jeudi 14 mars 2019

Ainsi parla Rma, le fileur de temps...77

   - Nous avons gagné !
Le général raccompagnait Reneur dans ses appartements.
   - Un peu trop facilement, Batogou. Un peu trop facilement. Je connais Gérère. Il a une idée derrière la tête.
   - En attendant, il a accordé les budgets. J’en finis avec ces rebelles et on s’occupera de son cas.
Reneur eut un sourire.
   - Ton idée est intéressante. Mais il faut voir si cela est possible. Ces soutiens sont puissants, à commencer par Kaja et ses policiers, sans compter l’armée…
   - On a assez de garnisons dans le pays pour s’occuper de la police. Il se croit supérieur… Quand il comprendra, il sera trop tard. L’armée ne bougera pas. Ils sont au repos depuis longtemps et si Gérère croit tenir les généraux, moi je les connais. Leur amour de l’argent et des honneurs les rend manipulables.
   - Très bien, je vais les faire approcher par mes agents. Kaja reste l’inconnu. Il semble insensible à la corruption et a beaucoup de chance. On dit de lui qu’il est protégé par l’Arbre Sacré.
   - Ne t’inquiète pas, quand viendra le jour, mes archers s’occuperont de lui... En attendant, il faudra faire avec.
   - On va le laisser tranquille pour endormir sa méfiance et on verra bien. Je l’ai entendu parler d’ennemis autres que les rebelles, que veut-il dire ?
   - La plupart de nos morts ont eu lieu sur le chemin du retour quand nous poursuivions les rebelles. En cela, il a raison. Il y a, du côté de Nairav et de ses canyons, des combattants puissants et déterminés. Je pense aux gens du désert d’au-delà de Diy. Je n’en vois pas d’autres assez endurants et rapides pour frapper comme ils ont frappé.
   - Vous qui réclamiez de vrais ennemis, voilà des adversaires à la mesure des buveurs de sang.
   - Oui, Majesté. Je vais regrouper mes forces à Solaire, nettoyer les canyons comme j’ai nettoyé Diy et, avec la victoire, vous aurez les mains libres face à Gérère.
Les deux hommes s’éloignèrent dans le couloir tout en discutant. Un serviteur, qui se tenait dans le couloir devant une des portes, partit dans l’autre direction. Personne ne fit attention à lui. Avec son uniforme qui le désignait une des fourmis chargées du nettoyage, il allait partout. Il se dirigea vers une autre aile du palais et commença à frotter le sol d’un couloir. Arrivé devant une porte, il se releva, s’étira et s’accorda une petite pause. Sortant des provisions de son sac, il se tourna vers la cloison comme pour manger tranquille.
Dans le bureau derrière, un policier s’était levé pour se rapprocher de la porte.
   - J’écoute, murmura-t-il.
Le nettoyeur fit le récit de la conversation qu’il avait surprise, sur le même ton sans cesser de machouiller ses provisions. À la fin du récit, il se retourna pour s’appuyer contre le mur. À l’intérieur, le policier vit passer la main du serviteur. Il y déposa des pièces en disant :
   - Très bon travail ! Très, très bon travail ! D’autres pièces suivront si tu ramènes plus d’informations.
Dès qu’il eut la confirmation du départ du serviteur, il fit signe à son collègue qu’il partait pour le quartier général. Selvag était avide de ce genre d’information.

La vie dans les canyons manquait d’attrait. Le froid y était mordant dès qu’on sortait des tunnels. Riak aimait se promener dans la neige. Cela lui rappelait les temps heureux avec koubaye. Jirzérou avait dû apprendre à maîtriser les habits d’hiver. Il s’y sentait toujours engoncé et manquait de souplesse mais il continuait à accompagner la Bébénalki partout. Un compromis avait été trouvé avec Gochan. Mitaou et Bemba étaient maintenant au temple. Il n’y faisait pas plus chaud. La nourriture n’y était pas plus abondante. Seul avantage pour elles, il n’y avait pas d’homme. Riak rentrait maintenant le soir et retrouvait Jirzérou le matin. Narch s’était lié d’amitié avec Ubice qui avait entrepris de faire de ses hommes des combattants capables d’affronter les buveurs de sang. La discipline était rigoureuse et les entraînements quotidiens. Certains avaient essayé de partir. On les avait retrouvés gelés, perdus dans un des canyons, d’autres avaient rebroussé chemin à temps quand ils avaient compris que toute la région n’était qu’un labyrinthe.
