dimanche 12 octobre 2014

Ils longèrent le mur pendant deux jours. Malgré les voiles réduites au minimum, leur embarcation volait littéralement de vague en vague. Si Sounka tenait le choc, Ziepkaar essayait encore de vider un estomac qui ne contenait plus rien. Lyanne était tellement tendu qu’il était insensible au mal de mer. Il scrutait sans relâche le mur d’eau et de vent qui les frappait par tribord. Régulièrement Haafefe se couchait et se relevait sous les rafales. Lyanne était pleinement d’accord avec Ziepkaar. Ils étaient sur le meilleur bateau possible.
- LÀ ! hurla-t-il pour couvrir le bruit du vent et des vagues. ALLONS PAR LÀ !
Du doigt, il désigna entre deux rideaux d’eau, une espace, comme une fente dans le mur. Il se rapprocha de Sounka.
- Ça doit être comme entrer dans un de vos fjords. C’est un travail pour un Cousmain, ça !
Sounka eut un sourire forcé, mais mit le cap sur l’endroit que lui désignait Lyanne. Haafefe craqua de toutes ses membrures quand il le força à faire route face au vent. Il fut obligé de tirer des bords pour s’en approcher. Sounka aurait préféré un fjord cousmain à ce passage improbable, s’ouvrant et se fermant au gré des coups de vent. Il lutta contre le vent et la mer pour se rapprocher. Le soir arriva avant qu’ils ne soient à proximité. Sounka prit peur.
- Il faut mettre à la cape et réessayer demain !
- C’est maintenant le moment favorable, Sounka.
- Peut-être, mais la nuit arrive et je ne vais plus rien maîtriser.
- Fais-moi confiance, le passage est là.
Sounka vira de bord encore une fois dans le crépuscule sombre. Le bateau sembla renâcler avant de prendre le bon cap. Ils prirent le vent au près. Haafefe accéléra, surfant sur les vagues qui venaient maintenant par le travers arrière.
Brutalement tout se calma. Autour de la zone où il naviguait maintenant, le vent hurlait, la pluie cinglait la mer dont les vagues déferlaient en tous sens. Alors que la nuit s’installait, Lyanne prit la direction des opérations donnant à Sounka les ordres pour avancer sans quitter le couloir de calme entre les tempêtes. Ils luttèrent ainsi toute la nuit pour garder le cap entre les deux tempêtes. Parfois un brusque coup de vent ou une déferlante les mettaient en danger de sortir de l’étroit chemin qu’ils suivaient. Lyanne sentit la fatigue de Sounka quand celui-ci commença à répondre avec retard à ses indications. Ziepkaar avait fini par s’endormir. Lyanne se rapprocha du barreur :
- L’arrêt nous est interdit pour le moment. Veux-tu que je te remplace ?
- Pas encore… Je vais tenir, répondit Sounka dans un bâillement. On va réduire la voile au minimum. Mais il faut qu’on reste manœuvrant.
Tout en s’occupant de la barre, il donna à Lyanne les ordres pour accrocher la toile. Haafefe se retrouva au ralenti. Lyanne était à hauteur du mât. La première embardée faillit le faire passer par dessus bord. Un cordage lui avait permis de se tenir. Sounka s’était endormi en appuyant sur la barre. Le brusque mouvement l’avait réveillé. Lyanne lui proposa une nouvelle fois de prendre la barre jusqu’au matin, ce que Sounka refusa encore :
- Il faut que tu guides. Je ne vois rien dans le noir. On va réveiller Ziepkaar pour qu’il me remplace. Il devrait pouvoir le faire.
Lyanne alla vers l’avant. Il secoua Ziepkaar qui bougea un peu mais sans pour autant se réveiller. Il le secoua plus violemment sans plus de résultats. Une nouvelle embardée de Haafefe le fit repartir vers la poupe. Il trouva Sounka affalé sur la barre. Lyanne le secoua sans parvenir à le ramener à la conscience. Que se passait-il ?
Il regarda autour de lui, cherchant une explication. Une vague lueur sur bâbord lui fit espérer un instant l’arrivée de l’aurore, quand une brusque rafale lui apporta une odeur piquante. Il pensa : « Un volcan ! Nous sommes sous le vent d’un volcan ». Il avait déjà vu des gens mourir en voulant respirer les émanations de la terre. Il agit en même temps qu’il pensait. Il abattit le mât, le fixant sur le bordage. Sans plus attendre, il se jeta dans le vent, déployant ses ailes. En trois battements, il était devenu très grand et passait au-dessus de Haafefe qu’il saisit entre ses griffes. Il monta avec sa charge rencontrant des vents violents. Malgré tout son instinct, il ne pouvait prévoir tous les mouvements. Il passait de vents contraires à des vents portants en un battement. Parfois une zone de calme absolu séparait deux courants. Lyanne souffrait malgré sa taille. La violence de ces tempêtes était inimaginable. Il tentait de se diriger vers le volcan dont il avait aperçu la lueur, tout en évitant l’endroit des émanations toxiques. Rencontrant une zone plus calme il se laissa planer. Il sentait ses muscles à la limite de la fatigue. Haafefe et son contenu pesaient lourd entre ses griffes. Sortir de ces tourbillons de vent lui avait demandé une énergie considérable. Son corps aspirait au repos. Il vit la terre à travers une trouée. Il se dirigea par là. Entre deux promontoires de lave, il avait repéré une plage. Ils y seraient très bien pour se reposer. Il se remit à battre des ailes malgré la douleur que cela lui provoquait. Encore un effort, un petit effort et il pourrait se poser, se reposer.
Le coup de vent fut violent et le prit par surprise. Il tenta du mieux qu’il put d'atterrir en douceur mais le tourbillon l’emporta. Sa dernière pensée fut de protéger le bateau et ses passagers et sa tête heurta violemment le sol.

dimanche 5 octobre 2014

Le soleil se levait sur les falaises du pays Cousmain et le vent venait de la terre en ce petit matin. Ils montèrent la voile. Lyanne et Sounka étaient partis dans la nuit avec l’espoir que personne ne les verrait prendre Haafefe. L’Assemblée avait duré presque toute la nuit. Tous avaient bu force timbales pour tenir. Quand le sommeil s’était emparé d’eux tous, Lyanne avait réveillé Sounka. Ils avaient poussé le bateau dans l’eau et à l’aviron s’étaient éloignés dans le goulet. Maintenant que le jour se levait, ils allaient pouvoir prendre vraiment le départ de ce voyage. Ils soulevaient la lourde toile qui servait de voile quand retentirent les trompes.
- Ils ne sont pas contents ! dit Sounka.
- Que signifient ces sonneries ?
- Ils signalent qu’un bateau a pris la mer sans l’accord du chef du village.
- Nous avons outrepassé leur volonté, répondit Lyanne. Mais qui sont-ils pour vouloir décider pour moi ?
- Je sais, répondit Sounka, mais cela nous désigne comme des hors-la-loi.
- Hors leurs lois, Sounka, seulement hors leurs lois.
Sounka poussa un cri et tira sur un bras, mettant debout un garçon :
- Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
Lyanne reconnut celui qui lui avait fait la description des bateaux.
- J’me suis endormi !
- Comment ça ?
- Je savais que vous alliez partir. Je voulais pas manquer cela.
Lyanne interrompit Sounka chez qui il sentait monter la colère :
- On verra cela plus tard, il faut mettre la voile.
Sounka poussa l’enfant dans un coin. Celui-ci trébucha sur un banc et s’étala en arrière pendant que les deux hommes hissaient la voile. Sounka la régla pour qu’elle prenne bien le vent de la terre et l’embarcation prit de la vitesse. Pendant que Sounka barrait, Lyanne s’assit en face du jeune :
- Quel est ton nom ?
- Ziepkaar
- Et bien Ziepkaar, pourquoi es-tu là ?
- Hier soir, je t’ai entendu parler à Sounka. Je voulais partir mais on me dit toujours que je suis trop jeune, pas assez fort.
Lyanne le regarda mieux. S’il était assez grand, il n’avait que la peau sur les os.
- Là où nous allons, les autres refusaient d’aller.
- J’suis comme Sounka. Là où tu vas, tout ira bien.
Sounka intervint :
- Je ne sais pas si nous aurons assez d’eau.
Lyanne se tourna vers Sounka.
- Combien de jours avons-nous ?
- J’ai pris pour dix jours de vivres et d’eau pour deux. Nous sommes trois. Notre loi nous autorise à jeter à l’eau les passagers clandestins.
Ziepkaar se mit à pâlir. Lyanne se mit à rire.
- Il m’est impossible de le jeter à l’eau. Nous allons nous rationner. Le mur des tempêtes est assez près pour que nous l’atteignons.
- Oui, homme-oiseau, si le vent se maintient.
- J’ai confiance, Sounka.
Il se tourna vers Ziepkaar.
- Tu as à rester tranquille, garde cela en tête.

