Ils étaient restés deux jours. Koubaye avait pu ainsi explorer une partie des galeries. Dehors le vent soufflait fort, faisant gémir les conduits d’aération. Le grand-père en avait profité pour lui expliquer comment barrer la route aux bayagas.
- Le mieux, lui avait-il dit, est une solide porte. Ainsi les bayagas se heurtent au bois et ne peuvent pas passer. Mais si tu n’as pas de porte possible comme ici, alors il faut faire une chicane. Les bayagas vont se heurter dans le mur et faire demi-tour.
- Oui, mais nous, grand-père, quand on arrive dans une chicane, on tourne…
- Bien-sûr que nous on suit le chemin, mais les bayagas eux, courent et se heurtent à la paroi. Ils ne peuvent pas tourner comme nous. Donc ils font demi-tour. C’est comme cela…
Koubaye trouva les bayagas bien étranges. Il imaginait ces entités nocturnes malfaisantes qui sévissaient quand l’étoile de Lex se levait, comme des sortes d’êtres mi-homme mi-animal, pleins de griffes et de dents.
Koubaye s’était ennuyé dans la grotte. Il y faisait très sombre. Le grand-père ne ravivait que rarement le feu pour ne pas gâcher le bois. Il n’y avait que la faible lueur de la lampe à huile tout le reste du temps. Koubaye gardait la tête dans les épaules. Il avait peur de ce qui était au-dessus de lui. Il avait entendu, pendant qu’il courait après un mouton vagabond, des bruits d’ailes. C’était à la fois discret et inquiétant par sa discrétion même.
- Ce sont les esprits des grottes, avait dit son grand-père. Ils vivent dans le noir et sortent la nuit. D’ailleurs si tu regardes bien, tu verras briller leurs yeux.
Koubaye avait déjà remarqué ces petits éclats de lumière qui allaient par deux. Il fut rassuré par les paroles calmes de son grand-père. Ce n’étaient pas des bayagas puisqu’il ne semblait pas les craindre. Son autre source d’inquiétude était les bruits. Il connaissait ceux du troupeau et ceux de son grand-père. Il ne savait comment interpréter les petits sifflements ou couinements qu’il entendait parfois sans parler des raclements et autres bruits de cailloux frappant la roche. A chacun de ces sons, il sursautait, regardait son grand-père et en déduisait s’il devait s’alarmer ou pas. Le seul bruit dont il avait découvert la provenance était la source. Si certaines zones de la grotte étaient humides, il y avait dans un des passages, une cuvette naturelle où s’écoulait une eau froide. Il devait venir y puiser pour les bêtes et pour eux-mêmes.
Koubaye avait été heureux quand ils avaient écarté les épineux pour sortir. Ils avaient laissé le troupeau dans la première salle avec du fourrage et de l’eau. L’hiver semblait vouloir être très froid. Les bêtes étaient leur seule richesse. Sans elles, la mort frapperait la famille.
L’air était très froid. Le paysage était maintenant tout blanc. Ils passèrent par les hautes pâtures pour voir ce que devenaient leurs autres animaux. Les vaches étaient toute serrées les unes contre les autres près de la paroi la plus protégée. Elles grattaient tristement le sol à la recherche de quelque chose à brouter. Ce fut un dur travail que de les pousser vers un autre lieu, plus favorable. Le grand-père voulait les rapprocher de la maison. Si le petit bétail pouvait se débrouiller dans les grottes, le gros bétail nécessitait plus de soin. Il fallut soulager les bêtes aux mamelles inflammées et ramener le troupeau dans la combe non loin de la maison.
Koubaye ne sentait plus ses bras à la fin de la journée. Il commençait à butter sur les obstacles malgré toute sa bonne volonté. Arrivé à la maison, il grignota à peine et partit immédiatement se coucher. Il ne vit pas le regard attendri de sa grand-mère. Il eut à peine le temps de s’allonger que déjà il dormait.
- Il a bien travaillé, dit le grand-père.
- Son père pourrait être fier, répondit la grand-mère.
- Oui, s’il était là, ajouta le grand-père.
Une ombre de nostalgie passa entre eux.
- Un jour, il posera des questions, dit la grand-mère après qu’ils eurent fini leur soupe.
- Un jour... En attendant il est avec nous.
Quand se promènent les mots, des histoires prennent corps. Que ce lieu leur serve de repos.
mercredi 15 février 2017
lundi 6 février 2017
Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 5
Avec la saison des neiges le monde se repliait sur lui-même. Il fallait malgré tout s'occuper des bêtes. Koubaye aidait du mieux qu'il pouvait. Les traites étaient moins fréquentes et l'on pouvait nourrir les bêtes qu’une fois par jour. Le plus difficile était la discrétion. Le grand-père apprit à Koubaye comment aller d'un point à un autre en laissant le moins de traces possibles, même en cas de neige. Koubaye aimait ces manières de jouer à cache-cache pour de vrai. Il apprenait vite et faisait la fierté de son grand-père. Quand la nuit était venue, à la lueur du feu venait le temps des histoires. C'était un plaisir pour Koubaye. Quelques fois ceux du voisinage venaient, ou on allait chez eux partager fromages et boissons plus ou moins alcoolisées en partageant les nouvelles, en jouant ou, ce que Koubaye n'aimait pas, en interminables discussions sur les méfaits des seigneurs.
D'autres soirs et malheureusement pour l'enfant, c’étaient les plus nombreux, on travaillait le bois pendant que la grand-mère cousait. Il y avait de nombreux outils à réparer ou à refaire. Koubaye apprenait bien. Il fallait choisir le bon bois, et même le bon morceau de bois pour obtenir le résultat souhaité.
Il apprit aussi à préparer en forêt certains arbres pour en obtenir le bois. C'est ainsi que disait son grand-père à sa femme quand ils partaient le faire : “ On va préparer du bois !”. Le grand-père et son petit-fils s'éloignaient avec toute la discrétion possible pour parcourir les bois environnants.
- Tu vois, Koubaye, cette branche fera un bon manche pour une pioche.
La première fois, il avait eu peur pour son grand-père. La justice de Virme était expéditive pour ceux qui coupaient tout ou partie d'un arbre. Mais son grand-père l'avait rassuré. Il n'avait rien coupé, juste cassé à moitié le morceau qui l'intéressait. Il avait fini le travail en décollant l'écorce par en-dessous. Il en expliqua le principe à Koubaye, tout en ajoutant :
- Tu vois le plus important c'est qu'on ne puisse pas voir que ce n'est pas naturel.
Il fit faire ses premiers essais à son petit-fils. Il le laissa faire, donnant parfois un conseil. À la fin de l'opération, il lui dit :
- Regarde bien l'endroit, mon grand, on reviendra à la saison du soleil et alors tu sauras si tu as bien travaillé.
La saison des neiges se déroula doucement. Koubaye apprit qu’on ne sortait plus quand l’étoile de Lex montait à l’horizon. Son grand-père lui avait montré un jour qu’ils se dépêchaient de rentrer de chez Trumas, ce voisin tellement bavard, qu’on devait toujours courir pour atteindre la maison.
- Mais pourquoi doit-on courir comme ça, grand-père ? J’ai un point de côté !
- L’étoile de Lex va se lever…
- Et alors ?
- Cours, Koubaye, je te le raconterai plus tard.
Ils avaient couru aussi vite, qu’ils pouvaient et avaient atteint la porte de chez eux quand la grand-mère cria :
- Regardez ! L’étoile de Lex !
- Vite ! Vite ! avait répliqué le grand-père.
Koubaye avait quand même pris le temps de la regarder. C’était une grosse étoile rouge, bas sur l'horizon. Alors qu'il s'interrogeait sur la signification, son grand-père l'avait tiré en arrière et avait claqué la porte.
- Ne joue pas à cela, tu vas attirer les bayagas...
- Et c'est quoi ?
- Demain, je te le raconterai demain. Maintenant au lit !
Le lendemain, une neige collante avait recouvert tous les arbres. Koubaye qui n'en avait jamais vu comme celle-là, courut jouer avec. Il ne vit pas la tête rembrunie de son grand-père.
- C’est pas bon ça, dit-il à sa femme !
- Non, ça sent la tempête, répondit-elle. Il aurait pas dû regarder l’étoile de Lex hier soir, les bayagas n’ont pas aimé…
- C’est des superstitions, lui rétorqua le grand-père en faisant un geste de conjuration...
Puis il appela Kouyaba. Il fallait aller s’occuper des bêtes cachées. Ils partirent tôt sans même s’asseoir pour manger. La grand-mère avait sorti des galettes de la réserve et leur avait mis dans des sacs. Tout en marchant et en mangeant, le grand-père expliqua tout ce qu’ils devaient faire et il ajouta :
- Si la neige nous le permet…
Ce fut une journée harassante. Le grand-père restait intransigeant sur les précautions. Il fallait laisser le moins de traces possibles même si la neige et le vent allaient tout effacer. Ils allèrent dans la gorge profonde pour s’occuper d’un premier troupeau. Il y a avait du foin en abondance, les bêtes ne risquaient rien. Par contre, les chèvres ne pouvaient pas rester simplement dans leur coin de forêt. Les épineux qui les cachaient n’arrêteraient pas le vent. Ils se mirent en route en milieu de matinée, alors que des rafales commençaient à secouer les arbres. Ils restèrent pourtant à couvert, évitant de traverser les pâtures. Koubaye ne comprenait pas bien l’excès de précaution de son aïeul. Avec le temps qu’il faisait, qui pourrait bien être dehors ? Une réponse lui vint à l’esprit immédiatement : un voisin. Il en conclut que non seulement il fallait se méfier des hommes du baron, mais qu’il fallait aussi se défier de son voisin. Il interrogea son grand-père :
- C’est pour éviter que Burachka nous voie qu’on passe par le bois noir ?
- Tu sais, Koubaye, moins y a de gens qui savent, moins il y a de risque. Je ne crois pas que Burachka dise quelque chose, mais…
La phrase resta en suspens comme une menace.
Vers midi, le temps s’assombrit. Le grand-père déclara que la neige allait arriver plus vite qu’il ne pensait. Ils pressèrent les bêtes. Bientôt des minuscules flocons de neige dure se mirent à les fouetter au visage. Koubaye qui clignait des yeux pour éviter la douleur, fit comme son grand-père entourant sa tête avec son écharpe. Bientôt, ils ne furent plus que deux silhouettes blanches poussant en avant des animaux qui avaient la forme de grosses boules de neige. Heureusement, ils arrivèrent dans une petite vallée encaissée qui les protégea. Le grand-père prit la tête du troupeau et se dirigea vers un amas rocheux. Il en commença l’escalade et disparut derrière un des blocs. Le bélier l’avait suivi. Koubaye vit disparaître toutes les bêtes. Il trouva la chose extraordinaire. Elles passaient derrière le rocher et ne réapparaissaient pas de l’autre côté. Il continua à encourager de la voix les animaux qui s’égaraient. Il fut le dernier à escalader le pierrier. C’est là qu’il découvrit la faille. Il suivit le dernier chevreau qu’il poussa un peu pour le faire entrer dans ce tunnel sombre. Il avança avec précaution, laissant ses yeux s'habituer au noir. Il marcha ainsi, tâtonnant, butant contre les bêtes qui n’avançaient pas et qu’il devait pousser. Il entendit au loin le bruit du briquet qu’on battait, puis le souffle de celui qui attise le feu. Il vit alors une faible lueur plus loin devant lui. Avec précaution, il se dirigea vers la lueur tremblotante d’un feu qui débutait. Il déboucha dans une salle plus vaste. Son grand-père dans un coin attisait le feu :
- Ferme derrière-toi mon garçon !
Koubaye se retourna pour voir ce qui pouvait servir de porte. Il trouva des branches d’épineux bien sèches, qu’il tira au milieu du passage.
- Mieux que ça, Koubaye ! Je ne voudrais pas que les bayagas puissent passer.
Koubaye jeta un regard inquiet vers le tas de branches. Il fit de son mieux pour obstruer complètement le passage, même s’il se piqua les mains. Il ne comprenait pas bien ce qu’étaient les bayagas, mais n’avait aucune envie de les rencontrer.
- Il faut que la tempête passe, dit le grand-père. On va rester ici pour la journée.
- Et grand-mère ?
- La maison est solide et elle a des provisions.
- On est où ici ?
- Ces grottes ont été découvertes, il y a bien longtemps. Le père du père de mon père et ses aïeux les ont agrandies et aménagées petit à petit. Maintenant, on pourrait y loger tout le troupeau. Il y a d’autres entrées plus loin pour les chevaux ou les vaches. Mais en attendant, on va manger.
D'autres soirs et malheureusement pour l'enfant, c’étaient les plus nombreux, on travaillait le bois pendant que la grand-mère cousait. Il y avait de nombreux outils à réparer ou à refaire. Koubaye apprenait bien. Il fallait choisir le bon bois, et même le bon morceau de bois pour obtenir le résultat souhaité.
Il apprit aussi à préparer en forêt certains arbres pour en obtenir le bois. C'est ainsi que disait son grand-père à sa femme quand ils partaient le faire : “ On va préparer du bois !”. Le grand-père et son petit-fils s'éloignaient avec toute la discrétion possible pour parcourir les bois environnants.
- Tu vois, Koubaye, cette branche fera un bon manche pour une pioche.
La première fois, il avait eu peur pour son grand-père. La justice de Virme était expéditive pour ceux qui coupaient tout ou partie d'un arbre. Mais son grand-père l'avait rassuré. Il n'avait rien coupé, juste cassé à moitié le morceau qui l'intéressait. Il avait fini le travail en décollant l'écorce par en-dessous. Il en expliqua le principe à Koubaye, tout en ajoutant :
- Tu vois le plus important c'est qu'on ne puisse pas voir que ce n'est pas naturel.
Il fit faire ses premiers essais à son petit-fils. Il le laissa faire, donnant parfois un conseil. À la fin de l'opération, il lui dit :
- Regarde bien l'endroit, mon grand, on reviendra à la saison du soleil et alors tu sauras si tu as bien travaillé.
La saison des neiges se déroula doucement. Koubaye apprit qu’on ne sortait plus quand l’étoile de Lex montait à l’horizon. Son grand-père lui avait montré un jour qu’ils se dépêchaient de rentrer de chez Trumas, ce voisin tellement bavard, qu’on devait toujours courir pour atteindre la maison.
- Mais pourquoi doit-on courir comme ça, grand-père ? J’ai un point de côté !
- L’étoile de Lex va se lever…
- Et alors ?
- Cours, Koubaye, je te le raconterai plus tard.
Ils avaient couru aussi vite, qu’ils pouvaient et avaient atteint la porte de chez eux quand la grand-mère cria :
- Regardez ! L’étoile de Lex !
- Vite ! Vite ! avait répliqué le grand-père.
Koubaye avait quand même pris le temps de la regarder. C’était une grosse étoile rouge, bas sur l'horizon. Alors qu'il s'interrogeait sur la signification, son grand-père l'avait tiré en arrière et avait claqué la porte.
- Ne joue pas à cela, tu vas attirer les bayagas...
- Et c'est quoi ?
- Demain, je te le raconterai demain. Maintenant au lit !
Le lendemain, une neige collante avait recouvert tous les arbres. Koubaye qui n'en avait jamais vu comme celle-là, courut jouer avec. Il ne vit pas la tête rembrunie de son grand-père.
- C’est pas bon ça, dit-il à sa femme !
- Non, ça sent la tempête, répondit-elle. Il aurait pas dû regarder l’étoile de Lex hier soir, les bayagas n’ont pas aimé…
- C’est des superstitions, lui rétorqua le grand-père en faisant un geste de conjuration...
Puis il appela Kouyaba. Il fallait aller s’occuper des bêtes cachées. Ils partirent tôt sans même s’asseoir pour manger. La grand-mère avait sorti des galettes de la réserve et leur avait mis dans des sacs. Tout en marchant et en mangeant, le grand-père expliqua tout ce qu’ils devaient faire et il ajouta :
- Si la neige nous le permet…
Ce fut une journée harassante. Le grand-père restait intransigeant sur les précautions. Il fallait laisser le moins de traces possibles même si la neige et le vent allaient tout effacer. Ils allèrent dans la gorge profonde pour s’occuper d’un premier troupeau. Il y a avait du foin en abondance, les bêtes ne risquaient rien. Par contre, les chèvres ne pouvaient pas rester simplement dans leur coin de forêt. Les épineux qui les cachaient n’arrêteraient pas le vent. Ils se mirent en route en milieu de matinée, alors que des rafales commençaient à secouer les arbres. Ils restèrent pourtant à couvert, évitant de traverser les pâtures. Koubaye ne comprenait pas bien l’excès de précaution de son aïeul. Avec le temps qu’il faisait, qui pourrait bien être dehors ? Une réponse lui vint à l’esprit immédiatement : un voisin. Il en conclut que non seulement il fallait se méfier des hommes du baron, mais qu’il fallait aussi se défier de son voisin. Il interrogea son grand-père :
- C’est pour éviter que Burachka nous voie qu’on passe par le bois noir ?
- Tu sais, Koubaye, moins y a de gens qui savent, moins il y a de risque. Je ne crois pas que Burachka dise quelque chose, mais…
La phrase resta en suspens comme une menace.
Vers midi, le temps s’assombrit. Le grand-père déclara que la neige allait arriver plus vite qu’il ne pensait. Ils pressèrent les bêtes. Bientôt des minuscules flocons de neige dure se mirent à les fouetter au visage. Koubaye qui clignait des yeux pour éviter la douleur, fit comme son grand-père entourant sa tête avec son écharpe. Bientôt, ils ne furent plus que deux silhouettes blanches poussant en avant des animaux qui avaient la forme de grosses boules de neige. Heureusement, ils arrivèrent dans une petite vallée encaissée qui les protégea. Le grand-père prit la tête du troupeau et se dirigea vers un amas rocheux. Il en commença l’escalade et disparut derrière un des blocs. Le bélier l’avait suivi. Koubaye vit disparaître toutes les bêtes. Il trouva la chose extraordinaire. Elles passaient derrière le rocher et ne réapparaissaient pas de l’autre côté. Il continua à encourager de la voix les animaux qui s’égaraient. Il fut le dernier à escalader le pierrier. C’est là qu’il découvrit la faille. Il suivit le dernier chevreau qu’il poussa un peu pour le faire entrer dans ce tunnel sombre. Il avança avec précaution, laissant ses yeux s'habituer au noir. Il marcha ainsi, tâtonnant, butant contre les bêtes qui n’avançaient pas et qu’il devait pousser. Il entendit au loin le bruit du briquet qu’on battait, puis le souffle de celui qui attise le feu. Il vit alors une faible lueur plus loin devant lui. Avec précaution, il se dirigea vers la lueur tremblotante d’un feu qui débutait. Il déboucha dans une salle plus vaste. Son grand-père dans un coin attisait le feu :
- Ferme derrière-toi mon garçon !
Koubaye se retourna pour voir ce qui pouvait servir de porte. Il trouva des branches d’épineux bien sèches, qu’il tira au milieu du passage.
- Mieux que ça, Koubaye ! Je ne voudrais pas que les bayagas puissent passer.
Koubaye jeta un regard inquiet vers le tas de branches. Il fit de son mieux pour obstruer complètement le passage, même s’il se piqua les mains. Il ne comprenait pas bien ce qu’étaient les bayagas, mais n’avait aucune envie de les rencontrer.
- Il faut que la tempête passe, dit le grand-père. On va rester ici pour la journée.
- Et grand-mère ?
- La maison est solide et elle a des provisions.
- On est où ici ?
- Ces grottes ont été découvertes, il y a bien longtemps. Le père du père de mon père et ses aïeux les ont agrandies et aménagées petit à petit. Maintenant, on pourrait y loger tout le troupeau. Il y a d’autres entrées plus loin pour les chevaux ou les vaches. Mais en attendant, on va manger.
mardi 24 janvier 2017
Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 4
La saison du soleil touchait à sa fin. Celle des petites pluies commençait. Les grands-parents étaient contents. L'année était bonne. Les récoltes suffisantes et le fourrage engrangé. Koubaye avait participé à la mesure de ses forces. Il avait aidé à rentrer le foin pour les bêtes, une partie dans la grotte, une partie dans la grange. Il ne posait pas de questions. Il avait toujours vu qu'on faisait comme cela. C'est comme pour les bêtes, elles n'étaient jamais toutes au même endroit. Il avait entendu des bribes d'histoires de gens pas si loin que cela qui n'avaient pas fait comme il fallait. Quand le seigneur du lieu où ses sbires venaient, ils prenaient tout. Koubaye avait appris à se méfier de la race des seigneurs. Ils n'étaient pas de leur peuple. C'est le roi Vergent qui les avait fait venir et avec eux le malheur. Tout était bon pour opprimer les gens. Ils avaient édicté des lois et des règlements tous plus durs les uns que les autres. Koubaye et ses grands-parents habitaient loin de la demeure du seigneur. Il fallait cinq jours de voyage pour atteindre la ville, la ville où sa mère travaillait. Il y pensait souvent. Cela faisait bien longtemps qu'il ne l'avait pas vue. Sa grand-mère lui avait dit qu'elle était au service d'une famille seigneuriale. Ses qualités de couturière et sa bonne figure avaient séduit la nièce du seigneur. Cela faisait deux ans qu'elle n'avait pu rentrer. Mais peut-être, l'année prochaine, pourrait-elle venir à la Fête. Koubaye voulait y croire. Le seigneur venait à chacune des Fêtes. Il ne se risquait pas dans la plaine mais prenait ses quartiers avec ses troupes dans la citadelle du baron Virme. Il venait surveiller. Le roi des seigneurs aurait très mal vu que la Fête soit autre chose qu'une fête. Si Virme méprisait le peuple, il n’était pas aussi cruel que les autres seigneurs. Il avait pour lui l'avantage, aux yeux du peuple, de la paresse et des abus d'alcool. Si les impôts qu'il levait étaient lourds, il ne se livrait pas au pillage, préférant la joie de la chasse et des banquets. Koubaye savait que jamais il ne fallait faire confiance à quelqu'un de la race des seigneurs, trop de malheurs en découlaient. Comme jamais il ne fallait se faire prendre dans les rouages de la justice de Virme ou d'un autre. Tout le monde connaissait Résiskia qui avait été accusée d'avoir manqué de respect au seigneur et qui avait eu la langue coupée ainsi que le vieux Gnirad qui, avec ses deux mains coupées, ne survivait que grâce à la charité. Les seules punitions dont il avait entendu parler faisaient appel au fouet, au fer rouge et à la hache. Koubaye était content que ses grands-parents habitent près de la barre rocheuse et loin de la citadelle de Virme. Le baron venait rarement dans cette partie de son territoire. Trop escarpé, le terrain n'était pas favorable à la chasse à cheval. Koubaye connaissait bien sa petite région, nettement mieux que les sbires du baron. Quand ses corvées habituelles lui laissaient du temps ou quand il gardait les bêtes, il explorait les environs. C'est ainsi qu'en cette saison des petites pluies, il avait découvert différentes tanières et des sources. Il aimait bien cette vie et se sentait fier d'habiter près du rocher du roi Riou. La ferme de ses grands-parents était la dernière de cette petite vallée. Située assez haut sur le versant de la colline du rocher, elle bénéficiait d'un bon ensoleillement et était protégée du vent du Nord par la colline elle-même. La partie visible était composée d'un corps de bâtiment en pierres sèches recouvert d'un toit de terre. Elle était assez sombre malgré les rares ouvertures tournées vers le sud. Elle se composait de trois pièces. Son grand-père disait avec fierté qu'elle était déjà là du temps du roi Riou. Au fond de la pièce principale s'ouvrait la resserre. Elle avait été creusée dans la colline elle-même. Les occupants successifs l'avaient agrandie et une entrée secrète donnait accès à la partie cachée de la demeure. Aussi grande que la partie visible, il y avait là ce qui était précieux et les vivres pour survivre même après un pillage ou un incendie. Koubaye savait qu'il existait d'autres caches mais il ne les connaissait pas. Seuls ses grands-parents en savaient tous les secrets. On venait parfois de loin pour demander conseil au vieil homme sur la meilleure manière de faire une cache ou un abri discret pour le bétail.
Il arrivait même à Koubaye d'aider les voisins. C'est ainsi que parfois il conduisait les bêtes de Burachka sa voisine au pied de la barre rocheuse où trônait le roi Riou. Il aimait grimper dessus malgré les difficultés. La première fois qu'il y était parvenu, il en avait découvert la taille. Haut comme plusieurs hommes, c'était la statue d'un géant. Son imagination s'enflammait. Suivant les jours il était un des valeureux guerriers du roi, ou le roi lui-même revenant délivrer son peuple de la race des seigneurs.
C'est ainsi qu'il passa sa première saison des petites pluies de jeune sachant.
Il arrivait même à Koubaye d'aider les voisins. C'est ainsi que parfois il conduisait les bêtes de Burachka sa voisine au pied de la barre rocheuse où trônait le roi Riou. Il aimait grimper dessus malgré les difficultés. La première fois qu'il y était parvenu, il en avait découvert la taille. Haut comme plusieurs hommes, c'était la statue d'un géant. Son imagination s'enflammait. Suivant les jours il était un des valeureux guerriers du roi, ou le roi lui-même revenant délivrer son peuple de la race des seigneurs.
C'est ainsi qu'il passa sa première saison des petites pluies de jeune sachant.
mercredi 11 janvier 2017
Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 3
Koubaye avait demandé, quelques jours plus tard à sa grand-mère ce qu'était devenue la princesse.
- Nul ne le sait, mon enfant, nul ne le sait. Seule la légende raconte qu'elle a galopé jusqu'au bout du monde et que là, face au mur des étoiles, elle a invoqué le roi des dieux qui s'est ému. Alors le roi des dieux a changé son blanc destrier en constellation et il a fait d'elle la plus belle des étoiles.
- Et c'est laquelle ?
- Te souviens-tu de la Fête ?
- La grande Fête dans la plaine ?
- Oui, la grande Fête où tout le peuple se réunit dans la plaine pendant trois jours.
- Oh oui !
Les yeux de koubaye brillèrent à l'évocation de toutes les bonnes choses qu'il avait mangées, de tous les jeux auxquels il avait joué et surtout du laxisme des adultes à son égard et à l'égard des enfants qu'ils avaient laissés libres de corvées et de règles. Il avait mangé, dormi, joué où il voulait comme il voulait, regrettant au bout de trois jours que son quotidien ne soit pas comme cela. Le point culminant de la Fête était le matin et la nuit du deuxième jour. Comme mus par un signal, tous les hommes présents s'étaient tournés vers l'endroit où se lève le soleil. Ils avaient levé qui son verre, qui sa coupe, qui sa chope ou son pichet. Le silence s'était fait. Comme une marée, il avait gagné toute la plaine. Les enfants eux-mêmes s'étaient arrêtés, interloqués par cette brutale absence de bruit humain. Seuls les animaux continuèrent par leurs cris à peupler le lieu. Aujourd'hui, Koubaye comprenait. Tous les hommes avaient salué le rocher du roi Riou au moment même où le soleil couchant l'illuminait.
L'autre moment fort qui avait aussi interrompu ses jeux était survenu plus tard. Alors que la nuit était complète, tous les femmes d'une même voix, avaient hurlé : “ Elle est revenue!”
Alors la Fête avait perdu toutes mesures. Les boissons fortes avaient coulé à flot. Il avait vu maints couples s'éloigner dans la pénombre. Il en avait conclu que la Fête était aussi la saison des amours dans son peuple.
- Te rappelles-tu le cri des femmes ?
- Ah oui ! Je jouais à me cacher…
- Et bien, ce cri salue le retour de la Constellation Blanche dont les étoiles sont si brillantes qu’on peut les voir tout le temps de la saison du soleil même quand la lune brille de tout son éclat.
- Et c'est elle la princesse ?
- Oui, Koubaye. C'est ainsi qu'elle continue de vivre sans que Youlba ne puisse l'atteindre. C'est elle qui guidera le roi Riou quand il se lèvera du rocher. Mais assez parlé, il se fait tard. Il me faut de l'eau et du bois.
Koubaye se dépêcha de sortir pour aller chercher ce qu'on lui avait demandé. Il avait encore beaucoup de questions. Il savait déjà s'il était préférable de ne pas trop importuner les adultes.
- Nul ne le sait, mon enfant, nul ne le sait. Seule la légende raconte qu'elle a galopé jusqu'au bout du monde et que là, face au mur des étoiles, elle a invoqué le roi des dieux qui s'est ému. Alors le roi des dieux a changé son blanc destrier en constellation et il a fait d'elle la plus belle des étoiles.
- Et c'est laquelle ?
- Te souviens-tu de la Fête ?
- La grande Fête dans la plaine ?
- Oui, la grande Fête où tout le peuple se réunit dans la plaine pendant trois jours.
- Oh oui !
Les yeux de koubaye brillèrent à l'évocation de toutes les bonnes choses qu'il avait mangées, de tous les jeux auxquels il avait joué et surtout du laxisme des adultes à son égard et à l'égard des enfants qu'ils avaient laissés libres de corvées et de règles. Il avait mangé, dormi, joué où il voulait comme il voulait, regrettant au bout de trois jours que son quotidien ne soit pas comme cela. Le point culminant de la Fête était le matin et la nuit du deuxième jour. Comme mus par un signal, tous les hommes présents s'étaient tournés vers l'endroit où se lève le soleil. Ils avaient levé qui son verre, qui sa coupe, qui sa chope ou son pichet. Le silence s'était fait. Comme une marée, il avait gagné toute la plaine. Les enfants eux-mêmes s'étaient arrêtés, interloqués par cette brutale absence de bruit humain. Seuls les animaux continuèrent par leurs cris à peupler le lieu. Aujourd'hui, Koubaye comprenait. Tous les hommes avaient salué le rocher du roi Riou au moment même où le soleil couchant l'illuminait.
L'autre moment fort qui avait aussi interrompu ses jeux était survenu plus tard. Alors que la nuit était complète, tous les femmes d'une même voix, avaient hurlé : “ Elle est revenue!”
Alors la Fête avait perdu toutes mesures. Les boissons fortes avaient coulé à flot. Il avait vu maints couples s'éloigner dans la pénombre. Il en avait conclu que la Fête était aussi la saison des amours dans son peuple.
- Te rappelles-tu le cri des femmes ?
- Ah oui ! Je jouais à me cacher…
- Et bien, ce cri salue le retour de la Constellation Blanche dont les étoiles sont si brillantes qu’on peut les voir tout le temps de la saison du soleil même quand la lune brille de tout son éclat.
- Et c'est elle la princesse ?
- Oui, Koubaye. C'est ainsi qu'elle continue de vivre sans que Youlba ne puisse l'atteindre. C'est elle qui guidera le roi Riou quand il se lèvera du rocher. Mais assez parlé, il se fait tard. Il me faut de l'eau et du bois.
Koubaye se dépêcha de sortir pour aller chercher ce qu'on lui avait demandé. Il avait encore beaucoup de questions. Il savait déjà s'il était préférable de ne pas trop importuner les adultes.
mardi 3 janvier 2017
Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 2
- Il y a bien longtemps…
L'enfant fut ravi. Il adorait les histoires que lui racontait son grand-père. Ils avançaient tranquillement tout en faisant leur travail, c'est-à-dire ramasser du bois pour le feu. Malgré son jeune âge, Koubaye savait ce qu'il avait à faire. Si son grand-père faisait un fagot de belles branches tombées, lui faisait la même chose avec du petit bois. Ils étaient sur les terres du seigneur Vrenne. S'ils se faisaient prendre à couper un arbre même petit, le châtiment était terrible. Koubaye avait bien compris cela… quelle que soit la faute, le châtiment était toujours terrible.
- Il y a bien longtemps, sur ces terres, vivait un roi puissant. Il était bon et juste. Ses sujets l’aimaient. C'était le temps de la paix. Les grandes pluies venaient en leur temps et les récoltes étaient abondantes. À la saison des neiges, on avait assez pour les hommes et pour les bêtes. Malheureusement, ce roi n'avait qu'une fille. Elle était belle et sensible. Il avait bien essayé de lui apprendre le métier des armes mais elle était de constitution trop fragile. On voyait régulièrement son front se plisser de souci. Qui pourrait lui succéder ? Ses puissants voisins rêvaient de marier un des leurs avec la belle princesse. Mais le bon roi Riou ne pouvait se résoudre à marier sa fille à l'un de ces prétendants, tout en muscles et au crâne vide. Il savait que cela reviendrait à perdre son indépendance. D’années en années, ils se firent plus pressants. Le pire fut le roi Vergent qui, à la fin de la saison des neiges, lui envoya un ultimatum. Soit le roi Riou acceptait l'alliance de sa fille avec son meilleur général, soit ce serait la guerre. Ce fut le début de la période sombre.
Le roi devint d'humeur triste lui qui avait toujours été gai. La princesse pleurait tous les jours. Les prêtres firent un rite divinatoire. Les oracles eux-mêmes, se révélèrent néfastes. La guerre bouchait l'horizon. Si le roi donnait sa fille en mariage, Vergent serait content mais son autre voisin, le bouillant Tonne, dit le massacreur, refuserait la situation. Un Vergent trop puissant à sa porte le mettrait sur le chemin du combat…
Mais chut ! Cachons-nous, voilà quelqu'un!
Ils posèrent leurs fardeaux à moitié dans un buisson et se cachèrent derrière.
Bientôt la cavalcade se rapprocha. De leur cachette, ils virent passer cinq cavaliers au grand galop.
- Alors, Virme, tu vieillis… Tu perds la chasse…
- Vas-te….
Le reste des paroles se perdit dans le lointain. Le vieil homme et l'enfant sortirent du buisson. Le garçon avait les yeux brillants d'excitation d'avoir vu les cavaliers.
- Moi, quand je serai grand j'aurai aussi des beaux habits et un beau cheval…
- Ne rêve pas, Koubaye, c'est pas pour nous!
Le ton presque colérique de son grand-père lui fit peur. Koubaye préféra changer de sujet.
- Et mon histoire ?
Le grand-père lui sourit et reprit :
- Cette année-là la saison des grandes pluies fut trop longue. Les récoltes attrapèrent la maladie. La catastrophe était sur le royaume. Le bon roi Riou avait convoqué l'armée, pendant que les prêtres cherchaient le coupable. Seul un dieu avait de tels pouvoirs, déclarèrent-ils. Ils sacrifièrent même des chevaux blancs du haras personnel du roi, mais la réponse ne vint pas. Le roi partit aux premiers jours de ce qui devait être la saison du soleil. Ce fut un triste spectacle que de voir partir tous ces braves sous la pluie et le vent. Quand les inondations survinrent, les prêtres, après d'autres sacrifices, annoncèrent que la déesse Youlba était jalouse de la beauté de la princesse. Elle l’avait vue venir prier au pied de l'arbre sacré et avait trouvé insupportable qu'une simple mortelle atteigne un tel degré de beauté. En apprenant cela, la princesse avait quitté le château en déclarant qu'il était préférable qu'elle meure et que son peuple vive. Elle avait fui, simplement vêtue de sa belle robe blanche, et chevauchant le meilleur cheval de son père. C'était un bel étalon blanc, le plus rapide et le plus puissant de tout le royaume. Si bien que les soldats et les serviteurs qui se sont lancés à sa recherche ne l'ont jamais retrouvée.
Le roi Riou avait déjà rangé son armée en poste de bataille quand il apprit la nouvelle. Il en eut le coeur déchiré. En face, Vergent était à la tête de ses troupes. De chaque côté de la plaine, les deux armées se défièrent. Les deux rois s'avancèrent sous un ciel bas et noir. Ils n'avaient pas fait la moitié du chemin que Youlba elle-même lança la charge. Ses éclairs arrivèrent du Nord illuminant le paysage d'une couleur blafarde. Des rafales de pluie cinglèrent les deux armées. Le roi Riou qui avait choisi de se positionner au sud, dut se protéger le visage pour ne pas être aveuglé. Vergent voyant l'action de Youlba, lança la charge sans attendre. Le roi Riou ne dut son salut qu'à son cheval de guerre, plus rapide que ceux des ennemis. Le premier choc fut d'une extrême violence. Youlba redoubla de colère. La pluie déjà abondante devint déluge. Le vent, par ses rafales, rendait la cavalerie inefficace. Vergent, qui avait trouvé une position plus abritée, fit manoeuvrer ses fantassins. Le roi Riou, embourbé, était tombé de cheval. Piétinant dans la boue, luttant pour rejoindre son état-major, il vit la bataille tourner au désastre. Partout où le roi portait son regard, il ne voyait que des ennemis. Son encerclement menaçait. C'est alors qu'il vit un dernier carré debout, luttant pied à pied. Il reconnut sa garde personnelle. Rejoignant leurs rangs pour mourir avec eux, il entendit son plus fidèle capitaine lui dire :
- Fuyez, Majesté! Votre peuple a besoin de vous !
Ses gardes manœuvrèrent pour lui frayer un passage vers un bois proche…
Mais tu ne travailles pas !
Koubaye sortit brutalement de son rêve éveillé. Il avait imaginé la bataille et la colère de Youlba. Il était un garde qui défendait son roi jusqu'à la mort quand était arrivée la remontrance.