Riak, après un office du soir, s’était rapprochée de Gochan.
   - Je voudrais en savoir plus sur le diadème.
   - Je t’ai déjà raconté, répondit la prêtresse.
   - Oui, Mère, mais ce n’est pas sur le passé que je voudrais avoir des informations…
Gochan avait entendu le titre que lui avait donné Riak. Elle était rarement aussi cérémonieuse. Elle s’arrêta, regarda Riak dans les yeux et lui dit :
   - Tu as peut-être raison. Trop de choses se passent pour que tu ignores encore les prophéties que j’ai reçues. Viens nous mangerons ensemble.
Les deux femmes se retrouvèrent dans une petite pièce aux murs épais, avec un brasero qui réchauffait l’atmosphère. Pendant qu’on les servait, Gochan commença son récit :
   - Quand j’étais jeune, je vivais dans un palais. Ma famille est liée à la famille royale. Mes cheveux sont devenus blancs très jeune. Je ne suis pas née comme cela. Pour ma famille, ce fut à la fois un signe de grâce mais aussi un signe de mort. Il ne fallait pas que je reste. À cette époque-là déjà, les filles aux cheveux blancs étaient toutes tuées et leur famille avec, quel que soit son rang. Alors on m’a enfermée dans un temple et j’ai fait mon noviciat. Pourtant je gardais contact avec les miens. J’étais devenue un pion sur l’échiquier de mon père. Si j’étais une cheveux blancs, alors je pouvais être la future grande prêtresse. Mais j’étais jeune et insouciante comme le sont les filles à cet âge. J’ai pris le risque de sortir sans respecter les règles. Et je peux te dire que je ne me souviens plus pourquoi. Je sais juste qu’à mes yeux, ce jour-là, cela m’a semblé la meilleure des idées. Bien sûr, je fus reconnue et pourchassée. Tu connais les histoires qu’on raconte… J’ai fui, aidée par les sœurs... quand elles le pouvaient sans mettre leur temple en danger. Je me suis réfugiée un temps dans la grande forêt. J’y ai vécu un temps en paix. C’et là que j’ai trouvé, par une nuit de pleine lune, le diadème. Je m’étais réfugiée dans des ruines que je connaissais pour me protéger des bayagas. Cette nuit-là, leurs lueurs dansantes illuminaient plus que la lune elle-même. J’ai jeté un coup d’œil dehors entre les pierres des murs branlants. Les bayagas dansaient une sarabande autour d’un arbre au tronc blanc. On était en hiver. Il faisait froid mais pas trop. Je m’en souviens comme si c’était hier. La neige n’était pas encore tombée. Les arbres n’avaient plus de feuilles. Sans cette danse, je n’aurais jamais vu l’arbre. Son tronc était plus blanc que la lune et brillait comme s’il reflétait une lumière. Je suis restée là jusqu’au matin. Quand le soleil s’est levé, je me suis approchée de l’endroit. C’était une petite clairière banale avec en son centre une sorte d'arbrisseau au tronc albâtre. Il n’avait rien de remarquable. Je ne sais pas pourquoi, j’ai creusé là. La terre était meuble comme si on l’avait remuée récemment, pourtant il n’y avait pas d’autres empreintes que les miennes. J’ai trouvé le diadème à deux paumes de profondeur. Il est sorti comme neuf. Aucune salissure ! C’est ce qui m’a étonnée. Je suis restée en admiration devant lui, sans pouvoir bouger. J’étais hypnotisée par une telle beauté. Ce sont les aboiements des chiens qui m’ont ramenée au présent. Je me suis levée brusquement pour fuir. Je suis retombée immédiatement, mes jambes pliées trop longtemps refusaient de me porter. Je me suis mis en boule, serrant le diadème sur mon cœur et pleurant de rage de n’avoir pas anticipé les chasseurs. La meute est passée autour de moi sans s’arrêter. Les chiens ont fouillé les ruines en attendant les cavaliers. Les chefs de meute sont arrivés à leur tour et ne m’ont pas vue. Les cavaliers sont restés un peu plus haut. Je sentais le piétinement des chevaux à travers le sol. Ils n'étaient pas loin. Je me suis crue morte. Et puis ils sont repartis sans venir vers moi, sans