lundi 30 décembre 2013

La neige précédait Lyanne. Il avait décollé de Felmazik depuis plusieurs heures. Le vent qui poussait les nuages, le portait vers son but. Il avait choisi une taille assez grande mais pas trop, pour aller vite. Tchavo à son réveil, n'avait rien pu dire de plus que la sensation de danger. Lyanne lui avait demandé la permission d'explorer ce qu'elle ressentait. Posant son front sur celui de la jeune fille, il avait alors ressenti un paysage. Quand il s'était redressé, il avait décrit ce qu'il avait lui ressenti. Cela n'avait rien dit à la Tchaulevêté. Vodcha et son père bougeaient beaucoup. Le pays que décrivait Lyanne pouvait être n'importe où entre ici et la mer. Lyanne avait pensé aux charcs. Il les avait mis à contribution. Pénétrant leurs esprits de proche en proche, il avait exploré leurs souvenirs. La réponse était venue tard dans la nuit. Il avait aussitôt quitté Felmazik. La guérisseuse l'avait vu courir trois pas dans la cour et devenir dragon. C'est sous une forme ramassée qu'il avait quitté la ville pour aller vers les montagnes. Loin de tout, il avait ajusté sa taille. En même temps qu'il volait, il avait contacté les crammplacs et leurs compagnons. Une unité faisait route vers le lieu qu'il leur avait décrit. À sa vitesse actuelle, il lui faudrait une demi-journée. Le groupe mixte était assez loin devant lui pour arriver sur les lieux en même temps que lui.
S'il avait assisté au lever du soleil, cela s'était résumé à un bref rayon qui avait fait briller son œil. Les nuages avaient avalé l'astre, n'en laissant filtrer qu'une lumière blanchâtre. Lyanne monta un peu et s'enfonça dans la couche nuageuse, ne descendant que de temps à autre pour se repérer. Des charcs volaient plus bas. Ils ne pouvaient pas le suivre, mais de groupe en groupe se passaient le relais pour accompagner le « grand être volant rouge » comme ils appelaient le dragon. 
Quand le soleil descendit, il y eut un bref flamboiement rouge à l'horizon habillant la neige qui tombait toujours de couleurs de sang. Lyanne redescendit sous les nuages. Il approchait. Il repéra le groupe mixte qui avançait au grand galop. Il sourit et envoya un message mental aux quatre mains de guerriers et de crammplacs qui couraient en bas. Il vit alors le lac, au loin. Les vents favorables lui avaient permis de voler sans trop se fatiguer. Il sentait ses muscles devenir durs. Un peu de repos lui ferait du bien. Les charcs de la région étaient venus vers lui. Lyanne se mit en vol plané pour les suivre. Ils remontèrent le cours d'une rivière et bientôt ils aperçurent des feux. Lyanne se laissa glisser sans bruit au-dessus. Une troupe assez nombreuse, qu'il estima à au moins une phalange, une phalange et demi campait sur cette espèce de promontoire. Une falaise en protégeait l'accès d'un côté. La forêt ceinturait l'endroit rendant difficile la visibilité vue d'en haut. Lyanne ajusta sa taille à celle des charcs. Moins habitué qu'eux à cette envergure, il découvrit que son vol était assez instable. Néanmoins, il s'approcha de cette forteresse naturelle en survolant la canopée. Toujours guidé par les charcs, il zigzagua entre les branches pour venir se poser sur une branche maîtresse d'un litmel. De là, il observa.
Dans la clairière en dessous de lui, des hommes se disputaient sur la qualité de la nourriture autour d'un feu. Un trépied soutenait une marmite. Un des hommes en avait soulevé le couvercle et exprimait son mécontentement. Celui qui tenait le manche de la grande cuillère lui répondit quelque chose qui fit rigoler tout le groupe assis non loin de là. Lyanne compta deux ou trois mains d'hommes. D'autres feux semblaient organisés de la même manière. Les hommes étaient tous l'arme au côté ou proche d'elle. Pour Lyanne, il fut évident qu'il était face à un groupe issu d'une armée mais en rupture, des déserteurs qui s'organisaient en bande armée pour piller en profitant des guerres entre les grands. De temps à autre, on racontait comment, à d'autres époques, ces troupes sans foi ni loi, se sédentarisaient sur une terre. Leur chef en devenait alors le seigneur.
Pour le moment, vu l'état des uniformes et la taille de la forêt, Lyanne ne pensait pas à cette option. Plus loin de lui, mais plus proche de l'eau, il vit des tentes plus grandes. D'arbre en arbre, il s'en rapprocha sans attirer l'attention. Selon les charcs, il fallait chercher dans cette partie celle dont il leur avait transmis l'image. Il surplombait manifestement le poste de commandement. Un homme à l'uniforme chamarré donnait des ordres. Lyanne se laissa descendre sur une branche plus basse. Il vit les sentinelles.
- … on verra quand le messager reviendra. La gamine a parlé d'un roi. Si elle nous a menti, je la laisserai aux hommes. Ils pourront s'amuser avec.
- La neige qui est arrivée, va compliquer les choses.
- T'inquiète pas, Shrima. Saraya est loin et a d'autres choses à faire. Je connais une petite vallée pas trop loin où nous serons bien pour passer l'hiver, si la neige tient.
Lyanne sentit la colère monter en lui. Vodcha était aux mains de ces soudards. Il examina le reste de la clairière et repéra une tente un peu à l'écart, près de la falaise et surplombant l'eau. Deux gardes l'encadraient. En s'approchant, il repéra l'odeur de la jeune fille. Il la ressentait bouleversée.
Comment la sortir de là ?
Il y eut un petit cri au loin. Lyanne découvrit ses crocs dans un sourire de dragon. Les crammplacs poilus étaient proches. Bientôt, il entra en contact mental avec leur chef. Il lui décrivit ce qu'il voyait. Allant d'arbre en arbre, il fit le tour du promontoire, cherchant et trouvant les sentinelles. La soirée était bien avancée quand il se retrouva près de la tente où il sentait la présence de Vodcha. Par contre, il n'avait pas trouvé de trace de son père ni de leur attelage.
- « Leurs cœurs sont mauvais » dit l'esprit de Scomaïa.
Lyanne entendit la pensée du grand crammplacs.
- « Oui, tu as raison ! Ils s'éloignent du bien. Leurs actes amènent mort et désolation et leurs esprits sont incapables de penser plus loin que l'immédiate satisfaction. »
- « Ils ne méritent pas de vivre, ils n'ont pas d'honneur ! »
- « Je sais, Scomaïa. Notre but est de délivrer la demoiselle. Si la justice est faite en même temps, ce sera bien. Préparez l'attaque. Le sommeil commence à gagner les sentinelles. »
Lyanne se posa derrière l'arbre le plus proche de la tente qu'il surveillait. Il reprit forme humaine. Derrière lui, quelques bruits légers venant de la falaise, l'informèrent qu'un crammplacs grimpait. Lyanne sourit. La neige tombait plus dru, étouffant les bruits.
- « Scomaïa, certains ont le cœur moins noir que les autres, laissez-les vivre. Ils passeront l'épreuve de la vérité ! »
- « Bien, roi-dragon. Nous accomplirons ta volonté. »
Sans bruit, Lyanne avança vers la tente. La sentinelle qui la gardait, somnolait appuyée sur un tronc, le regard tourné vers le camp. L'homme n'eut pas un cri quand le marteau de roi-dragon le mit hors de combat. Le garde ne toucha même pas le sol. Un grand crammplacs l'avait saisi dans sa gueule et l'entraîna. Son cavalier ayant démonté au vol, et les deux épées à la main, arriva vers Lyanne. Par gestes-ordres, le roi-dragon lui donna la marche à suivre. Lui-même pénétra dans la tente. Il vit le geste de terreur d'un corps qui se rétractait le plus loin possible de l'entrée, un bras protégeant la tête. Il s’accroupit :
- Vodcha ! Vodcha !