C’est ainsi qu’avait commencé le voyage. Une fois passée la colère de s’être fait avoir par un gamin, Sounka s’était calmé et avait débuté la formation de Ziepkaar. Les côtes avaient disparu derrière l’horizon au soir du premier jour. Depuis, ils naviguaient au milieu de rien. Sounka montrait la nuit, les étoiles et les constellations sur lesquelles on pouvait s’appuyer pour naviguer. Les dieux les avaient mises là pour que les hommes puissent se repérer. Dans la journée, la position du soleil lui servait à régler le bateau selon les vents. Il y avait peu de vivres à bord. Les Cousmains pêchaient pendant leurs voyages. À trois sur un bateau qui aurait pu porter vingt hommes, ils avaient de la place.
Au troisième jour, Sounka avait déclaré :
- Le dieu des vents est avec toi, Homme-Oiseau. Je n’ai jamais vu ce vent durer aussi longtemps.
C’est à partir du quatrième que les vents étaient devenus plus capricieux et la mer plus formée. Haafefe montait et descendait les vagues avec beaucoup d’aisance. La voile était encore complètement déployée. Ils avançaient bien. Sounka estimait, selon les légendes, qu’ils verraient le mur des tempêtes dans trois jours s’ils continuaient comme cela.
C’est au cours de cette dernière nuit tranquille que Ziepkaar posa la question :
- Homme-Oiseau, pourquoi tu n’as pas volé pour aller au mur des tempêtes ?
Lyanne le regarda droit dans les yeux, ce qui le mit mal à l’aise.
- C’est une question que je me pose, Ziepkaar. Je crois que j’ai besoin de suivre le chemin que me montre un autre que moi. Cet autre aujourd’hui est Sounka. Comment lui volerait-il ?
Le vent avait forci. Les vagues maintenant étaient plus hautes que les hommes. Sounka avait réduit la voile. Malgré cela, Haafefe semblait voler. Son étrave étroite fendait les vagues
- Est-ce le mur des tempêtes ? demanda Lyanne.
- Non, c’est juste la mer qui nous secoue un peu. Les vraies tempêtes sont plus loin.
Le vent se mit à leur arriver par le travers de leur route, obligeant Sounka à tirer des bords. Plus la nuit avançait et plus le vent devenait violent. Ils durent s’attacher pour ne pas être emportés. Ils hurlaient pour s’entendre. Sounka ne savait pas où ils allaient. Les étoiles étaient invisibles. Cela dura deux jours et cessa presque aussi brutalement que cela avait commencé. Haafefe était encore en état. Sounka avait affalé la voile et le mât avant que la tempête ne puisse le casser.
Ziepkaar hurla sa joie :
- J’T’AVAIS DIT ! J’T’AVAIS DIT ! Haafefe c’est l’meilleur.
Il dansait sur place, faisant sourire les deux adultes qui vérifiaient l’état de l'embarcation.
- As-tu une idée de notre position, demanda Lyanne.
- Cette nuit, si les nuages se dégagent, je pourrais estimer où nous sommes par rapport au pays Cousmains.
Ils remontèrent le mât et mirent un peu de voile pour stabiliser le bateau. Lyanne en profita pour scruter l’horizon. Sur bâbord, la tempête s’éloignait. On voyait encore les éclairs. Sur tribord, il aperçut ce qu’il prit au départ pour des montagnes. Il en fit la remarque à Sounka qui se tourna de ce côté.
- Non, Homme-Oiseau, ce n’est pas une terre et des montagnes. C’est le mur des tempêtes. Pour trouver ce que tu cherches, il faut passer de l’autre côté. Je suis déjà venu pêcher par ici… C’est toujours impressionnant de le voir. On n’aura pas besoin des étoiles. Il suffit d’aller à la rencontre de l’orage.
Comme une réponse aux paroles de Sounka, un sourd grondement se fit entendre. Ziepkaar se mit à pâlir.
- Le Dieu du tonnerre parle ! dit-il. Ma mère m’a dit que la dernière fois qu’il avait parlé au-dessus du village, les falaises s’étaient effondrées...
- Il n’y a pas de falaises ici, Ziepkaar, et nous sommes trop loin pour risquer quelque chose, lui répondit Sounka.
- Mais tu veux y aller !
- Oui, ziepkaar, je vais y aller, nous allons y aller car l’homme-oiseau est avec nous.
Lyanne écouta sans rien dire. Là-bas était-ce le territoire où s’affrontaient les dieux ?
- Approchons-nous, Sounka, mais prenons notre temps. Je comprends pourquoi il me fallait être homme pour venir. En volant, j’aurais affronté la puissance d’un dieu. La faiblesse est parfois meilleure que la force pour passer certaines barrières.
Sounka envoya un peu plus de toile et Haafefe qui semblait n’attendre que cela, bondit en avant.

dimanche 28 septembre 2014

Lyanne vola un moment avant de trouver de quoi se nourrir. Il eut la chance de trouver un de ces bancs de grands poissons argentés dont le dos brillait sous la lune. Il en captura trois qu’il mangea en vol. Il pensa qu’à Rémaï, la faim devait tenailler bien des ventres. Il profita d’un passage du banc près de la surface pour en attraper deux d’un coup. C’est avec ces proies de la taille d’un homme que le dragon rouge reprit le chemin de la faille où se logeaient les Cousmains.
La lune s’était couchée et la nuit bien noire. La largeur entre les falaises était juste suffisante pour sa voilure. Lyanne fit quelques acrobaties pour arriver au village sans toucher les parois. Il posa son fardeau au milieu de l’espace avant de se dégager de forts coups d’ailes. Les quelques personnes à moitié réveillées, témoignèrent que l’homme-oiseau était venu et qu’ils avaient vu sa silhouette. Lyanne eut droit aux remerciements appuyés du chef du village. Ils firent une autre fête pour partager le repas. Ils firent un grand feu. De nouveau l’alcool coula à flots jusqu’à ce que résonnent les trompes qui mirent tout le monde en alerte. À Lyanne, on expliqua que des bateaux approchaient de la passe. Rapidement d’autres sonneries se firent entendre. L’atmosphère se détendit aussi vite qu’elle s’était tendue.
- Les messagers reviennent avec des délégations, lui dit le chef.
Des sonneurs de trompes prirent position sur les bords de la plage. Lyanne vit s’approcher toute une flottille de bateaux rapides aux formes effilées. Chaque fois que retentissait la sonnerie d’un marin, répondaient les trompes. Il compta ainsi une vingtaine d’embarcations portant de trois à quatre hommes chacune. Elles atterrirent avec élégance. Ceux qui débarquaient, déposaient devant le chef du village, des provisions tout en lui adressant les salutations d’usage. Ils s’inclinèrent après, devant Lyanne, appelant la bénédiction des hommes-oiseaux sur leur clan. Chacun d’eux appela Lyanne à choisir un guide de leur village. Il en fut étonné. L’un d’eux lui expliqua que dans la légende, le guide de l’homme-oiseau devenait le roi des Cousmains. Il était celui qui fédérerait tous les clans en une grande nation. Certains lui firent remarquer que Rémaï était une bourgade pauvre et sans importance, alors que chez eux, vivaient de grands guerriers et de redoutables navigateurs. Lyanne sentait bouillir Rémaïkhan, le chef de Rémaï, quand il entendait ce type de propos. Pourtant, Rémaïkhan n’intervint pas, preuve pour Lyanne qu’il y avait des contraintes qui pesaient sur lui, soit des lois sur l’hospitalité, soit des craintes pour le village face à des groupes plus puissants.
- J’ai suivi le courant et la rivière m’a déposé près de Rémaï. Ainsi en ont décidé les dieux, fut la réponse que Lyanne fit à l’un des chefs qui insistait.
De lourds nuages passaient au-dessus de leurs têtes, signe que cette année la saison des pluies serait une vraie saison. Lyanne interrogeait les uns et les autres pour mieux connaître les Cousmains et sentir vers qui il devait se tourner pour continuer sa route. Tout en déambulant, il s’était approché des bateaux qu’on avait remontés sur la plage. Un jeune Cousmains lui en détailla les histoires. Chaque bateau avait la sienne. Dans un pays où le bois vient de ce que la mer rejette, aucune embarcation n’avait la même structure.
- Tu vois, Homme-oiseau, ceux-là c’est des “coulepasvite”.
- Des coulepavite ?  Qu’est-ce que c’est ?
- Si tu veux rester à flot, il faut écoper tout le temps, répondit le jeune en rigolant. Tiens, regarde celui-là ! c’est mon préféré.  C’est celui de Sounka. Il l’a capturé lors de la dernière razzia. C’est Rémaïkhan qui lui prend tout le temps parce que c’est le meilleur mais c’est bien à Sounka.
- Qui est Sounka ?
Le jeune regarda autour de lui, cherchant du regard Sounka.
- Tu vois, celui qui monte avec la nourriture vers la vieille femme, là-haut ?
- Celui qui boîte ?
- Oui ! Il a pris un mauvais coup à sa première razzia. Il a jamais eu de chance. Son père s’est fait tuer quand il était petit. Lui et sa mère z’ont vécu du partage jusqu’à ce qu’il puisse partir. Mais même-là, il a pas ramené beaucoup de butin, juste une sale blessure qui lui fait traîner la patte. Rémaïkhan lui y sait s’battre, c’est pour ça qu’il est chef. Il a toujours ramené beaucoup de butin. C’est pour ça qu’il continue à avoir plus que les autres même quand y’a pas de butin.
- Et Sounka, il sait bien naviguer ?
- Ah ! Ça c’est sûr ! Il ne s’est jamais perdu. On le prend dans la flottille pour ça, parce qu’au combat, y vaut pas l’coup.
- Est-il mauvais au combat ?
- C’est pas ça, mais il est trop lent. Vaut mieux qui reste sur le bateau.
- Et ce bateau d’où vient-il ?
- D’une razzia ! Un groupe était parti avec Sounka sur un coulepavite. Quand ils ont débarqué dans la crique, ils sont tous descendus pour l’attaque. Sounka était resté pour vider l’eau. Ils avaient caché l’embarcation dans des buissons. C’est de là qu’il a vu arriver ce bateau. Ses occupants ont fait comme nous, mais de l’autre côté de la plage. Il les a vus partir une fois qu’ils l’eurent camouflé. Quand les nôtres sont revenus, Sounka avait dégagé le bateau étranger et avait réussi à le remettre à flot. Heureusement car les gens de la ville avaient lancé la chasse. Grâce à Sounka et son bateau, ils ont pu dégager vite malgré les flèches. Si y zavaient dû repartir avec le coulepavite, ils seraient tous morts.
- Pourquoi ?
- Il était lourd et lent. Alors que ce bateau tu l’verrais, une flèche ! Léger et solide ! Sounka l’entretient tous les jours. Il l’appelle Haafefe.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Ça parle du vent et de vitesse.
Lyanne fut empli de la certitude qu’il avait trouvé l’homme qui le guiderait.
- Dis-lui que j’aimerais le voir pour lui parler de son bateau.
L’enfant partit en courant en criant le nom de Sounka. Cela attira l’attention des présents. Ils jetèrent un regard interrogatif vers Lyanne. Rémaïkhan s’approcha de lui :
- Que se passe-t-il avec Sounka ?
- Les hommes-oiseaux ont besoin de voler. Quoi de meilleur que le Haafefe pour le faire ?
- Je peux t’emmener partout où tu as besoin.
- Tu es un guerrier, Rémaïkhan et un grand guerrier, comme tous ces messagers qui sont venus aujourd’hui. Là où je vais, je dois arriver en paix.
- Où vas-tu ?
- Dans une île où le feu de la terre bouillonne en permanence.
Rémaïkhan resta sans voix. D’autres s’approchèrent, demandant ce qui se passait. Rémaïkhan leur donna la réponse de Lyanne. Tous se retrouvèrent en silence sauf un qui déclara :
- Parle-t-il de l’île de la mort ?
Rémaïkhan lui fit signe trop tard de se taire. Lyanne tourna ses yeux aux pupilles d’or vers lui :
- Tu sais de quoi je parle. Dis m’en plus…
L’homme avala sa salive :
- En fait, Homme-oiseau, je ne sais rien de plus que ce que disent les légendes.
- Bien, que disent les légendes ?
- Derrière le mur des tempêtes se trouve un endroit où la terre, l’eau et le feu bouillonnent ensemble dans un univers interdit aux mortels. C’est déjà la terre des dieux.
- Alors tu sais où aller..
- NON ! On ne va pas derrière le mur !
L’homme s’était décomposé. Les autres, pourtant tous farouches guerriers, n’en menaient pas large non plus. Sounka arriva à ce moment-là. Visiblement mal à l’aise de voir tous ces grands personnages autour de son bateau et de l’homme-oiseau. Lyanne le regarda. Il ne le sentait pas en difficulté, juste mal à l’aise d’être ainsi exposé à tous ces regards.
- Connais-tu le mur des tempêtes ? lui demanda Lyanne.
- C’est un endroit difficile.
- Tu y as déjà été.
Ce n’était pas une question. C’était une affirmation. Sounka regarda Lyanne dans les yeux.
- Oui,...
L’air se remplit de murmures de désapprobation et de peur.
- …, c’est le seul endroit où l’on trouve du poisson quand tous les autres sont vides.
- Saurais-tu y retourner ?
- La saison des pluies est mauvaise pour naviguer. Je préférerais attendre.
- Mon désir est autre, répondit Lyanne.
- Tu as apporté la pluie, Homme-oiseau. Tu as apporté du poisson. Ma vieille mère là-haut t’a vu. Si tel est ton désir, j’irai. Tes pas sont bénédictions.
- Quand pourrais-tu partir ?
- Quand tu le désires, répliqua l’homme.
- Tu es fou, Sounka, dit Rémaïkhan. Un homme-oiseau a des pouvoirs que tu n’as pas. Peux-tu affronter les tempêtes ?
- Haafefe le peut et je serai dessus.
Lyanne regarda les hommes débattre de ce voyage. Sounka n’avait pas les peurs qui habitaient les autres. Ne connaissant pas les légendes des Cousmains, Lyanne ne comprenait pas l’interdiction d’aller là-bas. Les mots “sacré” et “tabou” revenaient tout le temps dans la conversation avec “homme-oiseau”. Au bout d’un moment, un des chefs de clan dit :
- Convoquons une assemblée ! Elle nous dira quoi faire.

