dimanche 5 juillet 2015

Césure 4

Je ne sais pas combien de temps je restais assis dans le noir. Il y eut comme une étincelle. Puis ce fut une puis deux, puis trois petites flammèches qui se mirent à tourner autour de moi. Elles changèrent de couleur tout en accomplissant un ballet compliqué. Cela avait un aspect joyeux et séduisant. Bientôt, j'entendis un chant dont je ne comprenais pas les paroles. On aurait dit une sorte de comptine. Cela me rappelait mes années d'enfance et les chansons joyeuses de l'école. Je me mis à fredonner l'air.
Les trois feux follets cessèrent leur sarabande.
- Ah ! Mais il chante, dit une première voix
- Et même sans fausse note, dit une deuxième voix
- Il pourrait jouer avec nous, dit la troisième voix.
Les flammèches reprirent leur danse endiablée.
- Promenons-nous dans les bois,
Pendant que le diable n'y est pas,
Si le diable y était,
Ils nous emmèneraient.
Je restais sans voix. Où était le loup de mon enfance ?
- Ah ! Mais il ne joue pas, dit la première voix.
- C'est très contrariant !, dit la deuxième voix.
- Ça mérite une leçon !, dit la troisième voix.
Je fus soudain cerné de flammes qui me touchaient aux mains ou au visage. À chaque fois c'était la même sensation cuisante. J'avais l'impression d'avoir frotté ma peau avec des poignées d'orties.
Je criais:
- ÇA SUFFIT ! ARRÊTEZ !
Rien n'y faisait. Je me levais, me mettant à courir dans la relative obscurité. Les flammèches me poursuivaient, leur luminosité trop faible ne me permettait pas d'éviter les irrégularités du tunnel. Je tombais plusieurs fois provoquant leur hilarité. Je me mis à courir comme on court pour éviter un essaim de guêpes. Je heurtais violemment le haut du tunnel. Je perdis conscience accompagné par des rires sardoniques.
Ploc, ploc, ploc !
Ce furent des gouttes d'eau qui me réveillèrent. J'ouvris les yeux. Un homme penché sur moi versait goutte à goutte de l'eau qu'il avait dans une gourde accrochée à son bâton.
- Ça va mieux ? Vous avez dû prendre un sacré coup... Vous avez une belle bosse.
La voix était grave et posée. L'homme pourrait une grande cape et un vaste couvre-chef.
Je me redressais sur un coude. Une faible lumière venait d'une lanterne.
- Qui êtes-vous ? demandais-je, rendu méfiant par ma précédente rencontre.
- Je suis un voyageur qui voyage, mais je pourrais être un pèlerin qui pèlerine. Ça dépend où vous me voyez.
Son discours était plus qu'étrange.
- Mais ne restons pas ici, poursuivit-il. J'ai croisé des feux follets. Ces diablotins sont toujours prêts à faire une vilénie. Pouvez-vous marcher ?
Je fis signe que oui et je me mis debout. Plus exactement, j'essayais. Je me retrouvais assis par terre, les yeux emplis d'étoiles.
L'homme me soutint lors de la deuxième tentative.
- Je vais vous installer sur mon âne.
Joignant le geste à la parole, je me trouvais juché sur un bât agrémenté de coussins. La bête était placide et se mit en route dès que mon sauveteur la sollicita.
Ma monture avançait en balançant doucement. Je somnolais pendant que nous avancions. Le voyageur marchait du même pas régulier, s’éclairant de son fanal. Autour de nous la nuit était toujours aussi intense et seule sa lumière en dispersait un peu la noirceur.
Je perdis encore une fois la notion du temps. Quand je me réveillais, nous approchions d’une zone où régnait une sorte d’aube. Si j’essayais de fixer la scène je voyais bien l’espèce de bâtisse au centre mais plus j’en éloignais mon regard et plus tout devenait flou et sombre.
- Nous arrivons.
Sur ces mots, il fit avancer son âne jusqu’à la porte de ce qui se révéla être un abri de pierres sèches.
Toujours aussi prévenant, il s’avança vers moi pour m’aider à descendre.
- Vous êtes assez vaillant ? m’interrogea-t-il tout en m’aidant à mettre pied à terre. À ce moment-là, un homme vêtu d’un drap enroulé autour de lui sortit. Quand je vis le drapé du tissu, je pensais à ces statues vues au musée. Je ne savais plus si elles étaient grecques ou romaines. Elles représentaient des hommes habillés comme cela…
- Bonjour, dit l’homme. Je vous attendais, le corbeau m’a amené trois pains.
Si mon compagnon ne dit rien, je manifestais ma surprise. N’osant rien dire, j’emboîtais le pas à mon guide. La pièce était petite mais propre. Dans un coin, une banquette de pierre couverte de peaux de moutons devait servir de lit. Quelques cases contenaient l’indispensable, une lampe à huile qui nous dispensait sa lumière, un plat contenant effectivement trois pains, une cruche avec de l’eau.
- Ne sois pas surpris, dit l’homme qui nous accueillait. Les corbeaux me ravitaillent chaque jour. Ils m’amènent un pain. Aujourd’hui, ils m’en ont déposé trois. Je me suis donc préparé à votre venue.
Il me disait cela sur un ton d’évidence. Intérieurement, je restais stupéfait.
Il sortit d’une case plus profonde, plus fraîche, un saladier rempli de verdure qu’il posa au centre de la pièce sur une petite table. Il me tendit le seul tabouret, invita le voyageur à se poser sur la banquette et lui, s’assit simplement à terre. Le repas commença en silence. Le voyageur fut le premier à parler :
-Je ne vais pas pouvoir rester. Il me faut continuer mon voyage. Puis-je vous le confier ? demanda-t-il à notre hôte tout en me désignant du doigt.
- Ma maison est une maison ouverte, répondit l’homme drapé.
- Si besoin, je vous dédommagerai quand je repasserai, dit le voyageur.
- J’ai quitté le monde, il y a bien longtemps, répondit l’homme drapé tout en rompant le pain. J’ai tout laissé là-bas. Ici j’ai trouvé la paix et la sérénité. J’accueille ceux qui viennent. Va par le monde faire ce qui doit être fait. Les corbeaux et moi-même veillerons sur lui.
Sans ce mal de tête qui me broyait les tempes, j’aurais protesté. J’étais assez grand pour m'occuper de moi. L’homme drapé avait repris la parole et racontait sa vie d’avant. Il avait été chef dans son pays, et un jour en avait eu assez de tous ces plaisirs qui ne le satisfaisaient jamais, de tous ces gens qui le flattaient et faisaient comme un écran à la vérité. Il avait alors entendu parler de l’ermite Antoine, là-bas dans un pays lointain. Il avait alors tout quitté pour trouver cet homme qu’on lui avait décrit comme bienheureux. Antoine l’avait accueilli comme un fils. Il l’avait aidé pendant les premiers temps. Ils avaient construit une première borie pour qu’il y habite. Antoine l’avait guidé dans ses premiers pas lorsque méditer était encore un combat. Ils avaient vécu plusieurs saisons ensemble. D’autres étaient venus, cherchant aussi ce bonheur qui ne passait pas. Quand ils furent nombreux, Paul car tel était son nom, demanda la permission de partir plus loin, seul. C’est ainsi que maintenant, il vivait loin de tout et de tous dans cet abri, ravitaillé par les corbeaux.
En entendant cela j’ouvrais de grands yeux emplis de curiosité. Mais le silence semblait de nouveau avoir étendu son manteau sur la pièce. Nous avons fini le repas en silence. Je ressentis alors une grande fatigue. Paul, l’ermite, me fit signe de prendre place sur les peaux de moutons. Je ne me fis pas prier et je m’endormis rapidement.
Je fus réveillé par un croassement. Je me levais. Paul, l’ermite était déjà en méditation. Après avoir posé un pain, le corbeau venait de redécoller. Je regardais sa silhouette disparaître dans la pénombre au loin. Autour de moi régnait une lueur comme on en rencontre à l’aube. Si je n’avais plus mal au crâne, j’avais faim. L’idée me vint de manger le pain que venait apporter le corbeau. J’en ressentis de la honte. Je ne pouvais pas faire cela à cet homme qui m’avait accueilli. Je contemplais Paul l’ermite toujours aussi immobile, le regard vers un point au loin. Seul le lent mouvement de sa respiration permettait de savoir qu’il était en vie.
Je décidais d’attendre. Le corbeau allait peut-être ramener un deuxième pain. Le temps s’étira en longueur. Si Paul, l’ermite, semblait taillé dans la pierre, j’avais déjà changé de position de nombreuses fois. Je ne pouvais pas rester là à attendre je ne sais quoi. Un mouvement au loin attira mon attention. Pour m’occuper, je décidais d’aller voir ce que c’était et revenir après. Je m’éloignais en essayant de ne pas faire de bruit.

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