vendredi 23 août 2013

Chioula n'avait pas revu le prince Louny depuis cette nuit fabuleuse sur la terrasse du donjon. Elle s'interrogeait beaucoup. Kolong ne savait quoi lui dire. Ce prince Louny semblait exister sans exister. Chioula l'avait vu mais les autres semblaient ne pas connaître son existence.
Son père était invisible. Il supervisait les préparatifs du départ. Il avait été très inquiet d'apprendre que pour aller à la capitale, il leur faudrait passer par le chemin à travers les Montagnes Changeantes. La caravane du pays de Pomiès comportait une centaine de Macocas. Il fallait coordonner tous les groupes qui composaient le convoi. Les maîtres d'attelage et les soldats se haïssaient cordialement. Chacun trouvant que sa profession devait être à la première place des préoccupations du noble Sariska. La peur régnait dans les écuries. Aucun d'eux n'avait traversé les Montagnes Changeantes. Si les soldats étaient prêts à obéir pour y passer, les maîtres d'attelage voulaient faire le détour de quelques lunes nécessaires pour passer au loin. Sariska avait fini par donner sa parole de demander des guides au roi-dragon. Malheureusement, le roi-dragon était parti inspecter les territoires situés vers le désert mouvant. On ne savait pas quand il serait de retour. Sariska en fut contrarié et n'écouta que d'une oreille encore plus distraite les babillages de sa fille lui racontant comment elle avait été se promener dans la forêt et comment elle avait à nouveau rencontrer le meute première. Elle expliquait comment la louve aux yeux rouges semblait la comprendre :
- Vous auriez vu, Père, comment elle penchait la tête sur le côté. On aurait vraiment dit qu'elle écoutait. Je lui ai dit le bien que je pensais de ce prince que j'avais rencontré en sa présence.
- C'est bien, ma fille, c'est bien, répondit Sariska, qui se tourna vers son voisin de droite pour lui parler du taux de change entre la monnaie du pays de Pomiès et celle du pays Blanc.
Quand elle quitta la table, Chioula ressentait une grande nostalgie de son pays. Elle avait quitté le lieu de son enfance depuis des lunes. Sans l'erreur de son père, elle n'aurait jamais été ici et n'aurait jamais connu ce prince. Même avec Kolong pour la servir, elle se sentait bien seule. Profitant de la lumière et du soleil, elle était sortie se promener. Perdue dans ses pensées, elle n'avait rien dit et les gardes de la phalange du roi-dragon ne l'avait ni arrêtée ni interrogée. Elle avait été naturellement vers le bois et s'était enfoncée sous les frondaisons. Elle avait marché sans réfléchir à la direction de ses pas toute occupée à rêver de ce qu'elle allait faire à La Blanche. Quand elle avait demandé à partir, le monde l'attirait mais maintenant dans ce fort loin de tout, elle avait fait une rencontre qui bouleversait ses plans. Ce prince Lyanne devait avoir un secret à cacher pour garder ainsi sa présence aussi secrète. La marche dans la forêt lui avait fait du bien, elle se sentait plus calme. C'est en décidant de rentrer qu'elle comprit qu'elle était perdue.
Chioula ne paniqua pas. Elle ne pouvait pas être loin du fort de Moune. Elle s'était simplement promenée sans chercher à couvrir de la distance. Elle fit demi-tour et retourna sur ses pas. Elle pensa reconnaître là un arbre, là un rocher. Quand la lumière baissa, elle n'avait pas retrouvé la plaine. Le froid se fit plus mordant.
Au fort de Moune, la peur s'était installée dans toute la délégation du pays de Pomiès. Le noble Sariska avait remué tout le fort. En l'absence du roi, la phalange Louny s'était mise à son service. Dès qu'il était apparu que la princesse Chioula n'était pas dans le fort ni à sa proximité, des patrouilles étaient parties dans toutes les directions pour essayer de trouver des traces. Une  main d'hommes était revenue en signalant des pas dans la neige partant vers la combe. Galvir, en tant que prince-dixième responsable de la phalange Louny, avait pris en main l'organisation des recherches.
- Préparez des torches. Il faut la retrouver avant qu'elle n'aille trop loin.
Sariska vit de la crainte dans les yeux de Galvir. Il l'interrogea :
- Que risque-t-elle ?
- En premier, le froid, mais en second, elle risque de dépasser la frontière des Montagnes Changeantes. Naturellement, les gens suivent la pente et descendent. La combe finit par rejoindre un ruisseau qui marque la frontière entre notre monde et les Montagnes Changeantes. Malheur à elle si elle la dépasse. Il faut la retrouver !
Les yeux de Sariska s'étaient agrandis. Dans son ventre, il sentit la morsure intense de la peur. Jamais, il ne pourrait se pardonner s'il arrivait malheur à Chioula.
Chioula était dans une petite vallée. Le ruisseau était gelé. Le soleil passa sous une barre de nuages et éclaira la combe. Chioula regarda autour d'elle pour essayer de se repérer. La plaine était-elle à droite ou à gauche ? Elle pensa au mot plaine et décida de descendre. Derrière elle la forêt était à quelques pas, de l'autre côté du ruisseau, le feu avait dû ravager la pente. Les fûts des arbres étaient noirs et secs. Tout semblait noir ou blanc. Elle frissonna. Le froid était intense mais n'expliquait pas toute sa réaction. Ce paysage lui évoquait les noires légendes de son pays. Les esprits mauvais habitaient un tel lieu. Elle reporta son regard vers la forêt cherchant un passage vers l'aval. Le soleil allait se coucher. Elle vit un trou. Elle pensa que le mieux était de se protéger là pour la nuit et de voir demain. Elle se dirigea vers cette grotte à la lumière du crépuscule. Elle allait l'atteindre quand elle entendit ce qu'elle redoutait : les loups !
Galvir avait pris la tête de ses troupes. Ils marchaient en ligne s'écartant doucement les uns des autres pour couvrir plus de terrain. Sariska marchait entouré de ses soldats.
- Il n'a pas l'air d'avoir entendu les loups, dit Bouyalma.
- Dans le cas contraire, il fera comme s'il ne les avait pas entendus. Il sait que sa fille a peu de chance de résister à la nuit et aux loups, sans parler des Montagnes Changeantes, répondit Galvir. Il ne peut pas admettre la réalité.
- Jusqu'à quand continuons-nous ?
- Tu as vu le ciel ? La tempête sera là en fin de nuit. Il faut que nous soyons de retour avant sinon ce n'est pas un mort que nous aurons mais toute la phalange.
Sariska n'avait pas entendu cet échange et marchait avec le soutien de ses hommes.
- Là ! J'ai trouvé la trace, dit un des pisteurs du pays de Pomiès.
Le détachement se lança à sa suite.
Chioula avait repéré les loups avant qu'ils ne la sentent. Ce n'était pas la louve aux yeux rouges mais une meute de loups gris. Elle vit qu'ils évitaient soigneusement d'aller de l'autre côté du ruisseau. Quelque chose semblait leur faire peur. Elle vit un des loups renifler le sol. Il avait trouvé son odeur. Chioula n'était plus qu'à une centaine de pas de la grotte. L'autre côté du ruisseau était plus près. Elle hésita. Les loups qui venaient de la repérer se mirent à courir. Chioula souleva sa robe et à grandes enjambées se prépara à sauter par dessus le ruisseau.
- Je serais vous, j'éviterais de passer.
Chioula s'arrêta net. Semblant surgir de nulle part, le prince aux yeux d'or venait de se matérialiser juste de l'autre côté du ruisseau. D'un bond il passa le lit où l'eau ne coulait déjà plus en ce début de la saison froide. Les loups qui avaient forcé l'allure, freinèrent aussi fort qu'ils purent et s'enfuirent en poussant des jappements de peur. Chioula regarda le prince aux yeux d'or avec d'autres yeux. Non seulement, il parlait aux loups noirs mais il faisait peur aux autres loups.
- Vous êtes un homme précieux prince, dit-elle, cachant sa peur autant qu'elle le pouvait.
- Nombreux sont ceux qui me le disent, princesse. Que faisiez-vous si loin du fort ?
- Je me suis perdue pendant ma promenade, répondit-elle d'un ton léger.
Lyanne éclata de rire. Il sentait la peur de Chioula mais admirait la manière dont elle essayait de maîtriser la situation.
- Saviez-vous que certains loups sont infréquentables ? demanda-t-il avec un petit sourire narquois. Mais s'attarder ici serait dangereux même si votre compagnie est agréable, princesse. La tempête arrive. Nous avons juste le temps de rentrer.
La nuit était maintenant complète. Les nuages qui couvraient le ciel, avaient mangé la lumière. Chioula trébucha dans l'obscurité. Elle mit les mains en avant pour protéger sa chute, mais rencontra un appui qui se révéla être la main de Lyanne.
- Permettez-moi de vous raccompagner, princesse.
Sous le regard étonné de Chioula, de la lumière dorée sembla couler du bâton pour se répandre à terre. S'ils marchaient dans la nuit, leurs pieds se déplaçaient dans une flaque de lumière. Tenant fermement la main de Lyanne, Chioula avançait avec assurance.
Bientôt, ils virent à travers les arbres des lueurs de torches qui venaient vers eux.
- Voici vos sauveteurs, princesse. Permettez-moi de me retirer.
Chioula retira sa main à regret. La lumière cessa de couler du bâton. Elle eut l'impression que l'obscurité était encore plus forte. Pourtant les porteurs de torches étaient si près qu'elle entendait leurs voix. Il y eut un violent coup de vent qui la déstabilisa un peu et puis le calme revint.
- PAR ICI, Noble Sariska, nous l'avons trouvée.
Chioula se trouva entourée d'une foule qui exprimait bruyamment sa joie. Galvir qui arriva peu après, donna l'ordre du retour.
- La tempête arrive. Rentrons, nous serons mieux au fort pour attendre le retour du soleil.

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