jeudi 18 septembre 2014

Dans ce désert existait ce que Lyanne pensait impossible : des rivières. Il suivait le fil de l’eau tout en songeant à l’ironie de son destin. Il était roi-dragon, maître d’une bonne partie du monde et il était là, sur un rondin de bois à se laisser aller sur une rivière improbable au milieu d’un paysage quasi désertique où êtres et hommes ne faisaient que survivre. L’eau était claire, mais le courant violent. Lyanne avançait vite. Une fois ou l’autre, il avait été très chahuté et avait failli tomber. Il avait réussi à rester à cheval sur son morceau de tronc. Cela lui avait valu d’être mouillé de la tête au pied. cela ne l’avait pas inquiété. La pluie avait cessé et le soleil s’était montré entre les nuages, réchauffant l’atmosphère rapidement. Il estimait que la vitesse du courant l’entraînait à la vitesse du vol paresseux du dragon. Autour de lui, le paysage était toujours aussi rude bien que tempéré de quelques touches vertes, ici et là. Avec cette pluie, elles gagneraient en surface et les Muranu seraient heureux de venir y faire paître leurs bêtes. Derrière lui, de plus en plus loin, les lourds nuages de pluie continuaient à déverser leur cataracte. Il en fut satisfait. La rivière ne se tarirait pas trop vite. La journée passa ainsi sans qu’il ne voie personne. Sur le soir, il aperçut au loin, des silhouettes de troupeau. La nuit fut calme et étoilée. Le cours d’eau serpentait maintenant entre de petites collines. Au milieu de la matinée, il remarqua que le courant avait fortement diminué. La rivière s’étalait en méandres paresseux se divisant et se réunissant au gré des bosses. Plusieurs fois, ses pieds avaient raclé le fond. Maintenant, il devait plier les jambes pour que son embarcation improvisée continue sa navigation. Cela retarda l’échouage qui eut lieu au sortir d’un méandre plus étalé que les autres.
Lyanne avait pied. Il marcha dans l’eau rejoignant un banc de sable un peu plus loin. Il repéra un monticule un peu plus loin et s’y dirigea. Il marchait alternativement dans l’eau et sur le sable dérangeant à l’occasion un certain nombre de bestioles qui y avaient trouvé refuge.
Un gros lézard s’enfuit en sifflant quand Lyanne monta sur le sommet de la butte. Il dominait la région. La rivière s’étalait formant une sorte de lac aux multiples îles. Il repéra assez loin une ligne de rupture comme si le paysage disparaissait. La mer devait être par là. Il se mit en marche dans cette direction. L’eau s’étalait sous ses pas. Il ne savait jamais ce qui venait après le prochain repli. La rivière formait un vaste lacis de canaux qu’il devait traverser les uns après les autres. Il s’enfonçait parfois jusqu’au genou. La plus souvent, l’eau lui recouvrait seulement les pieds gênant à peine sa progression. 
Il entendit la cataracte avant de la voir. Il suivait le courant qui avait repris de la vitesse quand il lui parvint le bruit de l’eau qui tombait.
C’est à ce moment-là qu’il les vit. Le groupe semblait émerger de la terre. Eux le virent aussi. Le premier leva le bras. La main était ouverte et ne portait pas d’arme. Lyanne répondit de même et dirigea ses pas vers eux. Ils étaient une dizaine qui s’étaient mis au travail. En approchant, Lyanne découvrit qu’ils bougeaient des pierres pour fabriquer une digue pour contenir l’eau qui avait trouvé un chemin. Avec un sourire, il se mit à les aider. Leur langue avait des tonalités rauques comme le relief. En les écoutant, il apprenait. Il aidait à construire une défense contre la rivière qui avait emprunté le sentier escarpé qui plongeait dans la faille. Il se rapprocha du bord pour mieux voir ce qui était en dessous. Le plateau était échancré à cet endroit. Il repensa à ce qu’il avait vu en volant. La mer ne devait pas être loin et un village Cousmain devait être en dessous. Dans le babillage de ceux qui l’entouraient, Lyanne avait compris qu’avec la pluie, un véritable ruisseau envahissait le village en ravinant tout. Ils étaient montés pour refaire le mur qui s’était effondré. La rivière n’avait pas atteint ce point depuis au moins deux générations. Si les dieux bénissaient ainsi ce temps, c’est que quelque chose de bon se préparait pour les Cousmains. Lyanne était maintenant au bord du plateau. D’autres personnes montaient et, sans plus de question, se mettaient au travail dès leur arrivée. Ils furent nombreux en fin de journée à aider à la réfection du mur. L’eau maintenant ne passait plus. Il sentit leur joie.
- Viens, homme-oiseau, nous allons fêter la pluie et ton arrivée.
L’homme qui avait parlé, était petit et carré d’épaules. Lyanne l’avait vu bouger des rochers impressionnants. Sa force ne faisait aucun doute. Les autres lui avaient obéi sans discuter.
- Ainsi tu sais qui je suis, répondit Lyanne.
- Ton manteau est à nul autre pareil. Seuls les hommes-oiseaux savent faire ces manteaux. Nos légendes parlent d’eux, mais tu es le premier que je vois de mes yeux.
- Vos légendes parlent des hommes-oiseaux.
- Oui, ils venaient pour chercher un guide et poursuivre leur quête.
Ils parlaient tout en descendant le chemin que la boue rendait glissant. À certains passages, on avait tendu des cordes pour éviter les chutes. Lyanne pensa à ses montagnes d’enfance et à tous ces chemins escarpés qu’il avait parcourus. Au fond, se nichait le village. Les maisons, à moitié troglodytes, s’étageaient tout le long des parois.
- Où sommes-nous ici, demanda Lyanne.
- Mon village s’appelle Rémaï. Les hommes y sont braves et les bateaux solides.
Lyanne, pour sa part, constata que, hormis le chef du village qui semblait avoir gardé sa carrure, les hommes étaient maigres et les baraques bien délabrées.
- Les saisons dernières ont été peu favorables, dit-il. La pluie vous sera une aide.
- Je ne te cache pas que nous avons connu de meilleures années. La dernière razzia date d’avant la saison des tempêtes. Avec toute cette eau sur le plateau, nous pourrons cultiver.
L’homme s’arrêta, regarda Lyanne dans les yeux et ajouta :
- Ta venue est bénédiction. Mon village deviendra un grand village. Les autres chefs vont m’envier.
Ils étaient maintenant à côté des bateaux. C’était le seul endroit presque plat de ce fjord. De toutes parts arrivaient les habitants. Ceux qui avaient un tambourin ou une flûte les avaient amenés. Bientôt, la musique jaillit. Des rondes s’organisèrent. Lyanne ne put s’y soustraire. Après la première danse, il y en eut une deuxième, puis une troisième. Lyanne était invité à chaque fois. Chacun voulait danser avec lui. Quand les instruments se taisaient, on lui fourrait dans la main une timbale pleine d’un liquide ocre au fort goût d’alcool. Quand la nuit arriva, on fit des feux en divers endroits sans pour autant arrêter de danser, de chanter et de boire. Lyanne, que la boisson ne saoulait pas, vit s’écrouler les participants, les uns après les autres, tous ivres. Il regrettait de ne rien avoir à manger. La faim commençait à le tenailler. Quand il vit qu’il restait seul debout, il décida de profiter de la nuit pour aller pêcher. Il devint dragon et, de quelques vigoureux coups d’ailes, s’en alla vers le large.
Une vieille femme, sur le seuil de sa maison, le regarda partir en hochant la tête.
- Les légendes revivent ! Par tous les dieux, les légendes revivent !

