vendredi 18 août 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 20

Koubaye mit deux jours à s'en remettre, mais le troisième, il dut repartir. Il eut l'impression de vivre le même cauchemar. Son grand-père allait mieux et arrivait à s'occuper des troupeaux près de la maison, grâce à deux bons bâtons qui lui évitaient de glisser.
Koubaye reçut une aide inattendue.
Tchuba était en colère. Riak n'obéissait pas assez à son goût. Elle avait trop tendance expliqua-t-il à la grand-mère, à se défiler et à être introuvable au moment où on avait besoin d'elle. Il avait bien tenté de la punir sans arriver à la faire changer. Burachka lui avait conseillé de demander de l'aide. Il interrogea la grand-mère. Comment faire ?
Koubaye qui rentrait avec le grand-père, n'avait entendu que la fin. Tchuba avait besoin d'aide. Ils étaient allés jusqu'aux grands enclos soigner ce qui restait des chevaux. Le matin, il avait eu le droit de dormir pendant que son grand-père soignait les moutons. Il pensait déjà au lendemain. Il lui faudrait aller s'occuper du troupeau caché. Cela faisait trop longtemps que les moutons étaient sans soin. Le fourrage devait manquer et certaines bêtes seraient sûrement mortes.
Il tendit l'oreille en entendant parler de Riak. Qu'avait-elle encore fait ? Koubaye savait qu'elle défiait constamment l'autorité de son père ou des autres. Elle ne voulait en faire qu'à sa tête.
   - Avoir des cheveux blancs ne t'empêche pas d'obéir, lui rappelait sa mère à toute occasion.
Mais Riak n'obéissait pas. Les coups ou les récompenses avaient le même effet. Elle ne faisait que ce qu'elle voulait.
Tchuba répétait ses explications. On sentait sa colère. Il disait aussi :
   - La seule solution est de lui taper dessus jusqu'à ce qu'elle cède...
Burachka avait refusé. Tchuba était l'homme de la maison, mais il était aussi l'hôte de Burachka. En tant que tel, il ne pouvait pas aller contre ses décisions.
La grand-mère compatissait à ses malheurs. Elle avait pourtant une solution à proposer. Burachka pouvait compter sur lui, sur Séas et sur Résiskia pour faire le gros travail des bêtes. Elle ne pouvait en dire autant. Elle avait un homme handicapé avec sa jambe et un trop jeune qui ne suffisait pas à la tâche. Tchuba la regarda sans comprendre. La grand-mère lui mit les points sur les “i”. Elle allait faire travailler Riak comme un homme, ainsi elle comprendrait qu'il valait mieux pour elle de faire ce que font les femmes… Tchuba trouva l'idée intéressante sans voir comment on allait pouvoir obliger Riak à se conformer à cette idée. La grand-mère lui expliqua que Riak obéirait à Koubaye. Il suffisait de les observer tous les deux. Quant à Koubaye, il obéissait à ses grands-parents car c'était un bon garçon.
   - Et on va faire quoi, demanda Koubaye ?
La grand-mère regarda son petit-fils dans les yeux :
   - Simplement ce que tu as à faire. Vous serez deux, vous irez plus vite.
   - Et si elle refuse ?
   - Elle ne te refusera pas. Tu n'es pas un adulte…
La grand-mère se tourna vers Tchuba :
   - Envoie-la demain à l'aube.
Devant l'air sceptique de son interlocuteur, elle ajouta :
   - Dis-lui que Koubaye a besoin d'elle.

