jeudi 13 avril 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 11

Alors qu’il aidait Résiskia à reconstruire en pierre la maison de Burachka, Koubaye repensa à ce jour de marché. Son grand-père ne lui avait fait aucun reproche. Le vieil homme avait eu une conversation avec Gabdam avant leur départ. Koubaye n’avait pas entendu ce qu’il se disait. Il avait juste vu son grand-père hocher de la tête plusieurs fois. Alors qu’ils peinaient sur le chemin du retour, son grand-père lui avait juste dit qu’il était préférable de ne pas dire ce qu’il voyait. Il avait ajouté :
   - Les devins n’ont pas toujours une position enviable...
   - Suis-je devin ?
   - C’est trop tôt pour le dire. Il faut attendre que tu atteignes le deuxième ou le troisième savoir.
Le silence était retombé entre eux le reste du voyage.
   - Ahors tu ‘ors ?
La voix de Résiskia le sortit de son rêve. Koubaye fit un signe de dénégation et se remit au travail. Il faisait froid mais assez sec. Ils étaient obligés d’empiler les pierres. Cela prenait du temps. Résiskia choisissait avec soin chaque pierre pour lui trouver le bon endroit dans le mur. Le rôle de Koubaye était de ramener des pierres. Il faisait des allers-retours jusqu’à un pierrier situé un plus haut dans la pente.
C'est en descendant qu'il vit le chariot. Il avançait lentement. C'était une petite charrette traditionnelle dont les roues ne tournaient pas tout à fait rond. Le boeuf qui la traînait était maigre. Il était manifestement mal nourri. Koubaye pensa que cela ne pouvait pas être un attelage des seigneurs. Il pensa qu’il avait le temps de charger sa hotte. L’attelage n’allait pas bien vite. Quand il revint près de Résiskia, il lui signala ce qu’il avait vu. Ce dernier lui dit d’aller prévenir Trumas et son grand-père. Koubaye se dirigea vers la maison de Trumas. Apprenant l’arrivée d’étrangers, sa femme prit le parti de s’enfuir. Il monta vers la ferme de son grand-père. Comme Trumas, ce dernier n’était pas là. Il était occupé à soigner les troupeaux cachés.
   - Tu l’as vu, demanda la grand-mère ?
   - Oui, répondit Koubaye, ça n’a pas l’air méchant. Je n’ai vu que deux silhouettes à côté du chariot. Je ne sais pas qui c’est mais ils sont fatigués. Leur démarche est lourde.
   - Braver l’hiver et venir dans notre vallée avec la neige… alors qu’elle est sans issue… Ou ils sont perdus ou ils viennent chez l’un de nous…
   - Ils ne viennent pas chez nous. Ils vont s’arrêter avant.
La grand-mère regarda Koubaye d’un air interrogatif.
   - Quand ya personne, je peux dire ce que je veux. C’est ce que m’a dit Grand-père.
   - Oui, Koubaye, tu as raison. Quand il n’y a personne… Que vois-tu d’autre ?
   - Je vois le rouge du chariot et le feu qui en sort…
   - Je ne comprends pas, que veux-tu dire ?
   - Ils ont un pot à feu qui brûle à l’arrière et j’ai vu du rouge sur le chariot. Il doit être peint comme ça.
   - Viens !
La grand-mère ferma la porte de la maison et se mit en marche vers la maison de Burachka. Elle n’avait pas fait dix pas qu’elle se ravisait. Elle retourna à la maison, fouilla dans le placard à vaisselle et chargea Koubaye d’ustensiles divers.
   - Pourquoi prends-tu tout cela, demanda Koubaye?
   - Ils ne s’arrêteront pas chez Trumas. Il n’y a personne et sa couleur n’est pas le rouge. Ils vont aller chez Burachka. Elle aura besoin de cela. Allez, ne traînons pas !
Toujours aussi vive la grand-mère se remit en route. Koubaye la suivait en faisant attention où il mettait les pieds. Il ne voulait pas casser ce qu’il portait.
Résiskia les regarda passer sans interrompre son travail. Koubaye vit que le tas de pierres devenait insuffisant. Mais là, il avait d’autres choses à faire. On ne discutait pas avec la grand-mère. C’est toujours ce que lui disait son grand-père en maugréant quand il devait faire quelque chose qu’il ne voulait pas faire.
La cabane où vivait Burachka avait été agrandie. De part et d’autre, Résisikia avait monté des abris de pierres sèches.  Montés à la va-vite, ils étaient pleins de trous et de courants d’air. Burachaka s’en contentait pour entreposer ce qui avait été récupéré dans les caches de la maison brûlée. Elle jeta un regard étonné à la grand-mère qui arrivait les bras chargés de vaisselle.
   - Des gens arrivent chez toi, Burachka.
Cette dernière ouvrit des yeux encore plus grands et interrogatifs en entendant cela.
  - Koubaye a vu un chariot qui monte. Il en a vu le rouge…
Burachka regarda Koubaye :
   - Il est rouge ??
   - Je le vois comme cela, répondit Koubaye.
   - Combien sont-ils ?
   - J’en ai vu deux marcher, mais…
Koubaye s’arrêta de parler et regarda sa grand-mère qui lui fit signe de continuer
   - … Je pense qu’il y en a d’autres.
   - Ils étaient loin ?
   - Ils devraient arriver ce soir ou dans la nuit, avant l’heure des bayagas
Burachka sembla réfléchir un moment.
   - On va faire un feu pour les guider. La nuit sera sans lune. On pourra se serrer dans la cabane mais ont-ils des bêtes ?
   - Je n’ai vu que le boeuf qui tire le chariot.
Avec un peu de bois et surtout des bouses séchées, ils préparèrent le feu. Quand la nuit tomba, ils l’allumèrent. C’était une nuit sans lune mais pas sans étoile. Le froid devint plus intense. Koubaye, tout en se réchauffant autour du feu, scruta le ciel, recherchant les compagnes de l’étoile de Lex. On appelait ainsi le groupe d’étoiles qui se levaient avant l’étoile de Lex. Elles commençaient à monter sur l’horizon quand on entendit le grincement d’une roue. Burachka écouta, regarda le ciel et dit :
   - Cela va être juste.
La grand-mère, qui avait préparé un grand pot pour faire chauffer de l’eau, fit de même :
   - L’étoile de Lex n’est pas loin. Nous allons rentrer.
Koubaye sentit la déception l’envahir. Il allait devoir attendre pour rencontrer les premiers étrangers qui venaient dans la vallée depuis sa naissance.  Il gardait de “son âge sans savoir” l’impatience de l’enfance. Il ne le montra pas. Quand on est comme lui, entré dans l’âge du premier savoir, on se doit de laisser l’enfance derrière et de se bien comporter. Sur le chemin du retour, il interrogea sa grand-mère :
   - Burachka sait qui c’est ?
   - Non, Koubaye. Elle a bien de la famille, mais personne n’est venu depuis avant ta naissance.
   - Pourquoi ?
   - Elle a désobéi à son clan. 
Koubaye regarda le ciel. L’étoile de Lex allait bientôt apparaître et avec elle, les bayagas.
  - Et s’ils n’arrivent pas avant le lever de l'Étoile, qu’est-ce qui va se passer ? Les bayagas vont les manger ?
   - Non, les bayagas ne mangent personne. Ce qu’ils font est pire ! C’est pour ça qu’il ne faut jamais oublier de faire les rites quand on voyage…
Le grand-père les attendait sur le pas de la porte. La grand-mère changea de sujet.

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