même regarder dans ma direction. Alors j’ai compris que le diadème m’avait protégée. Cela ne pouvait être que le diadème perdu du roi Riou que la princesse blanche avait emporté dans sa fuite. J’avais trouvé l’insigne même de la royauté. J’avais été choisie pour le trouver comme tu as été choisie pour recevoir l’épée. Toute ma vie en fut bouleversée. Je savais que j’étais devenue la gardienne de ce trésor. Il a guidé mes pas à travers les canyons alors qu’une fois encore j’étais poursuivie. Comme la première fois, je n’avais pas pris assez de précaution et, dans Solaire, un buveur de sang m’avait repérée. J’ai dû mon salut à ma légèreté. Tu peux sourire, Riak. À cette époque, j’étais aussi mince que toi et j’ai glissé sur la glace du lac quand mes poursuivants bien trop lourds l’ont fait craquer. Je les ai regardés s’enfoncer dans l’eau glacée quand j’ai été à l’abri sur le bord. Je ne me suis pas attardée. D’autres allaient venir et eux ne feraient pas l’erreur. La neige était là et mes traces trop visibles. Il me fallait courir le plus vite possible pour leur échapper. Je n’ai pas remarqué que j’avais pénétré dans les canyons. La roche avait changé et devant moi s’ouvraient des chemins de pierres tranchantes et des couloirs de noirceur pure. Sans réfléchir, j’ai couru suivant ce que je croyais mon instinct de survie alors qu’aujourd’hui, je sais que le diadème guidait mes pas. À bout de souffle, je me suis effondrée dans une grotte sans lumière. Je ne savais ni où j’étais ni où aller. Le sommeil m’a prise là.
Quand je me suis réveillée, le diadème était à mes pieds et luisait doucement, éclairant la salle d’une lueur jaune venue de la pierre qui le couronne. Sur les murs, j’ai vu des écritures. Je m’en suis approchée. On aurait dit des lettres de feu gravées dans la roche. J’ai lu à haute voix le première strophe de ce qui ressemblait à un poème. Au fur et à mesure que je les lisais, les lettres disparaissaient comme si le feu qui les habitait s’éteignait. Elles se gravaient dans ma  mémoire. Je peux encore réciter toutes les strophes que j’ai lues ce jour-là. Ce sont elles qui m’ont guidée et me guident. Ce sont elles qui m’ont fait comprendre que tu étais celle qui devait venir du nord. L’épée est tienne, les bayagas l’ont confirmé. Tu es celle qui porte le nom de fille de Thra, celle à qui les bayagas obéissent. Mais viendra du sud celui qui porte la parole du Dieu des dieux. Lui saura le nom que le Dieu des dieux veut donner au héros qu’il a choisi et il posera le diadème sur sa tête. Alors viendra le temps du renouveau de la royauté selon le roi Riou.
Les deux femmes restèrent en silence un moment. Riak se fit préciser les prophéties. Gochan avait été recueillie par la mère supérieure qui dirigeait Nairav. C’est elle qui avait installé le diadème au milieu de la cour sous la protection des bayagas. Depuis cette époque, Nairav avait acquis la renommée d’être le lieu de la fécondité. On y venait de très loin pour avoir le bonheur d’accueillir un enfant. Et les dons affluaient. Nairav était un temple riche, mais loin des centres du pouvoir. Gochan avait repris le flambeau de la direction et, sous la direction de son intuition qu’elle liait au diadème, elle avait “adapté” les rites à sa convenance.
Elle avait rencontré plusieurs fois la grande prêtresse. Cette dernière avait reconnu en elle la gardienne du diadème et lui avait laissé la liberté de diriger Nairav comme elle le souhaitait… jusqu’au jour où la prophétie se réaliserait. Ce jour-là, avec le retour du roi, elle se soumettrait à la loi commune. C’est-à-dire la stricte obéissance.
   - La moitié de la prophétie s’est réalisée. Avant la fin de l’hiver, l’autre moitié se réalisera. Je le sens. Alors mon rôle sera terminé et le diadème ornera le front de l’élu.

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