Koubaye, à peine réveillé, pensait à ses tâches à accomplir, tout en mangeant. Sa grand-mère avait été claire. Riak devait aider. Son rôle serait qu'elle le fasse. Koubaye n'aimait pas ce rôle. Mais il ne pouvait pas contredire sa grand-mère. Il n'avait pas osé lui dire non. Maintenant il était lié par sa parole. Il se demanda comment Riak allait prendre ça…
Elle arriva avant qu'il ait fini de manger. La grand-mère la salua, tout en lui mettant un bol de soupe chaude dans la main. Koubaye lui trouva un air joyeux, ce qui le mit encore plus mal à l'aise.
Ils partirent sous un ciel qui commençait à flamboyer. Si Riak était heureuse de quitter le hameau et ses adultes, Koubaye ruminait de sombres pensées. Chemin faisant, il s'aperçut qu'il était beaucoup plus agréable de marcher à deux. Le temps lui sembla moins long. Une fois à la combe Lawouden, il n'y tint plus et commença à expliquer à Riak ce qu'elle allait devoir faire. Cela la fit rire. Devant l'air dépité de Koubaye, elle lui raconta qu'elle avait surpris une conversation entre ses parents. Elle se doutait bien qu'on ne l’envoyait pas avec lui pour lui faire plaisir.
   - Mais tu te doutais de ce qui t'attendait ?
   - Non, pas vraiment, mais tout vaut mieux que de rester avec eux !
Elle continua ses explications en mettant en cause le jugement des adultes.
   - Il m'envoie avec un Sachant. Ils ne se doutent même pas que Rma peut décider à tout moment de changer la trame du temps...
Koubaye ne comprit pas ce qu'elle voulait dire. Tout à sa joie de la voir de bonne humeur, il préféra ne pas relever. Soulagé de ne plus avoir à porter de secret, il consacra le reste de voyage à discuter de tout et de rien avec elle.
Quand ils arrivèrent à la grotte aux moutons, ils commencèrent par faire le bilan. Il y avait le nettoyage avec l'évacuation des bêtes mortes, l'approvisionnement pour les jours prochains sans oublier de remplir les abreuvoirs. Koubaye apprécia d'avoir quelqu'un avec lui. Ses grands-parents avaient raison. À deux, tout était plus facile. Épuisés de s'être dépêchés, ils firent une pause avant de rentrer. Koubaye sortit de sa musette ces petits fromages secs aux baies rouges qu'il aimait tant. Il partagea avec Riak cette gourmandise. Avant de partir, ils tirèrent dehors les carcasses des bêtes mortes. Ce fut la tâche la plus difficile de la journée. Avec la chaleur de la grotte, elles avaient commencé à se décomposer. Malgré leur répugnance, Koubaye et Riak, munis de cordes et de bâtons, les amenèrent dehors et les poussèrent dans une ravine. Le froid ferait son travail. Ainsi, au printemps, comme chaque année, les nécrophages de tout poil finiraient le nettoyage. Koubaye jura :
   - On a perdu trop de temps à les sortir… Regarde ! Le soleil est déjà très bas.
   - Et alors, lui dit Riak, on rentrera en retard et puis c'est tout.
    - Tu oublies les bayagas !
  - Si tu veux mon avis, c'est un conte pour bonne femme… 
En entendant cela Koubaye se fâcha. Il n'avait aucune envie de vérifier l'hypothèse de Riak. Elle n'insista pas. Ils durent courir pour arriver à temps. L'étoile de Lex se levait quand le grand-père ferma la porte :
   - J'ai prévenu tes parents. Ils savent que tu dois dormir ici au cas où vous rentreriez tard.
Riak haussa les épaules. Déjà elle avait les paupières lourdes. Elle mangea très peu et s'endormit dès qu'elle eut posé la tête sur l'oreiller.

Les deux jours qui suivirent furent aussi très occupés. Le grand-père fit travailler Riak et Koubaye dans l'enclos des grandes bêtes. Si son petit-fils connaissait bien le travail, Riak découvrait. Chaque soir elle s'effondrait sur son lit, épuisée. La grand-mère en était très heureuse. Elle allait faire part de cet état de fait à Tchuba.
À l'aube du troisième jour, les deux jeunes étaient prêts pour aller à la grande grotte. Le grand-père tiqua en ouvrant la porte. Le ciel était couvert. Faisant une grimace, il insista auprès des jeunes pour qu'ils se dépêchent…
   - La neige ne devrait pas tomber aujourd'hui. Ne perdez pas de temps. Il faut que vous soyez revenus avant.
Alors qu'ils n'avaient fait que la moitié du chemin, des flocons se mirent à voleter autour d'eux. Sans même se regarder, ils pressèrent le pas. Koubaye surveillait sans rien dire qu'ils ne laissaient pas de trace. Sur le sol gelé, il fallait  être très malin pour suivre une piste. Avec la neige fraîche, c'était une toute autre histoire. Il dit à Riak :
   - On ne risque rien. Elle ne va pas tenir.
   - Si tu le dis, alors...
Koubaye comprit que pour Riak, ce qu'il disait, devenait une certitude.
Ils continuèrent à marcher vite malgré tout. Il y avait beaucoup à faire, et même à deux, pourraient-ils sortir les carcasses des bêtes mortes ?
La neige cessa bien avant qu'ils arrivent à la grotte. Riak le fit remarquer à Koubaye. Ce dernier s'interrogea. Avait-il le pouvoir de faire avenir les choses ? Ou n'était-ce que le hasard ? Il ne savait toujours pas.
Ils trimèrent comme des fous toute la journée. Heureusement pour eux, qui si les bêtes étaient très affaiblies, une seule était morte. À l'aide d'un des chevaux, le plus docile, ils purent la tirer dehors. Koubaye ramena le cheval dans la grotte malgré ses protestations, ce qui lui demanda des efforts énormes. Riak lui facilita considérablement la vie en proposant au cheval des friandises qu'elle avait dans ses poches. Après cela, ils obstruèrent soigneusement le couloir d'entrée avec les barrières d’épineux, Koubaye expliquant à Riak que si une bête s’enfuyait, il n'oserait même pas rentrer chez lui.
Riak lui répliqua que si le grand-père n'était pas content, il n'avait qu'à le faire lui-même…
Cela fut leur discussion sur une bonne partie du chemin.
Quand ils atteignirent les enclos près de la maison, de gros flocons se mirent à tomber sans bruit. Koubaye sut qu'ils allaient tenir.

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