- Si,si, grand-père, je travaille…
Joignant le geste à la parole, il ramassa quelques brindilles. Penché en avant, il ne vit pas le sourire narquois du vieil homme. Celui-ci resta silencieux un moment. Koubaye en était mortifié. Il avait trop peur de ne pas avoir la fin de la légende. Il l'avait déjà entendue lors de soirées ou lors de fêtes, mais il s'était toujours endormi avant la fin. Si son grand-père la lui racontait aujourd'hui, c'est qu'il le jugeait assez grand pour la retenir et en comprendre l'importance. Il se sentit fier. Ils étaient maintenant proches de l'orée du bois. Koubaye connaissait l'endroit. Ils allaient traverser la prairie où leur voisin mettait ses bêtes, passer sous la grande barre rocheuse à la forme si curieuse et descendre par le chemin creux pour arriver chez eux.
Son grand-père s'arrêta juste avant de sortir du bois. Il posa son fagot au sol et se mit à la hauteur de son petit-fils. Quand Koubaye sentit son grand-père le prendre par les épaules et le regarder droit dans les yeux, il fut très impressionné.
- Tu es grand maintenant. Il est temps que tu apprennes et que tu saches. Mais ce que je vais te dire doit rester secret. C'est le secret de notre peuple.
Koubaye avala sa salive et dit :
- Je te le jure par le roi des dieux !
Il avait dit les mots avec emphase. Dans d'autres circonstances, cela aurait fait rire son grand-père.
- Bien, dit le vieil homme, Alors écoute et retiens. La grande bataille entre notre bon roi Riou et Vergent s'est déroulée dans la plaine, là, en bas. Le roi Riou a fui dans cette forêt où nous venons de ramasser du bois. Blessé, avec les soldats de Vergent qui le poursuivaient, il a affronté Youlba et sa colère. Mais que peut un homme, fût-ce un roi, contre un dieu ? Le roi Riou a jeté toutes ses forces dans la bataille en invoquant Thra le dieu de la terre. Et Thra lui a répondu. Alors que Youlba croyait tenir la victoire, Thra a assis le roi Riou sur un trône de pierre en donnant la prophétie qu'au temps voulu par Rma le fileur de temps, le roi Riou reviendrait porteur de la pierre sacrée. Alors nous reviendrons libres. Maintenant, regarde…
Le vieil homme lui montra la barre rocheuse.
- … tu vois ce rocher et sa forme.
Alors pour Koubaye, tout fut clair. Il ne vit plus un rocher mais un trône où était assis le roi Riou. Et les formes curieuses qui en décoraient le torse étaient les runes de la prophétie.
Ils restèrent là un moment. Puis reprenant leurs charges, ils se dirigèrent vers la maison.
L'enfant fut ravi. Il adorait les histoires que lui racontait son grand-père. Ils avançaient tranquillement tout en faisant leur travail, c'est-à-dire ramasser du bois pour le feu. Malgré son jeune âge, Koubaye savait ce qu'il avait à faire. Si son grand-père faisait un fagot de belles branches tombées, lui faisait la même chose avec du petit bois. Ils étaient sur les terres du seigneur Vrenne. S'ils se faisaient prendre à couper un arbre même petit, le châtiment était terrible. Koubaye avait bien compris cela… quelle que soit la faute, le châtiment était toujours terrible.
- Il y a bien longtemps, sur ces terres, vivait un roi puissant. Il était bon et juste. Ses sujets l’aimaient. C'était le temps de la paix. Les grandes pluies venaient en leur temps et les récoltes étaient abondantes. À la saison des neiges, on avait assez pour les hommes et pour les bêtes. Malheureusement, ce roi n'avait qu'une fille. Elle était belle et sensible. Il avait bien essayé de lui apprendre le métier des armes mais elle était de constitution trop fragile. On voyait régulièrement son front se plisser de souci. Qui pourrait lui succéder ? Ses puissants voisins rêvaient de marier un des leurs avec la belle princesse. Mais le bon roi Riou ne pouvait se résoudre à marier sa fille à l'un de ces prétendants, tout en muscles et au crâne vide. Il savait que cela reviendrait à perdre son indépendance. D’années en années, ils se firent plus pressants. Le pire fut le roi Vergent qui, à la fin de la saison des neiges, lui envoya un ultimatum. Soit le roi Riou acceptait l'alliance de sa fille avec son meilleur général, soit ce serait la guerre. Ce fut le début de la période sombre.
Le roi devint d'humeur triste lui qui avait toujours été gai. La princesse pleurait tous les jours. Les prêtres firent un rite divinatoire. Les oracles eux-mêmes, se révélèrent néfastes. La guerre bouchait l'horizon. Si le roi donnait sa fille en mariage, Vergent serait content mais son autre voisin, le bouillant Tonne, dit le massacreur, refuserait la situation. Un Vergent trop puissant à sa porte le mettrait sur le chemin du combat…
Mais chut ! Cachons-nous, voilà quelqu'un!
Ils posèrent leurs fardeaux à moitié dans un buisson et se cachèrent derrière.
Bientôt la cavalcade se rapprocha. De leur cachette, ils virent passer cinq cavaliers au grand galop.
- Alors, Virme, tu vieillis… Tu perds la chasse…
- Vas-te….
Le reste des paroles se perdit dans le lointain. Le vieil homme et l'enfant sortirent du buisson. Le garçon avait les yeux brillants d'excitation d'avoir vu les cavaliers.
- Moi, quand je serai grand j'aurai aussi des beaux habits et un beau cheval…
- Ne rêve pas, Koubaye, c'est pas pour nous!
Le ton presque colérique de son grand-père lui fit peur. Koubaye préféra changer de sujet.
- Et mon histoire ?
Le grand-père lui sourit et reprit :
- Cette année-là la saison des grandes pluies fut trop longue. Les récoltes attrapèrent la maladie. La catastrophe était sur le royaume. Le bon roi Riou avait convoqué l'armée, pendant que les prêtres cherchaient le coupable. Seul un dieu avait de tels pouvoirs, déclarèrent-ils. Ils sacrifièrent même des chevaux blancs du haras personnel du roi, mais la réponse ne vint pas. Le roi partit aux premiers jours de ce qui devait être la saison du soleil. Ce fut un triste spectacle que de voir partir tous ces braves sous la pluie et le vent. Quand les inondations survinrent, les prêtres, après d'autres sacrifices, annoncèrent que la déesse Youlba était jalouse de la beauté de la princesse. Elle l’avait vue venir prier au pied de l'arbre sacré et avait trouvé insupportable qu'une simple mortelle atteigne un tel degré de beauté. En apprenant cela, la princesse avait quitté le château en déclarant qu'il était préférable qu'elle meure et que son peuple vive. Elle avait fui, simplement vêtue de sa belle robe blanche, et chevauchant le meilleur cheval de son père. C'était un bel étalon blanc, le plus rapide et le plus puissant de tout le royaume. Si bien que les soldats et les serviteurs qui se sont lancés à sa recherche ne l'ont jamais retrouvée.
