samedi 7 juin 2014

Leur arrivée sur l’île de Fanhieme eut lieu le lendemain soir. L’île lui rappela la montagne des Ouatalbi. Elle était haute, le sommet entouré de nuages. Sa forme aurait été symétrique sans une sorte de plaie béante d'où s'échappait un rougeoiement se reflétant dans la couverture nuageuse la surplombant. Les marins à bord de la galère sortaient rarement sur le pont. Ils préféraient le confort intérieur. Lyanne avait compris que la magie qui régnait à bord rendait l'intérieur de la galère plus grand que ce qu'on pouvait en attendre en la voyant.
Dgala avait passé son temps à bord avec Djoug qui lui enseignait les us et coutumes des Waschou. Si l’un était dans la peur de ce qu’il avait à faire, l’autre était atterré de découvrir les lacunes de Dgala pour vivre dans la société Waschou. Il ne savait pas se battre, il ne savait pas les légendes, il ne savait pas les rites, il ne savait pas les salutations rituelles… Il ne semblait même pas diriger ce bâton de pouvoir qu’il traînait partout comme un objet encombrant. Autant Lyanne se déplaçait avec aisance et donnait un sentiment de tranquille puissance, autant Dgala ressemblait à un adolescent qui ne savait pas quoi faire de son corps.
Lyanne était resté sur le pont plat étonnant pour les autres marins par cette absence de mât. Il s’était assis contre le cabestan pour méditer tranquillement. Il avait senti la magie de ce bateau comme on voit les vagues sur la mer. Il avait senti partir la force vers l’île là-bas qui venait surgir sur l’horizon. Il avait compris qu’il y avait un lien entre tous les bateaux des îles Waschou. Les Nasr et la galère du delta de Hunique devaient avoir échappé au contrôle des magiciens.
Alors qu’ils approchaient des côtes, Dgala arriva sur le pont. Il resta un moment en silence.
- J’en ai plein la tête de tout ce que m’a dit Djoug.
Lyanne regarda Dgala qui était resté debout. Il regardait au loin vers l’île. Lyanne ne répondit rien.
- J’chais pas si j’serais capable de faire ce qu’ils veulent…
- Sait-on un jour si on est capable ?
- Quand on a fait ?
- Alors essaye, répondit Lyanne en se levant. Tu peux avoir confiance. Tu possèdes un bâton de pouvoir. Utilise-le quand tu auras besoin.
- Mais j’le saurais quand ?
- Sois sans crainte, tu sauras. Rentrons maintenant. Nous allons bientôt arriver.

Le débarquement avait eu lieu dans une petite crique qui servait de port. Plus loin, une pointe de rochers noirs et acérés coupait la houle venue du large. Lyanne et Dgala étaient sur le pont. Sur la berge un groupe était rangé en un carré parfait. Sur leur droite, des trompes se mirent à sonner. Cela évoqua à Lyanne le son du meuglement du mibur mâle qui veut défendre son territoire. Lui revint en tête le souvenir de sa rencontre avec le maître sorcier Kyll dans les tunnels. Cela le fit sourire.
- Vous trouvez ça drôle ? demanda Dgala que l'inquiétude avait gagné en importance.
- Cela me rappelait un vieux souvenir. J'étais jeune et mon ignorance était grande. La plus grande était de méconnaître la puissance qui m'habitait. Si tu as été choisi, c'est que tu possèdes ce qui est nécessaire. Le rite est l'habillement de la puissance.
Dgala avait maintenant les yeux fixés sur Lyanne qui poursuivit son discours.
- Le vrai puissant est celui qui peut faire, simplement, sans rien ajouter à son faire. Pense à cela quand tu auras à faire.
Les sonneries de trompes devinrent plus complexes, changeant de rythmes et de tons rapidement. Il s'en dégageait une impression d'exaltation et de joie qui toucha Lyanne au plus profond de son être. Le visage de Dgala exprimait ce même sentiment. Avant que la galère n'ait touché terre, Lyanne sentit chez lui combien il communiait avec cette musique.
Une barque s'approcha d'eux. Djoug vint les chercher. On les fit descendre sur un siège manœuvré par les marins qui, eux, allaient et venaient par des échelles de corde. Ce fut une expérience curieuse pour Lyanne que cette impression de se déplacer en l'air sans voler.
Sans l'intervention des marins pour stabiliser son siège, il aurait sûrement fait la toupie. Il trouva l'expérience désagréable. À voir le visage de Dgala à son arrivée dans la barque, il vit qu'elle avait été partagée.
