mercredi 9 septembre 2015

Césure 10

On amena un âne déjà chargé pour le voyage. Sedma prit la bride et après un dernier signe à son maître, il se mit en chemin. Je lui emboîtais le pas.
- Le prochain point d’eau est à deux jours, me dit mon guide, alors que nous allions redescendre une dune.
J'acquiesçais de la tête, levant les yeux pour voir la prochaine difficulté sur le chemin et jetant un coup d’œil en arrière. Dans le soleil, trois silhouettes avançaient vers le camp d’Abraham et le chêne de Mambré.
Notre marche était régulière. Nous étions au milieu de rien, sous un ciel sombre transpercé d’un pâle soleil. L’âne nous suivait la tête basse mais le pas sur. Mon guide évitait certaines zones.
- Mauvais sable ! me disait-il.
Le premier puits sembla surgir d’un horizon sans relief. Le lendemain ressembla à la veille et au jour d’avant, me laissant croire que le jour d’après serait pareil. Je marchais comme l’âne, la tête basse mais le pied moins sûr. Un point attira mon attention une des rares fois où je tentais de regarder au loin. Je le montrais à Sedma :
- As-tu vu ? Qu’est-ce ?
- J’ai vu. On dirait un voyageur et sa monture, à moins que ce ne soit le vent qui nous joue des tours.
Une impression étrange me serra le cœur. C’était une émotion forte, une attente anxieuse.
- Est-il dangereux ?
- Si c’est le vent, nous ne risquons rien.
Sa réponse ne fit qu’augmenter ma peur. Notre chemin se dirigeait vers cette forme au loin. Après quelques milliers de pas, il fut évident que cela venait vers nous. Le vent n’avait rien à voir dans l’histoire. Je tentais de détailler ce que je voyais sans pouvoir préciser.
- Ils sont plusieurs ?
- Je dirais deux, répondit Sedma. Un homme marche devant.
Les paroles de mon guide me permirent de préciser ce que je voyais. Oui, c’était bien un homme qui marchait devant. Sa silhouette carrée se prolongeait d’un solide bâton bougeant au rythme de sa marche. Il devait être grand. Derrière, je pariais pour un âne portant sa femme à moins que cette petite forme ne soit sa fille.
Notre rencontre eut lieu quand le soleil était au zénith. Après les salutations d’usage, nous partageâmes le sel et le pain. L’homme voyageait avec sa femme et son fils. Ils revenaient de la lointaine Égypte. Pendant que nous parlions, la femme installa le bivouac. Ses gestes étaient doux et précis. L’enfant la regardait jouant tranquillement. L’homme n’était pas bavard et la conversation avait tourné court. Je m’étais levé, supportant mal ce silence qui se prolongeait. Le vent soufflait par petites rafales. Je m’approchais de l’enfant pour voir son jeu. Il traçait des signes dans le sable. Je m'accroupis à côté de lui. Je commençais à suivre son doigt agile qui courait sur le sol traçant d'étranges figures qu'il effaçait pour en recommencer d'autres. Son père avait juste dit leur fuite devant la violence mortelle et aveugle d'un dirigeant obsédé par sa peur de perdre son pouvoir. Ayant appris sa mort, il revenait vers le pays de ses pères, sentant bien qu'il serait toujours un étranger dans un pays qui ne l'avait jamais attendu.
Les doigts de l'enfant virevoltaient au-dessus de la terre comme des hirondelles chassant dans la lumière du soir. Plus je le regardais, plus je devenais attentif. Même s'il n'avait pas dit un mot, ce que dessinait l'enfant me regardait.
J’y vis comme un visage aux yeux doux et accueillants. Je retrouvais mon âme d’enfant, m’émerveillant de chaque nouveauté dans un monde où pour moi, tout était nouveau. Chaque instant était magique. Je m’entendis rire de cette petite voix haut perchée que j’avais perdue depuis bien longtemps. De nouveaux traits apparurent. Un instant, rien qu’un instant j’eus peur. Ma gorge se serra au souvenir de ce mensonge qui avait fait tant de malheurs autour de moi. Ce ne fut pas le faciès terrifiant de ce vieil homme qui avait pris plaisir à m’humilier qui se dessina sous mes yeux, mais un visage de bonté et de tendresse dont le regard me rassura, m’enveloppa, me transforma.
Ce fut comme si une grande main ferme tenait la mienne et me guidait dans ce dédale où je m’étais perdu moi-même. Tout se brouilla autour de moi.

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