samedi 10 janvier 2015

Lyanne se posa sur un arbre près de l’endroit le plus susceptible d’être le lieu de l’attaque. Il avait un moment avant que n’arrive le roi. Il observa la topographie avec précision. Il repéra d’où pourraient venir les assaillants. Il ne fut pas déçu en voyant les restes de leurs traces au sol. On avait essayé de cacher le passage en balayant la cendre. La pluie qui tombait doucement depuis plusieurs heures allait finir le travail. De nouveau il décolla. Il repéra sans peine les hommes de Cappochi. Ils discutaient entre eux tout en affûtant leurs armes. Seul un guetteur surveillait le marais. Personne ne regardait dans sa direction. C’était une bonne chose. Il pourrait intervenir plus facilement. Il se posa derrière un bosquet d’arbres sans se faire remarquer. Il ne lui restait plus qu’à attendre.
- “Ils ne vont pas tarder”, ronronna une voix derrière lui.
- Hapsye ! que fais-tu là.
- “J’ai senti ton combat, depuis je cours.”
- Es-tu fatiguée ?
- “Les miens sont prêts. Cette meute est mauvaise. Il faut l’éliminer.”
- Oui, Hapsye. Tu attendras, je te dirai quand tu pourras combattre. Il y a là un puissant esprit mauvais. Reposez-vous.
- “La meute n’attendra pas longtemps, je sens arriver les bêtes !”
- Hapsye, ton rôle sera de poursuivre les fuyards pour que leur fuite soit sans fin, ou qu’ils soient morts.
La grande louve ronronna de plaisir. Lyanne lui donnait une chasse. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir.
Il y eut un mouvement dans le camp des hommes de Cappochi. Le guetteur venait de repérer les arrivants. Les soldats se défirent de leurs manteaux. La pluie qui tombait avait tout trempé. Ils n’envisageaient pas de se battre revêtus des lourds habits de pluie. Ils en firent un tas sur un arbuste bas. Ils étaient à l’abri des regards des cavaliers. Ils en profitèrent pour s’échauffer. C’est à ce moment-là que Lyanne vit arriver cette traînée jaune qu’il abhorrait. Elle prit possession des soldats dont les yeux perdirent leur brillance.
- Et pas de quartier, chuchota le chef à ses hommes. Il ne faut pas que la couronne nous échappe.
Lyanne sentit la colère monter en lui. Moayanne était en danger. Elle fut d’autant plus forte qu’il supportait mal l’idée de ne pas avoir pu protéger le roi.  Hapsye en la ressentant, s'aplatit au sol, la queue entre les pattes. Le ciel gris sembla se mettre à l’unisson de son humeur en déversant des cataractes.
Cela dura un moment et puis le guetteur fit un geste. Le roi et son escorte étaient passés, ainsi que le fils du roi. Modtip était plus loin en arrière. Moayanne et son entourage arrivaient près de la levée de terrain qui les séparaient des hommes aux yeux vitreux. Comme mûs par une seule volonté, ils se lancèrent en avant en hurlant.
Au moment où débuta la charge, Lyanne planta son bâton de pouvoir et de toute la puissance de sa colère, il souffla le vent le plus froid qu’il put faire. Le sol détrempé, gela immédiatement, les attaquants suivirent de près, la pluie ayant imprégné leurs vêtements. Leurs cris eux-mêmes, gelèrent avec leur gorge. Il n’y eut plus que ceux de l’entourage de Moayanne puis de l’escorte du roi quand on comprit ce qui se passait. Seul le guetteur et quelques hommes restés près des affaires survécurent. Lyanne les vit partir en courant, la meute à leurs trousses. Ce fut le moment que choisirent les soldats du roi pour mener une contre-charge. Ils renversèrent et sabrèrent les silhouettes un instant avant de prendre conscience qu’ils ne bougeaient pas. Le chef du détachement mit pied à terre et immédiatement se cassa la figure sur le sol gelé. Cela fit rire Lyanne qui en profita pour s’éclipser. Si les montures avaient cassé la mince couche de glace, les hommes ne faisaient pas le poids.
Lyanne qui pensait rejoindre le convoi peu après, vit les différents groupes continuer leur progression presque sans s’arrêter. Il observa un long moment, indécis sur ce qu’il devait faire. Le roi et ses enfants semblaient ne plus rien risquer. Hapsye pourchassait les derniers survivants du groupe des attaquants. Les bateaux avaient tous coulé avec leurs passagers. Pourtant la menace pesait toujours. Il le sentait. Il se mit en marche au petit trot. Le gros du convoi suivait de loin. Il repéra les traces tout en courant. Cela le fit grimacer. Il accéléra.
La chose était menacée et risquait de vouloir se venger… Ces traces jaunes sales par terre ne pouvaient être interprétées autrement. 
Quand la nuit tomba, il courait toujours. Sans témoin pour voir, il prit son envol. Il repéra rapidement le bivouac. Les gardes étaient sur le qui-vive. Au centre du dispositif sous une simple toile tendue comme un auvent, le roi tentait de se reposer. Ses enfants, non loin, mangeaient. Même du ciel, Lyanne vit les traits tirés et le teint cireux d’un homme qui était au plus mal. Il repéra aussi quelques nobles dont Cappochi qui regardait en l’air semblant chercher quelque chose. L’aura jaune qui s’en dégageait était aussi sale que les traces qu’il avait repérées sur le chemin. Son attaque froide avait dû le blesser. Maintenant, il était sur ses gardes, cherchant à se protéger d’un ennemi qu’il ne voyait pas même s’il le sentait.
