dimanche 12 juillet 2015

Césure 5

J’avais vu une ombre qui volait. La forme ne m’avait évoqué aucun animal connu. Pourtant les oiseaux m'intéressaient, surtout les plus gros. Je m’avançais doucement. Ce monde inconnu recelait tant de choses curieuses que je marchais avec précaution comme dans ce jeu vidéo, dont j’ai oublié le nom. L’ennemi pouvait être partout et il fallait le détruire avant que lui ne le fasse. Je tentais de me souvenir des consignes pour durer. Pas après pas, j’avançais. J’avais rejoint un monde d’arbres minéraux aux feuillages immobiles et tarabiscotés. Un premier bruit me mit en alerte. Ce fut comme un raclement de pierre sur pierre. Frénétiquement je regardais partout autour de moi. Alors que je scrutais les ombres sur ma droite, un ombre passa sur ma gauche. C’était gros, trop gros pour me rassurer. Je voulus regagner la hutte de Paul, l’ermite, mais un arbre de pierre ressemble à un arbre de pierre. La lumière était trop chiche pour que je découvre le lointain. Je me collais contre un tronc. Il était froid et lisse. J’entendis le flap flap d’un battement d’ailes. Je m’en éloignais le plus possible, essayant de laisser un écran entre lui et moi. Un autre raclement eut lieu sur ma droite, aussitôt suivi d’un bruit de vol lourd sur ma gauche. L’angoisse me prit. Ils étaient au moins deux. Je me reprochais d’avoir quitté l’abri de l’ermite. De nouveau je me collais contre un tronc. J’en fis lentement le tour sans rien voir. Je me sentais épié. L’endroit me semblait de plus en plus dangereux. Un peu plus loin, il me semblait voir un tronc double, à moins que ce ne soit une arche de pierre. Je ne m’interrogeais pas plus. Là-bas serait plus sûr qu’ici. Je m’élançais en courant pour y arriver plus vite. Je n’avais qu’une dizaine de pas à faire.
Je fus cloué au sol avant d’en avoir fait trois. Je sentis dans mon dos, à travers le tissu de mon costume, des griffes acérées et tout le poids d’un animal. Le souffle coupé je restais coi.
Je sentis du poids venir appuyer sur mes fesses, pendant que deux griffes puissantes semblaient tâter le haut de mon dos.
Ma vision était limitée. J’avais la joue appuyée au sol, incapable de bouger pour voir ce qui m’avait pris pour siège.
J’eus un haut le cœur quand je vis la tête d’un aigle descendre à mon niveau :
- Qu’est-c’est ça ? dit une voix aiguë.
On entendit un bruit d’ailes et comme une pierre tombant sur le sol.
La bête à tête d’aigle qui était sur mon dos, se redressant brutalement, (et) poussa un cri, comme un cri d’aigle.
- CCCC’est à moi !, siffla-t-il.
L’autre créature battit des ailes et piailla elle aussi :
- C’est assez gros, c’est partageable !
- CCCC’est à moi !
- J’l’avais vu avant  toi ! siffla l’autre.
- CCCC’est à moi ! CCCC’est moi qui l’ai pris.
Placé comme j’étais, je ne voyais aucun des deux protagonistes. La peur m’avait envahi. Je n’allais quand même pas finir en pâtée pour monstres !
Celui qui était sur mon dos, bougea brutalement, battant des ailes à son tour en piaillant. L’autre fit de même. J’espérais un combat pour pouvoir m’échapper.
- Une énigme ! siffla le deuxième, ça mérite une énigme.
Celui qui m’écrasait en partie, répliqua :
- Ça mérite pas, cccc’est à moi !
- Défi, répliqua le deuxième.
De nouveaux les deux monstres battirent des ailes en paillant. Cela eut l’avantage de me décharger d’une partie du poids. Quand tout se calma, seule une patte griffue me clouait au sol.
- Pose, dit mon tortionnaire.
- Nul ne sait d'où je viens,
nul ne sait où je vais,
et pourtant tout le monde entend ma voix
L'instant est mon domaine,
Qu'il soit premier ou dernier,
c'est dans la faiblesse que réside ma force.
La patte sur mon dos se crispa. Manifestement, la réponse n’était pas immédiate.
- Alors ? dit le deuxième.
- Ne sois pas si pressé !, répondit celui qui me tenait.
La pression sur mon dos devint moins forte, je pus alors tourner la tête. J’eus un hoquet de surprise. Des bêtes comme cela ne pouvaient exister. Si la tête et les pattes avant évoquaient un aigle, le train arrière était celui d’un lion quant aux ailes, même un condor n’en possédait pas de si grandes.
- Alors ? répéta le deuxième.
- Laisse encore du temps !
- Tu ne sais pas ! reprit le deuxième en s’avançant vers moi.
Déjà la patte qui me plaquait au sol se faisait moins lourde. J’en profitais pour sauter sur mes pieds et crier :
- MOI, JE SAIS !
Les deux bêtes me jetèrent un regard soupçonneux.
- Si je réponds, je me gagne moi-même, dis-je.
- Tout doux, l’ami. Si tu réponds, tu dois poser une énigme. Si nous ne trouvons pas, alors tu gagnes, mais pas avant. Quelle est la réponse ?
- La réponse est : le souffle. Quand le vent souffle nul ne sait d’où il vient, nul ne sait où il va mais tout le monde l’entend.
- Exact ! répondit le poseur d’énigme, et la suite ?
- A l’instant du premier souffle ou au moment du dernier, tout le monde est là à faire ma volonté malgré ma faiblesse.
Celui qui m’avait capturé émit un genre de grognement :
- Et ton énigme ?
Trop heureux d’avoir trouvé la solution, je n’avais pas pensé à une autre question. Il me fallait trouver et vite, sinon ils allaient me régler mon sort. Je cherchais mais la peur semblait me vider le cerveau. L’impatience des deux monstres devenait évidente. Alors que l’un d’eux semblait vouloir agir, l’énigme me revient à la mémoire :
- Je peux le prendre mais pas le garder
Je peux le perdre, mais pas le ramasser
Je peux le passer mais pas le prêter
Je peux le tuer mais pas le voir mourir...
Qui suis-je ?
- Je sais, dit tout de suite mon tortionnaire.
Je sentis mon sang se glacer. J’étais perdu.
- Tu es une proie. Je t’ai pris mais pas gardé.
- Tu es stupide, dit l’autre. Si tu tues ta proie, tu la vois morte.
Ils recommencèrent à se disputer. Le premier se jeta sur le deuxième. Les coups de griffes et les plumes volèrent. J’en profitais pour filer. Je me glissais de colonne en colonne jusqu’à ce que le bruit de leur dispute devienne inaudible.
Là, je m’arrêtais. Je m’assis par terre avec un grand soupir. J’étais encore vivant. Après le soulagement, vint la question de ma sortie de cet endroit. Je ne savais plus du tout où pouvait être l’ermite. J’en étais là de mes interrogations quand deux têtes surgirent devant moi, me faisant me plaquer contre la pierre.
- Alors, on pensait partir sans donner la solution, dit l’un des monstres.
- Mais peut-être qu’elle n’en a pas, dit l’autre en faisant claquer son bec tout près de mon visage.
- La solution existe, bien sûr, dis-je avec véhémence. Mais si je vous réponds, me laisserez-vous partir ?
- Si tu n’as pas triché… commença l’un des montres.
- Prendras-tu le temps ? demanda une voix grave qui les fit se retourner.
Sorti de je ne sais où, un cavalier venait de surgir. Son cheval était blanc. Il tenait un grand arc bandé dont la flèche enflammée nous visait.

- C’est le temps maintenant, il ne s’agit pas de le perdre, ajouta un autre cavalier, tout aussi impressionnant.  Il était rouge feu et ses cheveux semblaient être des flammes. Son cheval était de braises et son épée flamboyait.
- Le temps passé qui nous amène au temps fixé, dit un troisième cavalier tenant ferme une balance alors que son cheval noir se cabrait en hennissant.
C’était trop pour les monstres qui fuirent à tire-d’aile à l’arrivée du quatrième cavalier dont la grande faux était un incendie à elle toute seule. Il mit pied à terre. Il faisait deux fois ma taille. Il était blême.
Je me mis à trembler quand il s’avança vers moi. Il posa le manche de sa faux à terre, éclairant la scène de lumières dansantes. Malgré tout ce feu, je tremblais de froid. Il se pencha vers moi :
- Le temps de la fin… et tu parlais de tuer, me dit-il d’une voix aux échos caverneux.
Il se pencha encore plus. Je commençais à glisser, mes jambes ne me supportant plus. Il m’attrapa par le cou, me plaquant contre la pierre. Son visage s’approcha comme pour me scruter. De près, je remarquais que les traits de sa figure étaient composés de milliers de visages hurlant de peur.
- Oui, j’ai pouvoir de prendre la vie où qu’elle soit quand vient le temps. Ton temps est-il venu ?
Ses yeux noirs devant les miens étaient deux puits sans fond où j’allais sombrer quand le premier cavalier dit :
- Il est marqué. Regarde son front.
La pression du regard se relâcha. Le cavalier blême examina les plaies que je m’étais fait me tapant la tête contre les murs quand je fuyais.
- Son temps n’est pas encore arrivé, dit le cavalier blême en remontant sur son cheval. Allons le monde nous attend.
Je le vis disparaître au grand galop suivi du cavalier noir et du cavalier de feu. Ne resta que le blanc dont le cheval piaffait.
- Le temps est venu pour toi de te mettre en route.
Il tira sa flèche de feu.
- Va ! Suis-la ! Deviens !
Il éperonna son cheval qui n’attendait que cela pour partir au triple galop.
Bientôt, le silence revint. Mais pas la nuit. La flèche tirée, était là comme suspendue en l’air, immobile, répandant sa lumière dansante dans la nuit où je me trouvais. Quand je m’avançais pour comprendre ce phénomène, elle s’éloigna. Je fis un bond en avant, elle aussi restant ainsi juste hors de ma portée.
Je fis plusieurs tentatives pour l’attraper sans jamais y parvenir. Lassé de mes vains efforts, je décidais de suivre sa direction.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire