mercredi 30 août 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 21

Sorayib allait mieux. Il avait repris ses activités habituelles, ou presque. Il utilisait le prétexte de mettre au pas Riak pour se décharger de l'entretien de la grotte aux moutons. Avec la neige qui était revenue en force, il fallait faire des tours et des détours pour y aller sans laisser de trace.  Koubaye devait réfléchir pour deux. Riak ne semblait pas comprendre ces nécessités. Ce qu'avait prévu la grand-mère se révélait vrai. Si Koubaye demandait quelque chose à Riak, elle le faisait. Si c'était un autre, cela dépendait de l'humeur de la jeune fille. Ils marchaient vers la combe Lawouden, quand Koubaye marqua une pause. Il regarda le ciel, renifla un coup.
   - Qu'est-ce qui se passe, lui demanda Riak ? Il faut faire encore des détours ?
   - Non, c'est pas cela, répondit Koubaye. Tu ne sens rien ?
 Riak se mit à renifler le nez au vent.
   - Non, je ne sens rien. Qu’est-ce que tu veux sentir avec ce froid ?
   - Le vent ! Le vent est différent. Il est plein de froid et de colère…
   - De colère ?
   - Oui, de froid et de colère ! Tu ne le sens pas
   - Je ne sens rien. Qu'est-ce que tu veux dire ?
Koubaye fit un tour sur lui-même. Il regarda à nouveau vers le nord.
   - La tempête arrive. Youlba est en colère, déclara-t-il. Dépêchons-nous.
Joignant le geste à la parole, il se mit à courir faisant fi de toutes les ruses. Riak lui emboîta le pas avec un peu de retard.
Les premières bourrasques les bousculèrent non loin de l'éboulis de la grotte aux moutons. Ils utilisèrent les semelles d'épines de roncier noir. Cachés derrière un rocher, ils les mirent sous leurs pieds, puis prirent la paire de rechange et les fixèrent sur leurs gants. Criant pour se faire entendre, Riak dit :
   - Tu ne crains pas ta grand-mère ? On va bousiller nos gants…
   - Vaut mieux ça que de finir congelé…
Koubaye s'élança le premier. Plié en deux, il bloquait un pied entre deux rochers et frappait le sol de toutes ses forces pour que les épines accrochent la glace. Riak le suivait tant bien que mal. Elle glissa plusieurs fois, perdant l'équilibre. Elle voyait Koubaye la distancer, mais trop légère, elle ne suivait pas. Les larmes lui montèrent aux yeux, quand le grésil se mêla au vent. Complètement aveuglée, elle se cachait dans un renfoncement entre deux blocs de roche. Le vent hurlait, la visibilité était nulle. Riak sut qu'elle était perdue. Elle ne tiendrait jamais jusqu'à la fin de la tempête. Elle se pelotonna sur elle-même pour garder sa chaleur. Elle se remémora les phrases des vieux qui disaient que mourir de froid c'était comme s'endormir. La peur envahit son coeur. Elle voulait vivre.
Riak ne garda que des souvenirs flous de ce qui s’était passé ensuite. Elle avait des impressions de lutte, d’effort épuisant et puis ce laisser-aller dans la grotte. Il y faisait tiède et le bruit des bêtes la rassurait. Elle s’endormit.
A son réveil, elle découvrit Koubaye qui faisait réchauffer une soupe. Elle se dressa sur un coude.
-   Ça sent bon !
Koubaye se retourna vers elle :
-   Ah ! Tu es réveillée…
Il versa de la soupe dans un bol et lui amena avec une cuillère.
-   J’ai cru que je n’arriverais jamais à te monter… Mange ! On parlera après.
Riak ne dit rien. Elle prit le bol et commença à manger doucement. C’était chaud. Cela lui faisait du bien. Koubaye s’installa en face d’elle. Il posa des galettes entre eux deux. Il faisait très sombre. La grotte n’était éclairée que par le feu.
-   Il fait nuit ?
-   Oui, répondit Koubaye. L’étoile de Lex est levée.
-   Ah !
Ils reprirent leur repas.
-   J’ai dormi longtemps ?
-   Oui, toute la journée.
De nouveau le silence s’installa entre eux. Les bêtes bougeaient doucement.
-   Tu as tout fait ?
-  Oui, ça a été. Il n’y avait pas de bêtes mortes. Dehors la tempête faisait rage. Dans la grotte, on n’entendait que le lointain sifflement du vent en rafale.
-   Youlba est toujours en colère.
-   Oui, comme si elle voulait engloutir le monde sous la neige. Il faudra dégager l’entrée pour pouvoir sortir.
-   Alors, on est bloqués ici.
-   Oui, j’ai regardé nos provisions. On a de quoi tenir deux, trois jours en faisant attention.
Ils finirent leur bol en silence.
-  Maintenant, il faut dormir, reprit Koubaye. Demain, il fera jour.
Ils se mirent ensemble sous les couvertures de peau de mouton. Le sommeil fut rapide à venir.

Riak se réveilla la première. Une faible lueur envahissait la grotte. Elle s’était éveillée plusieurs fois. Le manque de lumière l’avait vite convaincue de ne pas bouger. Koubaye dormait encore en chien de fusil, tourné vers la paroi. Elle se leva doucement. Le feu était froid. Elle le ralluma et s’attela à préparer la soupe. Les bêtes s'agitèrent. Dehors, on entendait encore des rafales de vent. Elles étaient courtes mais bruyantes.
-   Youlba se calme.
La voix de Koubaye la fit sursauter.
-   On va pouvoir rentrer alors.
-   On mange et on va voir si on peut sortir…
Ils se hâtèrent de manger et allèrent inspecter le tunnel
-   Comment fait-on, demanda Riak quand elle vit que tout le tunnel était bouché par la neige?
-   Il y a la pelle et puis la houe. On va creuser.
Ils retournèrent dans la caverne chercher les outils. La pelle était plus lourde. Koubaye se la réserva. La neige n’était pas tassée. Koubaye creusait avec entrain, ne ménageant pas sa peine. Il envoyait la neige derrière lui et Riak la déblayait en l’étalant et en la tassant. Rapidement, la fatigue se fit sentir et Koubaye dut ralentir le rythme. Quand ses bras se firent lourds, il s’arrêta, et prit appui sur la manche de la pelle pour se reposer.
-   On en a pour la journée…
Riak, qui avait aussi posé son outil, soupira :
-    Et bien, on n’est pas rentrés…
Elle ajouta après un temps de silence :
-   Ils vont s’inquiéter. Tu crois qu’ils vont venir ?
Koubaye regarda Riak, réfléchit un moment avant de dire :
-   Je crois qu’il ne marche pas assez bien pour s’aventurer dans toute cette neige. Mais peut-être que les tiens vont venir… Mais non, jamais mon grand-père ne les conduira ici. Tu as vu, il t’a fait jurer par Thra que jamais tu ne révèlerais où tu allais… Allez, on reprend.
Plus lentement, ils reprirent leur manoeuvre. Quand ils s’arrêtèrent pour manger, Koubaye fit part de son optimisme. Le vent était tombé. Ils allaient pouvoir creuser vers le haut pour sortir.
Tout en mangeant, ils discutèrent, s’étonnant de l’épaisseur de neige, essayant de deviner comment ils allaient retrouver le hameau.
Ils avaient chaud à creuser comme cela. Ils avançaient plus lentement. Les muscles étaient douloureux. Utiliser la pelle pour creuser en hauteur épuisait Koubaye qui s’arrêtait fréquemment. Riak en était satisfaite. Elle avait moins de neige à étaler. Au-dessus de leur tête, la neige devenait lumineuse. Koubaye, dont les épaules brûlaient de douleur, posa sa pelle. Il transpirait beaucoup.
-   Je vais boire un peu, dit-il à Riak.
Il passa derrière elle. Dans le couloir un peu plus loin, il avait posé une cruche pleine de l'eau de la source qui coulait au fond de la grotte. Riak le regarda passer. Elle soupira. Encore un peu et ils auraient fini. Elle espérait que Youlba n'allait pas refaire ce qu'ils venaient de défaire. Elle leva les yeux vers la neige qui restait encore au-dessus d'elle. Elle fut surprise de voir la lumière diminuer brusquement. Le toit neigeux s'effondrait dans un bruit mou. Elle recula d'un pas. Une masse noire sembla surgir du tas de neige. Sans même réfléchir, elle asséna un grand coup de houe dessus. Elle vit rouler quelque chose sur sa droite, sans avoir le temps de comprendre ce que c'était. Une autre masse sombre venait de sauter dans le tunnel. Riak, qui s'était reculée d'un pas, frappa ce deuxième loup horizontalement, lui emportant une partie du museau. Le loup hurla sa douleur et en reculant bloqua le troisième qui arrivait. Elle mit à profit ce moment pour fuir et avec Koubaye, ils mirent la barrière d’épineux au milieu du passage. C'est alors que la peur envahit leurs esprits.
-   Des loups !
Koubaye répéta cela plusieurs fois comme si la réalité avait du mal à pénétrer son esprit. Ils restèrent ainsi un moment. Riak tremblait tellement que Koubaye dut la prendre dans ses bras en lui disant :
-   On est vivants… on est vivants…
Des bruits horribles de craquements et de mastication venaient du tunnel. Les loups s'entre dévoraient.
Une fois un peu calmés, Koubaye et Riak retournèrent près des moutons qui s’agitaient. Derrière eux les loups s'approchèrent de la barrière d’épineux, cherchant une faille qui n'existait pas. Quand la nuit vint, ils en étaient encore à chercher un passage. Dans la grotte, personne ne dormait. Les loups hurlaient dehors régulièrement.
Riak et Koubaye s’assoupirent avant l’aube. Les loups n’avaient pas trouvé d’entrée. Le silence avait pris la place de leurs hurlements. Il n’en était que plus inquiétant.
   - Il fait jour, dit Riak !
   - Oui, répondit Koubaye en s’étirant. Les loups ont dû partir. On ne les entend plus.
   - Sauf s’ils nous attendent… J’aime pas les loups !
Koubaye ferma les yeux un moment puis en les rouvrant, ajouta :
   - Youlba est partie ailleurs et les loups la suivent...
Riak soupira et se détendit. Ils allaient pouvoir sortir et rentrer à la maison.

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