avait bien forci ces derniers jours. Ce à quoi Maester répondit qu'il ne pouvait pas payer aussi cher d'autant plus qu'il avait eu une mauvaise saison aussi et qu'il venait de se faire attaquer, sans compter les frais d’enterrement qu'allait entraîner le décès de son serviteur qu'il ne pouvait quand même pas abandonner là juste sur l’embarcadère avec ces loups qui traînaient autour. La discussion s'éternisait quand on entendit le hurlement d'un loup suivi d'un autre. A en juger par leur puissance, ils n'étaient pas très loin. Le marchandage s'accéléra brusquement et on tomba d'accord. La carriole fut embarquée promptement et le passeur se mit à hâler sa barge. C'est ainsi qu'ils arrivèrent aux portes du village au moment où elles se fermaient pour la nuit. Le garde poussait sans s'arrêter malgré leur arrivée. Maester cria :
- Ne fermez pas, ne fermez pas votre maître m'attend !
L'homme eut un instant d'hésitation suffisant pour que la carriole soit assez près. Hada Maester avait déjà sauté de son siège pendant que Névtelen maîtrisait le tracks. Il tenait à la main une pièce qu'il fit miroiter dans la lumière du soleil couchant. L'homme l'empocha vivement. Il ouvrit la porte en maugréant avec une vitesse calculée pour donner l'impression qu'il ne faisait cela que par obligation. Maester fit signe à Névtelen de faire avancer l'attelage. Le village semblait bien endormi.
- Allons vers l'auberge, par là !
Le bruit des roues fit venir aux fenêtres quelques visages vite engloutis par la pénombre de leur intérieur. Leur marche dura peu. Sous un toit de chaume, une maison plus vaste découpait sa silhouette sombre sur le ciel qui virait au noir. Ses fenêtres laissaient échapper de la lumière et un air entraînant laissait augurer d'une bonne ambiance. Maester frappa à la porte. L'homme courtaud et au souffle court qui vint ouvrir, lui lança un grand :
- Bonjour, seigneur Maester, vous voilà de retour. Quel plaisir de vous voir en bonne forme. Dites à Tosen de mettre la carriole comme d'habitude...
À la vue de la figure de son interlocuteur, il s'arrêta net. Son visage jovial devint grave.
- Il est arrivé quelque chose ?
- Nous nous sommes fait attaquer dans la descente du col. Ces mécréants ont fui sans rien pouvoir voler, mais Tosen l'a payé de sa vie. Il est dans la carriole.
- Nous lui ferons de belles funérailles, seigneur Maester. Depuis le temps qu'il vous accompagnait...
C'est alors qu'une silhouette se précipita dans ses jambes :
- Oui, mais y a un ange qui nous a sauvés !
- Demoiselle Vodcha ! C'est un honneur et un plaisir que de vous voir en bonne forme. Ma femme a justement préparé une compote dont vous me direz des nouvelles.
Vodcha battit des mains et entra en courant.
- Un ange ? demanda le tavernier.
- Un voyageur comme nous qui nous a bien aidés dans la bataille. Il avait dans le dos de curieuses plaques de bois qu'il utilise quand la neige n'est pas tassée. Je l'ai engagé pour remplacer Tosen.
- Vous lui avez fait confiance comme cela.
- Je pense que c'est un mercenaire des hautes terres qui rentre chez lui. La guerre ne paye pas en hiver. Il parle peu, connaît les bêtes et est à la hauteur en cas de coups durs.
L'aubergiste fit une mimique dubitative.
- Non, je ne crains pas de me tromper. C'est Vodcha qui a parlé d'ange en le voyant. Montrez-lui ce qu'il doit faire.
L'homme se dirigea vers Névtelen qui frottait le museau du tracks. Les nuages s'écartèrent laissant luire la lune. C'est alors qu'on entendit le hurlement des loups.

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