mercredi 18 juillet 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps...59

Quand Riak était rentrée sans Baillonde, ses explications n'avaient pas convaincu les autres. Elle finit par dire :
   - Je n'ai pas bien compris ce que veut la Grande Prêtresse. Il y aura peut-être des ordres plus précis…
Quand ils se préparèrent pour la nuit, Riak sentit monter leur défiance. Une fois couchée, elle entendit Bemba dire à Mitaou :
   - Ne pleure pas. La Grande Prêtresse n’oublie aucun de ses enfants.
Riak s'endormit mal à l'aise.
Le lendemain ne fit qu’accentuer la chose. Au milieu de la journée, pour couper court aux questions informulées, elle déclara qu’elle allait dormir. Elle s’allongea sous un arbre pensant faire semblant.
Bientôt sa respiration se calma et elle s’endormit pour de bon. Elle rêva. Bemba vint voir si tout allait bien quand elle l’entendit gémir et dire : “ NON !”. Elle la vit se mettre debout, la dague à la main. Bemba se poussa. Elle avait déjà vu les danses nocturnes de Riak et ne tenait pas à l’affronter. Cela dura un moment, puis Riak se recoucha toute seule.
Quand elle se leva en milieu de l’après-midi, elle était calme, sereine. Elle avait eu contact avec Koubaye qui lui avait montré l’atelier de Rma et les fils qu’il tressait autour d’elle. Elle alla vers le foyer et dit :
   - On ne peut pas rester ici. Des essarteurs vont arriver et nous démasquer. On se bouge tout de suite.
Puis elle distribua les ordres. Chacun avait sa part de travail, y compris Narch. Avant que le soleil ne décline, ils étaient partis. Ils ne virent pas le groupe d’essarteurs qui arrivaient munis de haches et de gourdins pour chasser les intrus qui empiétaient sur leur territoire.
Riak conduisit la petite troupe jusqu’à la rivière. Ils virent que le pont était surveillé par les seigneurs.
   - On ne passera pas sans se faire remarquer, dit-elle.
   - La rivière n’est pas très large, dit Jirzérou, on peut probablement la traverser plus haut.
   - Si besoin, on abat un arbre, ajouta Narch.
   - C’est pas un bonne idée. S’ils entendent le bruit des haches, dit Riak en montrant les soldats, ils vont rappliquer. Ils surveillent toujours les coupes.
Narch se mordit la lèvre, empli d’un sentiment de honte d’avoir dit une bêtise
   - Mais on n’aura peut-être pas besoin de le couper… On s’en va, passe devant, ajouta-t-elle à Narch, tu te débrouilles bien dans les bois.
Il eut un grand sourire et s’engagea discrètement dans le sous-bois vers l’amont de la rivière. Ils remontèrent le cours d’eau un bon moment avant de trouver ce qu’ils cherchaient, un tronc déraciné barrait une partie du lit de la rivière. Narch se précipita pour aller explorer les ramures. Il revint aussi vite, le sourire aux lèvres :
   - On doit pouvoir passer !
   - Allons voir, lui répondit Riak.
Après bien des contorsions, ils arrivèrent au bout de la branche la plus près de l’autre rive.
   - Pas si évident de passer. Il faudrait une corde et surtout un point pour l’attacher.
Ce que disait Bemba était frappé de bon sens. On ne pouvait pas sauter. La seule branche pour attacher la corde et s’en servir de liane  était de l’autre côté. En aval, il n’y avait rien. Jirzérou se déplaça pour aller voir en amont. Il observa la rivière qui venait taper le tronc mais comme en aval, il ne vit rien d’utilisable. Il revint en courant sur le tronc qui bougeait sous ses bonds. Il en aimait la sensation qui lui rappelait les bateaux. Il se dit : “ Voilà la solution ! Un bateau”
Il expliqua sa solution à Riak. Mitaou les traita de fous, Narch ouvrit des yeux ronds et Bemba pragmatique conclua en disant :
   - Bon, on y va ?
Avec les quelques cordes qu’ils avaient, et en travaillant dur, ils arrivèrent au moment de tenter l’aventure.
   - Tu crois que ça va marcher ?