Sur la berge, le comité d'accueil se mit en mouvement pour s'approcher de l'eau. Bientôt, ils joignirent leurs voix au son des trompes. Pour Lyanne, la mélopée fut étrange, agréable à l'oreille mais très inhabituelle. À côté de lui, Dgala respirait bruyamment.
Quand il touchèrent terre, un homme vêtu d'une longue tunique rouge vif, s'avança.
- Tchi... ( Bienvenu à toi qui fut choisi...)
Dgala fut atterré. Il ne comprenait rien. Djoug lui fit la traduction.
Pendant le discours de bienvenue, Dgala glissa dans l'oreille de Lyanne :
- J'sais même pas leur langue... J'y arriverai pas !
Lyanne n'eut pas l'occasion de répondre. L'homme en rouge s'était approché, en disant :
-  Cluncguluk chemolka ramokalga.
Djoug lui dit :
- Il veut voir ton bras, celui avec les traces.
Dgala releva sa manche, découvrant les trois cicatrices. L'homme en rouge, lui prenant le poignet, se pencha pour mieux voir. D'un geste vif, il lui donna un coup d'un bâton en forme de fourche. Ce fut tellement rapide que Dgala ne sentit rien. Puis doucement du sang perla de trois nouvelles plaies qui prolongeaient les vieilles cicatrices. Dans le même temps, la douleur arriva jusqu'à sa conscience. Il sursauta en reculant son bras brutalement. L'homme en rouge tint bon en maintenant fermement sa prise.
- Tlac masour glitsa ventaïa...
Djoug fit la traduction en même temps, preuve pour Lyanne que c'était une prière.
- Que le dieu qui nous a donné le jour et la nuit, la nourriture et l'eau, accueille cette marque comme il se doit. Qu'il agrée cet homme comme intercesseur auprès de lui afin que soit renouvelé le don qu'il nous fait, a nous ses fidèles serviteurs...
Quand l'homme en rouge lui lâcha le bras, trois lignes rouges couraient vers sa main. Se tournant vers les autres, il fit le geste de designer une direction en disant :
- Gatmanou !
Avec un parfait ensemble, le groupe entoura Dgala. Une fois en place, les trompes changèrent de rythme pour une invitation à la marche. Lyanne se retrouva seul avec Djoug.
- Que va-t-il arriver à Dgala ?
- On va le conduire au temple au centre de la montagne et ils vont essayer de lui apprendre le déroulement de la cérémonie. S'ils échouent, le jour ne se lèvera plus. Mais allons...
Djoug, Lyanne et les magiciens des Nasr prirent un autre chemin. Si la procession était partie vers le centre de la montagne, eux prirent un sentier qui grimpait en lacets. Tout en marchant, Lyanne apprit qu'il ne reverrait Dgala qu'à la cérémonie qui aurait lieu dans quelques jours. Face à son étonnement, un des magiciens lui répondit que les oracles avaient sacrifié un animal. Dans ses entrailles, ils avaient pu voir que le moment favorable, où les deux astres seraient là où ils devaient être, arriverait dans cinq jours. D'ici là, il était un hôte, eu égard à sa puissance.
Quand vint le soir, Lyanne voulut s'isoler pour entrer en contact avec les siens. Il avait à peine fait trois pas dans le jardin qu'il repéra les gardes qui le surveillaient. Ça le gêna d'autant plus qu'il avait une faim de dragon. Il rusa pour les semer. Il avait repéré un petit bois aux arbres serrés. Passant entre les troncs, il disparut à leurs yeux. Dans ce sous-bois, la lumière était presque absente. Lyanne y trouva le meilleur des camouflages. Il entendit les gardes s'interpeller. Ils se répartirent autour du bois puisque Lyanne finirait bien par sortir. Il ne firent pas attention au curieux oiseau qui s'en envola, tout occupés qu'ils étaient, à scruter la nuit.
Lyanne ne trouva pas de gibier sur les pentes de la montagne. Vue de haut, elle ressemblait encore plus à celle des Ouatalbi. Il sentit comme une pulsation venant du fond du cratère. Il avait trop faim pour en chercher la cause. Il vit un troupeau près d'une bâtisse. Il fut déçu en s'approchant. C'étaient des bêtes d'élevage. Ne voulant pas attirer l'attention sur sa présence, il les ignora. Il survola la mer pour aller vers un autre endroit, quand un mouvement dans l'eau le détourna. Quelque chose la tourmentait. Il fit un piqué et referma ses serres sur un poisson. Plus gros qu'un homme, l'animal se débattit rendant son vol chaotique. Lyanne dragon le laissa tomber sur une plage de cailloux. Quand il atterrit, le poisson avait cessé de bouger. Il se régala de cette viande venue de la mer. Comme la petite crique où il se trouvait était déserte, il en profita pour entrer en contact avec le prince-majeur. Ce fut bref. Tout allait bien.
