jeudi 10 octobre 2013

Lyanne était désolé pour Chioula. Celle-ci l'avait regardé revenir vers elle sous sa forme d'homme. Quand il avait supprimé le mur de glace qui la protégeait, elle avait dit :
- Vous... vous êtes le roi-dragon !
Puis son regard avait été vers la plateforme.
- Et là-haut ?
- Venez ! avait répondu Lyanne.
Il l'avait conduite près de son père, dont il avait recouvert la majeure partie par une couverture. Ce qu'on voyait avait encore figure humaine. Elle s'était penchée sur lui, l'avait regardé avec intensité et s'était laissée entraîner vers le campement, seule zone sûre dans cette région.
Kolong l'avait prise en charge. Le silence régnait. Les gens de Pomiès étaient sous le choc. Les guerriers blancs s'étaient approchés de Lyanne pour faire leur rapport. Puis le roi-dragon s'était approché de la délégation de l'ambassadeur :
- Le Noble Sariska mérite une sépulture. La mort dans les Montagnes Changeantes est autre. Je sais que dans votre pays, il aurait été inhumé dans un mausolée. Le retour de son corps au pays de Pomiès est impossible.
Le visage des gens du pays de Pomiès exprima une tristesse encore plus grande. Le chef du détachement fit un pas en avant :
- On ne peut accepter cela. Le corps doit revenir au pays de Pomiès sinon son esprit ne connaîtra pas le repos.
- Son corps connaît le mal. Il est impossible de laisser plus de mal s'échapper dans le monde. Ce serait la fin du pays de Pomiès.
- Ce n'est pas possible... ce n'est pas possible... Son esprit...
- Son esprit sera honoré en ce lieu.
Lyanne s'était mis alors à construire un édifice de glace. Il l'avait fait de telle manière que celui qui passait pouvait voir le visage du Noble Sariska, mais personne ne pouvait deviner ce qu'il était par ailleurs devenu.
Chioula semblait frappée de mutisme. Elle restait là, bercée par Kolong, perdue dans des pensées que tout le monde pensait deviner. Si la perte de son père l'affectait et si les horreurs qu'elle avait vues hantaient ses cauchemars, le pire était la découverte qu'elle avait faite. Cet homme si beau, si aimable était un dragon ! Elle ressentait une aversion physique en pensant au contact. Les insectes aux pattes velues ou les serpents n'étaient que broutilles en comparaison avec les sensations qui l'occupaient aujourd'hui. Elle reconnaissait la beauté sauvage et la fascination de la puissance qu'exerçait le roi-dragon, mais... mais se retrouver à l'embrasser en sachant qu'on embrasse un... une... enfin quelqu'un avec toutes ces dents, ces griffes...
Lyanne était loin de se douter de cela. Il essayait de faire au mieux dans ce paysage de cauchemar. Il lui fallut quelques jours pour construire le projet prévu. Cela avait pris la moitié d'une journée pour décider avec les gens de Pomiès de la forme et de l'emplacement du mausolée. Au bord de la plateforme s'éleva un premier mur de glace blanche. Un petit passage permettait d'entrer dans l'enceinte intérieure où l'on découvrait un bâtiment dont les formes rappelaient le palais du noble Szeremle. Il ne comportait pourtant qu'une seule salle. Entièrement blanche, il n'y avait qu'un panneau fait de glace transparente qui permettait de voir une forme humaine. Lyanne avait sculpté la glace pour en faire une statue de gisant d'où émergeaient le buste et la tête du noble Sariska sous un linceul rouge.
Il sécurisa le lieu. Les gens de Pomiès purent alors venir rendre hommage au noble Sariska. Le chef du détachement exprima son désir de toucher son maître pour lui donner les soins nécessaires pour l'embaumer. Seul Lyanne savait la vérité de ce qu'était devenu le corps de Sariska. Il refusa de sortir le corps de son sarcophage de glace en expliquant que ce qu'il avait fait serait mieux que tout ce qu'il pourrait faire.
- Quand vous aurez disparu et que moi-même j'aurai rejoint le lieu où sont les rois-dragons morts, ce mausolée sera encore debout. Même quand le successeur de mon successeur aura rejoint ce lieu, ce tombeau sera encore inchangé.
- J'entends bien, Majesté, mais que vais-je rapporter au Noble Szeremle de cela ?
- Je ferai pour lui une représentation que je lierai à cet endroit afin que vous puissiez rendre hommage à l'esprit du noble Sariska.
Le chef du détachement s'inclina pour manifester son accord à cette idée.
Lyanne malgré cela était déçu. Chioula ne se manifestait pas. Kolong gardait la porte de sa tente comme un vrai cerbère, interdisant tout contact.
- La petite est trop choquée pour l'instant, il vaut mieux la laisser, disait-elle avec d'autres variantes suivant qui approchait.
Lyanne avait essuyé un refus quand il s'était approché le premier jour. Derrière la réponse de Kolong, il avait senti ce qui venait de Chioula. Les autres jours, il avait prétexté le travail qu'il avait à faire pour se tenir éloigné de la tente où elle était.
La nuit revenait avec son cortège de peurs. On entendait des raclements, des pierres qui roulaient d'un côté et de l'autre. Il était devenu inutile de prévenir de ne pas sortir de la zone protégée. Les gens de Pomiès avaient payé cher pour l'apprendre.
- Demain nous repartirons, avait prévenu Lyanne.
- Pourrons-nous faire une cérémonie d'adieu avant le départ ? demanda le chef du détachement.
- La route est longue jusqu'à la prochaine étape. Il faudra partir dès que le jour se lèvera.
- Nous ferons la cérémonie avant le lever du jour !
Les deux hommes se retournèrent au son de cette voix. Chioula en grande tenue, se tenait derrière eux.
- Le noble Sariska, reprit-elle, a ordonné que je prenne sa succession. Je le ferai.
Se tournant vers le chef du détachement, elle ajouta :
- Que tous se préparent pour demain. Il faudra aussi rationner la nourriture. Notre séjour dans ces Montagnes Changeantes a été trop long.
Se tournant vers Lyanne, elle s'inclina et dit :
- Je tenais à vous remercier, Majesté, pour votre action et votre engagement en faveur du peuple du pays de Pomiès. Je peux affirmer que le Noble Szeremle sera très sensible à ce que vous avez fait.
Si Lyanne fut heurté de ce ton trop protocolaire, il fut surtout affecté du regard froid et éteint de Chioula. Il ne savait pas ce qui touchait le plus la jeune femme. Se retrouver exposée aux monstres des Montagnes Changeantes pouvait vous affecter durablement même sans contact direct. En lui s'ouvrit une faille, celle de la solitude qui avait espéré.

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