jeudi 25 août 2016

Les mondes noirs : 60

Chimla tombait. Elle était dans la brume, sentant le vent autour d'elle. Le contact avec l’eau fut brutal. Elle fut à moitié assommée. Elle sentit le froid liquide se refermer autour d’elle. La chute continua au ralenti. La lumière disparaissait au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait. Curieusement, elle se sentit bien. L’air allait lui manquer. Son esprit lui disait. Son corps ne le ressentait pas. Autour d’elle le bleu profond avait laissé la place au noir complet. Ainsi son histoire allait finir là. Au fond d’un lac, dans les mondes noirs. Elle ouvrit la bouche pour en rire. L’eau avait un goût clair.
Elle sentit le choc, le double choc de deux corps tombant dans l’eau. Elle fut désolée pour Luzta et Luzmil. Son amulette l’avait conduite sur un parcours sans retour. Elle porta la main à son cou. L’amulette était toujours là, lourde et pesante, l’entraînant toujours plus profond. Elle se laissa aller, tête la première… Autant en finir !
Un autre choc fit vibrer la masse de l’eau. Ils étaient maintenant au complet. La Sanmaya ne les enverrait pas au néant. Ils deviendraient comme les cailloux au fond des sources.
En douceur, elle se posa sur le fond. Nulle lumière, nul bruit, rien… ou plutôt si, un courant, un léger courant comme une caresse. Elle se laissa aller au bercement de l’eau.
Son esprit rechignait. Elle ne pouvait pas vivre sous l’eau. On le lui avait toujours dit. Seules les légendes parlaient des dieux qui vivaient dans les eaux claires.
Sa pensée fut comme un signe. Une vibration prit naissance, une présence pulsait. Une lueur clignotait. Chimla fut surprise. La lumière semblait venir d’elle. Instinctivement, ses mains allèrent à sa rencontre. Elle trouva son collier. L’amulette du Clan Bleu semblait prendre vie. Le sac qui la contenait laissait fuir par ses trous les rayons bleutés qui irradiaient. Son cœur se mit à l’unisson de la lumière. Les rayons prenaient de l’ampleur, ouvraient leur chemin dans les ténèbres environnantes. Chimla vit les corps de Luzmil et de Luzta descendre, à chaque pulsation lumineuse un peu plus bas. Elles furent rejointes par Salone. Chimla ne détecta aucun signe de vie chez eux. Elle en fut chagrinée. Elle en aurait pleuré sans cette sensation qu’elle sentait en elle à chaque fois que le bleu brillant de son amulette éclairait autour d’elle. Une douleur avait pris naissance dans sa poitrine, battant au rythme de la lumière. Chaque pulsation était déchirure… Plus que déchirure, chaque pulsation menaçait de lui faire exploser le cœur. Le feu lui brûlait le corps, consumant ses entrailles. La souffrance tordait son corps en une danse sauvage. Elle aurait voulu fermer les yeux pour que tout s’arrête sans y parvenir. Dans l’eau sombre, elle vit que sa peau irradiait à son tour de lumière bleue. Une arabesque douloureuse l’amena près de Luzta. Chimla vit qu’elle flottait à quelque distance du fond, ancrée par ses sacs. Elle la toucha. Chimla sursauta en voyant le spasme qui tordit Luzta. Pire, elle en ressentit la douleur. Elles voulurent hurler sans qu’aucun son ne sorte de leur bouche. Chimla vit le corps de Luzta s’éclairer de l’intérieur.
Ce fut au tour de Luzta de toucher Luzmil au cours de cette chorégraphie déchirante. Chimla et Luzta vécurent un nouvel écartèlement quand la lumière prit possession du corps inerte de Luzmil. Elles vécurent l’enfer par les battements. Chacune à son rythme pulsait la lumière. Si Chimla restait en bleu, Luzmil et Luzta exploraient l’arc-en-ciel. Les trois femmes virevoltaient dans l’eau claire comme secouées par une main géante. Salone fut le dernier à être touché. Sa déchirure vint s’ajouter aux autres, broyant les corps et les consciences.
Au loin dans un battement apaisant, un toc...toc...toc… vint se surimprimer sur le fond turbulent des pulsations des quatre protagonistes.
Le battement devint comme une onde au sein même de l’eau. Le bleu pulsatile gagna en éclat, chaque vibration en renforçant l’éclat. Les quatre corps, où n’existait plus qu’un soupçon de vie à travers la douleur, se mirent en mouvement. Ils oscillèrent au gré de l’onde. Lentement un mouvement se dégagea. L'asymétrie du battement les amena vers un fond en pente douce. Ils s’échouèrent sur la vase noire du fond. Les pulsations bleues étaient maintenant violentes et claires. Chacun d’eux brillaient maintenant comme un phare dans la nuit.
Malgré l’oscillation de l’eau, ils commencèrent à s’enfouir dans le fond. Le noir de la vase étouffant l’éclat qui les transperçait. Chimla eut un spasme. Tendue comme un arc, elle sembla lutter contre cet enfouissement. La succion devint plus forte. Ouvrant la bouche comme pour crier, un rayon bleu monta droit vers la surface.
Dans un lac, une lumière bleue perça la surface, éclairant les falaises qui entouraient l’eau et sur une petite plage un arbre mort sur lequel était accroché un corps inerte. Dans une cavité du tronc sec, l’homonculus vibrait, venant cogner le bois.
Tout au fond du lac, ce fut au tour de Salone de hurler sa couleur alors que la vase l’aspirait. Puis Luzmil et Luzta dans un même mouvement firent de même. Trois colonnes de lumière maintenant éclairaient le fond. Si de la bouche de Chimla sortait du bleu, Salone hurlait en rouge et les autres en jaune.
L’homonculus vibrait de plus en plus fort, de plus en plus vite. Comme un tambour, l’arbre sec amplifiait le son et les vibrations. Le son devint de plus en plus aigu. L’arbre sec dans un craquement sinistre s’ouvrit en deux laissant passer une lumière plus éblouissante que le soleil. Le noir qui descendait les falaises sembla lui faire obstacle un instant, un instant seulement avant de refluer.
Juste au cœur de la lumière une mince branche claire sortait sa première feuille.

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