Son retour fut aussi discret que son départ. Il rejoignit sa chambre, suivi par les gardes soulagés de le voir.
Ce fut Djoug qui lui en parla le lendemain. Lyanne sentit que sa liberté d'aller et venir était limitée. Il parla de méditation et de prière dans la nature.
- Et quel Dieu priez-vous ?
- Votre langue ignore le mot pour le désigner. Nous disons : " Graph ta cron" quand nous le professons.
- Est-il plus fort que le dieu des Waschou ?
- Mes connaissances sont limitées, seigneur Djoug. Mais est-ce une bonne chose que de comparer les dieux ? Mon dieu a mis sur mon chemin l'enfant marqué, ce qui vous a permis qu'il soit présent pour le grand jour que vous allez fêter. Y voyez-vous une opposition ?
Djoug ne répondit pas, préférant changer de sujet.
- Dès demain, vous verrez arriver les galères de toutes les îles. C'est un grand spectacle. Un serviteur vous guidera là où vous verrez le mieux.
Lyanne remercia Djoug de sa sollicitude, tout en se demandant pourquoi on préférait l'éloigner.
Le lendemain, alors qu'il partait en suivant le guide, il vit Dgala à un carrefour. Avant que quiconque ait put dire quelque chose, il l'avait rejoint
- Ton enseignement se passe-t-il bien ?
- J'crois que j'ai la tête qui va exploser. Mais faites attention à vous ! L'mec en rouge qu'est l'grand chef, dit à tout l'monde qu'vous êtes dangereux...
Un serviteur s'inclina profondément devant Dgala :
- Gôtrem ferga strilm chor schorba
- Voilà, ça r'commence... reprit Dgala, faut qu'je m'dépêche !
- Fais ce qui doit être fait et que toujours à ton esprit soit présent que la puissance est tienne.
Ayant dit cela, Lyanne rejoignit le guide dont le visage trahissait le mécontentement.
Ils marchèrent une bonne partie de la matinée, passant par des chemins parfois escarpés. Lyanne remarqua la volonté évidente de son guide de lui rendre le retour impossible. Il en déduit que la cérémonie devrait avoir lieu aujourd'hui ou cette nuit. Ils arrivèrent à un escarpement surplombant la ville. Lyanne reconnut au-dessus de lui le bord du cratère tel qu'il l'avait vu lors de sa nuit de chasse. En bas les maisons de la ville avec une grande construction massive adossée à la montagne, descendaient jusqu'à la crique d'arrivée. Déjà plusieurs galères y avaient jeté l'ancre. Plus loin en mer, arrivant de toutes parts, une multitude de bateaux faisaient route vers l'île.
- Vour voilliezzz, maître étraaaanger, le speccctaaacllle est suuupeerbe, baragouina le serviteur.
- Très bien, répondit Lyanne. Me voilà aux premières loges...
Le guide s'inclina et se retournant, se mit à donner des ordres à ceux qui suivaient. Lyanne vit qu'ils avaient monté de quoi rester plusieurs jours. Il ne fit aucune remarque. Il les laissa pour faire un tour du promontoire. Il découvrit des grottes peu profondes avec des signes d'occupation temporaire comme des restes de feux ou du bois empilé. Plus loin surplombant l'à pic, un rocher plat, Lyanne y vit une invitation à s'y asseoir. Ce qu'il fit, mettant son bâton de puissance en travers de ses genoux.
En bas les galères accouraient laissant derrière elles, des sillages presque droits. Ce signe vint conforter Lyanne. C'était pour ce soir quand se lèverait la Lune dans son premier quartier. Il eut une pensée pour Dgala, espérant qu'il trouverait sa place.
Le temps passa. Lyanne méditait. Le guide s'impatientait mais n'osait pas le déranger.
Lyanne l'entendit s'éloigner au bout d'un moment. Puis lui parvinrent des bruits de repas. Les dernières galères entrèrent dans la rade alors que le soleil était encore haut. Tout fut calme. Le silence n'était troublé que par le chant des oiseaux et les « cri-cri » des insectes.
Quand la lumière baissa, Lyanne vit le lever de la Lune. Ce fut à ce moment-là qu'on entendit les trompes.
Lyanne eut la satisfaction d'avoir raison. On l'avait éloigné. Il ne bougea pas, laissant ses gardiens scruter ses réactions.
Le son des trompes chuta brusquement quand la procession entra dans le temple. Face au soleil couchant, il contempla le disque solaire s'enfoncer dans la mer en donnant au ciel parsemé de nuages des couleurs violines.
Alors que disparaissait l'astre solaire, le son des trompes s'arrêta. Lyanne ignorait ce que devait faire Dgala, pourtant il pensa à lui en cet instant précis. Il l'imagina s'avançant seul, en grande tenue. Était ce dans un couloir ou dans une grande salle ? Quelque part il y avait quelque chose ou quelqu'un qu'il valait mieux laisser dormir.
La nuit s'installa. Il y avait eu trois sonneries de trompes. Annonçaient-elles l'ouverture de portes ? À moins qu'elles ne signifiaient une autre phase de la cérémonie ? Lyanne ne savait pas. Il ressentait juste la montée de la puissance.
Derrière lui, les serviteurs s'étaient réunis et semblaient psalmodier quelque chose. Quand le ciel fut devenu noir, retentit une nouvelle sonnerie, plus longue, plus solennelle. Lyanne eut la vision d'un Dgala tremblant de peur, s'avançant seul dans la nuit, serrant son bâton de puissance comme un enfant serre sa peluche.
C'est à ce moment-là que la terre trembla. La panique s'empara des gens de Waschou qui tombèrent à genoux en levant les mains au ciel. Ils se mirent à implorer la clémence du dieu qui se réveillait. Lyanne, dès la première secousse, s'était laissé tomber dans le vide et déployant ses ailes, prit de la hauteur. Devant les yeux d'or du dragon le monde montra toute l'étendue des forces en présence. Si l'eau était tranquille, l'air vibrait. Le feu et la terre semblaient entrer en ébullition. Lyanne pensa à Dgala. Survolant le cratère toujours vibrant, Lyanne chercha la présence de son compagnon. En scrutant le fond de la dépression, il vit une petite sphère de tranquillité dans un maelström de forces incontrôlées. Il plongea tout en invoquant la puissance qui était sienne, héritière et continuatrice de toutes celles de tous les rois-dragons. Il sentit la réponse de bâton de puissance que tenait Dgala. Se dirigeant sur elle, il atterrit à côté de Dgala au moment où la terre cessant de trembler, commença à se soulever. Posant son bâton de puissance il ordonna et, tout en hurlant de ses grondements, la terre obéit. Lyanne et Dgala devinrent comme des rochers face à un tsunami.
- ORDONNE, cria Lyanne à l'oreille de Dgala qui répondit par un regard terrorisé.
- ORDONNE ! TU ES LE MAÎTRE !
- Ça suffit, murmura Dgala.
- PLUS FORT !
- STOP !
Il y eut un instant de calme et de silence. Dgala regarda Lyanne, les yeux pleins de fierté qui se mua en panique quand reprirent les grondements souterrains. Autour d'eux, tout explosa dans un fracas de fin du monde.
Jaillit le feu poussant la roche puis vint la roche en feu. Si Lyanne était encore debout, Dgala était à quatre pattes, les mains sur les oreilles. Autour d'eux, tout était rouge et or.
- DEBOUT, DGALA ! hurla Lyanne.
Dgala le regarda sans se relever. Devenant dragon, il ajouta d'une voix forte :
- TU AS LA PUISSANCE QUI EST TIENNE ET CELUI, DONT TU TIENS LE BÂTON, TE PRÊTE LA SIENNE. ORDONNE ET LES ÉLÉMENTS T'OBÉIRONT.
Dgala regarda autour de lui le mur de roches en feu qui avait ondulé aux paroles de Lyanne.
Regardant Lyanne-dragon, il se mit debout. Prenant son bâton de puissance à deux mains, il le tendit vers le fleuve de feu :
- PAR LA PUISSANCE QUI EST MIENNE ET PAR LA FORCE DE CE BÂTON, JE TE L'ORDONNE, QUE LA TERRE REDEVIENNE FROIDE ET QUE LE FEU REPOSE EN DESSOUS !... QUE CESSENT CES MOUVEMENTS ET CES GRONDEMENTS.
Autour la roche devint noire et si les grondements persistaient, ils allaient decrescendo. Ils étaient maintenant dans une grande caverne, à taille de dragon.
- Tu es vraiment un dragon ? demanda Dgala à Lyanne quand le silence se fit.
- Je suis aussi un dragon, et même le roi-dragon pour ce temps, répondit Lyanne reprenant sa forme humaine. Et maintenant quel est ton désir ?
- Sortons d'ici.
Lyanne montra la paroi de roche à Dgala qui fit un grand sourire. Il toucha la paroi noire de son bâton blanc, la faisant littéralement exploser. Ils découvrirent un tunnel où s'écoulait encore un peu de lave. Dgala lui ordonna de se figer.
Ils progressèrent vers la source d'air frais qu'ils sentaient, laissant derrière eux un noir tunnel qui venait des profondeurs. Ils débouchèrent quelques centaines de pas plus loin au milieu de ce qu'il restait de la ville. Rares étaient les constructions qui étaient encore debout. Le flot de lave avait ouvert une brèche sur la droite incendiant tout ce qu'il n'emportait pas. C'est à cette lumière qu'ils découvrirent l'ampleur de la catastrophe.
Dgala tourna des yeux agrandis par l'horreur vers Lyanne.
- C'est moi qu'a fait ça ?
- Tu as arrêté ça, répondit Lyanne. Le coupable est le dieu de cette montagne. Et les responsables sont ceux qui ont laissé seul un enfant comme toi face à des forces qui lui étaient inconnues.
- Mais j'aurais dû...
- Dû quoi ? l'interrompit Lyanne, savoir ce que les savants ignoraient, prévoir l'avenir, connaître tout du monde et de ses forces...
- Non, mais je devais le faire.
- Qui t'a dit que c'était ton devoir ?
- Djalm, le grand prêtre, celui qui était en rouge.
- D'où savait-il cela ?
- J'ai été marqué alors je devais le faire.
- Comment expliquait-il que tu étais où nous nous sommes rencontrés ?
- La faute en revient à ma mère qui ne voulait pas que j'aille ici pour être enseigné.
- Qu'a-t-elle fait ?
- Elle a fui avec moi quand j'étais un bébé. Mais le bateau a coulé. Nul ne sait comment j'ai survécu. Djalm savait que j'étais encore en vie car ma bougie ne s'était pas éteinte.
- Que t'a-t-il dit ? Quels devaient être les signes de ton échec ?
- Le dieu se réveillerait et détruirait tout.
- Précise !
- Les étoiles devaient tomber sur la terre en répandant la mort sur tout le monde. La lune aurait dû s'éteindre ainsi que le soleil, et la nuit éternelle aurait fini de consommer les hommes.
- J'ai vu d'autres signes que ceux que tu me décris.
- Oui, mais peut-être que ton arrivée a tout bloqué et que sans ta venue ça aurait été la fin du monde.
- Peut-être aussi que le grand prêtre qui devait savoir, était un ignorant.
- Tu crois ?
- Savait-il que la montagne allait exploser ? Savait-il qu'un fleuve de feu allait couler ? Savait-il que je devais être près de toi ? Ce qui est venu est différent de son attente. S'il avait su, il aurait pris des mesures différentes et agi différemment.
Lyanne demanda à Dgala de lui décrire le temple et la cérémonie.
- On a commencé devant le temple, tout le monde était réuni autour de la terrasse où nous étions...
- Nous ?
- Oui, les prêtres et moi, puis les trompes ont sonné. Alors on s'est mis en marche. Les grandes portes du temple étaient ouvertes. On a monté les marches. Je suivais Djalm, et Djoug m'accompagnait pour me traduire ce que je ne comprenais pas. Y'avait une grande salle mais plus grande, beaucoup plus grande que celle du seigneur Etouble. Au fond y'avait encore des portes, plus belles que les premières tout en bois sculpté, j'avais jamais rien vu de pareil. Les trompes ont encore sonné. On les a ouvertes. Djalm semblait très fier et Djoug m'a dit que c'était parce que c'était lui qui les avait fait faire. Derrière y'avait encore des portes mais là, elles étaient en pierres...
- Juste derrière celles en bois ?
- Ben oui. Ça m'a étonné. Ya des tas de gens qui se sont précipités avec des tas de cordes et des leviers. Ils les ont fait basculer vers l'arrière. Puis ils ont mis des marches pour que je puisse marcher dessus. Alors l'grand prêtre il a voulu que j'passe le premier. J'avais pas trop envie mais c'était mon devoir. Alors j'ai serré mon bâton et j'suis monté. C'était juste une autre salle, enfin, j'croyais. Quand ils sont montés avec les torches derrière moi, j'ai vu qu'y'avait encore des portes de pierre.
- Les mêmes ?
- Tout pareil, les trompes, les cordes, les torches pour trouver encore des portes...
- Les troisièmes ?
- Ouais et on a refait pareil mais là c'était pas pareil. Y z'avaient tous peur. Djoug m'a dit: « maintenant c'est à toi. Vas-y. Fais ce que tu dois faire ». Djalm s'est avancé. Il m'a dit quelque chose, un ordre vu l'ton qu'il employait, mais j'ai pas compris. Djoug m'a dit : « Il veut que tu laisses ton bâton, mais avance et il ne pourra rien faire. » J'ai vite monté les marches que Djalm puisse pas m'arrêter. J'l'ai entendu crier mais j'ai continué. Quand j'me suis retourné, Djoug s'en allait et Djalm faisait des signes.
- Que t'avait-on dit ?
- J'devais m'avancer jusqu'à ce que je vois les étoiles. J'avais juste une torche et mon bâton. Quand j'suis arrivé au bout des portes, c'coup-ci j'étais tout seul. Ça faisait pas beaucoup d'lumière. J'ai vu un tunnel dans la paroi. J'ai rien vu d'autres, ni monstres, ni génies ni rien, juste c'trou noir...
Lyanne regarda Dgala qui manifestement réfléchissait. Il reprit son récit après quelques instants.
- ... En fait c'tunnel que j'ai pris, il était comme celui qu'on a emprunté pour sortir.
- Était-ce le même ?
- Ça, j'sais pas. Mais il y ressemblait beaucoup. J'suis arrivé à l'air libre et j'ai vu les étoiles. Alors j'ai dit la prière qu'ils m'ont fait répéter des dizaines de fois. Ça a rien fait. J'ai un peu attendu et puis j'ai fait demi-tour. C'est à c'moment qu'la terre a commencé à trembler et toi, t'es venu à mon secours.
Lyanne allait répondre quand il vit des torches un peu plus bas.
- Regarde, il y a des gens qui cherchent. Allons voir si nous pouvons les aider.
Quand il vit devant lui de la lave encore chaude, Dgala se tourna vers Lyanne :
- Je peux ?
- Tu peux !
Étendant son bâton vers la lave, Dgala lui ordonna :
- Deviens froide !
Lyanne reconnut un souffle glacé comme savent en faire les dragons. Le rougeoiement cessa dans un bruit de sifflements. Dgala continua à descendre ce qui avait été la rue de la ville en ordonnant aux flammes, aux incendies, aux roches de refroidir. Il y prenait un plaisir évident. Des gens sortirent derrière eux, regardant avec étonnement ces deux silhouettes éteignant les lueurs des incendies. Arrivé à la mer, Dgala se retourna. Il avait le sourire de celui qui a réussi son épreuve. Son sourire se figea quand il vit la foule. Tous les survivants étaient là et l'acclamèrent. Une forme se détacha du groupe, un des rares porteurs de torche. Dgala figé, ne savait pas quoi faire. L'homme s'approcha. Il reconnut Djoug.
- Tu es l'enfant marqué ! lui dit-il. Celui qui saura conduire le peuple.
Derrière se massèrent tous les autres. Une première voix cria :
- DGALA ROI !
Ce fut repris par un voix masculine, puis une autre, puis une dizaine. Les différents groupes se synchronisèrent et ce fut une clameur intense :
- DGALA ROI ! DGALA ROI ! DGALA ROI !
Dgala regarda Lyanne affolé. D'autant plus affolé que Djoug s'approcha et fit la génuflexion devant lui. Dgala s'adressa à Lyanne :
- Mais j'veux pas ! Dis-leur que j'saurais pas.
Lyanne lui sourit.
- Il est des moments dans la vie où les choix sont déjà faits. Tu es le maître de cette montagne. Tu t'es montré comme celui que tu es. Et cela est pour tous ces gens ce que doit être un roi. Maintenant sois celui que tu es.
Dgala se tourna vers Djoug qui, à genoux, présentait, posée sur ses deux mains, la dague aux germes pourpres qu'il avait d'habitude à sa ceinture. Il prit la dague et la souleva sous les acclamations pour l'offrir à Dgala.

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