Le roi Riou avait déjà rangé son armée en poste de bataille quand il apprit la nouvelle. Il en eut le coeur déchiré. En face, Vergent était à la tête de ses troupes. De chaque côté de la plaine, les deux armées se défièrent. Les deux rois s'avancèrent sous un ciel bas et noir. Ils n'avaient pas fait la moitié du chemin que Youlba elle-même lança la charge. Ses éclairs arrivèrent du Nord illuminant le paysage d'une couleur blafarde. Des rafales de pluie cinglèrent les deux armées. Le roi Riou qui avait choisi de se positionner au sud, dut se protéger le visage pour ne pas être aveuglé. Vergent voyant l'action de Youlba, lança la charge sans attendre. Le roi Riou ne dut son salut qu'à son cheval de guerre, plus rapide que ceux des ennemis. Le premier choc fut d'une extrême violence. Youlba redoubla de colère. La pluie déjà abondante devint déluge. Le vent, par ses rafales, rendait la cavalerie inefficace. Vergent, qui avait trouvé une position plus abritée, fit manoeuvrer ses fantassins. Le roi Riou, embourbé, était tombé de cheval. Piétinant dans la boue, luttant pour rejoindre son état-major, il vit la bataille tourner au désastre. Partout où le roi portait son regard, il ne voyait que des ennemis. Son encerclement menaçait. C'est alors qu'il vit un dernier carré debout, luttant pied à pied. Il reconnut sa garde personnelle. Rejoignant leurs rangs pour mourir avec eux, il entendit son plus fidèle capitaine lui dire :
- Fuyez, Majesté! Votre peuple a besoin de vous !
Ses gardes manœuvrèrent pour lui frayer un passage vers un bois proche…
Mais tu ne travailles pas !
Koubaye sortit brutalement de son rêve éveillé. Il avait imaginé la bataille et la colère de Youlba. Il était un garde qui défendait son roi jusqu'à la mort quand était arrivée la remontrance.
- Si,si, grand-père, je travaille…
Joignant le geste à la parole, il ramassa quelques brindilles. Penché en avant, il ne vit pas le sourire narquois du vieil homme. Celui-ci resta silencieux un moment. Koubaye en était mortifié. Il avait trop peur de ne pas avoir la fin de la légende. Il l'avait déjà entendue lors de soirées ou lors de fêtes, mais il s'était toujours endormi avant la fin. Si son grand-père la lui racontait aujourd'hui, c'est qu'il le jugeait assez grand pour la retenir et en comprendre l'importance. Il se sentit fier. Ils étaient maintenant proches de l'orée du bois. Koubaye connaissait l'endroit. Ils allaient traverser la prairie où leur voisin mettait ses bêtes, passer sous la grande barre rocheuse à la forme si curieuse et descendre par le chemin creux pour arriver chez eux.
Son grand-père s'arrêta juste avant de sortir du bois. Il posa son fagot au sol et se mit à la hauteur de son petit-fils. Quand Koubaye sentit son grand-père le prendre par les épaules et le regarder droit dans les yeux, il fut très impressionné.
- Tu es grand maintenant. Il est temps que tu apprennes et que tu saches. Mais ce que je vais te dire doit rester secret. C'est le secret de notre peuple.
Koubaye avala sa salive et dit :
- Je te le jure par le roi des dieux !
Il avait dit les mots avec emphase. Dans d'autres circonstances, cela aurait fait rire son grand-père.
- Bien, dit le vieil homme, Alors écoute et retiens. La grande bataille entre notre bon roi Riou et Vergent s'est déroulée dans la plaine, là, en bas. Le roi Riou a fui dans cette forêt où nous venons de ramasser du bois. Blessé, avec les soldats de Vergent qui le poursuivaient, il a affronté Youlba et sa colère. Mais que peut un homme, fût-ce un roi, contre un dieu ? Le roi Riou a jeté toutes ses forces dans la bataille en invoquant Thra le dieu de la terre. Et Thra lui a répondu. Alors que Youlba croyait tenir la victoire, Thra a assis le roi Riou sur un trône de pierre en donnant la prophétie qu'au temps voulu par Rma le fileur de temps, le roi Riou reviendrait porteur de la pierre sacrée. Alors nous reviendrons libres. Maintenant, regarde…
Le vieil homme lui montra la barre rocheuse.
- … tu vois ce rocher et sa forme.
Alors pour Koubaye, tout fut clair. Il ne vit plus un rocher mais un trône où était assis le roi Riou. Et les formes curieuses qui en décoraient le torse étaient les runes de la prophétie.
Ils restèrent là un moment. Puis reprenant leurs charges, ils se dirigèrent vers la maison.
jeudi 22 décembre 2016
Ainsi parla Rma, le fileur de temps...
L'homme s’avançait en titubant. Il avait une épée dans la main droite et une flèche dans le flanc gauche. Il marchait dans un sous-bois dense et sombre, au-dessus, de grands arbres au feuillage dense étouffaient la lumière. Le vent et une forte pluie couvraient les bruits de la forêt. L'homme en était heureux. Cela effacerait ses traces et noierait son sang. Même le meilleur des chiens ne pourrait trouver sa piste. Il s’arrêta un moment, maintenant qu’il était sûr d'avoir semé ses poursuivants. Depuis que la bataille avait tourné au désastre pour lui et pour les siens, il fuyait. Il avait échappé plusieurs fois à ses ennemis. La dernière escarmouche avait failli se terminer par sa capture. Il avait pris une flèche et ne devait son salut qu'à un ours que ce remue-ménage avait dérangé et à l'orage qui s'était déclenché.
Il arriva à l'orée du bois. Devant lui, la colline se couvrait de prairies parsemées de rochers de toutes tailles. Il reconnut les lieux. L'espoir revint le visiter. Il allait peut-être recevoir de l'aide. Plus loin, dans la vallée, vivait un de ses fidèles serviteurs. Il s'engagea sur l'herbe glissante. Des trombes d'eau lui cinglaient le visage. Il atteignit le premier bloc de roches sans trop glisser en utilisant son épée comme un bâton. Il se reposa un moment. Les éclairs illuminaient le paysage. Il observa les alentours. Il était à flanc de colline, proche du sommet. La terre était détrempée. Les pluies étaient trop abondantes cette année. Il pensa que les récoltes seraient mauvaises. Il eut un sourire las. Il pensait aux récoltes alors qu’il n’était plus qu’une bête traquée. Devant lui, la voie était libre. Il essaya de voir la meilleure voie pour ne pas chuter sur ce passage pentu. Il repéra un peu plus bas une barre rocheuse. Le mieux serait de descendre pour l'atteindre. Il commença sa progression, la main gauche tenant la hampe de la flèche. Malgré toutes ses précautions, elle lui déchirait le flanc. Dès qu'il pourrait, il la couperait. Il était à mi-chemin de son objectif, quand il entendit un sourd grondement. Sous ses pieds la terre trembla un peu et d'un coup se déroba. Une bonne partie de la colline au-dessus de lui se liquéfia. L'homme fut emporté.
La coulée de boue se brisa sur les rochers en-dessous, les engloutit un instant et continua son chemin vers la vallée en balayant un groupe de soldats qui furetaient par là.
Il arriva à l'orée du bois. Devant lui, la colline se couvrait de prairies parsemées de rochers de toutes tailles. Il reconnut les lieux. L'espoir revint le visiter. Il allait peut-être recevoir de l'aide. Plus loin, dans la vallée, vivait un de ses fidèles serviteurs. Il s'engagea sur l'herbe glissante. Des trombes d'eau lui cinglaient le visage. Il atteignit le premier bloc de roches sans trop glisser en utilisant son épée comme un bâton. Il se reposa un moment. Les éclairs illuminaient le paysage. Il observa les alentours. Il était à flanc de colline, proche du sommet. La terre était détrempée. Les pluies étaient trop abondantes cette année. Il pensa que les récoltes seraient mauvaises. Il eut un sourire las. Il pensait aux récoltes alors qu’il n’était plus qu’une bête traquée. Devant lui, la voie était libre. Il essaya de voir la meilleure voie pour ne pas chuter sur ce passage pentu. Il repéra un peu plus bas une barre rocheuse. Le mieux serait de descendre pour l'atteindre. Il commença sa progression, la main gauche tenant la hampe de la flèche. Malgré toutes ses précautions, elle lui déchirait le flanc. Dès qu'il pourrait, il la couperait. Il était à mi-chemin de son objectif, quand il entendit un sourd grondement. Sous ses pieds la terre trembla un peu et d'un coup se déroba. Une bonne partie de la colline au-dessus de lui se liquéfia. L'homme fut emporté.
La coulée de boue se brisa sur les rochers en-dessous, les engloutit un instant et continua son chemin vers la vallée en balayant un groupe de soldats qui furetaient par là.
samedi 3 septembre 2016
Les mondes noirs : Épilogue
Chimla, la déesse bleue, regardait ses adorateurs lui offrir leurs offrandes. Elle vivait auprès du dieu blanc mais aussi dans toutes les sources et toutes les fontaines.
Elle n’avait pas le souvenir précis de ce qu’il s’était passé quand l’homonculus s’était réveillé dans l’arbre premier. Elle allait disparaître aspirée par la vase quand une lumière blanche avait inondé le lieu de son supplice. Une main de feu l’avait saisie, brûlant tout l’inutile. Elle avait vu d’autres flammes blanches prendre Salone, Luzmil et Luzta. Ils s’étaient retrouvés, flottant autour d’une mince branche devenant arbre de lumière. Le temps n’y existait plus. Le monde se redécouvrait au fur et à mesure que la lumière progressait. Les paroles furent inutiles tant la communion était parfaite. Chimla sut comment l’arbre premier avait été piégé par la perversion des hommes qui avaient utilisé la Sanmaya par amour du pouvoir. Elle vit les mages au cœur noir enfermer la lumière dans l’homonculus, desséchant l’arbre et voilant le soleil.
Elle vit en un instant l’histoire du peuple qui lui avait donné le jour. Les mages ne pouvaient détruire la lumière. Nul ne peut dire l’ombre sans la lumière. Ils avaient alors enfermé l’homonculus dans une Idole et l’Idole dans des rites, ajoutant leur noire magie à chaque étape. Ils avaient alors soumis le monde qui en était devenu noir. Les générations avaient succédé aux générations. L’oubli avait fait son œuvre. Seule la source de la lumière savait. Enfermée dans l’homonculus, elle, qui était source et racine, avait agi petit à petit jusqu’à ce que naisse celui qui serait la main du destin. L’ombre en voulant l’ombre avait empli le cœur d’un vieux prêtre aigri. Sans le savoir, il était remonté aux racines de la Sanmaya, dont la puissance n’était que l’ombre de la puissance de la lumière. Karabval, dans son désir d’être, avait été le véhicule que la lumière s’était choisi pour retourner au lieu de l’arbre premier.
Les maîtres de la Sanmaya avaient compris trop tard. Ils pensaient l’ombre si noire qu’ils en avaient oublié qu’elle n’était que ce que la lumière n’éclairait pas. L’homonculus avait mis, dans l’amulette du clan bleu, un pouvoir de guérison et d’apaisement. C’est grâce à elle que Karabval avait tenu assez longtemps pour jouer son rôle et déposer l’homonculus dans l’arbre premier. C’est encore grâce à elle que Chimla et les autres étaient arrivés jusqu’au lac de l’arbre premier.
Les maîtres des forces noires avaient fait l’erreur de s’unir pour, croyaient-ils, sauver leur pouvoir. Seule la lumière est une. La Sanmaya ne savait manipuler que les forces de destruction et de mort. Quand ils avaient ouvert les vannes de sa puissance par leurs rituels, ils n’avaient fait qu’ouvrir les vannes du néant.
Chimla avait senti toute la puissance de l’arbre de lumière quand il l’avait accueillie. Elle avait contemplé tous les possibles qui étaient en lui. Elle avait contemplé la racine de la Vie. Délestée de tout son inutile, elle avait communié à cette puissance. Salone l’avait rejointe, bientôt suivi de Luzta et Luzmil.
Alors l’arbre premier leur avait donné mission de recréer le monde. Chimla avait choisi d’être celle qui irrigue et qui désaltère. Salone devint le dieu des foyers et des flammes. Luzmil devint celle qui éclaire le jour et Luzta celle qui éclaire la nuit pour que jamais l’ombre ne soit complète.
Elle n’avait pas le souvenir précis de ce qu’il s’était passé quand l’homonculus s’était réveillé dans l’arbre premier. Elle allait disparaître aspirée par la vase quand une lumière blanche avait inondé le lieu de son supplice. Une main de feu l’avait saisie, brûlant tout l’inutile. Elle avait vu d’autres flammes blanches prendre Salone, Luzmil et Luzta. Ils s’étaient retrouvés, flottant autour d’une mince branche devenant arbre de lumière. Le temps n’y existait plus. Le monde se redécouvrait au fur et à mesure que la lumière progressait. Les paroles furent inutiles tant la communion était parfaite. Chimla sut comment l’arbre premier avait été piégé par la perversion des hommes qui avaient utilisé la Sanmaya par amour du pouvoir. Elle vit les mages au cœur noir enfermer la lumière dans l’homonculus, desséchant l’arbre et voilant le soleil.
Elle vit en un instant l’histoire du peuple qui lui avait donné le jour. Les mages ne pouvaient détruire la lumière. Nul ne peut dire l’ombre sans la lumière. Ils avaient alors enfermé l’homonculus dans une Idole et l’Idole dans des rites, ajoutant leur noire magie à chaque étape. Ils avaient alors soumis le monde qui en était devenu noir. Les générations avaient succédé aux générations. L’oubli avait fait son œuvre. Seule la source de la lumière savait. Enfermée dans l’homonculus, elle, qui était source et racine, avait agi petit à petit jusqu’à ce que naisse celui qui serait la main du destin. L’ombre en voulant l’ombre avait empli le cœur d’un vieux prêtre aigri. Sans le savoir, il était remonté aux racines de la Sanmaya, dont la puissance n’était que l’ombre de la puissance de la lumière. Karabval, dans son désir d’être, avait été le véhicule que la lumière s’était choisi pour retourner au lieu de l’arbre premier.
Les maîtres de la Sanmaya avaient compris trop tard. Ils pensaient l’ombre si noire qu’ils en avaient oublié qu’elle n’était que ce que la lumière n’éclairait pas. L’homonculus avait mis, dans l’amulette du clan bleu, un pouvoir de guérison et d’apaisement. C’est grâce à elle que Karabval avait tenu assez longtemps pour jouer son rôle et déposer l’homonculus dans l’arbre premier. C’est encore grâce à elle que Chimla et les autres étaient arrivés jusqu’au lac de l’arbre premier.
Les maîtres des forces noires avaient fait l’erreur de s’unir pour, croyaient-ils, sauver leur pouvoir. Seule la lumière est une. La Sanmaya ne savait manipuler que les forces de destruction et de mort. Quand ils avaient ouvert les vannes de sa puissance par leurs rituels, ils n’avaient fait qu’ouvrir les vannes du néant.
Chimla avait senti toute la puissance de l’arbre de lumière quand il l’avait accueillie. Elle avait contemplé tous les possibles qui étaient en lui. Elle avait contemplé la racine de la Vie. Délestée de tout son inutile, elle avait communié à cette puissance. Salone l’avait rejointe, bientôt suivi de Luzta et Luzmil.
Alors l’arbre premier leur avait donné mission de recréer le monde. Chimla avait choisi d’être celle qui irrigue et qui désaltère. Salone devint le dieu des foyers et des flammes. Luzmil devint celle qui éclaire le jour et Luzta celle qui éclaire la nuit pour que jamais l’ombre ne soit complète.
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