lundi 8 septembre 2014

La fête avait duré jusqu’au petit matin. L’aube pâle répandait sa clarté et sa lumière prenait le pas sur celle des feux. Tous les présents dans l’oasis avaient défilé pour venir lui toucher les pieds. Storguez était le marabout de ce peuple. Il était parti se reposer en milieu de la nuit. Lyanne était sur une des dunes entourant l’oasis quand il entendit la vibration. Immédiatement Braeguen surgit à ses côtés.
- Les cordes-son vibrent tôt ce matin. C’est mauvais signe.
- Qu’est-ce que des cordes-son ?
- Les nomades les utilisent pour communiquer. Ils tendent une grande corde entre deux piquets devant une sorte de tambour. Cela s’entend de très loin. La venue d’un homme-oiseau leur fait peur.
- Est-ce la guerre entre vous ?
- Non et oui. Ils viennent chercher de l’eau et nos lois nous interdisent de leur refuser, mais souvent des bêtes disparaissent quand ils sont là, voire des gardiens sont tués et cela est punissable. Nous faisons une expédition punitive mais ils sont maîtres dans le grand désert et nous n’allons jamais bien loin.
Braeguen regarda autour de lui.
- Les hommes sont fatigués avec la fête. S’ils viennent chercher le combat, cela sera difficile.
Lyanne soupira. Il se trouvait à nouveau dans une situation délicate. Son arrivée faisait bouger des équilibres. Un sentiment de nostalgie l’envahit. Parfois, il avait le désir d’une vie un peu plus calme.
Avant qu’il n’ait pu se laisser aller à cet état d’esprit, il ressentit l’approche des gens du désert. Il le signala à Braeguen qui fit la grimace.
- Je vais aller à leur rencontre, ajouta Lyanne.
- Seul ?
- Oui, Braeguen, je suis Homme-oiseau.
Braeguen le regarda partir. Dans le dos de Lyanne, les mouvements du manteau donnait vie au dessin de l’oiseau rouge et jaune.
Lyanne marcha un moment passant d’une dune à l’autre. Il était hors de vue de l’oasis quand eut lieu la rencontre. Il sentit leur présence avant de les voir. Certains étaient presque enterrés, d’autres juste derrière un repli de terrain. Le piège n’attendait que lui.
L’homme qui l’avait déjà interpellé s’avança :
- T’aurais mieux fait de ne pas te montrer, marabout !
Dans sa bouche, les mots prenaient une connotation injurieuse.
- Contrairement à ton opinion, je crois que je suis là où je dois être.
Lyanne avança presque au centre du dispositif qu’ils avaient mis en place.
- T’as peur de te battre que t’approches pas !
- Je voudrais vous laisser une chance de vie.
L’homme du désert ricana.
- J’vais m’occuper de toi puis on ira voir les éleveurs.
- Tu as mal compris, homme du désert. Soit toi et les tiens vous partez, soit vous êtes morts.
De nouveau l’homme ricana. Il siffla un signal et d’autres guerriers apparurent tout autour de Lyanne.
- Vous ignorez ce que vous combattez. C’est une erreur fatale.
Derrière lui, petits pas par petits pas, il sentait approcher les combattants. Dans quelques pas, ils seraient à portée d’armes.
Lyanne releva le pan du manteau, dégageant son marteau. Ce fut comme un signal, tous se précipitèrent en hurlant.
Leurs armes frappèrent le vide. Lyanne avait décollé. Le vent de son envol les envoya tous à terre. Le temps qu’ils comprennent, un déluge de feu vitrifiait le sable autour d’eux. Ils hurlèrent de peur, rampant les uns vers les autres dans une recherche illusoire de protection.
Le dragon rouge se posa devant eux.
- Tu vois petit homme, il est des jours où la guerre est une mauvaise chose. Vous allez fuir vers vos tentes. Peut-être y arriverez-vous… sans eau !
- TU… VOUS… vous… vous pouvez pas faire ça.
- Tu voulais bien me tuer, petit homme et tuer les éleveurs qui osent accueillir l’inconnu. Je te laisse une chance… une petite chance de vivre mais… peut-être préfères-tu mourir tout de suite ?
Une langue de feu vint lui roussir la tête, le faisant crier de peur.
- Le cercle de feu est incomplet. Fuyez maintenant… ou mourez !
Le sable en fusion rendait l’air quasi irrespirable. Les plus proches étaient déjà morts. Ceux qui restaient en vie, se précipitèrent dans le goulot froid que Lyanne avait laissé.
- Ne revenez pas, hommes du désert. Je ne serai pas aussi clément la prochaine fois.
Lyanne les regarda fuir. Ils ne s’arrêteraient pas de si tôt.
Derrière lui montèrent les acclamations de joie. Braeguen était sorti avec ses guerriers qui criaient leur joie de cette victoire.
Braeguen s’inclina devant le dragon rouge qui le surplombait de toute sa hauteur :
- C’est une chose d’entendre les récits, c’en est une autre de les voir prendre vie!

- Avant nous étions aussi sauvages que les hommes du désert et puis est arrivé le premier homme-oiseau.
Ainsi parlait Storguez dans la pénombre de sa tente. Lyanne l’écouta lui faire le récit de l’histoire des Muranu. Leur tradition orale parlait de temps très lointain sans préciser le nombre de générations. Dans ce désert, l’évolution se faisait lentement. De loin en loin, dans le temps, passaient des hommes-oiseaux. Voilà ce que retint Lyanne du récit. Personne ne les avait décrits précisément. Ils étaient hommes et ils volaient, comme lui. C’était le seul point commun à diverses légendes. Lyanne s’inscrivait dans cette tradition. Les dragons n’étaient qu’une sorte d’oiseau aux yeux des Muranu. Storguez parlait toujours quand tombèrent les premières gouttes de pluie. Comme cela coïncida avec la légende de l’homme-oiseau faiseur de pluie, il leva vers Lyanne un regard étonné.
- Serais-tu le plus grand des hommes-oiseaux ? demanda-t-il.
Lyanne n’eut pas besoin de répondre. La pluie tombait maintenant en cataracte. Le vent avait soufflé toute la journée poussant devant lui des hordes de nuages qui crevaient maintenant au-dessus de leurs têtes. Dehors c’était de nouveau des cris de joie, entrecoupés de cris d’alerte et de cavalcades des uns et des autres pour mettre les affaires à l’abri. La tente de Storguez présentait des gouttières que le vieil homme regardait avec bonheur. Lyanne le voyait imaginer l’avenir, l’herbe serait au rendez-vous, les bêtes seraient grasses. En le regardant sourire ainsi béatement devant des gouttes d’eau qui s’écrasaient sur un sol maintenant détrempé, Lyanne imaginait Storguez en train de composer le prochain épisode de l’épopée des hommes-oiseaux.
- Je suis un passant, dit-il à Storguez. Mon chemin continue. Il me faut aller vers la côte.
- Oui, oui, je sais. Tu iras chez les Cousmains dès que la pluie aura cessé.
- Comment sais-tu que je vais là ?
- Tous les hommes-oiseaux ont été vers le soleil levant, là où habitent les Cousmains.
- Les légendes disent-elles quelque chose sur leur devenir ?
- Elles ne parlent que des Muranu…
La porte de la tente se souleva brutalement :
- Il nous faut vous déménager, dit Braeguen, les fleuves morts reprennent vie. Bientôt ici vous serez dans l’eau.
Lyanne sortit en même temps que Braeguen. La pluie était dense. Tout autour, les gens s’agitaient pour vider le centre de l’oasis de tout ce qu’il contenait. Avec des protections de fortune, ils vinrent chercher les affaires de Storguez et ils l’aidèrent à traverser l’eau qui commençait à ruisseler partout. Lyanne comprit qu’il était sur la passage de la rivière. Il pensa que, comme toute rivière, celle-ci finirait dans la mer. Il en fit part à Braeguen.
- Pas toujours, répondit ce dernier. Parfois elle se perd dans les sables. Si la pluie continue comme cela, l’eau atteindra la mer cette année.
- Alors, je vais tenter ma chance et me laisser porter par le courant. Les forces de la terre sont avec moi… Elles me conduiront.
L’eau montait de plus en plus. Il en avait déjà jusqu’aux chevilles et cela continuait à grimper. Lyanne fit ses adieux à Braeguen et attrapa un morceau de bois entraîné par le courant.
- Voilà mon guide ! Que tes jours soient prospères et ton chemin tranquille !
Braeguen répondit par un grand signe du bras, criant quelque chose que le bruit de l'eau emporta.
Ainsi Lyanne quitta l’oasis à cheval sur un morceau de bois emporté par le flot.

