Le seigneur Maester était connu dans
la région. Il avait ses habitudes à l'auberge. Il vendait et
achetait dans un coin de la salle derrière un rideau qu'on avait
installé pour lui. Névtelen avait pour mission de surveiller ce qu'il
se passait et de surveiller Vodcha ce qui n'était pas toujours de
tout repos. L'auberge était connue des alentours et on y venait
boire de la simcha correcte tout en écoutant les derniers racontars.
Névtelen savait qu'ils allaient rester quelques jours le temps que
Maester fasse ses affaires. D'ailleurs, Névtelen repéra vite ceux
qui venaient pour voir son maître et ceux qui venaient pour boire.
Il était étonné de voir certaines personnes venir. Elles
semblaient raser les murs, essayaient d'être discrètes pour
atteindre le rideau et repartaient en catimini. D'autres comme ce
gros homme rougeaud, arrivaient comme en terre conquise. Ils
prenaient le temps de saluer et de boire, tout en jetant des regards
vers le rideau. Dans ces cas-là, c'est Maester qui faisait semblant
de sortir par hasard et qui venait les saluer. Il trempait ses lèvres
dans la chope que l'autre lui payait, parlait de tout et de rien et
finissait par proposer de discuter plus au calme derrière le rideau.
Là-bas, le ton baissait et la suite se faisait plus en chuchotant
qu'en parlant à la cantonade. L'aubergiste était content de ce qui
se passait. Maester amenait des nouvelles d'autres régions et les
gens venaient pour entendre parler de la guerre. Le mauvais temps
avait bloqué les armées ennemies assez loin d'ici près de la ville
marais. Avec cette neige, on ne les reverrait pas bouger avant le
printemps. Il y avait bien eu la bataille de la vallée du berger,
celle qui est près de la montagne solitaire, mais depuis les combats
avaient connu d'autres lieux. Névtelen avait compris que cette
bataille était celle à laquelle il avait assisté. Elle avait duré
deux jours entiers. L'armée de Saraya avait reculé devant celle
d'Altalanos. Les vainqueurs avaient poussé l'avantage aussi loin que
possible. Aujourd'hui dans la région, ne restaient plus que des
mercenaires en rupture de contrat ou des déserteurs. Le banditisme
avait augmenté. Maester en savait quelque chose. Névtelen se
remémorait toutes ces choses quand il vit rentrer le prêtre du
village. C'est lui qui avait organisé les funérailles de Tosen.
Névtelen avait dû creuser le trou. La cérémonie avait été
courte. Vodcha avait beaucoup pleuré. Tosen les accompagnait depuis
qu'elle était née. Le prêtre avait fait les gestes qu'il fallait
pour apaiser les esprits et satisfaire les dieux. Pour finir on avait
allumé une torche plantée dans le monticule de terre. Elle brûlait
pour servir de signal aux esprits du royaume des morts. Elle était
le fanal pour les guider. Ainsi Tosen aurait un comité d'accueil.
Après, à l'auberge, Maester avait payé à boire la Simchama.
C'était une simcha avec des herbes amères qu'on buvait aux
enterrements. Maester n'avait pas pour autant arrêté de faire des
affaires. Il avait parlé avec le prêtre et celui-ci revenait avec
un petit paquet. Il alla derrière le rideau et à son retour, il
remarqua que s'il n'avait plus son paquet, il avait le sourire. Il
vit sortir Maester arborant aussi une mimique de satisfaction. Vodcha
en profita pour lui sauter dans les bras :
- DaïDaï, dis que j'ai le droit de
pas manger la soupe.
Vodcha avait sur le visage un tel air
de malheur que Névtelen faillit éclater de rire. Maester regarda sa
fille avec tendresse et lui dit :
- Vodcha! Vodcha ! Une enfant bien
élevée mange tout ce qu'on lui donne.
- Oui, mais j'aime pas la soupe, j'veux
de la compote.
Névtelen se retourna pour ne pas
montrer son hilarité. Maester avait manifestement beaucoup de mal à
négocier avec sa fille.
Leur négociation dura un moment.
Vodcha finit par accepter un peu de soupe quand elle vit le bol de
compote accompagnée d'un biscuit mais elle exigea la présence de
Névtelen.
Maester les rejoignit un peu plus tard
pour manger. Il avait fini sa journée et Névtelen alla chercher le
coffre. Il savait qu'il contenait des bijoux et des statuettes
sacrées. Il s'assit dessus pendant le repas. Après il le monta dans
la chambre. Vodcha avait voulu que Daïdaï lui raconte une histoire.
Elle aurait préféré que ce soit Névt, mais sa mémoire effacée
n'en connaissait plus. Il avait rejoint son coin derrière une
tenture, à côté du coffre. Il savait qu'il ne dormirait que d'un
œil en écoutant les bruits de la nuit. Allongé, il écouta Maester
raconter à sa fille l'histoire du chevalier blanc.
- Il était une fois...
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