vendredi 12 août 2016

Les mondes noirs : 59

Chimla courait. Les autres la suivaient de près. Fuyant l’horreur, ils tentaient de sauver leurs vies. Ils fuyaient l’ombre noire qui avançait par vagues. Alors qu’ils s’étaient arrêtés pour souffler un peu en haut d’une pente raide, ils avaient vu l’ombre envahir le sol comme une marée qui monte. Chaque vague allait un peu plus haut que la précédente avant de refluer pour laisser la place à la suivante. Ils avaient vu la meute de scales au loin, en contrebas. furetant entre les roches, se faire rejoindre par l’ombre noire. Ce qu’elle touchait disparaissait. Certains scales avaient été littéralement coupés en deux. Lors du reflux de cette vague, ils virent des morceaux de scales s’agiter avant de se faire recouvrir par la vague suivante. Depuis, ils couraient pour échapper au néant.  Le terrain était plus facile. Ils avaient atteint une sorte de plateau. Bien que traversé de profondes failles, la roche était presque régulière. Elle avait perdu ses formes acérées. Elle était juste assez bosselée pour nécessiter une attention soutenue. La végétation était maintenant composée de petits arbustes aux épines acérées. Il y avait ceux dont le frôlement déchirait les vêtements et la peau. Il y avait aussi ceux dont chaque contact provoquait une brûlure. Ils avaient tous un échantillonnage des deux. Leur fuite n'était pas une ligne droite. Chimla suivait la direction donnée par son amulette. Les autres suivaient Chimla. Chaque fois qu'elle bifurquait pour éviter un buisson aux pointes brûlantes, les trois autres suivaient sans rien dire. Elle était là la seule à avoir le début du commencement d’une idée pour s'en sortir. Chimla sentait monter les douleurs de la fatigue. Son mollet droit était à la limite de se bloquer. La crampe allait arriver. Elle avait un peu ralenti essayant de gérer. Son amulette lui donnait la direction. Elle avait foi en elle. Elle allait la sauver.
Luzta ne pensait qu'à suivre Luzmil. Tout son esprit était concentré sur cette seule idée: courir tant que sa maîtresse le ferait. Elle ne sentait plus son corps. Elle n'avait plus d'autre conscience, ni l'ombre noire, ni les difficultés du terrain n'arrivaient à la surface de son esprit. Elle était dans un état second, juste un corps qui court…
Luzmil avait ralenti en même temps que Chimla en rentrant intérieurement. Elle tenait la distance gérant son effort. Tout son esprit était occupé à cette tâche. En arrière plan, la pensée de l'ombre noire faisait comme une pression intérieure que sa conscience repoussait de toute sa puissance. Luzmil comptait ses foulées, ses respirations pour ne surtout penser à rien d'autre.
Salone était derrière. Tout son corps lui faisait mal. Ses jambes couvertes d'un pantalon en lambeau, lui brûlait par les dizaines de griffures des épines de feu. Ses poumons lui brûlaient à chaque inspiration. Ses muscles le brûlaient de fatigue. Les trois femmes devant lui couraient toujours, moins vite mais elles couraient toujours. Il n'allait quand même pas s'arrêter avant elles. Tout son orgueil le faisait tenir foulées après foulées. Jamais il n'avait couru aussi longtemps et aussi vite. Pourtant une pensée commençait à s'insinuer. A quoi bon tout cela ? Au bout du compte, ils arrêteraient et l'ombre noire arriverait et tout serait fini… alors pourquoi courir pour souffrir et de toute façon en arriver au même point ? Mais il n'arrêterait pas avant les femmes. Ça jamais !
Maintenant Chimla courait à la vitesse d'un homme qui marche. Elle continuait pourtant. L'amulette pendue à son cou lui servait de volonté. Derrière elle, les autres suivaient, d'aussi près qu'ils pouvaient. Le terrain montait en pente douce. Malgré cela, ils trébuchaient. Tous savaient que si l’un d'eux arrêtait, tous les autres arrêteraient, mais personne ne voulait être ce premier, mieux valait souffrir.
Déjà le soir arrivait. Le ciel était dégagé éclairant le paysage d'une faible lueur crépusculaire. Salone se releva juste à temps pour voir Chimla bloquer sa course. Elle regardait ses pieds semblant ne rien pouvoir faire. Il arriva le dernier, ne comprenant pas ce qu’il se passait pour les trois femmes.
Comme elles, il regarda ses pieds. Il découvrit qu’ils étaient au bord d'une falaise. Il leva les yeux. Autour d'eux, l'ombre noire avançait de partout…
En bas la brume cachait le relief.
   - Et maintenant ?
Chimla releva la tête.
   - L'amulette dit d'aller en bas !
   - Mais on ne peut pas descendre, dit Luzmil.
Luzta sortit la corde pour la jeter dans le vide.
   - Vite, ajouta Salone, l'ombre noire semble accélérer.
   - Ça fait plus d'une longueur, elle ne touche pas le fond.
   - Alors qu'est-ce qu'on fait?
   - On n'a pas le temps de chercher, il faut sauter, déclara Chimla.
Joignant le geste à la parole, elle se lança dans le vide. Luzmil regarda un instant l'ombre noire qui semblait fondre sur eux et dit :
   - Luzta, on saute !
Salone vit disparaître les deux femmes dans la brume. Il regarda autour de lui. L'ombre noire arrivait. Par réflexe, il sauta à son tour.
 

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