samedi 11 avril 2015

Moayanne volait plus lentement maintenant qu’elle était repue. Le grand dragon rouge faisait de même. Il se laissait planer dans la lumière de l’aube naissante. Moayanne admira sa maîtrise du vol. Elle était obligée de battre des ailes plus souvent que lui pour le suivre. Ils remontaient la vallée qu’ils avaient empruntée à l’aller.
- Il faut qu’on rentre, dit Moayanne à son compagnon de vol.
- Où ? répondit Lyanne.
- Mais il me faut retrouver ceux que j’ai quittés pour venir défendre Horas la belle !
- Combien as-tu d’autres lieux à défendre ?
Moayanne ne répondit pas tout de suite. Lyanne continua son chemin, nonchalamment. Elle se mit à réfléchir à ce qu’elle avait entendu de son père. Presque sans y penser, elle glissa vers ce qu’elle avait lu dans les pensées des uns et des autres, principalement dans celles de Savalli.
- Il y a…
- Alors suis-moi, l’interrompit Lyanne en plongeant vers le sol.
Elle fit la même manœuvre que lui, passant entre les arbres comme lui, slalomant avec moins de précision mais tout autant d’efficacité entre les fûts gigantesques. Elle ne fut pas surprise quand elle le vit disparaître. Elle déboucha bientôt dans ce monde noir et blanc qu’elle avait déjà traversé. Devant elle Lyanne avaient cessé de battre des ailes. Il planait. Elle se mit à sa hauteur.
- Où allons-nous ?
- Mais tu le sais reine-dragon !
- Comment le saurais-je ? J’ignore tout de l’endroit où nous sommes.
- Dans mon pays, on les appelle les Montagnes Changeantes. Dans tes légendes, elles ont peut-être un autre nom. Dans ce lieu, le temps est relatif, il est ce que nous voulons qu’il soit. La géographie est relative et devient celle que nous voulons qu’elle soit. Tu as commencé une phrase. Il y a … Finis cette phrase et tu verras la porte de sortie.
Moayanne ne comprenait pas ce qu’il disait. N’ayant pas d’autre solution, elle dit :
- Il y a Kiehre au sud du pays.
- Là ! dit Lyanne en virant pour aller vers des rochers noirs qui semblaient pousser du sol. Il s’effaça brutalement avant de les passer laissant Moayanne traverser la frontière la première. Elle fut surprise de la manœuvre. Lancée comme elle était, elle ne put que continuer tout droit et passer entre les rochers. Elle se retrouva à flanc de colline, un peu désorientée par ce relief autour d’elle. Elle se retourna à temps pour voir surgir le grand dragon rouge.
- Que fait-on ? lui demanda-t-elle.
- Quel est le problème de Kiehre ?
- C’est la grande plaine du sud. Nos provisions viennent essentiellement de là. Le vice-roi de Kiehre se plaint des trop fréquentes incursions des nomades du sud qui volent les troupeaux et pillent les greniers.
Ils s’étaient posés sur le sommet d’une barre rocheuse qui couronnait une des rares collines de cette vaste plaine. Lyanne observait tout autour de lui. Moayanne fit de même. Ils étaient côte à côte. Leurs griffes leur assuraient une excellente prise sur le rocher. Moayanne se sentait bien là, à se chauffer au soleil.
- Cette fumée... là-bas !
Moayanne regarda dans la même direction que Lyanne.
- Les champs sont en feu !
- Les paysans font parfois cela pour brûler la paille, fit remarquer Lyanne.
- La saison des brûlis est passée. Allons voir.
Moayanne donna un vigoureux coup d’aile qui fit osciller Lyanne. Cela la fit rire. Lyanne poussa un rugissement de désapprobation… ce qui la fit rire encore plus. Elle le vit s’élancer derrière elle. Elle le sentait sourire.
Ils prirent de la hauteur tout en se dirigeant vers l’incendie. Lyanne focalisa son regard sur un point au loin, près de la base de la colonne de fumée.
- Il y a des hommes avec des torches qui brûlent la récolte.
Ce fut au tour de Moayanne de rugir. Mais son cri n’avait rien d’amical. Il était fait de rage et de désir de vengeance.
Au loin les hommes s’arrêtèrent interloqués en entendant ce cri qu’ils n’avaient jamais entendu. Ils s’entreregardèrent mais aucun d’eux ne pensa à lever la tête.
Piquant comme des faucons sur leur proie, Moayanne et Lyanne attaquèrent. Les souffles glacés des dragons tuèrent flammes et hommes. Comme à Horas la belle, ce fut une débandade chez les ennemis. Lyanne survola le groupe des fuyards. Le plus vaillant tira une flèche dans sa direction. Elle n’arriva même pas à sa hauteur. Il repéra leurs montures un peu plus loin. Il en vit une plus belle, mieux harnachée. Il la saisit entre ses griffes et en fit son repas sous les cris d’épouvante des hommes en dessous. Pendant que Moayanne continuait à éteindre les feux, Lyanne se posa près des fuyards, les acculant contre une haie d’épineux. Plusieurs se prosternèrent jusqu’à terre en implorant sa clémence. Quelques uns tentèrent la fuite. Mal leur en prit. Le souffle glaçant de Lyanne les figea sur place dans la position de la fuite. Il se retourna vers les quelques survivants :
- Qui êtes-vous ?
Un des hommes s’avança :
- Nous sommes des nomades, des hommes libres. Cette terre était à nous avant que tous ceux-là nous la prennent. Alors nous venons prendre ce qui était à nous.
- Sais-tu, petit homme, qu’il est très imprudent de s’en prendre à la terre d’un dragon.
L’énoncé du mot dragon, les fit sursauter et ils reculèrent autant qu’ils purent contre la haie.
- Cette terre était nôtre, répliqua le nomade en prenant une attitude de défi. C’est ce que disent nos légendes.
- C’est bien d’écouter les légendes. Alors tu vas aller répandre une nouvelle légende. Les dragons sont revenus et malheur à qui viendra prendre ce qui est à eux. Maintenant, je sens votre or. Vous allez le laisser là, ainsi que vos bêtes et partir tant que je veux bien vous laisser la vie.
- Mais moi, je dis qu’il faut éliminer ces hommes comme de la vermine, dit Moayanne qui arrivait d’au-dessus de la haie. Elle se posa. Si sa tête était moins grosse que celle de Lyanne, ses crocs étaient encore plus gros que les poignards des nomades.
- “J’entends bien ta colère et ton désir de vengeance” dit la voix du grand dragon rouge dans son esprit. Tu es reine-dragon aujourd’hui. Peut-être est-il plus profitable de laisser partir les derniers survivants du raid pour qu’ils répandent la nouvelle de ta présence”
- “ Ils ont touché à mon peuple… ils méritent la mort” répondit Moayanne.
Elle rugit devant les hommes. Son souffle les colla aux épines déchirant les habits et la chair. Puis fixant ses prunelles d’or sur le chef, elle lui dit :
- Ta chair est aussi mauvaise que celle du chacal. Cours sans t’arrêter jusqu’à ton pays d’aujourd’hui.
À notre prochaine rencontre, je te mets à mon menu.
Avant qu’ils n’aient osé bouger, elle avait abattu ses griffes sur les quelques survivants, leur lacérant les muscles des bras.
- Maintenant fuyez… votre vie dépend de votre vitesse.
Elle souffla le feu sur la haie qui s’enflamma, les obligeant à fuir aussi vite qu’ils pouvaient.
- Peu vont survivre à ce régime, Reine-dragon, lui fit remarquer Lyanne.
- Ils ont besoin d’avoir peur. Leur amour m’est inutile.
Lyanne éteignit  le feu de la haie. Se tournant vers Moayanne, il ajouta :
- Il leur reste quelques montures un peu plus loin. Je pense que leur chef atteindra sa tribu. Alors les vieilles légendes dont j’ai vu la trace dans son esprit vont être dites à nouveau et la crainte saisira les nomades.
Moayanne tourna son regard d’or vers Lyanne. Leurs yeux se fixèrent un moment. Moayanne en fut émue, Lyanne aussi. L’instant fut interrompu par des cris. Des villageois approchaient en chantant les vieux chants de la plaine, ceux qui parlaient des oiseaux de feu et de leurs pouvoirs.

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