jeudi 21 août 2014

Lyanne était reparti sans attendre la fin de l’histoire. Il avait repris son vol. De signe en signe, il approchait de son but. Il le sentait. Le Dieu Dragon l’avait mené là où il désirait, donnant à Lyanne les signes dont il avait besoin. Il volait vers le pays des Cousmains. C’était un peuple guerriers. Y trouverait-il la paix ?
Les nuages étaient bas et Lyanne suivait son instinct. Il était capable de garder un cap même sans visibilité. Il sentait son corps jouissant du mouvement de ses muscles. S’il tenait cette vitesse, il estimait voir la terre dans deux jours ou trois s’il prenait le temps de chasser quelques poissons.
Sous la lune, le pays Cousmain lui apparut d’abord comme une longue ligne jaune orangée sur l’horizon. En s’approchant, il découvrit les profondes failles qui le parcouraient. C’était autant de ports naturels, chacune des failles pouvant être défendue par une poignée d’hommes résolus. Il pensa qu’en arrivant par là, il commencerait pas combattre et ce n’était pas son intention. Il jugea préférable d’arriver par la terre. Le vent lui était favorable. Il se laissa porter, survolant ces profondes vallées sans s’arrêter.
La pâle lumière nocturne lui montra un long plateau qui était barré très loin par une chaîne de montagnes, le désert des Cousmains. Il se posait la question de la vie dans ce monde minéral quand il repéra la petite lueur du feu d’un campement. Planant loin au-dessus, il repéra les étincelles vitales de toutes les créatures vivantes dans cette région. Il fut étonné d’en trouver autant. Il se concentra sur celles au moins de taille humaine. Hormis le petit groupe autour du feu, il n’y en avait pas. Il fut alerté par des sentiments de violence qui allaient et venaient comme le flux et le reflux de la mer. Il se concentra sur ces sensations, contactant de nombreux esprits animaux. Il y trouva le souvenir de la morsure de la chaleur et la sensation du froid de la nuit.  Si la faim tenaillait la majorité des estomacs, le besoin d’eau enflammait les gorges. Brutalement, il sentit l’exultation du chasseur attrapant sa proie pendant que disparaissait l’étincelle de vie anéantissant toutes sensations. Les hommes étaient plus calmes. La chasse avait été bonne, le repas copieux. Ils se reposaient tranquillement. Dans ce désert, il n’y avait nul besoin de sentinelle. Le sable et le vent suffisaient. Malheureux était celui qui ne connaissait pas les points d’eau. Ses ossements rejoindraient la poussière du sol.
L’aube pointait quand Lyanne se posa. Il était assez poche du groupe qui se reposait. Il souleva du sable que le vent emporta. Non loin de là, il découvrit des restes humains. Si le squelette était bien blanchi, les habits avaient moins mal supporté le séjour dans le désert. De la gourde, il ne restait que le système de fermeture et la lanière de portage. Le manteau était quasiment intact. Le cuir qui le composait avait été tanné avec art. Il était encore souple. Par contre l’étui de l’arme n’avait pas eu cette chance. Le long couteau de pierre à manche d’os reposait à terre. Les autres vêtements étaient composés de lambeaux plus ou moins abîmés. “Qui avait été cet homme ? Quand avait-il vécu ?” furent les questions qui vinrent à l’esprit de Lyanne. Il pensa qu’il était mort de soif, peut-être perdu dans une tempête de sable. Avec beaucoup de délicatesse, comme s’il craignait de déranger un dormeur, Lyanne dégagea le manteau. En le prenant, il comprit pourquoi il était ainsi conservé. C’était un objet marabouté. Le porter revenait à porter une armure. C’était un manteau couleur cuir naturel. Il se fondait bien dans le paysage. Les couleurs étaient en harmonie. Quand Lyanne avait posé la main dessus, il avait senti ce frisson particulier des forces magiques. L’objet s’était plié à sa volonté en ravivant ses couleurs. Il le tourna dans tous les sens et découvrit le dessin. Il sursauta. On voyait un grand oiseau rouge et jaune. Mais était-ce bien un oiseau ? Avec un petit peu, un tout petit peu d’imagination, on aurait pu y voir un dragon. Il le mit sur ses épaules, une petite fibule en or, petite forme ailée, fermait le col. Les premiers rayons du soleil vinrent jouer avec. Lyanne se mit en marche. Il gravit une première dune, suivie d’une deuxième et continua ainsi son chemin. En milieu de journée, il n’avait toujours pas atteint le campement qu’il visait. Il pensait pourtant s’être posé assez prêt. Il commença à douter. Se serait-il trompé de direction ? Un petit écart au départ pouvait avoir de fâcheuses conséquences. Il se remémora ce qu’il avait vu d’en haut. Pourtant il lui semblait bien reconnaître cette dune. À moins que ce ne soit la suivante. De nouveau, il escalada la pente mouvante. Arrivé en haut, il put sourire, devant lui se tenaient les restes d’un feu. Il descendit dans le vallon sans se presser. Les hommes étaient partis. Il se pencha sur le feu. Les cendres étaient encore chaudes.
- Ne bouge pas, étranger ! dit une voix derrière lui.
Lyanne leva la tête. Il découvrit un homme couvert d’un manteau de la même couleur que le sien, une lance à la main, prêt à l’embrocher. Lentement, il se retourna pour découvrir son compagnon dans la même posture. Les autres surgirent bientôt, l’encerclant de toutes parts.
- Les gens de ta race sont pas les bienvenus ici, reprit l’homme.
- Quelle est ma race ? demanda Lyanne maintenant entièrement enveloppé dans le manteau trouvé. 
- Fais pas l’idiot ! On connaît les marabouts comme toi. Ils sont toujours signe de malheur.
- Dis-tu cela à cause du manteau que j’ai trouvé ?
- T’as trouvé ça où ?
- Si tu vas à une demi-journée de marche par là, tu trouveras les restes d’un homme à qui appartenait ce manteau. Son arme était de pierre et sa gourde vide.
- Et tu dis que t’as ramassé son manteau ! T’es qu’un menteur ! Tous ceux qu’ont voulu le faire ont eu la main brûlée.
- Tu dis sûrement vrai. Je viens d’un pays où cette magie est sans pouvoir.
Il sentit les hommes autour de lui remuer. Celui qui était à sa droite prit la parole :
- L’est pire qu’les marabouts ! Faut l’tuer tout d’suite !
Celui qui était à gauche s’exprima à son tour :
- L’a pas d’eau ! Y a qu’à l’laisser ! Y va crever comme l’autre ! Même les marabouts doivent boire !
Le premier homme qui avait parlé, cria :
- SILENCE !  Chmaragon !
Et il partit à reculons en même temps que tous les autres. Bientôt Lyanne se retrouva seul. Il escalada de nouveau le flanc de la dune en suivant une des traces. Il la vit s’éloigner en ligne droite. Le vent qui soufflait déjà commençait à l’effacer. Il soupira. Il n’aurait même pas le temps d’en rattraper un avant que les traces ne soient emportées par le vent. Ce premier contact n’était pas ce qu’il espérait. Il soupira de nouveau et se remit en route. Le prochain point d’eau était assez loin, autant ne pas traîner. Il se doutait qu’il y retrouverait les hommes qui l’avaient encerclé. Le point le plus positif qu’il trouva dans les événements était qu’il n’avait pas été obligé de les tuer.
Le soleil commençait à décliner quand il entendit le bruit. C’était plus une vibration qu’un bruit. Plus que ses oreilles, il sentit vibrer sa poitrine. Quel animal pouvait avoir un tel cri ? Il perçut deux séries de sons et revint le silence. Il reprit sa marche, s’interrogeant sur ce qu’il venait de percevoir.