   - Forcément, sauf s’il se renverse…
Mitaou poussa un petit cri. Riak la prit par les épaules et la fit embarquer :
   - Tiens-toi là et ça va aller !
Mitaou fit oui de la tête mais ses yeux disaient sa peur. Jirzérou monta le dernier, tenant la corde qui les retenait à la berge :
   - Allez plus loin, à l’autre bout, ce sera plus sûr.
Tout le monde bougea à nouveau pour suivre les ordres du seul qui s’y connaissait en bateau. Il tira sur la corde, libérant un mécanisme. Il y eut un instant où tout resta immobile puis le tronc, qu’ils avaient mis en équilibre, tomba, frappant la souche de l’arbre sur lequel ils étaient. Cela arracha les dernières racines qui le tenaient encore à la berge et le courant prit le relai. Les branches des ramures touchaient le fond, comme une ancre. Le tronc, poussé par l’eau, commença à pivoter. Sous leurs pieds, des branches craquèrent, et l’arbre commença à tourner sur lui-même. Mitaou poussa un cri, Bemba lui demanda de se taire mais de bouger ses pieds. Doucement, le tronc tournait au fur et à mesure que cédaient les branches. Jirzérou jura. Ce n’était pas ce qu’il avait prévu. Le tronc devait tourner en pivotant autour de ses ramures et leur faire atteindre l’autre rive. Au lieu de cela, le haut de l’arbre venait de prendre le courant et d’entraîner leur radeau vers l’aval.
   - On va se retrouver au pont, dit Narch.
   - J’crois bien, répliqua Jirzérou qui tentait d’infléchir le cours de leur course avec une perche.
Pendant de longs instants, leur sort fut incertain. Soudain l’arbre se bloqua sur un obstacle invisible. Ils faillirent tomber à l’eau. Chacun se raccrocha comme il put aux branches, sauf Jirzérou qui se retrouva dans l’eau. Narch lui lança tout de suite une corde qu’il attrapa. Riak comprit sa manoeuvre. Il était tombé du côté de la rive espérée.
   - J’ai pied, indiqua-t-il.
Il se mit en devoir de tirer sur la corde en prenant appui sur les rochers du fond. Il n’espérait pas bouger l’arbre à lui tout seul. Il espérait que la rivière viendrait à son aide. Le courant butta contre les racines et vint prêter main forte à Jirzérou en poussant le tronc dans la bonne direction. Mitaou attrapa le bras de Bemba quand elle eut peur que Jirzérou ne finisse écrasé par le tronc et le lâcha quand elle tomba à l’eau. L’arbre venait de heurter la berge. Elle se débattit dans l’eau et se serait noyée sans l’aide de Jirzérou qui la poussa vers le bord. Elle dut patauger dans la boue pour sortir.
Riak rassembla tout son petit monde et on fit le compte de ce qui avait été perdu lors des différents chocs.
    - Bon, j’espère que l’envoyé de la Grande Prêtresse aura des provisions… Là, on va pas aller loin.
Elle regarda autour d’elle, en prenant son pendentif en main. Elle ne sentit pas de danger. Jirzérou essorait ses vêtements, tout en guettant la présence d’un danger.
    - Il faut bouger. Avec tout le bruit qu’on a fait, quelqu’un peut venir, dit-il.
Il fallut s’arrêter assez vite. Mitaou qui n’avait pas voulu se déshabiller pour essorer ses vêtements, grelottait. Bemba, après lui avoir ôté ses frusques d’essarteur, la frotta vigoureusement pour la sécher et la réchauffer. Puis elle l’emballa dans sa couverture. Elle regarda Riak et lui demanda :
   - On peut rester là ?
   - On n’a pas le choix, répondit Riak. Restez-là toutes les deux. On va aller explorer les environs.
Jirzérou partit patrouiller du côté de la rivière, Riak et Narch allèrent explorer le chemin vers le pont.
Ils observèrent un moment le va-et-vient, et les gardes des seigneurs qui contrôlaient. Ils n’avaient rencontré personne avant. La route menait à Rosetuel et après, à Nairav. Rosetuel était nichée à l’entrée du premier canyon. C’était une ville particulière d’après les gardes qui discutaient entre deux contrôles. On y vivait sous terre. Riak fut intriguée en entendant cela. Elle ne pouvait pas concevoir une ville sous terre. Nairav était une endroit beaucoup plus flou dans leur esprit. Ils interrogèrent une femme qui déclara y aller. Ils la traitèrent de folle et demeurée d’aller en pèlerinage là-bas, tout en la laissant continuer son chemin.
   - Encore une qui va aller se faire plumer par un de ces profiteurs qui va se faire passer pour un guide, dit l’un des gardes.
   - Et alors, c’est son fric, répondit un autre.
   - À moins qu’elle paye avec autre chose, dit le troisième.
Ils partirent d’un rire gras qui fit naître la colère chez Riak. Son pendentif, qui vibrait doucement, se mit à chauffer. Elle se recula un peu et fit signe à Narch de faire pareil. Ils se positionnèrent derrière un buisson plus touffu. La vue était moins bonne, mais on ne pouvait pas les voir.
Un cheval approchait. Le bruit de ses sabots s’arrêta près des gardes qui avaient cessé de rire et remit de l’ordre dans les tenues. Riak ne voyait que les jambes du cavalier.
   - Rien à signaler ?
   - Non, Seigneur, le trafic habituel.
   - Il y a un groupe suspect qui rôde. Des essarteurs probablement qui n’ont rien à faire par ici.
   - Non, pas de groupe d’essarteurs, quelques marchands, des paysans et quelques pèlerines qui feraient mieux de…
   - Bien, coupa le seigneur, ouvrez l’œil et signalez tout ce qui vous paraîtra inhabituel.
Il n’attendit pas de réponse et fit partir son cheval au trot. Riak entendit le bruit de son cheval s’éloigner.
   -  Eh bé, dit un des gardes, il a pas l’air content.
   - Tu parles, il s’est fait engueuler par le baron quand y a eu les ennuis sur le marché…
Les gardes n’eurent pas le loisir de continuer la conversation, quelqu’un arrivait. Il fallait le contrôler.
Riak en profita pour faire signe à Narch de s’éclipser discrètement. Ils firent le chemin en sens inverse tout en restant attentifs. Arrivés à la clairière, ils retrouvèrent les autres. Jirzérou était revenu aussi. Tout était calme. Pourtant Riak se sentait inquiète. Le lendemain, le guide l’attendait seule et elle allait venir avec quatre personnes de plus. Elle ne savait comment faire. Elle décida de ne pas jouer franc-jeu. La Grande Prêtresse voulait la séparer des autres, Koubaye lui avait montré : Rma pensait qu’il fallait tisser tous les fils ensemble. Elle appela Bemba et Jirzérou et leur expliqua la situation. La colère monta chez Bemba. Elle ne s’attendait pas à une telle décision. Quant à Jirzérou, la question ne se posait même pas. Il suivait la Bébénalki, un point c’est tout !
Riak fut rassurée de leur réaction, mais ne voyait pas comment faire. Elle avait besoin du guide pour atteindre Nairav et il n’y aurait jamais assez de vivres pour eux. Ce fut Bemba qui trouva la solution.
   - Et bien, on n’a qu’à pas partir avec vous…
   - Mais tu disais…, répliqua Riak.
   - Oui, je sais mais on va suivre. On a fait cela une fois dans un des temples où j’étais gardienne. Une sœur ne respectait pas la clôture. Cela on en était sûr. On ne savait pas comment elle faisait. Alors on a cousu un petit sac de sable dans son habit près des sandales. À chaque pas, elle laissait une petite trace… On a juste suivi les traces et trouvé le passage. Pour vous, Noble Dame, il faut un sac plus grand, plus lourd, mais vous vous en servirez juste quand vous changerez de direction… On n’aura plus qu’à suivre. Quant aux provisions, eh bien… on se débrouillera…
Jirzérou eut un éclat de rire :
   - Excellent. Je suis sûr qu’on va réussir.
Ils passèrent la soirée et une partie de la nuit à préparer ce qui était nécessaire. Ils trouvèrent le sable au bord de la rivière et sacrifièrent un vêtement pour faire le sac.
Les étranges lueurs des bayagas arrivèrent alors que Riak finissait de se préparer. La doublure de sa cape contenait le précieux sable qui allait leur servir de lien. Elle regarda autour d’elle voleter les ombres lumineuses :
   - On va profiter que les bayagas nous éclairent pour aller se poster près du pont. En ce moment, il ne doit y avoir personne.
Riak commençait à aimer les bayagas. Elle leur prêtait des sentiments. Cette nuit, elle les trouvait joyeuses. Leur sarabande lui évoquait les danses de fêtes. Ils marchèrent ainsi sans se presser, restant sur leurs gardes, jusqu’au pont. Comme prévu, ils le trouvèrent désert. Ils explorèrent les environs et trouvèrent une cache pour Riak et une pour les autres. Ils avaient fait attention de ne pas pouvoir être visibles du pont.
Riak se retrouva seule. Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait plus été. Elle apprécia la situation. Elle s’allongea un peu et, pendant que dansaient les ombres lumineuses sur le pont, elle s’endormit.
Elle fut réveillée bien avant que le soleil ne se montre. L’attente fut longue. Elle pensait aux autres. Eux aussi devaient connaître cette impatience en attendant de pouvoir bouger. Elle guetta tous les arrivants, écoutant les gardes contrôler, chaque fois déçue. Et puis…
   - Vous les conduisez toutes à Nairav ?
Riak n’entendit pas la réponse.
   - Si vous voulez, on les prend chez nous… ça leur évitera le voyage, plaisanta un des gardes, faisant ricaner les autres.
Le groupe se remit en marche. Elle vit Baillonde, en tenue de serviteur, guider les ânes. Derrière lui, une sœur guidait quelques femmes. Elle parlait à voix basse et Riak n’entendait pas ce qui se disait. Le groupe passa devant elle. Les femmes avaient toutes une coiffe et marchaient tête baissée. Riak mit sa capuche et sans bruit se glissa derrière la dernière. Elle se mit au même pas, prit la même attitude et se rapprocha doucement de la colonne. Elle les compta. Elles étaient six. Riak fit un petit signe en passant devant la cache où étaient les autres. Elle ne se retourna pas, espérant qu’ils allaient pouvoir les suivre.
Le temps passa. La progression n’était pas rapide. Ils suivirent la route un moment et bifurquèrent dans une vallée où coulait une rivière. La sœur passa devant les ânes. Riak n’y fit pas attention tout de suite, toute occupée qu’elle était à laisser une traînée de sable. Bientôt Baillonde se retrouva à ses côtés. Sans se tourner vers elle, il lui parla à voix basse :
   - Toutes ses femmes sont des réprouvées. Elles ont préféré l’exil à Nairav, à la punition qui les attendait. Elles ne t’adresseront pas la parole, pas plus qu’à moi. Tu ne me parles pas ou le strict minimum. Seule la sœur donnera les ordres. Tu as bien compris ?
Riak se tourna vers lui pour répondre mais se fit fusiller du regard. Elle se remit à regarder ses pieds et fit oui de la tête.
Baillonde s’arrêta un moment, comme pour s’assurer que personne ne les suivait. Riak se mordit la lèvre. “ Pourvu que…”
Quand elle entendit les ânes revenir derrière elle, elle fut rassurée. Elle reprit la marche l’esprit serein pendant un temps. La sœur marchait, marchait, marchait. Elle ne ralentissait pas, n'accélérait pas mais ne s’arrêtait pas. Les autres femmes ne disaient rien. Riak allait réclamer quand Baillonde lui posa une main sur l’épaule et lui fit signe de se taire. Riak referma la bouche sans rien dire mais sa vessie lui exprimait son désaccord. Elle vécut le reste de la journée comme une torture.
Dès qu’elle aperçut l’abri, Riak courut derrière un buisson pour se soulager. Quand elle revint, les autres femmes étaient encore alignées sans bouger, tête basse.
   - Je ne t’avais pas donné l’autorisation de quitter la colonne, lui dit la sœur. Tu seras donc privée de manger.
Quand Riak vit le regard de Baillonde, elle s’abstint de répondre. La sœur distribua les ordres. Riak se retrouva de corvée de feuillets. Elle bouillait intérieurement mais ne dit pas un mot. Baillonde lui tendit une pelle avec un regard, la suppliant de ne rien faire et de ne rien dire qui puisse révéler la réalité. Riak retourna derrière le buisson et commença à creuser. Les autres femmes déchargeaient les ânes et s’occupaient de l’installation pour la nuit.