Lyanne se posa hors de vue sur le chemin qu’avaient suivi les cavaliers. Il fut arrêté dès qu’un garde l’aperçut. Son apparition troubla les gardes. Ils semblaient ne pas savoir quoi faire. Ils bloquèrent Lyanne aussi loin que possible du campement et lui firent signe d’attendre.
Le temps passa lentement avant que n’arrive un gradé.
- Tu devrais être avec les autres, dit-il à Lyanne. Tu n’as pas suivi les ordres.
- J’étais absent du camp quand les ordres furent donnés. J’ai suivi le groupe du roi quand j’ai vu qu’il partait, sans revenir au camp.
Le gradé sembla contrarié. 
- Ne bouge pas ! dit -il en s’éloignant.
En voyant les soldats se réajuster, Lyanne comprit que le gradé était parti chercher plus gradé que lui.
Le temps de nouveau s’écoula doucement. Les gardes ne rectifièrent la position qu’en entendant des pas. Celui qui arrivait n’était pas le gradé que Lyanne pensait attendre. Ce fut Cappochi en personne qui se présenta :
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il
- C’est l’homme-oiseau qui a suivi le roi, répondit le garde.
- Les ordres étaient pourtant clairs… Pas d’accompagnement ! Le roi doit aller vite et ne peut s’encombrer de sa suite.
- Je sais, Seigneur Cappochi, mais c’est celui qui doit porter les offrandes pour le jour de Bevaka.
Cappochi fusilla le garde du regard et se tourna vers Lyanne pour l’examiner tranquillement. Lyanne ressentait les pulsations de haine qui habitaient Cappochi. Il se félicita d’avoir décapuchonné son bâton de puissance. Il entreprit de regarder Cappochi directement dans les yeux. Ce dernier avait un regard fixe et la lueur qui y brillait avait plus à voir avec la méchanceté qu’avec la bienveillance. Il vit les yeux de Cappochi le dévisager. Il vit aussi la contrariété de ce dernier :
- D’où viens-tu vraiment, demanda-t-il à Lyanne.
- Je viens de lointaines montagnes et j’ai beaucoup voyagé pour arriver ici. Ma présence semble déranger ? ajouta-t-il avec un air de grande candeur.
À présent, il sentait la colère de son interlocuteur dont la seule prestance ne suffisait pas à réduire Lyanne au silence.
Cappochi se tourna vers un garde :
- Mettez-lui des fers et attachez-le à un arbre. Je n’ai pas le temps de m’occuper de lui.
Plein de rage et de morgue, il fit demi-tour et s’en alla.
Lyanne eut un sourire. Cappochi ne semblait pas avoir pris la dimension de la puissance de Lyanne. Lui avait pu ressentir les sombres désirs de l’être au cœur jaune sale. Le roi était mourant. Son fils était sous sa coupe, restaient les deux autres et surtout Moayanne qui se refusait à lâcher la couronne. Si le fils du roi la ceignait au jour de Bevaka, il aurait le pouvoir de repousser l’être sombre. Ses hommes avaient failli. Entre un monstre marin et un génie qui avait figé ses combattants, l’être sombre cherchait un adversaire comme lui qui contrecarrait ses plans. Lyanne ne lui était apparu que comme une quantité négligeable qu’il ne pouvait pas manipuler. Il avait commencé à enrôler les propres soldats du roi. S’il arrivait à retarder le roi de deux jours voire (même) d’un seul, personne ne serait au bord du lac du Frémiladur au jour de Bevaka.  
Les gardes regardaient Lyanne d’un drôle d’air. Ils avaient un ordre à appliquer et la peur au ventre. Le plus gradé des gardes s’approcha de Lyanne :
- On n’a rien contre toi, mais t’as entendu les ordres.
- Penses-tu avoir la force de l’appliquer ? demanda doucement Lyanne en recapuchonnant son bâton de pouvoir.
Le soldat se mit à suer.
- Non, homme-oiseau, mais nous essayerons, car tels sont les ordres.
- Alors, je vais faire quelque chose pour toi, si tu me promets d’être fidèle à ton roi et pas à cet intrigant de Cappochi.
- Ma famille est loyale au roi depuis plus de vingt générations. On dit même qu’elle était de celles qui ont suivi la reine quand elle a repris le pouvoir au chambellan.
- Bien. Je vais te laisser me lier, mais surtout, laissez mon bâton à terre, cela évitera les morts.
Les soldats échangèrent des regards anxieux. Ils s’activèrent en même temps et faisant un détour pour ne pas passer près du bâton de pouvoir que Lyanne avait posé sur le sol.
Lyanne se retrouva solidement fixé à un tronc décapité par une pierre venue du Frémiladur. Ses grondements omniprésents occupaient l’espace sonore. Le roi et son entourage étaient repartis. La pause avait été courte. Cappochi conseillait au roi la prudence et le repos, mais ce dernier, malgré la douleur et la fièvre, avait tenu à repartir très vite. Si tout le monde craignait sa chute, seul Cappochi l’espérait.
Lyanne avait compris que le reste de l’expédition marchait plus lentement. Le roi n’avait pas besoin d’eux avant le jour de Bevaka. Si le roi maintenait sa vitesse, il arriverait ce soir. Lyanne en doutait. La chute interviendrait avant. Il soupira et devint dragon. Les liens se rompirent d'eux-mêmes incapables qu’ils étaient de bloquer un être aussi grand.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire