lundi 23 décembre 2013

Lyanne était revenu à Tichcou avec de précieux renseignements et des alliés. Ouldanabi avait jeté les osselets pour son peuple. L'avenir était avec Lyanne. Virnita au nom des siens, avait prêté serment de fidélité. Pour Lyanne le mont solitaire pouvait devenir une puissante forteresse défendant l'accès aux vallées vers le Royaume Blanc. En attendant cet avenir, il fallait gagner la guerre contre Saraya. Le Prince-roi y voyait surtout une manière de mourir avec gloire. Pourtant, il préparait la campagne avec sérieux et efficacité. Les forgerons forgeaient avec entrain les armes qui demain sèmeraient la mort. L'intendance réunissait tout le nécessaire pour une troupe en campagne. Les entrepôts se remplissaient au fur et à mesure qu'arrivaient les réquisitions.
La tension était palpable. Partir en guerre en hiver était insensé pour la majorité des présents. Les déplacements et le ravitaillement seraient les pires ennemis des guerriers. Lyanne soutenait les uns et les autres. Se déplaçant beaucoup, il trouvait le temps d'aller à la forge, soit à Tichcou, soit à la Ville chez Kalgar. Sa venue était toujours une fascination pour les hommes. Le feu se prêtait à toutes ses demandes comme un être vivant. Entre ses doigts, le métal devenait pointe de flèche ou de lance, épée ou dague avec grâce et rapidité. Les gestes fluides de Lyanne dansaient un ballet aérien dont la musique était le tintement du métal.
Ce temps de calme tendu dura jusqu'à l'arrivée des phalanges. La neige les avait précédées. Dans un alignement impeccable, elles rendirent hommage à leur roi. Elles ne restèrent pas à Tichcou. Le Dieu-Dragon les accompagnait puisque la neige tombait régulièrement devant eux, couvrant le terrain d'une couche régulière les favorisant. C'est de toute la vitesse de leurs planches de glisse que progressaient les phalanges.  Lyanne était heureux de les accompagner, non qu'il aime la guerre. Ils progressaient en pleine nature, dépassant les villages sans que ceux-ci ne les remarquent. Au bivouac, il se retrouvait à discuter librement avec les princes. Chaque soir, grâce à son bâton de puissance, il rentrait en contact avec le prince-majeur et Monocarana. Le Royaume Blanc vivait cette expédition comme le commencement de la réalisation des prophéties légendaires. Lyanne espérait. Il savait que même sans les mercenaires, l'armée de Saraya restait plus importante que la sienne. Il profitait de ce temps à glisser comme les autres tout au long de la journée. Les  éclaireurs devant, traçaient la route. Après la troupe suivait. C'était un long ruban d'hommes avançant d'un même mouvement. Dans cette région de montagnes, le rôle des éclaireurs était primordial pour trouver la route la plus rapide. Lyanne avait réformé l'ancienne répartition. Si chaque phalange avait encore des guerriers pisteurs, les crammplacs poilus étaient beaucoup plus efficaces. Ils allaient vite, exploraient de grandes régions sans fatigue. Pour eux et pour leurs partenaires, cette expédition étaient l'occasion de prouver et leur bravoure et leur fidélité au roi-dragon. Quand le soir venait, les crammplacs partaient préparer la voie pour le lendemain. Lyanne en profitait pour s'envoler. Il dirigeait ainsi plus facilement la colonne en évitant les villes les plus importantes. Même si elles avaient fait soumission à Saraya, elles ne représentaient pas une menace pour lui. Leurs forces étaient justes suffisantes pour les protéger des bandes armées qui couraient le pays.
Un matin, un groupe d'éclaireurs s'était arrêté à un col. Lyanne arriva avec Karagali, le prince-cinquième qui commandait l'expédition. L'un d'eux désigna le bas de la vallée :
- La ville avec des remparts !
Lyanne s'approcha.
- C'est Felmazik. Bien, nous sommes où nous devons être. Karagali !
- Oui, mon roi !
- Continue avec les phalanges. Je vais aller saluer quelqu'un. Je vous rejoindrai plus tard.
Karagali fit un geste d'acceptation et fit les gestes-ordres pour indiquer qu'ils repartaient sans descendre. Lyanne resta un moment à regarder passer la colonne en enlevant ses planches de glisse.  Puis il se détourna et commença à descendre à pied. Sa tenue blanche le rendait difficilement visible. Il attendit d'être à mi-pente,  dans un bois, pour enlever son vêtement blanc. Quand il déboucha à l'orée de la forêt, il sentit le mouvement des sentinelles. Il était repéré. Il descendit sur le chemin tranquillement et arriva à proximité de la ville. Les portes étaient fermées. Des gardes patrouillaient sur les remparts. Il s'arrêta devant la porte. Il sentait sur lui les regards de surveillance. Un archer le tenait en joue. Un garde l'interpella :
- Qui es-tu ? Et que cherches-tu ?
- Je viens voir la Tchaulevêté. J'ai besoin de ses services.
Le garde regarda derrière Lyanne et vers les sommets.
- Tu es seul ?
- Oui, la neige m'a surpris.
- Où sont tes armes ?
- Je n'ai que mon couteau et mon marteau de forgeron.
- Approche !
La porte s'entrouvrit sur un ordre du garde. De l'autre côté, les gardes le fouillèrent.
- Tu n'as pas d'argent !
- Non, mon macoca est tombé dans la montagne. J'ai laissé mes affaires là-bas.
Le chef des gardes le secoua.
- Et bien, tu vas aller les chercher et tu reviendras...
Lyanne ne voulait pas se battre. Il réfléchissait à la meilleur manière de réagir quand une voix les interrompit.
- Je ne crois pas, Sergent !
L'homme se retourna brutalement. La Tchaulevêté toisait l'homme. Celui-ci bredouilla quelques mots et fit des gestes pour faire reculer ses hommes. Lyanne regarda la guérisseuse qui lui fit signe de le suivre.
- Tu savais que je venais.
- Oui, les charcs n'arrêtent pas de piailler. Toi et les tiens faites beaucoup de bruit.
Lyanne se mit à sourire.
- Pourquoi es-tu revenu ?
- J'avais promis à Tchavo de venir lui dire mon nom.
Ce fut au tour de la Tchaulevêté de sourire.
- Elle t'attendait. Les charcs nous ont apporté les nouvelles mais à la manière des charcs.
Ils arrivèrent en vue de la maison. La neige tombait doucement. Les bruits étouffés, donnaient une impression de calme et de douceur.
- Je voulais aussi te remercier, La Tchaulevêté. Ton remède était le bon.
Elle fit un sourire tout en ouvrant la porte de la maison. Une douce chaleur y régnait. Lyanne pensa à Sabda et à la Solvette. L'ambiance était similaire. Les charcs présents dans la maison s'envolèrent. La guérisseuse les écouta piailler.
- Ta présence les rend nerveux. Ils sont sensibles à ta nature...
Une porte s'ouvrit laissant passer une jeune femme fine. Lyanne reconnut Tchavo. Elle avait bien grandi et avait atteint cet âge où on voit l'enfant dans l'adulte qui se devine.
- Nevt ! dit-elle en se précipitant dans ses bras. Vodcha sera heureuse de savoir que tu es revenu.
Elle l'entraîna vers son coin. Comme dans ses souvenirs, la pièce était encombrée de toutes sortes de choses et des blessés occupaient les différentes paillasses. Felmazik avait connu plusieurs épisodes de razzia. L'affaiblissement du pouvoir leur avait laissé le champ libre. Une troupe de Saraya était passée aussi. Elle n'avait tué personne mais avait exigé et la soumission au roi Saraya et des vivres. Pour les habitants, cela n'avait été qu'un pillage de plus. Après son départ d'autres bandes étaient réapparues rendant la campagne peu sûre et multipliant les exactions. On espérait que l'hiver allait tuer la vermine. L'espoir était ténu. Un messager venu de Tulka, une ville à cinq jours de marche, avait apporté la nouvelle de son occupation par une troupe de hors-la-loi. Tchova racontait cela à Lyanne tout en jouant les maîtresses de maison. Elle avait maintenant droit à son espace, derrière une cloison de tissu. Elle avait aménagé l'endroit avec soin. Une alcôve  délimitée par d'autres tentures abritait sa paillasse. Un passage en hauteur restait toujours ouvert pour que les charcs puissent aller et venir selon leur bon vouloir.
- ...le bourgmestre nous tient en haute estime. Les charcs sont de précieux informateurs. Grâce à eux nous savons quand approche une troupe. Ils nous ont signalé ton arrivée. Nous savions que tes hommes et toi passaient non loin d'ici. Curieusement ils ne nous ont pas fait peur. Comme le grand être qui vole, était à leur tête, nous avons compris que Felmazik n'était pas leur but.
Tchavo s'arrêta de parler un instant, regarda Lyanne et lui dit :
- Les charcs ont raison ! Tu es devenu immense.
Lyanne était toujours étonné de la capacité de ces femmes à sentir tant de choses derrière les apparences.
- Alors tu sais, lui répondit-il.
- Non, je ne sais pas, mais je le sens. Autant quand tu étais Nevt, je te sentais incomplet, autant aujourd'hui que je te sens immense.
- J'ai fait une erreur quand ta mère m'a donné son remède. Je l'ai pris trop tôt. Tout compte fait, cela m'a été favorable, car j'ai fait ce que je devais faire pour être qui je suis. Que sais-tu ?
Tchavo ne quittait pas Lyanne des yeux.
- Je sais que tu as accompli ce que ces temps demandaient, malgré les esprits mauvais qui rôdent. Je sais que la puissance est en toi depuis. Mais... je ne sais pas ton nom.
- Je suis un homme-dragon !
En disant cela, il y eut comme une aura de puissance qui emplit la pièce. Tchavo eut un regard étonné presque apeuré.
- Comme ceux des vieilles vieilles légendes !
- On peut dire cela. Je ...
Tchavo eut un haut-le-cœur et tomba par terre comme une masse. Elle fut secouée de soubresauts. Lyanne appela sa mère.
En voyant sa fille, celle-ci dit :
- Vodcha !
Elle se tourna vers Lyanne :
- Aide-moi à la porter sur sa paillasse.
- Qu'arrive-t-il ?
- Les deux filles sont jumelles. Si une vit un malheur l'autre le ressent. Vodcha est en danger !
Le cœur de Lyanne fit un bond dans sa poitrine :
- Où ça ?
- Je ne sais pas, homme-dragon. Tchavo nous en dira plus si je peux la réveiller.

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