   - Ne dis rien, surtout, lui susurra Baillonde. Je t’ai présentée comme une réprouvée à emmener à Nairav. Elle ne sait rien et ne doit rien savoir. Le secret de ton arrivée à Nairav est à ce prix. Je te poserai de la nourriture près du buisson là-bas dans la nuit.
Ayant dit cela, il retourna s’occuper des ânes.
Tout cela déplaisait fortement à Riak. Se passer de manger ne l’inquiétait pas outre mesure. Se faire traiter comme cela la mettait en colère. Quand elle revint après avoir creusé son trou, les autres femmes avaient eu enfin le droit de s’occuper d’elles. Elles allèrent toutes vers le buisson. Riak retourna vers l’abri. La sœur l’attendait :
   - Je ne sais pas ce que tu as fait et je m’en moque. Ici tu fais ce que je dis et rien d’autre. On marche toute la journée. Si tu agis bien, tu auras le droit de manger le soir et de te reposer. Si tu agis mal, je te laisse dehors avec les bayagas.
La remarque attira un demi-sourire à Riak.
   - Tu te crois forte, tu n'es qu'une insensée… Ne compte pas sur le diadème pour te sauver… Tu n'es pas encore à Nairav.
Elle allait ajouter quelque chose quand les autres arrivèrent. Elle lui donna simplement l’ordre de rester dehors. Riak s’éloigna un peu de l’abri et alla s’asseoir sur un rocher qui surplombait le chemin. Baillonde avait raison, le secret de sa présence était une nécessité. Ce qui ne l'empêchait pas de bouillir intérieurement. Riak respirait profondément quand elle repéra plus bas sur le sentier un mouvement. Elle sourit. Ils avaient suivi. La frêle silhouette lui fit un signe auquel elle répondit après avoir vérifié que personne ne la regardait. Elle fut soulagée de les voir passer l’un après l’autre. Elle se leva. Dans l’abri, il y avait des bruits de repas. Les ânes étaient dans un enclos sur le côté. Elle s’y dirigea et là, elle attendit.
La voix de Jirzérou la fit sursauter. Elle ne l’avait pas entendu arriver.
   - Tout va bien ?
   - Ça va. La guide est spéciale mais ça va. Vous avez à manger ?
   - Oui, on a remonté une rivière… et Narch est un excellent pêcheur. Le sable a bien marché… On a suivi sans difficulté.
Ils furent interrompus par un bruit de pas. Riak s’éloigna de la barrière et se mit à caresser la tête d’un âne. Baillonde apparut à ce moment-là.  Il lui apportait quelque chose à manger. Une nouvelle fois, il l’exhorta à rester discrète.
Le lendemain matin, Riak partagea le repas du matin avec les autres. La soeur les prévint que le chemin du jour serait plus difficile.
Après avoir remonté la vallée un moment, ils passèrent un col. Ils marquèrent un temps d'arrêt. À leurs pieds commençaient les canyons. Cela donnait une impression de labyrinthe. La soeur se remit en route. La descente fut difficile. Baillonde prit du retard avec les ânes. La colonne s'engagea dans le premier canyon. Assez étroit, il était tortueux. La lumière du matin y pénétrait difficilement. Riak, comme les autres, dut faire attention où elle mettait les pieds. Comme toujours, elle marchait la dernière, laissant de temps à autre un peu de sable au sol. Elle faillit oublier, quand brusquement, la soeur s'enfonça dans un tunnel. Riak trébucha plusieurs fois avant que ses yeux ne soient adaptés au manque de lumière. En avançant, elle vit plusieurs passages possibles, certains vers la lumière, d’autres pleins d'obscurité. Ils bifurquèrent plusieurs fois. Riak déversa plusieurs fois du sable. Elle espérait ne pas manquer une indication. Derrière elle, Baillonde venait avec les ânes. Ils avançaient tête basse, traînant les sabots et soulevant la poussière dans le tunnel. La progression de la colonne dura longtemps. Quand ils émergèrent à la lumière, ils durent s’arrêter pour laisser leurs yeux accepter le soleil. Riak avait perdu le sens de l’orientation. Elle ne pouvait pas dire de quel côté était l’abri de la veille. Elle remarqua qu’ils remontaient un canyon avec le soleil sur la droite. Tout aussi brusquement que la première fois, la sœur emprunta un nouveau tunnel. De nouveau, Riak perdit tout repère. Quand elle ressortit à l’air libre, le soleil était maintenant sur sa gauche. Autour d’elle, tout était minéral et un courant d’air glacé circulait dans ce sinueux couloir de pierre. Riak trouva le temps particulièrement long. Le canyon était monotone par sa répétition même.
