mardi 5 décembre 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 30

Koubaye suivait l’homme qui se faufilait dans la foule. Il était grand et sa large carrure facilitait ses déplacements. Il revenait vers le village. Koubaye sentait qu’il devait le suivre. Il essaya de poser des questions à l’homme qui ne répondait pas, se contentant d’avancer. Il s’interrogeait sur la suite. Qu’allait dire son grand-père ? Pourquoi ce besoin de suivre cet homme ? Ses interrogations cessèrent quand l’homme entra dans une maison basse et longue. Il regarda autour de lui. Personne ne semblait s'intéresser à eux. Il poussa Koubaye dans le dos en lui demandant d’entrer et referma la porte soigneusement.
   - Mais qu’est-ce qu’on fait là ? demanda Koubaye.
   - Chutttt ! fit l’homme en écoutant à travers la porte. Suis-moi !
Il suivit un couloir puis ouvrant une porte descendit une échelle. Il attrapa une lampe qui brillait là et s’enfonça dans un couloir qui bientôt tourna vers la droite. Il y avait des portes de part et d’autre. Il en ouvrit une. Il se glissa derrière des étagères, écarta une tenture et disparut emportant toute lumière. Koubaye se dépêcha de faire de même pour se retrouver dans un tunnel. Régulièrement de lourdes tentures barraient le passage. Il y faisait frais. L’air sentait le renfermé. Ils arrivèrent de nouveau dans une cave. L’homme attendit Koubaye avant de masquer la lampe et d’ouvrir la porte. Il écouta le silence.
Tout semblait calme. On percevait quelques bruits dans le lointain, les bruits familiers d’une maison occupée. Satisfait, il s’engagea dans le couloir entraînant Koubaye. De nouveau, à la faible lueur de la lampe, ils suivirent un couloir. L’homme prit une échelle posée au sol et pendant que Koubaye tenait la lampe, il la posa le long du mur. Avec précaution, il monta jusqu’au plafond et entreprit de soulever doucement une trappe. Les bruits de la maisonnée devinrent audibles. L’homme souleva la trappe complètement et fit signe à Koubaye de le suivre. De plus en plus intrigué, il monta à l’échelle en tenant la lampe. L’homme la lui prit, souffla la bougie et la posa sur une étagère. Il referma la trappe avec lenteur.
   - Ici, on ne risque rien. Viens !
Avant que Koubaye n’ait pu poser une question, il s’était dirigé vers une porte et l’avait ouverte. Ils se retrouvèrent dans une cuisine. La femme, qui était aux fourneaux, se retourna en entendant la porte. Elle vit l’homme et Koubaye, et ne parut pas surprise. D’un doigt, elle désigna un passage et dit :
   - La deuxième...
   - Merci, dit l’homme.
Passant dans un couloir, il s’arrêta devant la lourde tenture qui fermait le passage. Il vérifia que le couloir était vide et, la soulevant, poussa Koubaye devant lui.
Koubaye comprit alors qu’il se trouvait dans une auberge. La pièce était emplie d’hommes qui le dévisageaient.
   - C’est lui, dit l’homme en laissant tomber la tenture derrière lui.
   - Bien, Siemp, reste dans le couloir et préviens si quelqu’un arrive.
Siemp ressortit laissant Koubaye seul sous les regards scrutateurs de ceux qui étaient là. Il remarqua qu’ils étaient tous aussi mouillés que lui. Avant que quelqu’un n’ait dit un mot, on entendit des bruits de pas dans le couloir. Koubaye sentit la tension monter d’un cran et retomber quand des voix saluèrent Siemp. La tenture se souleva laissant passer deux personnes. Le plus âgé, après un bref regard vers l’assistance, se tourna vers Koubaye.
   - Alors c’est toi !
L’homme fit le tour de Koubaye en l’examinant et ajouta :
   - Ton grand-père m’a parlé de toi.
Koubaye le regarda interloqué.
   - J’étais à côté de toi quand tu as fait la prédiction. C’est arrivé et pourtant le charpentier m’a juré que ça aurait dû être impossible.
Koubaye sentit son coeur accélérer. L’homme tournait toujours autour de lui.
   - Sorayib a raison, tu es un garçon étonnant.
L’homme s’arrêta et regarda le groupe assis :
   - Votre opinion ?
Tout le monde se mit à parler en même temps. La cacophonie fut interrompue par la silhouette encapuchonnée assise dans un coin, appuyée sur le mur. Il leva la main et tout le monde se tut, même l’homme qui tournait autour de Koubaye s’arrêta.
   - Tu te nommes Koubaye, demanda l’homme encapuchonné. Est-ce cela ?
   - Oui, répondit Koubaye étonné par cet intérêt.
   - Mon nom est Lascetra. Je suis Celui qui sait.
Koubaye sursauta. Devant lui se tenait l’homme détenant le plus haut savoir du pays.
   - Il t’arrive de dire des choses avant qu’elles n’arrivent, est-ce vrai ?
   - Oui… Maître ?
   - Appelle-moi simplement Monsieur.
   - Oui… Monsieur.
   - Comme aujourd’hui ? Tu dis et cela arrive.
   - Oui, Monsieur, mais…
   - Mais ?
   - Mais je ne le dis que si je sais que c’est ce qui arrivera.
   - C’est un savoir difficile.
   - Oui, Monsieur. 
   - Depuis quand sais-tu que tu sais ?
   - Je l’ai toujours su, Monsieur.
   - Merci de tes réponses, Koubaye.
Lascetra se leva doucement. Les autres firent de même. Il s’approcha de Koubaye et lui mit la main sur l’épaule :
   - Il est préférable pour toi, et pour nous, que tu sois mis à l’abri. Être un sachant est difficile et parfois dangereux dans un pays où règnent les seigneurs.
Koubaye lui jeta un regard interrogatif.
   - Je te comprends, Koubaye. Tout ceci est difficile pour toi, mais indispensable.
   - Mais pourquoi ? demanda Koubaye.
  - Il n’y a pas eu de Sachant depuis des générations. Tu es à la fois une chance pour le peuple et un risque pour sa survie. Pour l’instant avec ce qui se passe au palais du roi, révéler la présence d’un Sachant serait un trop grand risque.
Koubaye ne comprenait pas ce qui se passait. Son monde lui échappait. Il pensa à son grand-père. Où était-il ? Pourquoi personne n’était là pour lui ? Lascetra sembla deviner ses pensées.
   - J’ai demandé à ton grand-père de faire ce qu’il avait à faire… sans s’occuper de toi.
   - Mais pourquoi ? demanda encore une fois Koubaye.
  - Parce que nous allons prendre en main ton éducation. Tu vas aller au mont des vents et là tu apprendras ce qui est nécessaire.
Lascetra se tourna vers l’homme qui était arrivé en dernier :
   - Balima, tu le prends sous ta coupe. Pars maintenant. Il est préférable qu’il ne reste pas.
Koubaye aurait voulu dire… mais les mots ne venaient pas, il aurait voulu crier comme tout à l’heure sur l’estrade mais sa gorge était trop nouée. Il vit les hommes sortir les uns derrière les autres. Il resta seul avec Balima et Siemp qui pénétra à son tour dans la pièce.
   - Je ne te présente pas Siemp, dit Balima, tu l’as suivi. Il va te conduire au mont des vents. Je vous rejoindrai là-bas.
   - Je voudrais dire au-revoir à ma grand-mère.
   - Tu as entendu ce qu’a dit Lascetra. Il est notre Dernier Savoir. Il est préférable que tu ne restes pas.
Koubaye sentit les larmes lui monter aux yeux. Il refusa de les laisser couler.
   - Alors, allons-y ! dit-il d’une voix enrouée.

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