samedi 14 décembre 2013

Une intense activité régnait à Tichcou. S'il y avait quelques chutes de neige, Cotban refusait de partir et faisait régner une certaine douceur. Lyanne avait du temps. Le prince-roi et Sstanch géraient la situation. Le prince-majeur faisait de même à la Blanche. Ainsi libre de ses allées et venues, Lyanne volait souvent. Il avait décidé de se faire une idée de ce qui se passait aux alentours. Ses souvenirs de jeune dragon étaient assez flous.
Ce matin-là, il décolla et prit de la hauteur. La ligne blanche de la neige était à mi-chemin entre Tichcou et la Ville. Lyanne se concentra sur ce qu'il voyait. Une barre de moyennes montagnes s'étendait derrière la ville. Plus loin dans les nuages soulevés par Sioultac, il y avait le pays blanc. De cette ligne de sommets descendaient des ruisseaux plus ou moins encaissés. Tichcou était sur la berge de l'un d'eux. En descendant un peu la rivière, on trouvait le confluent avec le cours d'eau qui venait de la vallée du dragon. Il le survola et continua son chemin. Un moutonnement plutôt régulier de monts s'élevait jusqu'à la vallée des Izuus.
Vu de très haut, la vallée des Izuus était séparée en deux par la neige. Il revit la rivière et ses gorges et le col que la caravane avait emprunté. Plus loin, il survola la ville de l'eau. En lui affluèrent les souvenirs du dragon et ceux de Puissanmarto. Mocsar ! Si ses yeux humains ne l'avait jamais vue, il se rappelait le mouvement de panique quand il l'avait survolée. Il s'était posé sur une plateforme qui n'avait pas résisté à son poids. Il avait alors battu des ailes pour se stabiliser, déclenchant une mini tornade. Les hommes avaient fui. Il avait alors suivi l'odeur de l'or en progressant vers une grande bâtisse. De passerelles qui s’effondraient en maisons qu'il écrasait, il avait atteint son but. Si quelques hommes s'étaient dressés contre lui, la majorité s'était enfuie. Une groupe plus structuré avait tiré des flèches et des lances. Un jet de feu les avait réduits à merci. Le dragon avait pu alors déchiqueter la baraque et trouver le lieu où était caché l'or. Il avait alors tout raflé avant de redécoller. Aujourd'hui, la ville avait retrouvé son aspect. Lyanne préféra ne pas descendre. Il n'était pas nécessaire de réveiller de vieilles blessures. Il continua son trajet en revenant vers la vallée de Tichcou, reconnaissant çà et là des lieux où il était passé.
Au loin un mont dont déjà le haut se couvrait de neige, attira son attention. La montagne solitaire !  C'était un bon endroit pour se reposer et avoir des nouvelles. Virnita et Ouldanabi étaient-ils encore là ? Lyanne dirigea son vol vers le sommet du grand cratère. Il descendit en vol plané. Arrivé au sommet, il resta un moment à faire des cercles. Il ne voulait pas les surprendre. Il les vit s'agiter en bas. L'alerte était donnée. Il vit les hommes s'armer et se répartir près de chaque grande maison. Lyanne les sentait attentifs, prêts au combat sans désirer se battre. Quand il vit arriver la petite silhouette boitillante, il commença sa descente. De nouveau les hommes manœuvrèrent. Les arcs furent bandés. Presque paresseusement, Lyanne perdait de l'altitude. Même si l'ordre ne fut pas crié, il entendit distinctement : « Ne tirez pas tout de suite, attendez qu'il soit à portée ! ». Il était presque à hauteur de tir quand il entendit la première vibration. Il ne fut pas le seul. Les hommes en bas détendirent leurs armes en se regardant. Alors que Lyanne poursuivait son tour de cratère, d'autres vibrations vinrent se mêler à la première. C'est alors qu'il les repéra. Ils commençaient à briller d'une lumière rouge tranchant avec le vert profond de la forêt de résineux. 
- Les simalbabas chantent ! hurla la voix aiguë de Ouldanabi. Ne bougez pas, C'est leur maître qui arrive.
Avec difficulté, elle mit genou à terre. Les guerriers la voyant faire, hésitèrent. Lyanne eut le temps de faire un autre tour avant que tous aient imité Ouldanabi.
D'une brusque cambrure de ses ailes, il se posa et prit immédiatement figure humaine. Il s'approcha de la vieille chamanesse et lui tendit la main :
- Tu me fais trop d'honneur, toi qui sais si bien voir dans les osselets. Relève-toi, nous avons à parler.
- Qu'est-ce qui se passe ici ? cria l'homme qui arrivait, à la tête d'un détachement d'hommes et l'épée à la main.
Il s'arrêta brusquement, jeta un regard autour de lui, nota que les simalbabas brillaient tout en émettant des sons qui s'accordaient comme une mélodie et se retourna vers Lyanne :
- Toi ! Tu es... Tu es...
- Oui, Virnita, Je suis revenu.
Ouldanabi qui s'était péniblement relevée, souriait de toutes ces quelques dents :
- Les simalbabas chantent pour toi ! Tu as trouvé ton nom ! Il faut faire la fête.
Lyanne entendit un murmure passer dans toute l'assemblée des présents : « L'homme-dragon est là ! Les légendes sont vivantes ! »
Lyanne se dit qu'il n'avait pas le choix. Il devait rester avec eux au moins pour ce jour.

La fête battait son plein sous un ciel chargé de nuages. Lyanne avait admiré l'efficacité des Ouatalbi. Le maître de forge était arrivé, dans la main, une épée neuve. Fier de son ouvrage, il l'avait montré à Lyanne qui n'avait pu que constater les progrès.
- Ton passage a été une bénédiction pour nous, lui dit Virnita. Nos guerriers vont presque tous rentrer et les récoltes ont été bonnes.
- Comment se passe la guerre en dehors ?
- La guerre est loin, homme-dragon. Depuis que les Izuus ont rejoint Saraya, Altalanos a dû céder du terrain. Pour le moment, l'hiver arrive. La trêve est là depuis les premières neiges. Saraya va hiverner dans la plaine assez loin d'ici. Tous les mercenaires ont été renvoyés.    
- Combien de jours de marche ? 
- Pour des Ouatalbi, dix jours de marche, le double pour les autres, ils ne vont pas bien vite.
- Tous les tiens sont rentrés, as-tu dit ?
- Non pas encore. Les premiers sont arrivés. Les autres suivront rapidement, mais au rythme des chariots pour les vivres. Si la récolte a été bonne, elle ne permet pas de nourrir tout le monde pendant tout l'hiver. Les nôtres reviennent avec ce qu'il leur est nécessaire.
- Combien serez-vous ?
- Les miens forment plusieurs escouades dans l'armée de Saraya.
- Vous êtes un peuple fidèle. Si la guerre éclate entre les gens de la montagne et Saraya, pour qui vous battrez-vous, peuple du mont solitaire ?
- Les Ouatalbi sont fidèles à leur parole. Saraya les avaient engagés pour cette année. Quand l'hiver sera passé, nous verrons à qui nous vendons nos bras. Qui est le peuple de la montagne ?
- Il est mon peuple.
Virnita mit genou à terre :
- Nous ne pourrons pas nous battre contre ton peuple.
- Saraya se bat contre tous les petits royaumes. La mort du roi Yas les a libérés. Mais Saraya roi, leur refuse le droit de décider pour eux. Sais-tu cela ?
- Oui, homme-dragon. Nous avons marché sur de nombreuses villes. Toutes se sont rendues sans combattre devant la grandeur de notre armée sauf une ou deux que Saraya a fait raser. Ils restent plus loin vers le soleil levant quelques nations qui ont refusé les émissaires. La guerre les rejoindra au prochain printemps.
- J'ai pour certaines de ces populations beaucoup d'attachement. Elles m'ont juré fidélité et je les protégerai de Saraya.
- Ton rôle sera difficile, homme-dragon, car l'armée de Saraya est vaste et puissante même sans les Ouatalbi.
Quand elle est en marche, seul Altalanos a une armée suffisante pour l'arrêter.
- Celle de Yas a échoué aux portes de ce qui est devenu mon royaume. L'hiver verra la chute de Saraya ou sa soumission.
- Quelle armée se battrait en hiver ?
Lyanne sourit en pensant aux phalanges qui allaient déferler bientôt. Dans la plaine, personne ne pourrait soutenir l'assaut de ses guerriers blancs.

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