En fin de journée, leur chemin déboucha sur une vallée encaissée. Riak fut heureuse de voir du vert. Elle eut l’impression d’atteindre une oasis. Elle avait soif et faim et aucune envie de se battre avec la sœur. L’abri pour la nuit était au fond près de la rivière.
   - Demain, on remontera la rivière, dit la sœur en distribuant les tâches du soir.
Riak fut chargée d’aller chercher l’eau. Avec les outres, elle descendit vers le cours d’eau. Elle espérait découvrir des traces de la présence des autres. Elle fut déçue. Le retour fut difficile, fatiguée et chargée, elle mit beaucoup de temps à remonter vers l’abri.
Ils bivouaquaient dans une cabane de troncs entrelacés. Mal entretenue, elle laissait passer la lumière à travers les fentes des murs. Comme la veille, la soirée fut morose. Personne ne parlait. Riak sortit plusieurs fois sous prétexte de satisfaire un besoin. Elle rentra à chaque fois plus inquiète. Elle n’avait vu aucun signe des autres.
Quand se leva l’étoile de Lex, les lumières se mirent à danser autour de la cabane. Riak les observa sans s’inquiéter. Les autres femmes commencèrent à donner des signes de panique. La sœur dut intervenir en expliquant que jamais les bayagas n’étaient rentrées dans cette maison et qu’elles feraient mieux de dormir si elles voulaient tenir la journée. Une première bougea son couchage pour le mettre au centre de la pièce, les autres suivirent son exemple. Riak qui s’était mise dans un coin ne bougea pas. Elle leur tourna le dos et, à travers une fente entre deux troncs, observa la danse des bayagas. Elle pensa à la manière dont ils avaient été guidés après l’attaque des essarteurs. Si cela pouvait se refaire.
Il y eut comme un coup de vent dans les ombres lumineuses qui dansaient autour d’eux. Riak n’en crut pas ses yeux. Elle vit les bayagas s’aligner comme une armée à la parade. La dernière vision qu’elle eut avant de dormir fut un chemin de lumière.
Comme l’avait dit la sœur, ils remontèrent le canyon le lendemain. Le temps était gris. Riak, en allant vers les feuillets, avait vu un caillou blanc. Elle était sûre qu’il n’était pas là la veille. Elle le ramassa. Elle se mit du blanc plein la main. Elle se prit à sourire. Le tréïbénalki avait retrouvé de la pierre de lune…
Le canyon était assez large pour abriter un cours d’eau. La végétation en profitait. Elle était composée de buissons et d’arbustes. Ils marchèrent en suivant le lit de la rivière vers l’amont toute la matinée. De loin, Riak vit le cul-de-sac. C’était une falaise d’où tombait l’eau. Cela lui rappela la cascade de la vallée de Sorayib. La sœur s’arrêta au bord de la vasque où tombait l’eau. Elle dit à Baillonde de l’attendre là avec les ânes. Puis elle fit décharger les ânes. Elle répartit les charges sur chacun et prit sa part.
L’escalade de l’étroit chemin fut difficile. La pierre était glissante d’humidité et les charges lourdes. Riak serra les dents pour y arriver. Il leur fallut presque tout l’après-midi pour atteindre le haut.
Epuisée, elle marchait comme un automate. Elle faillit rentrer dans celle qui la précédait. Elle s’arrêta et leva les yeux pour comprendre pourquoi les autres s’étaient arrêtées.
Elle poussa un cri d’étonnement.
Dans la lumière du soir, le sanctuaire de Nairav semblait briller.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire