lundi 11 septembre 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 22

Riak avait tué deux loups. Koubaye n’en revenait pas. Riak se défendait en disant que le deuxième avait été achevé par le reste de la meute. Ils n’en avaient pas parlé à leur retour. D’un commun accord, ils avaient préféré ne pas inquiéter les adultes. La seule question de la grand-mère avait été de savoir s’ils avaient été dans les tunnels sous la montagne. Quant au grand-père, il les avait interrogés sur l’état du troupeau.
Quelques jours plus tard, alors qu’ils déjeunaient avant de repartir pour les grottes, Sorayib avait demandé :
   - Vous n’avez pas été embêtés par les loups ?
Riak avait répondu avec un sourire candide :
    - On les a entendus hurler, on a vu des traces en revenant mais c’est tout.
   - On est à la saison des hautes neiges et les loups viennent chercher ce qu’ils ne trouvent plus. Ils sont fils de la guerre. Je vais vous donner des épieux… au cas où. J’ai vu leurs traces qui allaient vers la plaine.
Ils s’étaient retrouvés avec deux solides bâtons dont la pointe passée au feu pourrait résister à la charge d’un loup. Le temps avait retrouvé son calme. La journée se passa tranquillement. Riak prenait goût à faire ce que font les garçons. Elle était toujours aussi difficile avec sa famille. Elle passait le plus clair de son temps à aider Koubaye et les siens en expliquant qu’il y avait trois hommes chez Burachka et seulement deux chez Koubaye. Elle appréciait surtout cette liberté d’aller et venir.
Le temps se réchauffait doucement. On s’approchait de la saison de grandes pluies. La neige avait beaucoup fondu. Les trajets devenaient plus faciles.
Riak s’amusait beaucoup à distancer Koubaye. Elle avait appris les techniques pour ne pas laisser de traces et en inventait de nouvelles. Elle surprenait régulièrement Koubaye qui était un peu jaloux de sa discrétion.
Lorsqu’ils étaient retournés à la grotte après l’attaque des loups, ils avaient nettoyé le couloir, enlevant les restes des deux carcasses dans le couloir d’accès. Le troupeau avait fondu de moitié durant cette longue saison froide. Koubaye avait fait le compte du fourrage qui restait et déclaré à son grand-père qu’il y en aurait assez. Il était venu voir et avait confirmé. C’est en sortant de la grotte, alors qu’il remettait les épineux, qu’il avait découvert des dents de loups par terre. Les enfants étaient déjà sortis. Sorayib les avait ramassées.  Il les avait longuement regardées. Plus que des dents, il y avait de l’os avec et un os qui avait été tranché. Il mit sa trouvaille dans une des poches de son manteau et se dépêcha de rejoindre les enfants, s’il pouvait encore les appeler comme ça. Si Koubaye avait été capable de faire ça à un loup alors, ce n’était plus un enfant.
Les premiers nuages apparurent peu après ainsi que les premières pluies. Fines, irrégulières et gelées, elles apportaient surtout du désagrément. Mais le grand-père était heureux. Ses rhumatismes le feraient moins souffrir avec la remontée des températures. Koubaye n’aimait pas cette saison. Tout devenait humide pendant des jours et des jours.
Entre les pluies, la neige continuait à tomber. Le paysage restait blanc. Riak racontait que dans la plaine, la neige disparaissait rapidement. Koubaye pensait qu’ils avaient de la chance au village. Ici le froid et l'humidité pénétraient partout. Malgré cela les bêtes demandaient toujours des soins. Il fallait aller jusqu’aux grottes malgré les chemins de plus en plus glissants. Riak et Koubaye continuaient à s’occuper des ovins à la maison ou dans les grottes. Les animaux devaient encore attendre avant de pouvoir sortir. Le grand-père ne voulait pas qu’ils se blessent en glissant sur les rochers. Riak trouvait l’escalade du pierrier pour atteindre le grotte de plus en plus difficile. Koubaye faisait le fier. Pourtant il appréhendait cette montée autant que la jeune fille. L’un comme l’autre était déjà tombé, se blessant sur les pierres du chemin.
