mardi 2 août 2016

Les mondes noirs : 58

Chimla ouvrait la marche. Ils longeaient le fond du passage cherchant où ils pourraient monter. Ils étaient fatigués par une nuit sans sommeil. Ils avaient eu peur de dormir dans le canyon sous un simple auvent de pierre et rien n’était arrivé. À part des cris étranges et des bruits furtifs, la nuit avait été calme.
Ils marchaient au milieu d’herbes hautes et la vision de nids de Schka hier les rendaient prudents. Chimla regardait à chaque pas où elle posait les pieds. Elle sentait l’amulette prendre du poids. Cela lui semblait idiot de penser cela. Dans le creux de sa main, c’était toujours léger. Autour de son cou, elle lui évoquait quelque chose de plus lourd. Décidément les mondes noirs étaient bien étranges. Pour éviter de marcher dans l’eau noire qui occupait le centre du canyon, elle se rapprocha de la paroi. Son amulette se mit à vibrer. Elle s’arrêta net provoquant l’inquiétude de ses compagnons.
   - Qu’est-ce qui se passe, chuchota Salone en sortant son épée ?
Derrière lui, Luzmil avait fait de même et scrutait les environs.
   - L’amulette… Elle vibre !
Le regard d’incompréhension que lui jeta Salone fit rire Chimla.
   - Elle veut qu’on monte par là.
Luzmil, qui s’était rapprochée en entendant le rire, examina la paroi. Elle semblait assez lisse. Elle rengaina ses armes et commença à chercher des prises. Elle monta un peu avant de retomber. Elle jura avant de refaire une tentative. De nouveau elle dérapa et se retrouva par terre.
Elle s'assit le dos à la paroi. Luzta se précipita pour lui examiner les mains. Luzmil la repoussa brusquement :
   - C’est rien ! Ça saigne un peu, mais c’est rien. Au moins cette pierre ne pourrit pas !
Chimla approcha à son tour :
   - Pourtant elle vibre, dit-elle !
   - Je sais, lui répliqua Luzmil. Mon couteau aussi. Mais y a pas moyen de monter.
Salone observait la paroi. Au bout d’un moment, il se tourna vers Luzta :
   - Tu as une corde ?
Luzta regarda Luzmil avant de répondre. Cette dernière lui fit un signe d’acquiescement avec la tête. Luzta se pencha sur un de ses sacs et sortit le rouleau de corde. Elle le tendit à Salone.
Attachant son poignard à une extrémité, il fit tournoyer la corde avant de l’envoyer en haut. Ils entendirent le bruit métallique lorsque l’arme toucha le sol. Salone tira doucement mais fermement. La corde se bloqua et se tendit sous sa traction. Il tira un peu plus fort pour tester la résistance et commença à s’élever. Il resta là un moment les pieds à une coudée du sol. Comme rien ne se passait, il dit :
   - Bon, j’ai eu l’idée, alors je passe le premier.
Il se hissa, prenant appui sur la paroi. Il monta rapidement les deux premières hauteurs d’homme. C’est à ce moment qu’il dérapa. Son pied droit perdit son appui. Il tourna autour de la corde pour venir s’écraser contre la roche. Salone poussa un cri de surprise quand son épaule douloureuse tapa à nouveau la paroi. Il sentit la perte de force de sa main droite. Il assura fermement la gauche et se cala contre une petite saillie. Il respira amplement et après un bref coup d’œil vers le bas, il entreprit de finir son ascension. Il découvrit avec soulagement que la partie la plus haute était plus facile. Il s'agrippa alors au rocher et lâcha la corde. Le mouvement qu’il lui imprima déstabilisa le poignard qui se décrocha.
   - ATTENTION, cria-t-il !
Il entendit Luzmil lui répondre que tout allait bien en bas. Il s’était à peine rétabli au sommet et mis debout qu’il vit arriver le poignard vers lui. Il l'esquiva de justesse mas attrapa la corde. Autour de lui, il n’y avait ni arbre, ni arbuste. Il coinça le poignard dans une fente du sol en faisant attention de ne pas abîmer la corde. Ayant fait cela, il dégaina son épée et scruta les environs. Rien ne bougeait. Rassuré, il appela les autres.
Chimla monta la première. Arrivée en haut, elle s’activa à monter les sacs. Ce fut au tour de Luzta de grimper.
   - C’est trop calme, dit Salone. Je n’aime pas cette impression de danger alors que tout semble calme. Que Luzmil se dépêche !
Il n’avait pas fini de parler que Luzmil arrivait avec la corde qu’elle remontait avec elle. Son regard était noir.
   - Partons, dit-elle. En bas, j’ai vu l’eau noire remuer. Mieux vaut mettre de la distance.
Salone se pencha pour regarder ce qui se passait dans le canyon. Il se releva brusquement.
   - Tu parles bien, partons ! Il y a comme une ombre au fond.
Chimla s’était déjà éloignée quand les deux guerriers se mirent en marche. Tout en avançant, ils jetèrent des coups d’œil en arrière jusqu’à ce qu’un mouvement de terrain ne cache le canyon. Salone pourtant garda la main sur son épée. Il se savait blessé mais continuait à sentir le danger. Luzmil était aussi énervée que lui. Elle houspilla Luzta pour accélérer.
