samedi 21 février 2015

Moayanne avait bien du mal. Elle fuyait devant Cappochi. Elle avait essayé ses griffes sans autre résultat que de s’être fait jeter au loin. Elle avait tenté différentes attaques, mais ressentait, à chaque fois qu’elle échouait, un certain plaisir chez son adversaire. Plus le combat durait et plus elle avait l’impression que Cappochi jouait avec elle. La peur commençait à s’insinuer dans son esprit, entretenue par les paroles de celui qu’elle combattait de toutes ses forces.
Alors qu’une nouvelle fois, il l’avait jetée à terre, elle cracha son premier feu. Cappochi encaissa le choc de la flamme en reculant pour la première fois. Son corps fut auréolé de flammes jaunes  et rouges, qui bientôt s'éteignirent :
- Ah ! Ah ! Ah ! Tu es un de ces cracheurs de feu de légendes. Ma puissance n’en sera que plus forte quand tu seras à me demander pitié.
Cappochi ramassa une pierre qu’il lança sur Moayanne. Celle-ci replia ses ailes et roula sur le côté pour l’éviter. Le rocher fit comme elle et entraîna d’autres roches. Moayanne roulait de plus en plus vite, heurtant le sol parfois violemment, suivie par des tonnes de roches enveloppées d’un nuage de poussières. Le bruit était terrible mais couvert par les hurlements de rire de Cappochi. Moayanne freinait sa chute en accrochant ses griffes, tout en se laissant assez de vitesse pour éviter l’avalanche qui la suivait. Une barre rocheuse interrompit sa course. Elle se retrouva projetée en l’air. Déployant ses ailes et malgré ses douleurs, elle repartit se battre. La colère montait en elle. La masse énorme et informe de Cappochi se tenait au-dessus, riant aux éclats. Voyant que le dragon blanc revenait vers lui, il bondit. Ils se croisèrent en plein vol. Si Les flammes de Moayanne léchèrent Cappochi, l’espèce de fouet noir qu’il tenait s’abattit sur le dos de la dragonne, lui arrachant un cri et marquant ses écailles d’une balafre noire. Déséquilibrée dans son vol, elle toucha le Frémiladur de son aile et partit en vrille pour s’écraser un peu plus bas. Elle resta au sol, sonnée. Son dos lui faisait mal, même si elle sentait qu’elle n’avait rien de grave. Elle était momentanément à l’abri. Cappochi avait atterri bien plus.
Ça ne pouvait pas durer comme cela. Il fallait qu’elle trouve une solution pour s’en débarrasser définitivement. Elle repensa à ce que lui avait dit l’autre dragon. “Tu le battras si tu sais qui tu es”. Qui était-elle devenue ? Elle pensa à la jeune fille qui montait avec son père en portant la couronne et brutalement, le monde changea autour d’elle. Elle vit qu’elle avait retrouvé son corps de jeune fille. Elle s’interrogea sur ce qu’elle avait vécu, sur cette façon de voler, sur les griffes au bout de ses bras et elle se retrouva dragon. Elle en eut le souffle coupé. Elle refit l’essai et cela de nouveau arriva, jeune fille, dragon, jeune fille dragon… Elle n’avait pas changé tout en changeant.
Jeune fille, elle se pencha pour chercher où était Cappochi. Elle repéra la grande silhouette qui remontait la pente :
- Où te caches-tu ? Tu ne m’échapperas pas, cracheur de feu.
Moayanne se renfonça derrière les rochers. Cappochi passa sans la voir, lançant des imprécations contre ces vers volants tout juste bons à faire peur aux enfants. Elle lui emboîta le pas, sautant de roche en roche. Arrivé sur un éperon, il se retourna juste au moment où Moayanne, ayant repris sa forme de dragon, crachait son feu dans sa direction. Aveuglé par les flammes, Cappochi fouettait l’air à tort et à travers, marquant la roche sans toucher Moayanne qui s’était de nouveau réfugiée sous un auvent de pierre. Elle observa la difficulté de Cappochi à coordonner ses attaques.
- “Les yeux !” pensa-t-elle, “les yeux sont son point faible.”
- Vermine, hurlait Cappochi, et tu crois que tu peux m’avoir avec ça ! Regarde bien !
Moayanne sursauta quand elle vit le corps de son ennemi se couvrir d’yeux dont certains la regardaient. Elle se renfonça brusquement pour se mettre à l’abri. Comme rien ne se passait, elle risqua un oeil. Il était dressé de toute sa hauteur sur l’éperon rocheux. Son fouet claquait en tout sens sans privilégier sa direction. Tous ces yeux n’étaient-ils qu’un leurre ? Pour en être sure, la jeune fille se mit à découvert, prête à bondir dans le vide en cas d’attaque. Cappochi cherchait ailleurs une forme beaucoup plus grande. Rien ne se passa. Elle s’enhardit. Il regardait en bas, elle monta au-dessus de lui, faisant attention où elle mettait les pieds. Elle se lança dans le vide, pensa au vol et devint dragon. C’était enivrant. Elle attaqua Cappochi lui crachant une nouvelle fois au visage le feu brûlant de son souffle. Parmi tous les yeux, seuls deux clignèrent pour se protéger. Elle décrocha brutalement en zig zag pour éviter les retours de fouet. Arrivée au sol, elle redevint jeune fille et se glissa entre des rochers à l’abri. Quand elle sentit que la terre ne bougeait plus sous les coups de Cappochi, elle tenta de voir ce qui se passait. Une ombre couvrait le sol. Moayanne se rendit compte qu’elle était sous le monstre. La rage la prit. Elle retrouva la fureur qu’elle avait connue quand, petite, son frère aîné l’avait coincée pour lui imposer sa volonté. Il voulait le jouet qu’elle avait reçu de sa mère et Moayanne avait refusé. Cela avait dégénéré en un pugilat qui avait tourné à l’avantage du plus grand. Moayanne avait beaucoup pleuré et s’était juré que cela ne recommencerait jamais.
Pour Cappochi, ce fut comme si le sol explosait sous ses pieds. Un immense dragon blanc jaillit des entrailles de la terre, l’enveloppant dans un geyser de feu. Déstabilisé, aveuglé, il tomba en arrière, déboulant la pente qu’il venait de remonter poursuivi par les flammes sans cesse renouvelées du grand saurien.
Moayanne jubilait en voyant le monstre s’écraser dans une dernière chute. Elle cracha son feu et sa colère sur la forme répandue sur le sol. C’était d’autant plus facile que la forme restait immobile. Enfin, elle allait régler son sort. Sa joie fut de courte durée. Alors qu’elle reprenait son souffle, elle vit avec horreur les pseudopodes de la chose, qui jusque-là se tordaient dans les flots de flammes, s’appuyer sur la roche et les yeux s’ouvrirent, tous les yeux s’ouvrirent.

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