dimanche 24 septembre 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 23

Koubaye ne comprenait rien au chemin de la chevrette. Ils passaient de tunnels où ils pouvaient marcher debout à des boyaux où les plus grandes des bêtes avaient du mal à passer.
Ils avaient perdu toute notion du temps. De nouveau la chevrette avait disparu. Heureusement, elle était rattachée à Koubaye par sa longe. Il était fatigué. Il sentait à la tension de la corde qu’elle s’était arrêtée. C’était à chaque fois la même chose, elle allait aussi loin qu’elle pouvait, grimpant les éboulis et les escarpements en se jouant. Puis une fois dans le noir, elle attendait que lui arrive la lumière des feuluits. Elle leur avait fait traverser plusieurs cours d’eau souterrains. Koubaye essayait de conserver le maximum de bêtes. Lors d’une pause, il avait tenté de les compter. Cela lui avait laissé un goût amer. Il en manquait beaucoup. Son grand-père ne serait pas content. Il pensait à sa réaction en grimpant l’éboulis. Il faisait attention à ne pas tomber, tout en ne laissant pas trop de liberté à son guide dont il sentait l’impatience. Presque en haut, il se retourna. dans le noir, il vit la silhouette de Riak vaguement éclairé par son feuluit qui poussait les bêtes dans la pente. Koubaye traînait toujours le bélier et le bouc chargé de leurs affaires. Tout était mouillé depuis qu’ils avaient traversé et même suivi une sorte de ruisseau. Riak était même tombée dedans, éteignant son feuluit. Cela les avait obligés à avancer assez longtemps à la simple lueur de celui de Koubaye. Dès qu’ils avaient retrouvé un sol juste humide, ils avaient rallumé avec difficulté un nouveau rameau.
   - Il va falloir qu’on s’arrête…
La voix de Riak avait résonné dans le couloir.
   - J’en peux plus !
  - Encore un effort, il y a un petit courant d’air dans un des couloirs… on ne doit pas être loin d’une sortie.
Riak soupira bruyamment. Elle n’ajouta rien. Elle savait que Koubaye avait eu raison de partir. Elle était fatiguée, non épuisée serait plus juste. Les bêtes trébuchaient autant qu’elle. Ils auraient des blessures à soigner. La nouvelle d’une sortie prochaine lui redonna un peu de courage. Elle escalada l’éboulis en s’aidant des mains. Arrivée en haut, elle chercha des yeux la lueur de l’autre feuluit. Koubaye était déjà reparti. Il semblait même lutter avec la chevrette qui le tirait en avant. Elle y vit un présage favorable.
Koubaye fut étonné par la tension sur la longe. Son guide semblait impatiente d’aller de l’avant. Qu’avait-elle senti ? Il la retint du mieux qu’il put pour que ce qui restait du troupeau suive. Le couloir était maintenant facile à parcourir. Koubaye sut qu’ils étaient dehors quand il reçut la pluie sur la tête. Il faisait nuit, mais il sentait le vent tournoyer autour de lui. Il se retourna et cria :
   - Ça y est ! On est dehors !
Sa joie fut de courte durée. Il avait entendu l’écho de son cri. Il s’arrêta, essayant de percer la nuit et la pluie. Étaient-ils dehors ou pas ? Il cria dans plusieurs directions, à chaque fois l’écho lui revint. Riak l’avait rejoint :
   - Qu’est-ce qui se passe ? Il pleut ça ne veut pas dire qu’on est dehors ?
   - On est dehors sans l’être… enfin, je crois…
La chevrette tirait toujours. Koubaye la suivit. Elle escalada un monticule. À la lueur de son feuluit, Koubaye découvrit qu’elle broutait. Il leva sa lumière sans rien découvrir de plus. Il rejoignit Riak :
   - Faut qu’on trouve un abri. Je ne sais pas l’heure mais l’étoile de Lex ne doit pas être loin.
Riak frissonna à l’évocation :
   - Par où on cherche ?
  - La chevrette tire par là, répondit Koubaye en tendant le bras, on va dans l’autre sens. Il doit bien y avoir une paroi...
Riak éclaira le sol de son feuluit et avança avec prudence. Elle s’était trop cogné, trop fait mal en tombant. Elle voulait se poser et dormir. Quand la lumière augmenta, elle crut que Koubaye la rejoignait. Elle leva les yeux et poussa un petit cri. Une flammèche bleutée se trouvait devant elle. Elle se redressa et regarda autour d‘elle. Il y en avait d’autres, éclairant l’endroit comme l’auraient fait mille feuluits. Koubaye tenant haut sa branche lumineuse, semblait aussi étonné qu’elle. Elle lui cria :
   - C’est quoi ces trucs ?
   - Je… je sais pas...
Koubaye reconnut la grotte au toit effondré. C’est là qu’il avait passé cette nuit avant de retrouver son grand-père. Les grandes pattes ne devaient pas être loin. Cette pensée fut immédiatement remplacée par l’apparition de toutes ses choses qui semblaient grandir et prendre consistance. La vérité s’imposa à lui dans toute son horreur… Des bayagas… c’étaient des bayagas. Toutes ces formes dansaient autour d’eux un ballet aérien, les frôlant dans des crépitements désagréables. Riak et Koubaye se rapprochèrent. Il les fit manoeuvrer pour atteindre l’alcôve dans laquelle il avait passé la nuit. Un des ectoplasmes devint rouge accélérant sa danse. A chacun de ses passages près d’eux, ils ressentirent une brûlure sur la peau. A chaque pas, ils se rapprochèrent de ce qu’ils espéraient être un abri. Les bayagas changeaient. Ils perdaient leur transparence. Des dents, des griffes, des mâchoires apparurent au bout d’appendices plus ou moins improbables. Le courage de Koubaye fondait comme neige au soleil. Une voix grinçante émergea du plus proche. Des dizaines de bouches apparaissant un peu partout la proclamaient :
   - N’est-ce pas là, celui qui nous avait déjà défiés ….
D’autres bouches répondirent :
   - Mais oui, il était resté caché derrière son manteau...
Koubaye qui protégeait Riak autant qu’il pouvait, marmonna :
   - C’est pas vrai, j’ai juste dormi...
Les formes étaient de plus en plus près, de plus en plus consistantes avec leurs griffes qui passaient si près de son visage. Koubaye se dit que jamais ils n’atteindraient le recoin. Il glissa sa main jusqu’au couteau qu’il portait toujours. D’un coup, il le brandit tout en poussant Riak contre la paroi, tentant de faire de son corps un rempart. Les bouches se mirent à rire, se moquant de son arme de pacotille. C’est alors qu’apparurent des lances et des épées. Koubaye transpirait de peur devant ces armes tournoyantes. Une des bayagas plus solidifiées que les autres s’avança, faisant tournoyer ses épées. Quand l’une d’elle s’abattit sur Koubaye, il y eut un violent bruit d’acier rencontrant l’acier. Riak avait surgi, le poignard à la main. Le temps sembla s’arrêter. Les bayagas s’immobilisèrent. Koubaye regarda Riak. Ce qu’elle tenait en main était une dague de bonne taille. Il n’en avait jamais vu d’aussi belle. Son grand-père et lui n’avaient que de méchants couteaux qui s’affutaient mal. Dans cette pénombre l’acier luisait. Riak, debout, rejeta le capuchon qui la protégeait de la pluie. Ses cheveux blancs s’étalèrent sur ses épaules. Les bayagas frissonnèrent. Un murmure les parcourut :
   - La dague blanche est revenue… la dague blanche est revenue… La DAGUE blanche EST REVENUE… LA DAGUE BLANCHE EST REVENUE...
Le cri maintenant résonnait dans la caverne renvoyé par l’écho de toutes parts. D’autres formes arrivèrent. De toutes les couleurs, brillant comme des flammes, d’autres bayagas se coulaient dans la  caverne, reprenant la phrase.
   - Qu’est-ce que c’est que cette dague, demanda Koubaye au milieu du brouhaha ?
   - Elle est à moi. Je l’ai trouvée et je vais pas laisser ces machins faire leur loi.
Plus affreuses les unes que les autres, les bayagas se solidifièrent tout autour d‘eux. Les bouches récitaient la litanie, tantôt murmurant, tantôt hurlant. La cacophonie était terrible.
Riak tenant toujours son arme, restait tendue, prête à frapper. Koubaye, le dos au mur, fut le premier à voir la forme sombre pénétrer dans la grotte. Quand elle toucha le haut du monticule d'effondrement, le silence se fit de proche en proche et les bayagas s’écartèrent pour laisser un chemin. La forme sombre sembla se solidifier au fur et à mesure de son approche. Elle aurait eu un aspect presque humain sans tous ces bouts de lances qui lui sortaient de partout. Koubaye en était sidéré. Riak immobile, le regard farouche, attendait de pied ferme ce qui arrivait. Quelques bagayas planaient encore au-dessus d’eux éclairant l’ensemble d’une faible lumière changeante. Une odeur écoeurante de chairs en décomposition avait envahi l’espace. Plus cela approchait et plus cela évoquait un seigneur en armure, mais une armure qu’on aurait hachée, transpercée, bosselée, écrasée, torturée. Le bayaga s’arrêta à une distance d’épée de Riak. Il dégaina lentement une épée noire couverte de rouille et de sanies. Il en toucha la dague. Il y eut un petit bruit métallique, suivi d’étincelles quand le bayaga bougea son épée. Riak restait immobile. Seul Koubaye, juste derrière elle, voyait tressaillir les muscles de sa mâchoire. Le bagaya continuait à frotter le bout de son épée sur la dague. Koubaye attendait le début du combat. Jamais Riak ne s’était battue avec une arme. Koubaye essayait de réfléchir à ce qu’il pouvait faire pour les sauver. Il détailla le bayaga noir. L’armure était affreuse, les morceaux de lance qui sortaient de part et d’autre lui évoquèrent les héros vaincus des récits légendaires, ceux qui avaient donné leur vie pour que le roi Riou puisse se sauver. Sa vue se troubla. Des flashs prirent naissance dans ses yeux, déformant sa vision. Devant lui, ce fut un kaléidoscope d’images, de lumières puis vinrent les bruits et les cris d’une bataille. Certaines parties du bayaga devinrent blanches et brillantes. Il entendit le hurlement et il sut.
   - Bar Loka !
Le cri de Koubaye avait figé le bayaga. Puis celui-ci se mit à trembler de tous ses membres. Son épée tinta sur la dague comme une clochette. Son épée se recouvrit de flammes bleues, vertes, jaunes. L’odeur déjà épouvantable se chargea de puanteurs brûlées. Les bayagas autour d’eux se mirent à hurler :
   - LA DAGUE BLANCHE ! LA DAGUE BLANCHE ! LA DAGUE BLANCHE !
L’épée noire du bayaga devient rougeoyante comme un métal à la forge. Il poussa un grand cri, et après un éclair éblouissant, tout devint noir.

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