Petit à petit le blanc laissa la place au vert dans le fond des vallées. Le sol était spongieux et la température remontait. On ne voyait plus le soleil toujours caché derrière une épaisse couche de nuages.  La saison des grandes pluies avançait. Koubaye ressentait de plus en plus d’impatience. Il n’attendait que la permission de son grand-père pour sortir les bêtes. Riak ne partageait pas cette impatience. Elle avait entendu qu’elle retournerait chez Burachka à ce moment-là. Elle se refusait à cette idée, préférant la liberté qu’elle vivait à l’enfermement qu’elle craignait.
Ce jour-là, la pluie avait cessé depuis quelques jours et si le ciel était très bas, Koubaye espérait pouvoir atteindre les grottes sans se faire mouiller. Munis de leurs musettes, ils se mirent en route. Le vent se leva quand ils dépassèrent la combe Lawouden. Petit à petit les rafales se firent plus violentes et les nuages plus noirs. La pluie les cueillit au pied du pierrier. Ils finirent sous des trombes d’eau glacée, laissant des traces mouillées dans tout le couloir d’accès. Cela les fit rire. Ils regardèrent l’eau tombant comme un rideau à l’extérieur, heureux que le couloir soit légèrement ascendant. Puis ils s’enfoncèrent sous la montagne.
Les bêtes étaient calmes. Ils se déshabillèrent, enlevant tout ce qu’ils pouvaient de ce qui était mouillé. Dans la grotte, il faisait assez chaud. Les ovins maintenaient une bonne chaleur. Bouger le fourrage, acheva de les réchauffer. C’est Riak qui donna l’alerte :
   - La source ! Elle déborde !
Koubaye courut rejoindre la jeune fille. Le filet d’eau qui coulait habituellement avait fait place à un petit torrent glougloutant, débordant de son lit naturel pour se répandre dans le couloir.
   - Il ne faut pas que ça coule sur les moutons ! dit Koubaye.
   - Mais que veux-tu qu’on fasse ? Pour le moment ça part vers l’extérieur.
Ils continuèrent leur travail. Les animaux commençaient à s’agiter au fur et à mesure que le bruit de l’eau augmentait. Régulièrement, l'un ou l'autre allait voir dans le couloir d'entrée. L'eau y prenait de plus en plus ses aises, et la pluie continuait.
Alors que Riak remontait en décrivant comment la vallée se transformait en rivière, Koubaye se battait avec le fourrage. Il tentait de décoincer une botte de foin bloquée par une stalagmite. Au moment où il parvenait à la faire descendre, Koubaye sentit la terre trembler sous ses pieds. Puis un grondement emplit la grotte et il fit nuit.
   - Koubaye, qu’est-ce qui arrive ?
   - Je ne sais pas… Je ne sais pas…
Les bêtes émettaient des bêlements angoissés tout en s’agitant. Riak tâtonnait pour trouver un repère. Koubaye suivait la paroi pour atteindre la niche où étaient les réserves. Il arriva à battre le briquet et à allumer un feuluit. Ainsi équipé, il alla dans la grande grotte rejoindre les moutons. Il pateaugeait dans l’eau. Le ruisseau de la source n’avait fait que grossir et était devenu un vrai torrent. Koubaye repéra Riak. Il alla vers elle, l’éclairant pour qu’elle se retrouve.
  - On est enfermés ?
 - Il faut que j’aille voir dans le couloir ce qu’il se passe. Tiens, va vers les moutons et essaie de les calmer.
Koubaye lui passa une branche de feuluit qu’il alluma et la laissant aller vers la grotte. Quant à lui, il suivit le ruisseau vers la sortie. Plus il avançait et plus l’eau montait le long de ses jambes. Il s’arrêta quand l’eau lui arriva à mi-cuisse. Il avait à peine atteint la barrière d’épineux. Il savait qu’il fallait encore descendre pour sortir. Il pensa avec horreur qu’ils étaient enfermés. Il resta un moment-là, ne sachant quoi faire. L’eau décida pour lui. Elle avait encore monté, lui mouillant les fesses. Koubaye recula. La grotte allait être inondée. Il remonta rapidement. Il fallait qu’ils sortent de là.
Il repéra Riak grâce à la lueur de son feuluit. Elle était près des chèvres. Il s’approcha d’elle tout en réfléchissant à ce qu’ils pourraient faire.
   - On ne peut pas rester là, lui dit-il. L’eau va tout envahir.
Riak regarda autour d’elle. Koubaye ne voyait pas ses yeux mais devinait sa panique. Plus il réfléchissait et plus il pensait au troupeau. Il ne pouvait pas laisser toutes les bêtes se noyer.
   - On va emmener le troupeau....
   - Mais par où on va passer ?
   - J’ai déjà trouvé un passage… mais avec le troupeau ça va pas être facile. Il nous faut des cordes.
   - Mais comment tu veux qu’on porte tout ça ?
   - On va mettre des sacs sur le dos des moutons…
Joignant le geste à la parole, il se dirigea vers les réserves. Il y avait de vieux sacs et des cordes plus ou moins en bon état.
   - Regarde, il y a tout ça… mais prends les moins mauvais sacs, certains tombent en poussière.
Les deux jeunes s’agitèrent beaucoup, oubliant que l’eau montait inexorablement. Quand ils eurent chargé tous les moutons possibles, Koubaye mit un licol au bélier et au bouc.
Quand ils prirent le couloir, la source débordait toujours et la moitié de la grotte était envahie par l’eau.  Les bêtes ne firent pas de difficultés, trop contentes de quitter la grotte. Ils marchaient à la lueur de deux feuluit. Koubaye ouvrait la marche et Riak suivait au milieu des chèvres. Koubaye se rappelait son premier voyage sous la montagne et certains passages. Il pensa à toutes les difficultés qui les attendaient et se demanda comment il allait faire escalader la corniche à tout son troupeau. Bien qu’ayant perdu beaucoup de bêtes à la saison des hautes neiges, il en restait encore assez pour que cela lui semble impossible.
Au pied du premier escarpement, il fit une reconnaissance. Il fait passer Riak et les chèvres qui escaladèrent les cailloux avec facilité. Riak était tombée plusieurs fois. Elle s’était cognée encore plus souvent, mais elle ne se plaignait pas.
   - En haut, avance un peu à droite dans le plus grand des tunnels, je te rejoins avec les moutons.
Quand la lumière du feuluit eut disparu, Koubaye soupira de soulagement. Riak était en sécurité. Il entreprit de faire monter le bélier qui renaclait un peu. La vingtaine de brebis qui restait le suivit. Arrivé en haut, il les laissa le temps de descendre chercher quelques moutons qui étaient restés. Il dut abandonner sa tâche quand il s’aperçut que l’eau arrivait. Il remonta rapidement. La peur le suivait. La grotte débordait maintenant dans le couloir qu’ils venaient de quitter. Koubaye remonta aussi vite qu’il put. Tant pis pour les moutons qui ne suivaient pas.
Riak l’attendait en haut. Koubaye vit que sa branche de feuluit tremblait.
   - On entend couler l’eau partout, dit-elle. Tu crois qu’on va passer ?
Une image s’imposa à Koubaye, celle d’une cataracte puissante, bruyante. Il sut qu’ils ne passeraient pas là où il était passé seul. Une autre image suivit.
   - La chèvre ! La chèvre qui a une tache brune !
Riak le regarda comme s’il devenait fou. Koubaye se mit à chercher dans le troupeau des caprins, la seule bête qui était tricolore. Quand il l’eut trouvée, il lui passa un licol et se tourna vers Riak :
   - C’est elle qui va nous conduire. Son instinct va nous guider.
Ils se remirent en route confiant leur destin à une chevrette.

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