   - Qu’est-ce que tu as, demanda cette dernière ?
   - Je sens une présence qui nous suit et elle n’a rien d’amicale.
   - Les sacs sont lourds, difficile d’aller plus vite.
Luzmil ne répondit rien mais ressentit le besoin de serrer son couteau, son petit couteau amulette sur la poitrine. Luzta vérifia que sa figurine de chiffon était bien contre sa poitrine.
Salone se retournait fréquemment. il ne voyait rien. Simplement, il sentait. Derrière eux, quelque chose se glissait sans bruit et sans se faire remarquer. Ce quelque chose ne leur voulait pas du bien. Salone sentait des ondes de pure haine le traverser. Était-ce Karabval ? Ou une autre de ces horreurs des mondes noirs?
Quand le soleil fut à son zénith, la chaleur rendit la soif plus intense. Aucun des quatre ne fit de remarque. Ils firent une pause pour prendre le reste de leur eau dans les sacs. Chacun était persuadé que les autres vivaient la même peur que lui.
L’air vibrait de chaleur. Assis en rond, buvant leurs dernières réserves, ils étaient silencieux. Salone regardait dans le vide. Tourné vers la zone qu’ils avaient parcourue, il regardait sans voir. Luzmil à sa droite, tripotait son couteau, tout en scrutant les roches qu’ils allaient fouler. Les deux autres, penchées en avant, contemplaient la roche noire et coupante des rochers à leurs pieds.
Salone porta son sac à eau à la bouche et se figea dans son mouvement. Son immobilité alerta les autres qui le regardèrent sans comprendre. Salone semblait horrifié. Les trois femmes tournèrent leurs regards vers le point qu’il  fixait.
   - Qu’est-ce que c’est que ça ?
Chimla avait parlé sans s’en rendre compte.
   - C’est un orage, dit Luzta sans conviction.
   - Non, ça ne peut pas, ça n’aurait pas cette forme, affirma Luzmil. Je crois qu’on n’a pas intérêt à rester là…
Ils se levèrent précipitamment.
   - Par où, demanda Luzmil ?
Chimla indiqua une direction et tous se mirent en marche rapide. Derrière eux, une ombre noire prenait de l’ampleur couvrant déjà l’horizon, elle avançait assombrissant les roches.
Pendant un bon moment, ils crurent qu’ils allaient pouvoir devancer l’ombre. Ce fut Luzta qui tomba la première. Heureusement, ses sacs amortirent sa chute. Luzmil s’arrêta pour l’aider à se relever. Quand elle la vit hors d’haleine, elle sut que la fuite était vouée à l’échec. Chimla, qui s’était arrêtée pour voir ce qu’il se passait, ne repartait que difficilement. Salone était déjà vingt pas devant. Il s’arrêta un peu plus loin. Le temps qu’ils reprennent leur souffle et l’ombre avait regagné le terrain perdu.
   - On n’y arrivera pas, souffla Luzta. Mais qu’est-ce que c’est ?
   - Je ne vois qu’une chose pour être aussi noire…
Les trois femmes fixèrent leurs regards sur Salone.
   - Mais parle, lui ordonna Luzmil !
   - La Sanmaya… Il n’y a qu’elle pour secréter ainsi des ombres de cette noirceur. Ma dame, dans mon clan, disait que la Sanmaya était la maîtresse des mondes noirs…
   - Et l’Idole ???
   - L’Idole est le maître mais la Sanmaya est son ombre.
   - Je croyais qu’il fallait l’invoquer pour qu’elle existe, fit remarquer Chimla.
   - Karabval, affirma Luzmil ! C’est Karabval qui l’envoie.
   - Mon amulette me dit qu’il est par là, dit Chimla en désignant l’opposé de l’ombre.
   - Alors si l’homonculus est par là, hâtons-nous !
Salone joignit le geste à la parole en prenant un sac sur l’épaule et en reprenant sa marche. Les femmes échangèrent un regard et firent de même. Salone avait pris un des sacs de Luzta, Luzmil en prit un autre.
La marche reprit. Ils allaient moins vite, ne distançant plus l’ombre qui les suivait. Le paysage n’était maintenant que rocailles pointues et petits vallonnements. La journée avançait.
   - Et cette nuit ?
Luzmil regarda Luzta qui venait de poser la question.
   - On verra. On trouvera un abri.
   - Je ne sais pas si cela suffira. On dit que Karvach est empli de Sanmaya. Je ne voudrais pas finir comme lui.
   - Tu sais bien que le bourreau de la reine avait déjà le cœur mauvais.
Elles pressèrent le pas pour rejoindre les autres qui prenaient de l’avance. La question de Luzta se mit à tarauder l’esprit de Luzmil. Sa servante avait raison. Elle pouvait se battre contre n’importe quel être mais là… Que faire contre la magie la plus noire ? Pas après pas, elle se sentait perdre espoir. Toute cette histoire allait se terminer mal avec l’échec de leur mission.

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