samedi 16 décembre 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 31

Riak marchait, appuyée sur sa canne. La grand-mère l'avait déguisée en vieille femme courbée. Elles avaient passé la journée enfermées dans la chambre à se préparer. La grand-mère était sortie plusieurs fois pour chercher des accessoires pour parfaire le déguisement. À la nuit tombante quand elles quittèrent l'auberge de Gabdam, la grand-mère était contente de son travail. Riak restait en colère. Mais elle avait vu telle joie dans les yeux de sa grande mère quand elle parlait de la grande prêtresse qu'elle n'avait pas osé la décevoir. Elle marchait donc à petit pas comme elle s'était entraînée, tenant le bras de la grand-mère. Les quelques mèches blanc sale qui dépassaient de sa coiffe étaient naturelles dans ce couple de vieilles femmes à moitié courbées qui se soutenaient l'une l'autre. C'est ce que semblèrent penser les soldats qu'elles croisèrent. Elles eurent à peine droit à un regard. La grand-mère, qui en faisait trop, avait même dit à Riak d'une voix assez forte comme si elle parlait à une sourde :
   - Avance tranquillement, mère, on t'a réservé un siège...
La grande prêtresse était au balcon du temple. Elle fit installer Riak devant elle en contrebas dans le jardin. Il était évident que jamais les gardes ne viendraient la chercher là. Même si Riak en convenait, elle avait pris sa dague. Elle ne faisait pas confiance à cette grande prêtresse qui l'avait manipulée comme un jouet. La grand-mère appréciait l'honneur qui lui était fait. Comme elle le disait et le rédisait à Riak :
   - Je n'aurais jamais cru vivre ça.
Hors de l'enceinte, la foule se rassemblait. Le brouhaha passait les murs. Les prêtresses gardaient le silence. Et le temple était un îlot de calme. La nuit était maintenant tout à fait tombée. Le temple était resté dans lumière. Seules rougeoyaient les braises des bâtons d'encens. Riak entendit certaines novices prier pour remercier d'avoir un ciel dégagé. Petit à petit, les lumières furent éteintes. Seules les auberges gardaient des lanternes sourdes. Tout semblait aller pour le mieux quand arriva le premier éclair, bientôt suivi par le tonnerre.
   - Youlba !
Riak se retourna pour voir qui avait parlé. Elle vit une jeune fille qui devait avoir son âge. Son regard exprimait de la peur. Immédiatement, une prêtresse surgit et lui asséna deux violents coups de la longue baguette qu'elle tenait à la main : 
   - Mitaou ! Prie au lieu de crier !
La prêtresse se retrouva à terre avant d'avoir compris. Au-dessus d'elle, une vieille femme cria quelque chose qui fut couvert par le bruit du tonnerre. L'orage se rapprochait. La grand-mère se leva horrifiée. Riak venait de mettre à terre, et une prêtresse, et tous ses espoirs. D'autres prêtresses arrivèrent pour maîtriser Riak. Après en avoir mis deux autres à terre, elle était en passe de tomber sous le nombre quand survint le cri.
Toutes se figèrent et joignirent leurs cris à celui de la foule. Le tonnerre lui-même en fut couvert. Les prêtresses gardiennes retrouvèrent vite leurs esprits ainsi que la grand-mère qui se précipita. Elle s’interposa entre les protagonistes, exhortant les unes et les autres au calme. Le pugilat allait reprendre quand toutes les prêtresses se figèrent. La grande prêtresse venait d'arriver. Même Riak qui s'était demandé un instant si elle sortait sa dague, se mit dans une position d'attente. La grand-mère se précipita pour prendre la défense de Riak. Elle fut arrêtée d'un geste.
   - Mère Keylake a raison… tu es arrogante !
   - C'est l'autre… là ! qui a commencé, répondit Riak.
Il y eut des interjections étouffées tout autour d'elle, vite réprimées quand la grande prêtresse fit un signe de la main.
   - Te rends-tu compte, petite écervelée, que tu es en mon pouvoir…
  - Je ne suis au pouvoir de personne ! Koubaye serait là, il vous le dirait.
  - Et qui est ce Koubaye ?   
 - C'est mon petit fils, intervint la grand-mère. Il doit être avec mon mari à nous attendre. Je vous présente toutes mes excuses, Mère du peuple. Nous allons partir… maintenant.
  - Crois-tu, vieille femme, que les choses soient si simples ?
La grand-mère devint livide. Riak avait dépassé les bornes et elle allait le payer cher.
  - Tu as bien fait de faire ce que tu as fait, dit la grande prêtresse en regardant la grand-mère. Cette enfant n'est pas tienne. Où est sa mère ?
   - Elle est restée au hameau, à une journée de marche d'ici, répondit la grand-mère.
   - C'est pas ma mère, coupa Riak.
   - Mais… bredouilla la grand-mère.
   - Ma mère, c'est sa soeur. Elle, elle m'a recueillie quand le village a été brûlé par ces salauds...
   - Veux-tu dire que tu es orpheline ? interrogea la grande prêtresse.
  - La moitié du village a été massacré et mes parents étaient dedans… la soeur de la mère m'a récupérée et ils ont fait de moi leur fille…
  - Comme le veut la coutume, coupa mère Keylake. Une mère obéissante, tu aurais pu suivre son exemple  !
Riak détestait cette femme. Dès leur première rencontre elle l'avait détestée. Pour Riak, elle puait la frustration et la jalousie.
De nouveau la grande prêtresse leva la main, imposant le silence.
  - La Blanche est revenue, ainsi va le monde. Youlba est présente, pourtant cette année elle n'a pu s'imposer… D'autres forces sont en jeu. Le temps du discernement s'impose. Qu'on fasse venir sa mère et elle sera notre hôte en attendant. Que les justes gestes soient faits !
Ayant dit cela, la grande prêtresse s'en alla. Toutes les présentes s’inclinèrent sauf Riak, raide comme un piquet qui essayait de comprendre ce qu’il se passait.


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