L'instant d'après une jeune fille lui sautait dans les bras en pleurant :
- Nevt ! J'ai eu si peur...
Lyanne la rassura du mieux qu'il put en lui caressant les cheveux. Il la berça doucement, chantant d'une voix grave une chanson à faire dormir. Il sentit le corps de Vodcha se laisser aller. Il continua son chant jusqu'à ce qu'il soit sûr qu'elle dorme profondément. Il la déposa sur le sol et sortit de la tente. Le guerrier blanc était aux aguets. Lyanne lui fit signe et lui dit :
- Garde-la !
Le marteau à la main, Lyanne s'éloigna. Il ne fut rapidement plus qu'une silhouette indistincte perdue dans la neige qui tombait toujours recouvrant tout. Il se guida aux sons. Vingt crammplacs montés par vingt guerriers étaient plus dangereux que ce semblant d'armée. Quand il arriva sur ce qui devait servir de place de rassemblement, il n'avait vu que des cadavres. Quelques hommes grelottants y avaient été rassemblés par les grands fauves. Un konsyli s'approcha de lui :
- Voilà ceux qui restent. Les autres avaient le cœur trop noir pour être épargnés par Scomaïa et les siens.
Le grand crammplacs arrivait en poussant devant lui un dernier groupe de prisonniers :
- « Roi-dragon, tes ordres ont été exécutés ! Seuls survivent les moins noirs ! »
- « Bien, vous avez fait vite et bien. Que l'un des tiens aille vers la tente où sont Vodcha et la garde. »
Scomaïa fit un mouvement de tête et un autre crammplacs partit en courant vers le bout du promontoire. Lyanne se tourna vers le groupe disparate des prisonniers. Un homme se jeta à genoux :
- Pitié, grand roi ! La petite avait dit qu'un roi viendrait la délivrer. Sarkar et Shrima ont eu tort de ne pas la croire. Je ne voulais pas cela...
- Que refusais-tu ? demanda Lyanne.
- Je ne voulais pas qu'on la prenne en otage.
Le roi-dragon ressentait de la répulsion face à cet homme. Il lui dit :
- Soit tu dis vrai et quand tu toucheras ce bâton tu vivras, soit ta parole est fausse et tu mourras.
Ayant dit cela, il tendit le bâton de pouvoir à portée de main de l'homme. Ce dernier regarda le bout du bâton avec des yeux exorbités. Il s'effondra en poussant un cri, tenant sa main droite avec sa main gauche. Il la plongea dans la neige qui se mit à fondre.
Lyanne regarda les autres :
- Voici votre choix. Devenir mes serviteurs porteurs de la marque du roi-dragon, ou mourir.
Il n'avait pas fini de parler qu'un homme tenta de s'enfuir. Il n'avait pas fait cinq pas qu'un coup de patte de crammplacs l'avait coupé en deux.
- Allez qu'on en finisse ! dit Lyanne. L'un derrière l'autre les prisonniers approchèrent et mirent la main sur la bâton. Seuls quelques uns s'effondrèrent sans vie dans la neige. Les autres serrèrent les dents pour ne pas crier lors de la brûlure. Les derniers n'avaient pas fini de passer qu'un des crammplacs dressa l'oreille. Lyanne les vit partir au galop avec leurs cavaliers. Quelques instants plus tard, il entendit les hurlements des hommes mourant sous les griffes de ses guerriers. Il eut un sourire triste. Il avait bien senti un groupe qui s'échappait, mais il pensait qu'ils auraient eu l'intelligence de fuir. Les hommes qui restaient, se hâtèrent de toucher le bâton de pouvoir. Lyanne arrêta le plus jeune :
- D’où viens-tu ?
Ce dernier, s’il avait des larmes qui coulaient, n’avait pas poussé un cri quand le feu l’avait marqué à la main. Il répondit les dents serrées :
- Je suis du pays de Trinoy.
- Où est-ce ?
- Loin d’ici près de la mer, c’est un pays tout en vallée et en vertes collines.
- Tu en es bien loin…
- On ne peut pas tous rester sur nos terres. Nos enfants sont trop nombreux. Les plus hardis prennent la mer, les plus forts partent mercenaires.
- Depuis quand êtes-vous ainsi dans la région ?
- La mort du roi Yas a donné beaucoup de liberté aux capitaines. Sarkar en a profité. Nous étions sous ses ordres. Nous avons suivi. Il nous a donné le goût de la puissance et des plaisirs faciles. Mon père disait toujours que cela avait un coût. Il avait raison. Votre venue en est la preuve.
- D’où vient l'enfant de la tente et où est celui qui l’accompagnait ?
- Nous avons fait un raid sur une ville plus loin vers où le soleil se lève. Nous avons subi des pertes et le butin n’était pas extraordinaire. Sur le chemin du retour nous sommes tombés sur cette carriole. Il y avait deux hommes et un jeune fille. Shrima qui menait l’avant-garde, a lancé ce facile assaut. Ce type transportait plus de biens que ce que nous avions trouvé en ville. Il s’est défendu avec son garde, mais nous étions trop nombreux. Le garde a été tué et lui, je ne sais pas. Quand je suis arrivé avec Sarkar et le gros de la troupe, il gisait par terre. La fillette se démenait comme une diablesse. Shrima a failli la laisser aux hommes pour qu’ils en profitent mais elle hurlait que viendrait le grand roi rouge et que nous serions tous punis. Qui dit roi dit or. Sakar a donné l’ordre de l’entraver et de lui amener. Il l’a un peu malmenée mais juste pour qu’elle révèle où était ce roi. Elle a parlé de Tichcou, la ville où était mort Yas et que le nouveau roi de Tichcou viendrait pour tous nous punir. Elle a dit des choses insensées qu’il viendrait sur les ailes du vent et qu’il serait accompagné par les serviteurs de la blanche mort. Sarkar a surtout entendu la richesse derrière ses paroles. Il a envoyé un messager vers la ville et attendait son retour pour savoir ce qu’il ferait… et vous êtes arrivé, Majesté.
Ce disant l’homme avait mis genou à terre. Lyanne connaissait le processus. Le bâton ne faisait pas que marquer la paume des hommes comme au fer rouge, il liait leurs âmes à celle du roi-dragon pour toujours.
- Ton père était un homme sage, homme de Trinoy. Quel est ton nom ?
- Pavura, Majesté.
- Tu étais chef de ton détachement sous les ordres de Sarkar, alors tu seras chef de ce détachement sous mes ordres.
Se tournant vers les guerriers blancs, il appela :
- Scomaïa et Tannoy, venez !
Le grand crammplacs et son cavalier arrivèrent.
- Désignez une main mixte pour aider ici. Ce promontoire doit devenir forteresse. Que les hommes liés et vous fassiez ce qui est bon pour le renforcer et le tenir. J’enverrai des troupes pour le renforcer en temps et en heure.
Ayant dit cela, il se détourna pour retourner vers la tente où était Vodcha. Quand il pénétra sous la toile, la jeune fille dormait encore. Il fit un signe au garde qui répondit que rien n’avait bougé depuis son départ. Doucement Lyanne lui prit la tête dans sa main et l’appela pour la réveiller. Quand elle ouvrit les yeux, il y eut comme une interrogation puis elle cria :
- Nevt !
- Sois sans peur, petite fille, sois sans peur, je suis là pour te protéger.
Il lui laissa du temps qu’elle passa à se blottir contre lui. Puis avec douceur, il l’écarta :
- Sens-tu ton père ?
- Oui, il est vivant, mais je ne sais pas où.
- Bien, Vodcha, bien, nous allons partir à sa recherche. Je sais où a eu lieu l’attaque, nous allons le retrouver.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire