dimanche 19 octobre 2014

CORRECTION

La piqûre le réveilla. Il avait mal à la tête. Une nouvelle piqûre lui fit ouvrir les yeux.
- L’dernier s’réveille, dit une voix éraillée.
Lyanne était sur le dos sous sa forme humaine. Il avait l’impression d’avoir été roué de coups. Tout son corps rechignait à bouger. Il se redressa en regardant autour de lui. Une troupe d’une dizaine d’hommes l’entourait. Plus loin, il vit Haafefe. Le bateau était en cours d’inspection. Un homme l’examinait avec attention. Il l’entendait grommeler sans comprendre ce qu’il disait. Dans sa position, il ne voyait aucune trace de Sounka ou de Ziepkaar. Plus loin d’autres hommes formaient un groupe compact. Ils étaient tous armés de lances faites d’un tronc dont l’extrémité avait été effilée et durcie au feu. C’est une des armes qu’on avait appuyée sur sa poitrine. Alors qu’il se relevait quelqu’un passa rapidement derrière lui, lui entravant les bras en les attachant sur une solide branche avec des liens faits de fibres tressées. On le mit debout sans ménagement.
- Alors voleur, on va voir comment tu danseras tout à l’heure.
Lyanne ne répondit rien. Dans sa tête un gong sonnait au rythme de son cœur. Il avait la nausée et serait bien resté simplement allongé sur le sable à attendre d’aller mieux.
On le poussa en avant. Ils le firent se rapprocher de Haafefe. 
- Tous cas, l’ont soigné.
Lyanne tourna la tête pour voir qui parlait ainsi. L’homme qui inspectait le bateau, faisait un rapport à un individu aux cheveux blancs et coiffé d’un casque brillant. C’était le seul à avoir une arme en métal.
- C’est du bon travail, répondit l’homme aux cheveux blancs.
- Quand les tempêtes soufflent et qu’le volcan crache, ya toujours quequechose à récupérer ici, répondit un autre. J’vous ai appelé dès qu’j’ai vu qu’il y avait un de vos bateaux échoués.
- Ces voleurs n’auront que ce qu’ils méritent, Cerjas. En attendant voici pour toi.
Lyanne fut témoin d’un échange de bourses. L’homme aux cheveux blancs versait de petits coquillages aux reflets pourpres dans un sac que lui avait tendu le dénommé Cerjas. Le regard qu’il jetait sur ce qui tombait dans son escarcelle en disait long sur la valeur de ces coquillages.
Il n’en vit pas plus car on le poussa en avant. Il marcha jusqu’à la limite de la plage de sable noir. Au loin la montagne fumait toujours. Son flanc rougeoyait encore malgré la lumière déjà forte de ce début de journée. Buttant sur une roche qui dépassait, Lyanne tomba. Il se laissa aller sur le côté pour ne pas se retrouver la tête dans la sable. Il entendit rire ses gardiens qui le remirent debout sans ménagement et le dirigèrent vers un renfoncement où il découvrit assis, les mains attachées derrière le dos, Sounka et Ziepkaar.
On le fit asseoir à côté.
- Ils t’ont eu aussi, homme-oiseau. J’espérais que tu viendrais nous sauver.
- Pour le moment, Sounka, il est préférable de supporter cela, répondit Lyanne.
Dans sa tête, le bruit était trop violent pour qu’il puisse réfléchir. Il se laissa aller,détendant ses muscles autant qu’il pouvait.
Le soleil se montra quand l’homme aux cheveux blancs se rapprocha d’eux. Derrière lui, il vit une escouade pousser Haafefe à l’eau.
- Tlaloc va ramener le bateau à Souacpas. Nous allons rentrer par la terre.
- Et ceux-là ? dit un de leurs gardiens en les montrant.
- Ils marcheront.
- L’homme au drôle de manteau a pas l’air en forme.
- On verra, Raznac, on verra.
Il regarda autour de lui. Cerjas s’en allait à l’autre bout de la plage. Haafefe avançait à la pagaie, propulsé par une dizaine de gaillards qu’on entendait chanter. Les hommes étaient tous,  la lance à la main, prêts à partir.
Faisant un geste, celui qui était manifestement le chef, donna l’ordre du départ.
Ils marchèrent toute la journée. Il n’y eut que très peu de temps de repos. Heureusement, les cousmains étaient résistants. Malgré tout, Sounka et Ziepkaar connurent plusieurs chutes dont ils se protégèrent mal. Lyanne était plus lourdement chargé qu’eux avec ce joug qu’il devait porter et auquel il était attaché. Il tomba aussi dans certains passages chaotiques. À chaque fois, il réussit à planter le bout de bois en avant. Il se trouva ainsi protégé des blessures qu'arboraient ses compagnons. Contrairement à eux, la chaleur, qui régnait tout autour d’eux, dans ce paysage de laves noires à peine refroidies, lui redonnait de l’énergie. Il avait l’impression qu’elle le nourrissait. Quand arrivèrent le soir et le bivouac, il était en grande forme. Il sentait la fatigue des autres. Les gestes étaient las et lents. On ne le délia pas. Sounka connut le même sort. Ce fut Ziepkaar qui fut chargé de s’occuper d’eux et de les faire manger sous le contrôle d’un gardien. La nourriture était pauvre et mal cuite sans parler de la quantité insuffisante pour leur redonner des forces pour le lendemain. Ziepkaar avait tout juste fini de s’occuper d’eux que le dernier rayon de lumière s’éteignit. Il ne resta qu’une lueur jaunâtre venant du volcan. C’est tout juste si l’on distinguait de vagues formes. Lyanne qui n’était pas gêné par le manque de lumière, regarda les hommes tenter de trouver un coin à peu près confortable dans ce monde minéral. Si Sounka et Ziepkaar avaient été attachés à une longe reliée à un garde, Lyanne avait été suspendu par sa poutre entre deux roches assez hautes pour qu’il ait à peine les pieds qui touchaient terre. La position était rapidement devenue douloureuse. Quand Lyanne entendit les respirations se calmer, il décida de se libérer de tout cela. Son bâton de pouvoir avait servi de bâton de marche à l’un des gardes. Heureusement, il n’avait pas touché au tissu qui en couvrait l’extrémité. Son marteau, lui, avait rejoint le paquetage d’un autre. Lyanne se transforma en dragon. La position attachée lui était encore plus douloureuse. Il changea de taille, devenant suffisamment petit pour que les liens se relâchent. Il s’envola.
Vu d’en haut, il découvrit un monde façonné par les volcans. Plusieurs cratères dont certains inactifs formaient une chaîne de montagne. Derrière, il aperçut les éclairs des tempêtes qu’ils avaient traversées. Leur chemin les avait fait contourner un cône actif mais pas très haut. C’est lui qui donnait cette luminosité. De l’autre côté, il distingua une ligne de séparation. Il s’en approcha. La végétation reprenait ses droits. Il survola une partie du pays. Quelques champs çà et là montraient qu’il y avait des habitants, mais Lyanne ne vit pas de villages. Le vent avait des senteurs marines. Il le remonta pour se retrouver au-dessus d’une côte faite d’une succession de petites falaises entrecoupées de plage de galets. Au loin, il vit un forme anguleuse qui lui évoqua une forteresse. Virant sur l’aile, il repartit vers les terres noires où étaient restés Sounka et Ziepkaar.
Il se posa non loin du groupe. Il l’avait survolé. Tous les hommes dormaient plus ou moins profondément. Comme toujours quand il reprenait sa forme d’homme, son bâton de pouvoir et son marteau avaient réintégré son côté. Il avait fini par maîtriser cette magie liée à sa double nature. Sans bruit, il se rapprocha de ses deux compagnons, les libérant de leurs liens sans même les réveiller. Simplement après, il s’assit sur un rocher surplombant les lieux et attendit que le soleil se lève.
Il vit Sounka et Ziepkaar bouger tranquillement dans leur sommeil pour trouver une meilleure position. Il entendit se lever l’un ou l’autre de leurs gardiens, les vit aller se soulager un peu plus loin et revenir à tâtons à leur place. Celui qui passa au pied de Lyanne ne le vit même pas, ce qui le fit sourire.
Le soleil se leva dans une débauche de pourpre, d’or et de blancs. Les hommes se levèrent doucement. Ziepkaar se leva naturellement, oubliant qu’il devait être attaché. Il commença à déambuler cherchant un coin pour s’isoler. Pendant quelques instants, rien ne se passa et puis un des gardiens prit conscience de l’anomalie et hurla un avertissement. Cela réveilla Sounka qui n’eut pas le temps de bouger avant qu’une lance ne le bloque au sol. Ziepkaar se trouva pris en chasse par deux hommes pendant qu’un troisième hurlait que le prisonnier avait disparu. Ombre chinoise immobile dans le soleil levant, personne ne remarqua Lyanne. Ce fut le point de départ d’une grande agitation. Le chef se mit à hurler des ordres, pendant que ses guerriers s’agitaient, cherchant s’il ne leur manquait rien. Il y eut un cri quand on découvrit la disparition du bâton de pouvoir et presque immédiatement un deuxième quand on constata la disparition du marteau. Ziepkaar, qui avait déjà par deux fois échappé à ses poursuivants, commençait à fatiguer. D’autres hommes se joignant aux premiers, il semblait paniquer. Le hasard lui fit diriger ses pas vers le rocher où se tenait Lyanne. Dès que Ziepkaar fut passé derrière lui, il se mit debout et poussa un grand cri. Il vit se figer les guerriers en dessous de lui. Se reprenant rapidement, un des guerriers lui jeta sa lance que Lyanne esquiva sans difficulté. D’autres armaient leurs bras, quand un cri les bloqua. Leur chef avait crié un ordre.
Lyanne le vit s’approcher tranquillement pendant que les autres entouraient le rocher où il se trouvait.
- Rends-toi ! Tu  n’as aucune chance !
- C’est toi qu’à aucune chance, c’est un Homme-oiseau, hurla Ziapkaar de derrière le rocher.
Lyanne n’avait pas répondu. Il avait juste lentement pris son marteau de combat qui envoya des éclairs en reflétant les rayons du soleil levant.
Entre le cri de Ziepkaar et le calme de Lyanne, les hommes marquèrent un temps d’arrêt, jetant des coups d’œil vers leur chef. Ce dernier hésita.
- Qu’est-ce qu’un homme-oiseau ? demanda-t-il tout en regardant autour de lui. Préfère-t-il se rendre ou bien que son ami meure ?
Il avait fait un geste et le gardien avait appuyé un peu plus fort sa lance sur le ventre de Sounka.
Lyanne avait bougé comme il savait le faire, prenant même la forme d’un rouge dragon. Quand il se remit debout sur le rocher, un battement de paupière plus tard, la lance était en miettes et le gardien à terre.
- Devons-nous nous battre, homme d’ici ? demanda Lyanne.
- Vous avez volé un de nos bateaux.
- Je suis étranger à ce fait. Ce bateau m’a amené ici puisque tel est mon chemin.
- Alors les autres sont des voleurs et tu es complice.
- Que voulais-tu faire de nous ?
- Vous conduire en prison pour y être jugés !
- Où est-ce ?
L’homme était déstabilisé par ces questions posées calmement par un homme dont il sentait la puissance.
- Je n’ai pas l’autorité pour faire autre chose. Mes ordres sont clairs.
- Tes ordres te demandent-ils de te faire tuer ?
- Je dois remplir ma mission.
- Oui, Homme d’ici. Ta mission est de nous amener à cette prison. Bien. Est-ce cette forteresse à quelques jours de marche d’ici ?
- Ou..Oui, balbutia l’homme. Tu es déjà venu ?
- Si je t’accompagne, ainsi que mes compagnons, tu auras accompli ta mission. Mon chemin va vers ce lieu. Allons-y en paix.
- Si je refuse ?
- La mort sera votre lot.
Un des gardiens s’approcha de son chef et lui glissa quelques mots à l’oreille. Lyanne vit l’air étonné de son interlocuteur qui regarda son subordonné, puis vers lui, puis de nouveau vers son subordonné, pour lui dire :
- Es-tu sûr ?
L’homme répondit à voix basse mais ses mouvement de tête semblaient dire non.
Le chef se tourna vers Lyanne, rangea son épée et dit :
- Vous allez nous accompagner.
Puis se tournant vers ses hommes il ajouta :
- Rangez vos armes !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire