samedi 25 novembre 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 29

Riak avait sursauté en entendant le cri du garde. Jusque-là, elle était restée stoïque sous la pluie qui la détrempait, prenant exemple sur ses voisines. C’est en voyant le regard des autres qu’elle avait commencé à s’interroger. Puis elle avait vu les coulées noires sur sa tenue blanche. Elle se sentit comme mise à nue. Elle était là, exposée au regard, en pleine lumière. Autour d’elle, tout alla très vite. Elle entendit plus qu’elle ne vit le remue-ménage. La voix de la grand-mère surgit sur sa droite :
   - Tiens, mets cela et suis-moi !
Riak se retrouva couverte d’une lourde cape sombre. Pendant que les rayons de soleil éclairaient le rocher du roi Riou, le silence se fit dans l’assemblée et dans la plaine. La grand-mère la prit par le poignet. Elle avait aussi revêtu une cape semblable. Elle l’attira à travers le groupe de femmes qui les laissait passer vers le bord de la plateforme. Une échelle dépassait d’une trappe qu’on avait ouverte :
   - Descends par là et attend-moi en bas.
Riak se retrouva dans l’ombre. À moitié courbée, elle attendit, tendant l’oreille pour entendre le bruit des soldats bousculant les hommes. La grand-mère la rejoignit et lui dit :
   - On va par là !
Les deux femmes étaient déjà loin quand l’escalier s’effondra. Elles arrivèrent chez Gabdam avant que la foule ne bouge. La salle était vide. Elles allèrent se réfugier dans la chambre. Riak tremblait de peur et de colère. La grand-mère la calma en lui parlant doucement tout en la déshabillant. Elles se séchèrent et se réchauffèrent. À côté dans la grande salle, les gens arrivaient petit à petit. On entendait le brouhaha des conversations et les bruits des servantes qui allaient et venaient.
   - Le plus sûr serait de partir maintenant pour nous mettre à l’abri au village, dit la grand-mère...
Riak ne put cacher sa déception. Elle n’avait rien vu ou presque de la fête et puis elle allait rater sa première salutation à la Dame blanche en tant qu’adulte.
   -... mais on ne pourra pas saluer la Dame blanche avec les autres...
Riak commençait à échafauder toutes sortes de plans dans sa tête pour rester quand même, quitte à se battre et à jouer de la dague.
   - … Ce serait très dommage. Il est très important que tu sois là pour vivre cette salutation.
Les derniers mots de la grand-mère la firent sortir de ses cogitations enfiévrées.
    - Pourquoi est-ce si important ?
  - Tu es appelée, par tes cheveux blancs, à jouer un rôle dans le culte de la Dame blanche. La Constellation blanche est le signe de sa vitalité et sa vitalité coule dans toutes les femmes de notre peuple mais plus dans celles qui ont la chevelure blanche comme la tienne.
Riak resta sans voix. Elle ne se voyait pas en prêtresse. Elle en avait entendu parler. Enfermées dans un monastère dans une des montagnes éloignées près de l’horizon, elles consacraient leur vie à honorer la Dame blanche.  Elle ne se voyait pas du tout dans ce rôle. Elle le dit à la grand-mère.
   - Je comprends tes réticences, mais Youlba est en colère. La grande prêtresse pense que ta venue la met en colère.
Riak fut interloquée. On parlait d’elle sans elle. Elle n’aima pas l’idée.
   - Je ne suis pas faite pour être dans un temple. Je suis faite pour les grands espaces et pour la liberté.
   - Peut-être, Riak. Si par hasard tu es celle qui doit devenir grande prêtresse, nous le saurons ce soir.
   - Comment ça ?
   - La grande prêtresse se fait âgée. Elle fut comme toi, une jeune fille aux cheveux blancs et la grande nuit de la fête, Youlba a montré sa colère à sa présence ici. Déjà ce matin, tu as été mise en pleine lumière, il est nécessaire de te préparer pour cette nuit.
Riak allait répondre quand on frappa à la porte. Les deux femmes se figèrent. Les coups recommencèrent tapant selon un rythme particulier. La grand-mère se détendit et alla ouvrir la porte. Une femme âgée en tenue de fête entra, suivie de deux autres vieilles. Riak sentit immédiatement une antipathie envers les deux vieilles. La première entrée semblait un peu absente. La grand-mère s’inclina et fit signe à Riak de faire pareil. Riak ne bougea pas.
   - C’est la grande-prêtresse ! Incline-toi ! lui dit la grand-mère.
Riak inclina vaguement la tête tout en scrutant les trois femmes.
   - Elle est bien arrogante, dit une des vieilles endimanchées.
  - Elle s’est retrouvée en pleine lumière à la salutation du Roi Riou, dit la deuxième. Je ne crois pas qu’elle soit celle qui doit venir après vous.
La femme âgée dégagea sa coiffe, libérant une chevelure blanche abondante qui descendit en cascade jusqu’à sa ceinture :
   - Je vous entends, fidèles secondes mères. Elle est jeune et l’arrogance est l’apanage des jeunes. Plus ennuyeuse est la lumière du matin.
    - Oui, Mère du peuple, cela n’est jamais arrivé depuis le début de notre ordre.
   - Je t’entends, Mère Keylake. Cela est à prendre en considération. Elle a les cheveux blancs et longs de la lignée des Mères du peuple.
   - Cela ne suffit pas, dit l’autre avec une pointe d’acrimonie dans la voix
   - Je t’entends, Mère Algrave. Cela ne suffit pas.
Si Riak n’aimait pas les deux acolytes de la grande prêtresse, cette dernière l’intriguait.
   - Montre-moi comment tu es, dit la grande prêtresse à Riak.
Riak qui avait une simple chemise sur elle la regarda sans comprendre. La grand-mère alla chercher une bougie pour la ramener. Riak faisait face à la grande prêtresse. La grand-mère mit la bougie entre elles deux, laissant le reste de la pièce dans la pénombre.
   - Enlève-ta chemise, murmura la grand-mère.
   - Jamais, répondit Riak.
Derrière la grande prêtresse, les deux vieilles s’agitèrent. La grande prêtresse fit un signe de la main qui les fit se calmer instantanément. Riak sentit l’autorité qui émanait de celle qui se tenait devant elle.
   - Donne-moi ta main, dit-elle à Riak en lui tendant la sienne.
À contre-cœur Riak lui prit la main. Elle fut étonnée par la douceur de la main qu’elle prit. Autant le visage était ridé, autant celle de la main était fine et contrastait avec sa peau habituée aux travaux. Elles se regardèrent dans les yeux. Riak était bien décidée à ne pas baisser les yeux la première. La grande-prêtresse eut un petit sourire. Riak se sentit comme aspirée par ce regard. Pour Riak le monde se résuma à ces deux yeux bleus qui la fixaient.
   - Déshabille-toi, dit la grande-prêtresse d’une voix douce.
Elle défit les agrafes qui retenaient sa chemise au niveau des épaules. Celle-ci tomba à ses pieds dévoilant sa nudité.
   - Oh ! fit la mère Keylake.
Hormis ses mains et son visage, Riak était presque aussi pâle que ses cheveux. La grande-prêtresse la fit tourner vérifiant que les cheveux atteignaient le creux des reins.
   - Remets ta chemise, dit-elle enfin en lui lâchant la main et en claquant des doigts.
Riak reprit contact avec le monde. Elle était nue devant de parfaites inconnues. Sa chemise était à terre. Elle ressentit une bouffée de colère et comme un désir de tuer. Elle aurait bien sauté sur sa dague. Pensant à sa grand-mère, elle se retint, ré-agrafant aussi vite que possible sa chemise sur ses épaules.
    - Elle est femme et son poil est blanc, dit la grande-prêtresse, nous verrons ce soir. Allons maintenant.
Elle se retourna vers la porte sans rien ajouter. Les deux autres la suivirent. Juste avant que la mère Algrave ne ferme la porte, elle dit à la grand-mère :
   - Prépare-la et vous nous rejoindrez !
La grand-mère salua en acquiesçant. Riak était debout au milieu de la pièce, raide comme une statue et juste éclairée par la bougie. Elle écumait de rage.
   - Quel grand honneur, dit la grand-mère. La grande-prêtresse...

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