C’est parce qu’il était resté en alerte qu’il ressentit la faible vibration qui le traversa. Bien que différent dans sa modulation, c’était bien le même genre de cri, mais venant de beaucoup plus loin. Peu après vint une troisième vibration d’une autre direction. Ses oreilles de dragon l’aurait probablement mieux perçue.
Quand la nuit tomba, il avait ainsi entendu tout un échange. Il soupçonna les hommes de ce désert d’utiliser quelque chose pour pouvoir ainsi communiquer sur de longues distances. Lyanne ne s’arrêta pas de marcher malgré le manque de lumière. Il entendit autour de lui tous les petits chasseurs nocturnes se mettre en quête de proies. La chasse était ouverte, restait à savoir : qui chassait qui ?
Tous les sens en alerte, Lyanne avait marché toute la nuit. Le vent soufflait toujours, lui servant de boussole, tout en effaçant ses traces. Il avait repéré une ou deux fois des dessins dans le sable à demi effacés, qui pouvaient être le signe qu’un pied humain s’était posé là.
Au matin, le vent tomba et très vite la chaleur devint intense. Toute la faune du désert s’était réfugié à l’abri des rayons du soleil.  Lyanne continuait comme si de rien n’était. Dragon de glace et de feu, cette chaleur lui était seulement agréable, elle le nourrissait presque lui communiquant un surplus d’énergie. De nouveau, il entendit les étranges vibrations. Seulement, elles étaient maintenant toutes derrière lui. Il pensa à trois groupes différents qui communiquaient ainsi, trois groupes de chasseurs. Cela lui évoqua les meutes de loups. Une de leur technique favorite était de prendre en tenaille le gibier pour le rabattre sur une autre partie de la meute. Cela le fit sourire. Il n’était plus dans la tenaille.
Plus la journée avançait et plus le sable devenait chaud. Il entendit craquer les rochers se fendant sous la chaleur. Il vit les ondes de chaleur s’élever tout autour faisant danser le paysage. Ce fut une longue journée solitaire. Il marcha en évitant de monter au sommet des dunes. Il n’était pas nécessaire qu’il se fasse repérer. Quand arriva le soir, il sentit une odeur, une odeur mouillée. Il se dirigea en la suivant. Il vit les premiers arbres à la lueur de la lune. Ils dépassaient la dune qui était devant lui. Il l’escalada.
Arrivé à mi-hauteur, il entendit des mouvements de piétinement non loin de lui. Il vit un troupeau de bêtes qui lui étaient inconnues. Courtes sur pattes, râblées, elles avaient senti Lyanne et tentaient de s’éloigner. Il avait fait à peine deux pas dans leur direction qu’une lance l’arrêta.
- Qui t’es, toi ?
Immédiatement deux autres silhouettes jaillirent de l’ombre. Armés de lance, les gardiens le menacèrent. Lyanne s’arrêta.
- Je suis l’inconnu, répondit-il.
- Il a un manteau-oiseau, dit un des hommes derrière lui.
Les lances s’abaissèrent.
- Bienvenu, homme au manteau-oiseau. Nous avons entendu les cordes-son et nous craignons les hommes des sables. Ils viennent nous voler nos bêtes.
- Je suis la cause de leur alerte, répondit Lyanne. Je les ai rencontrés hier.
- Tu les as rencontrés hier ! Alors tu es un vrai homme-oiseau. Sinon tu ne serais pas là ce soir. Toi, dit le chef à un gardien, va prévenir le marabout.
Lyanne vit un homme saluer et partir en courant.
D’autres ordres fusèrent dispersant les hommes qui s’étaient rassemblés.
- Je suis Braeguen, homme-oiseau, dit l’homme qui était resté en s’inclinant. Viens, suis-moi.
Il descendit la dune vers le point d’eau. Lyanne le suivit. Les bêtes s’écartèrent prestement à son approche dégageant un large espace autour d’eux. Ils arrivèrent à un village de tentes qui ressemblait à une fourmilière dans laquelle on aurait donné un coup de pied.
- Suis-je la cause de cette agitation ? demanda Lyanne.
- Oui, homme-oiseau, voilà bien des générations que nous n’avions pas reçu d’hôte comme toi. Aujourd’hui nous sommes bénis de t’accueillir.
Braeguen s’arrêta devant une petite tente, plus haute que les autres, il s’effaça en faisant signe à Lyanne d’entrer.
Simplement éclairé par une petite lampe à huile, l’intérieur était sobre. Un tapis chamarré couvrait le sol. Dans un coin, un coffre patiné par le temps était ouvert. Un vêtement était posé à cheval sur le bord. Une table basse ronde, finement ciselée, occupait le centre de l’espace. Un homme se leva. Il était âgé, aux cheveux blancs et à la barbichette rare. Bien que courbé, il se déplaçait avec souplesse.
- Homme-oiseau ! Homme oiseau !
L’émotion semblait le paralyser.
- Jamais je n’aurais cru voir un homme-oiseau de mon vivant !
Se tournant vers l’extérieur, il cria :
- Qu’on amène le doormin, aujourd’hui est jour de fête !
Puis il se tourna vers son coffre et alla prendre le vêtement à moitié sorti. Il le leva et Lyanne put voir la reproduction infidèle de ce qui décorait le manteau. Le vieil homme le revêtit.
- Je sais, je sais, ce n’est qu’une bien pâle copie…  Assieds-toi, on va amener le doormin et on le partagera.
L’homme était tellement ému qu’il en tremblait.
- Vieil homme, j’ai trouvé ce manteau dans le sable…
- Oui, oui, répondit le vieux, mais tu es homme-oiseau. Nul autre que les hommes-oiseaux peuvent porter ces vêtements. Les couleurs sont vives. Tu es vie, tu es homme-oiseau. Ta venue est bénédiction.
Une femme entra faisant force courbettes, elle déposa un plateau sur la table, s’inclina profondément devant le vieil homme et s’aplatit quasiment devant Lyanne pour lui toucher les pieds.
- Que fait-elle ? demanda-t-il.
- Va, Nouscra ! N’embête pas notre hôte.
Relevant la tête pour regarder Lyanne, il ajouta :
- Nombreux sont ceux qui vont vouloir te toucher. Rares sont ceux qui ont vu de leurs yeux un tel événement. Le doormin est là, partageons-le pendant qu’il est chaud.
L’homme s’assit en tailleur invitant Lyanne à faire de même. Il servit le liquide brûlant dans des timbales en bois sombre.
- Qu’est-ce ? demanda Lyanne.
- Le doormin ! C’est la plante sacrée par excellence. Pour faire ce pot, il a fallu un an de récolte et des sacrifices. Nombreux sont les cueilleurs qui ne reviennent pas. Son rôle est indispensable dans le rite de la vie. Sans cette plante, nulle femme ne pourrait être femme, nul homme ne pourrait être homme. Chacun y trempe les lèvres et la timbale passe de l’un à l’autre.
- Aujourd’hui j’interromps le rite si je bois tout cela.
Le vieil homme éclata de rire.
- Ta présence est comme mille récoltes, homme-oiseau. Mais bois, bois…
Lyanne trempa les lèvres. La saveur était douceâtre. Il sentit l’énergie contenue et le poison qu’elle représentait. Il regarda le vieil homme qui se mouillait juste les lèvres. Lyanne continua à boire. Le doormin était feu. Sa nature dragon l’accueillit avec plaisir, tout en pensant que n’importe quel humain qui boirait cela s’écroulerait raide mort. Il posa la coupe et regarda le vieil homme :
- Quel est ton nom ?
- Je suis Storguez, homme-oiseau et je me prosterne…
Tout en parlant, il s’était incliné jusqu’à terre. Se relevant, il cria  :
- Il a bu le doormin ! IL A BU LE DOORMIN !
Autour de la tente, ce fut une explosion de cris de joie. Bientôt un tambourin se mit à résonner, une flûte se joignit à lui, puis ce furent des chants.
- Viens, homme-oiseau, allons faire la fête, dit Storguez, demain nous parlerons.

mercredi 6 août 2014

Quand Lyanne revint sur l’île de l’oracle, le soleil était encore derrière l’horizon même si l’aube éclairait déjà le paysage. Il repéra les bateaux qui approchaient. Il estima qu’ils toucheraient terre avec la marée. Sans attendre, il plongea vers le sol et vers la forêt se posant sur une branche basse. Autour de lui ce fut un sauve-qui-peut général. Tous les animaux mirent de la distance entre eux et lui. Il ne put s’empêcher de sourire de ce phénomène. Lui savait qu’il avait chassé sur les terres au-dessus de Tichcou. Ici l’odeur du dragon réveillait la peur chez tous les occupants de ces bois. Reprenant sa forme humaine, il se laissa glisser sans bruit à terre et se dirigea silencieusement vers la maison de l’oracle.
Trend l’attendait. Sa mine renfrognée trahissait la contrariété.
- L’Oracle m’a dit de vous attendre. Par votre absence, le doute est entré en sa personne m’a-t-il dit.
Lyanne ressentit tout le désagrément que Trend en retirait.
- Mais vous êtes là… Comme il l’espérait. Je dois vous transmettre sa demande. Quand les bateaux seront là, venez sur la plage.
Ayant dit cela, il s’inclina et repartit vers le bâtiment central.
Lyanne entra dans la maison qu’on lui avait réservée. Il y trouva des provisions pour le premier repas de la journée. Tout cela avait été préparé avec soin. Il prit un fruit pour le grignoter en attendant. Les bateaux seraient là avec la marée et lui aussi.
Il pensait à la suite quand on frappa à l’huis. Il se retourna pour voir la suivante de la princesse s’incliner profondément :
- Ma maîtresse demande votre présence, maintenant si cela est possible…
Sa voix était sévère, loin de la légèreté de la démarche de la nuit dernière. Lui faisant un signe montrant le chemin, il se mit en route.
Ils traversèrent l’esplanade. Beaucoup de gens s’y déplaçaient, armes au point.
- Que se passe-t-il ? demanda Lyanne.
- Les gardes disent que l’Oracle a vu passer l’aile de la puissance au-dessus de l’île et qu’elle s’y est posée. Les animaux de la forêt ont fui en masse. Tout le monde est inquiet.
- La princesse aussi ?
- Surtout la princesse...
Tout en regardant les gens au bord du mur extérieur, ils poursuivirent leur chemin. Arrivée devant la maison de la princesse, la suivante fit de nombreuses courbettes. Myinda l’arrêta :
- Si tu crois que cet étranger fera plus que nous, tu te trompes !
La suivante dégagea son bras que le soldat tenait d’une main de fer, releva la tête dans un air de défi et reprit sa progression. Myinda l’ayant lâchée, se tourna vers Lyanne :
- T’avise pas d’y toucher...
Après avoir jeté un regard noir à Myinda, la suivante souleva la tenture pour le faire entrer dans la pièce où était Vyovyolin. Il la trouva à peine couverte d’un fin voile, allongée sur une pile de coussins, l’air perdu...
Il s’approcha et lui prit la main :
- Quelle est cette peur qui vous occupe ?
Languissante, la princesse eut un certain mal à répondre.
- Ah ! Aaaah ! Ye prenais un bain dans la vasque là-bas quand un gros animal est arrivé, toutes griffes dehors… Y’ai crié pour demander de l’aide mais personne n’est venu. Le monstre s’est approché de moi avec un grondement sourd montant du fond de ses entrailles. Y’ai cru ma dernière heure arrivée. Et brutalement après avoir regardé autour de lui, il est parti à toute vitesse.
Lyanne lui tapota la main, comme on essaye de consoler un enfant.
- La bête est partie… la bête est partie… vous ne risquez plus rien. Les gardes de l’oracle vont repousser celles qui restent.
- Ye sais, mais l’oracle n’a pas prévenu. Elle aurait pu dire, puisqu’elle voit l’avenir. Mais là rien ! Elle se dit perturbée par une force qui semble ne pas faire ce qu’elle avait senti.
Lyanne remarqua que pour Voyvoylin, l’oracle était une femme. Il reprit la parole :
- Tant que je serai près de vous, le risque sera absent.
Voyvoylin eut un pâle sourire. Cela amusa Lyanne qu’elle déploie ainsi des efforts pour lui plaire.
- Les bateaux vont bientôt arriver, ajouta-t-il. Je vous attends dehors.
Quand il voulut se lever, elle s’accrocha à lui. Il décrocha ses bras en disant doucement :
- Jeune princesse, celui qui est pour vous, est ailleurs qu’en moi.
Il sortit sans se retourner pendant qu’elle lui criait :
- YE VOUS HAIS...
Les gardes apparurent en l’entendant ainsi élever la voix mais s’arrêtèrent en voyant Lyanne devant la porte. La servante lui jeta un regard noir tout en se dépêchant d’entrer avec des vêtements dans la chambre de la princesse.
Lyanne s’adossa au mur pour attendre que Voyvoylin finisse de se préparer. La marée serait bientôt haute. L’accostage allait se faire. D’où il était, il voyait le chemin qui conduisait à la plage. Des serviteurs de l’oracle allaient et venaient. Il y eut l’appel d’un cor venant du large auquel répondit le gong de l’esplanade. C’était le signal pour que tous se rendent au bord de la mer. La princesse apparut, altière, dans une superbe tunique aux broderies ouvragées. Lyanne s’approcha et lui offrit sa main. La princesse le regarda un instant avant de poser la sienne dessus. Ils s’engagèrent ainsi sur le sentier suivis par les gardes qui s’étaient mis en formation.
Quand ils arrivèrent sur le chemin du bord, ils virent des voiliers manœuvrant pour accoster.
- Les connaissez-vous ?
- Le bateau à voiles bleues vient des landes de Ryalmak. À son bord sont les guerriers des tribus qui ont yuré allégeance à Kayallin. Dans l’autre bateau, viennent les fidèles de Yourtalin. Ils lui ont yuré fidélité et refusent de voir comment il laissait tout aller et comment il a vendu notre terre. L’oracle va départager les deux camps pour éviter une guerre.
- Mais Yourtalin est mort !
- Oui, son corps n’est plus, mais son esprit demeure. C’est pour ça que l’oracle veut nous faire monter au sanctuaire primordial devant la statue du premier oracle. Seule cette force peut nous libérer de cet esprit devenu mauvais.
Lyanne regarda les délégations descendre à terre. Elles s’ignoraient où plus exactement faisaient comme si l’autre n’existait pas. Lyanne fut surpris du nombre de soldats que transportait chaque bateau. Lourdement armés, ils semblaient être de redoutables guerriers. L’oracle était déjà arrivé. Sa silhouette voûtée faisait face aux arrivants. Les deux colonnes arrivèrent à la berge. L’oracle leur fit signe de s’arrêter avant de sortir de l’eau.
- Pourquoi êtes-vous venus ? demanda-t-il d’une voix qui surprit Lyanne. C’était un chuchotement que tous pouvaient entendre malgré la distance. Il en admira la magie.
- MON NOM EST RYENNAP et ye suis venu en paix, dit l’un des chefs en levant ses deux mains ouvertes au-dessus de sa tête.
- MON NOM EST OYLER ET YE SUIS VENU EN PAIX, répondit l’autre chef en faisant le même geste.
- Que demandez-vous en abordant ces rivages ?
- Moi, Oyler, ye suis venu demander la lumière de ton savoir, toi qui guides le peuple.
- Moi Ryennap, ye suis venu demander la lumière de ton savoir.
- Sachez que quiconque pose le pied sur cette terre doit suivre la loi de cet endroit. MALHEUR à qui ne s’y soumettrait pas.
Les deux chefs de groupe parlèrent en même temps :
- Que la paix soit ma compagne si y’obéis, et que la mort me frappe si ye refuse de suivre tes paroles.
Tout en parlant, les deux orateurs se regardaient d’un œil méchant.
- Alors si vous êtes prêts à obéir en tous points, faites un pas en avant et venez chercher avec moi ce que vous êtes venus chercher.
D’un même ensemble, ils firent ce pas qui les amena sur le sable du bord de plage. Les deux cohortes suivirent leurs chefs sur la plage se rangeant derrière eux en deux colonnes. S’ils échangeaient des regards en coin, les soldats n’osaient pas se regarder. L’oracle se mit en mouvement avec lenteur. Kayalin était un peu plus haut sur la plage, regardant ce débarquement. La main toujours appuyée sur la main de Lyanne, Voyvoylin descendait le chemin.
L’oracle fit signe à Kayalin qui approcha. Se retournant vers les groupes armés, il leur fit un autre signe pour les inviter à venir vers lui. Ryennap fut le premier à se mettre en marche. Derrière lui, la vingtaine d’hommes levant leurs lances se mirent à avancer presque en sautillant. Voyant cela, Oyler fit aussi mouvement mais contourna l’oracle pour se positionner derrière son prince. Voyvoylin arriva  bientôt à leur hauteur.
L’oracle, le visage toujours caché par son capuchon, se tourna vers chacun des protagonistes comme pour les examiner. Le silence s’installa un moment. Lyanne sentit s’installer le malaise au fur et à mesure que le temps passait. Quand l’oracle prit la parole, ils furent tous surpris.
- Le roi Yourtalin a été jugé. Et son jugement est vrai. Il a payé pour avoir fait honte aux dieux de votre peuple.
Ryennap sursauta en entendant cela. Il allait parler quand l’oracle d’un geste de la main lui imposa le silence.
- Je sais la fidélité que te lie à Yourtalin. Je sais que le fils du roi est vivant et que tu es là pour être son champion. Votre peuple est toujours venu ici pour entendre la vérité. Aujourd’hui encore, tel sera ce qui sera.
Kayalin, à son tour, sembla prêt à parler. De nouveau l’oracle l’arrêta d’un geste.
- Je sais ton amour de la justice et de ton peuple. Je sais ce que tu as souffert. Aujourd’hui tu es venu pour parler d’avenir et non pour le passé.
Se tournant alors vers Ryennap, il ajouta :
- Fais venir Yenlinn.
Devant la figure ahurie de Ryennap, il ajouta :
- Je sais. Le fils de Yourtalin est à bord. Il doit être présent pour le grand oracle comme doit être présent la fille de Kayalin.
- Et lui, répliqua Ryennap en désignant Lyanne.
- Les augures réclament sa présence. Il sera témoin ou acteur. Le grand oracle nous le fera savoir. Maintenant fais ce que tu dois faire.
Sans s’élever, la voix était tellement chargée de puissance que Ryennap courut au bord de l’eau pour faire de grands signes au bateau. On vit alors un jeune homme apparaître sur le pont. Kayalin sursauta en voyant sa ressemblance avec son père. On le fit débarquer et un serviteur l’accompagna jusqu’aux pieds de l’oracle où il se prosterna.
- Relève-toi, enfant ! Je ne suis ni un dieu, ni ton maître.
Se tournant vers Lyanne, il ajouta :
- Toi, l’inattendu qui voisines avec l’insaisissable, je te confie ces deux jeunes qui sont l’avenir.
L’oracle fit un geste auquel répondirent ses serviteurs en accourant avec un siège porté par quatre solides gaillards.
Bientôt ils furent en route. Devant marchait un groupe armé de lances, aux aguets, suivi par un deuxième groupe rythmant la marche sur leurs tambours. Derrière suivait l’oracle, puis Lyanne entouré de Voyvoylin à sa droite et de Yenlinn à sa gauche. Encore en arrière en colonne par un, derrière Voyvoylin, on trouvait Kayalin, Myinda, Oyler et ses soldats et de l’autre côté Ryennap et les siens.
Le chemin était assez large et bien tracé. Lyanne reconnut le passage qu’il avait déjà emprunté. Hormis les tambours, on n’entendait aucun bruit. Ils marchèrent ainsi longtemps avant de faire une pause. Le chemin devenait plus étroit et plus escarpé. Lyanne vit les serviteurs de l’oracle lui poser des questions. Ils semblaient inquiets. Il s’approcha surprenant la fin d’une question :
- … les animaux ? Ce silence est anormal.
L’oracle leva la tête vers Lyanne.
- Viens-tu m’interroger ?
- Tes serviteurs semblent inquiets. Je m’en étonne.
- Jamais ce chemin n’a connu un tel silence. Les animaux semblent s’éloigner au fur et à mesure que nous approchons. Qui les rend aussi craintifs ?
- As-tu la réponse, ô oracle ?
- Vois-tu, porteur de puissance, l’aura qui t’entoure ?
- Je connais de moi, ce que je ressens dans mon monde intérieur. Puis-je me voir de l’extérieur ?
- Les animaux ressentent cette aura. Leur prudence est grande, comme ta puissance.
- J’admire leur sagesse. Puissent les hommes l’être autant !

Le voyage reprit peu après sur un chemin devenant plus abrupt. Lyanne aida Voyvoylin à plusieurs endroits. Les serviteurs de l’oracle étaient maintenant tous autour du siège pour le hisser. Seul un tambour continuait son battement régulier. Quand vint la nuit, ils étaient arrivés sous le cône terminal. La forêt laissait la place à la roche. Des roches taillées en plateforme formaient un lieu propice au bivouac. Chacun s’installa pour la nuit. Lyanne regarda les trois groupes. Il ne se sentait proche d’aucun d’eux. Il alla s’installer un peu plus haut sur une roche qui ressemblait de loin à un siège.
Il regarda les groupes vivre. Chacun était dans sa bulle. Si quelques regards étaient échangés, il n’y eut pas de rencontre entre eux. Bientôt les feux furent couverts et seuls les gardes restèrent attentifs.
Lyanne laissa flotter son esprit. Il se sentait à la frontière du domaine où régnait la vraie puissance. L’oracle n’en était qu’une parcelle. Le lendemain allait être intéressant.
Après un bref rayon de soleil matinal qui leur permit de plier le camp, la pluie s’invita sur leur chemin. Chacun avait sorti ce qu’il pouvait pour se protéger. L’oracle avançait sous un dais tenu par ses serviteurs. Lyanne avait fait un parapluie avec de grandes feuilles qu’il avait pris sur un des derniers arbres. Ils marchaient maintenant sur une roche nue et noire. Voyvoylin avait profité de la pluie pour se rapprocher de lui sous prétexte d’être mieux abritée. Yenlinn au contraire, voulait prouver sa vaillance et préférait marcher comme les hommes en se laissant tremper. Cela faisait sourire Lyanne. Il avait de la chance, pensa-t-il. Ici l’eau du ciel qui tombait était chaude. La matinée se passa ainsi. Chacun regardait le bout de ses pieds. La vision était limitée par le rideau de pluie qui les isolait. Quand arriva l’heure de se poser pour manger, ils eurent du mal à trouver un abri. Tous étaient mouillés sauf l’oracle. Ce fut un repas maussade. Ils rangeaient leurs affaires quand la terre trembla. Ce fut court mais tous se figèrent sur place. Le grand oracle se réveillait-il ?
- Ce n’est que la montagne qui frémit, expliqua l’oracle. Ne respirez pas les fumées. Vous en perdriez la vie.
La procession se reforma avec crainte. La pluie avait presque cessé. Lyanne comprit qu’ils étaient juste sous l’entrée. Encore un petit effort et ils prendraient pied là où avait vécu le grand oracle.
Quand les porteurs de l’oracle prirent pied sur la plateforme, de nouveau la montagne trembla. Ils virent même de la fumée s’échapper du cône au-dessus de leur tête. Lyanne arriva à son tour tenant Voyvoylin par la main pour l’aider à gravir les derniers pas, les plus escarpés. Yenlinn s’était aidé de ses mains et les avait précédés. Lyanne le regarda se figer. Il tourna la tête vers ce qui sidérait ainsi le jeune homme et à son tour, il fut rempli de surprise. Devant lui se tenait la gigantesque statue du grand oracle. Il comprit tout de suite. Le grand oracle avait été un dragon. Même recouvert de cette gangue de pierres qu’avait vomi la montagne, la silhouette ne pouvait être que celle d’un dragon. Il se sentit très ému à cette idée. Le dernier des dragons n’avait pas disparu depuis si longtemps. Il mourait d’envie de s’approcher mais l’oracle avait fait un signe pour leur intimer l’ordre de ne plus bouger. Il détailla ce qu’il voyait. La statue était à l’entrée d’une grotte gigantesque, non plus qu’une grotte c’était un tunnel qui traversait la montagne. Les roches de feu avaient dû passer maintes fois par ce chemin mais malgré leur présence, le tunnel restait impressionnant. Il repéra sur les parois en hauteur des traces. Son cœur se mit à battre plus vite. Cela lui rappela les lignes de la grotte aux dragons qu’il avait suivies lors de son initiation. Il se reprocha de ne pas être monté plus tôt pour les examiner. Il aurait été seul et aurait pu ainsi prendre son temps. Il se demanda comment il allait faire pour les voir. Devant ce qui avait été le nez du dragon, on avait dressé une pierre. L’oracle s’en approchait suivi de ses serviteurs tenant des plantes odoriférantes qui brûlaient en dégageant des odeurs suaves. Il commença à psalmodier. À chacune de ses pauses, la terre répondait par un grondement sourd.
- Le grand oracle lui répond, dit Yenlinn
- C’est la statue qui parle, répliqua Voyvoylin.
- La terre s’exprime, mais faites silence, leur intima Kayallin.
Lyanne ne quittait pas la statue des yeux. La terre tremblait à chaque grondement donnant l’illusion du mouvement à cette grande forme allongée. Intérieurement Lyanne se retenait pour ne pas devenir dragon. Tout dans ce lieu appelait sa forme rouge. C’est tout juste s’il entendait Voyvoylin et Yenlinn qui se disputaient à voix basse sur la suite des évènements.
La pluie cessa tout à fait mais le vent se leva. Les fumées issues du cratère se trouvèrent soufflées dans le tunnel. Elles passaient près d’eux les enrobant parfois de leur odeur méphitique. Les hommes toussaient, seul l’oracle semblait insensible à cela. Sur la pierre, il faisait brûler les plantes mais le vent en chassait la pauvre fumée la mélangeant avec les émanations de la terre.
Il leva les bras au ciel en criant quelque chose que le vent emporta. La terre y répondit par un tremblement de terre qui dura quelques secondes. Les hommes furent secoués, certains tombèrent. Voyvoylin se retrouva accrochée à Yenlinn dont les yeux fous trahissaient la peur. Lyanne s’était stabilisé en ancrant ses quatre pattes au sol. Il était maintenant la réplique rouge de la statue. Ce fut un cri dans l’assemblée quand ils découvrirent la grande silhouette au-dessus d’eux. L’oracle se retourna, leva la tête et se prosterna :
- Maître, vous êtes revenu...
Lyanne abaissa sa tête vers lui, provoquant un mouvement de panique parmi les guerriers et les serviteurs de l’oracle.
- Si je suis de la race du grand oracle, je suis autre.
- Tu es le signe promis, répondit l’oracle. J’ai senti ta puissance arriver sur l’île. Quelle est ta parole pour ce peuple ?
- Je dois aller dans la caverne pour lire ce que le grand oracle m’a écrit.
D’un mouvement vif, il se glissa jusqu’au tunnel. Sur les murs, il découvrit les lignes que gravent les dragons pour les dragons. Il mit ses pattes antérieures sur le mur et se mit à suivre les longues griffures dans la roche avec ses griffes. Ce fut comme si une parole naissait dans sa tête : « Bienheureux es-tu, toi qui viens. Ici et maintenant ton avenir prend corps. Il y a bien longtemps un homme est venu et est reparti après avoir fait la paix en lui-même. Son nom évoquait la grandeur de l’homme. Il avait beaucoup combattu, mercenaire d’un instinct destructeur. » Sans mot, mais nettement une silhouette blanche se forma devant ses yeux. Lyanne vit l’homme tout de blanc vêtu. Othman ! Il était sur l’île de Othman. Faisant quelques pas, il reprit son décryptage. « Tu as connu la guerre et tu as unifié ce qui devait l’être sauf toi. Aujourd’hui, tu dois être celui que tu es et aller vers ce qui fera des dragons l’avenir de ce monde. Le Dieu Dragon est le dernier des dieux du début des mondes. Sois à son service. Sois pacificateur. Tu voleras vers le pays des Cousmains. » Une autre image prit naissance devant ses yeux. Il voyait un monde de déserts et de falaises. Il sut vers où aller. « Alors tu trouvera une île où le feu de la terre bouillonne en permanence. Là est ton but, là est l’objet de ta quête, si en toi règne la paix. »
Les griffures s’arrêtaient là. Lyanne reposa ses deux pattes au sol. Il dominait toute la troupe de ceux qui étaient montés avec lui. Ils ne l’avaient pas quitté des yeux le temps qu’il parcoure le tunnel. Il revint vers l’oracle. Le voyant faire mouvement vers lui, ce dernier prit un panier d’herbes odorantes qu’il fit fumer en l’élevant au-dessus de sa tête.
- Fils du grand oracle, dis-nous la parole qui va nous éclairer !
- Que les opposés s’unissent, que les cœurs soient en paix et le pays sera en paix.
Il avait à peine fini de parler que la terre trembla violemment et une éruption débuta, un nuage de poussière les couvrit brutalement les rendant tous aveugles.
Quand le vent venu de la mer les dégagea, ils fuirent tous. Ils se regroupèrent un peu plus loin. Après la première explosion, et ce nuage, l’éruption sembla se calmer. De la lave jaillit du tunnel pour descendre en cascade incandescente vers la mer sur le versant opposé. Lyanne avait profité de la confusion, du manque de visibilité et de la panique pour reprendre forme humaine. Comme les autres, il toussait et larmoyait, les yeux irrités par la poussière noire qui les avait enveloppés.
Kayalin se tourna vers l’oracle :
- Qu’a voulu dire, le fils de l’oracle ?
- Il a dit ce qu’il a dit et tu as à discerner.
Ryennap s’était rapproché, ainsi que Oyler. Voyvoylin et Yenlinn étaient plus loin. Les deux jeunes semblaient complètement perdus.
Kayalin regarda les deux jeunes qui se rassuraient en se serrant l’un contre l’autre.
Se tournant vers Ryennap qui avait suivi son regard, il dit :
- Y’entrevois ce qu’il a voulu dire...
Ryennap regarda Kayalin en souriant :
- Ye crois que y’entrevois aussi...