samedi 9 mai 2020

Ainsi parla Rma, le fileur de temps...91

Il était venu là de bonne heure avec l’idée de pêcher son déjeuner. Il connaissait cette petite plage le long du fleuve à quelques distances des débarcadères. En face, le camp des seigneurs se réveillait. Les barges attendaient pour les embarquer. Il remarqua qu’à quelques exceptions près, il n’y avait pas de treïbens. Il installa son tabouret et prépara ses lignes. Une pierre le gênait pour s’installer. Il la ramassa et la trouva bien lourde. Il la lança dans l’eau. Il fut étonné de la voir tomber si près de la berge. Les premières prises ne tardèrent pas à rejoindre son seau. Il s’interrompit pour voir ce qui se passait sur l’autre rive. Des bruits de tambours résonnaient. Il vit les soldats de l’Ost s’agiter fébrilement pour démonter les tentes et défaire le camp.
    - Ca y est, pensa-t-il, ils traversent.
Il fut heureux de n’avoir ni famille ni enfant. Là où il était, il ne risquait rien. Les exactions surviendraient plus tard. Il se remit à pêcher. Les poissons allaient être dérangés par tous ces va-et-vient alors il allait les pêcher. Il regardait son fil quand l’eau se mit à frémir. Il n’avait jamais vu cela. Comme son bouchon bougeait, il se leva. On ne sait jamais, des fois qu’un de ces gros poissons, tels que les racontaient les légendes, vienne mordre… Sa tête dépassa les ajoncs et il vit un mur d’eau se précipiter vers lui. Il se recula précipitamment et tomba sur les fesses en lâchant sa canne. Le mur s’arrêta devant lui. Dans l’eau, l’ombre d’une main gigantesque apparut. Il la vit se diriger là où il avait lancé la pierre et ressortir avec elle. Ce fut comme si un soleil brillait dans la masse de liquide. Il pédala en arrière du mieux qu’il put, jouant des quatre membres pour s’échapper de ce lieu. Il n’avait pas atteint l’herbe et le chemin qu’il vit le mur d’eau s'effondrer, dans un bruit d’enfer sur la rive opposée. Quand il put se relever, en face, rien ne subsistait. Accrochés à des débris quelques tréïbens dérivaient vers lui. Cela le choqua. Les débris remontaient le courant comme si une force les poussait. La main, cela ne pouvait être qu’elle ! Il se précipita vers l’eau pour aider ceux qui s’échouaient sur la plage. Il les entendit murmurer des mots incompréhensibles sauf un :
   - Bénalki !
Il prit un des hommes et l’aida à se poser sur le sable. Puis il retourna accueillir les quelques survivants. Quand plus personne ne fut dans l’eau, il les regarda. Ils avaient l’oeil vide de ceux qui ont vu l'impensable. Il s'adressa au plus lucide :

   - Qu’est-ce qui est arrivé ?
   - Je l’avais dit au capitaine, ce n’était pas une bonne idée… Mais il y tenait, ça faisait beaucoup d’argent pour pas long de traversée. Mais je lui avais dit que c’était pas bien de faire traverser les ennemis de la reine…
Le pêcheur laissa le marin raconter à sa manière. Dans son discours revenait en boucle qu’il avait raison de ne pas vouloir et que son capitaine préférait l’argent sûr, aujourd’hui, qu’une reine hypothétique, demain. Puis le récit changea, le treïben décrivit l’arrivée du mur d’eau, l’incroyable choc qu’il avait ressenti quand il s’était abattu sur eux et sur la berge. Il s’était vu mort quand il avait senti qu’on le prenait pour le ramener à la surface. Comme si une main l’avait soulevé et posé sur ce morceau de coque d’une barge, puis l’avait poussé sur cette plage. Le marin attrapa le pêcheur :
   - Bénalki, seule la déesse a ce pouvoir de commander aux eaux et de sauver ses sujets ! Elle est venue ici au plus près de la Bébénalki…
   - Au plus près de qui ?
   - De la Bébénalki ! De la reine que les grands savoirs nous annoncent. Le capitaine ne voulait pas y croire, je pense qu’il est mort de mettre en doute la parole de la déesse.
Le pêcheur interrogea les autres marins et obtint un peu la même histoire, seuls changeaient les détails de leur sauvetage, mais tous étaient persuadés que leur déesse était intervenue pour faire ce tsunami. Il les laissa se remettre après leur avoir donné des indications pour rejoindre le village. Le pêcheur partit en courant, il se devait de prévenir Sworde. Son savoir était grand. Il saurait quoi faire et qui prévenir.

Quand Sink arriva en vue des débarcadères, il vit le désastre sur la berge de Tisréal. Tout était dévasté. De l’autre côté la vie s’écoulait normalement. Seule la fuite des gens, venus voir ce qu’il s’était passé, montrait que tout n’était pas normal. Les locaux fuyaient à son approche. Il était un des seigneurs qu’ils maudissaient et qu’ils craignaient. Derrière lui, dans la barque, ses hommes étaient sidérés. Ils étaient face à l’incompréhensible. Il entendit l’un d’eux dire :
   - Par l’Arbre Sacré, c’est impossible, impossible !
Sink se fit raconter les événements par le lieutenant venu l'accueillir.
   - J’étais en face, disait-il. Hier j’étais juste en face pour mettre au point la traversée avec l’intendant du roi. Vous n’arriviez pas et le roi ne voulait pas attendre. Il avait dit : “ plus vite commencé, plus vite fini! ”
Sink se remémora les derniers courriers du roi. Il y développait sa stratégie. Dès qu’il aurait sécurisé la région jusqu’à Cannfou, il ferait le siège de Cannfou la haute comme on fait le siège d’une ville. Des charpentiers faisaient des troupes d’assaut pour monter les engins de guerre et les tours nécessaires à l’attaque. Une fois en haut, le roi ne doutait pas des capacités de l’Ost à nettoyer toute la racaille qui s’y trouvait. Sink lui avait fait part de ce qu’il s’était passé avec les buveurs de sang. Le roi de Tisréal avait entendu et en avait parlé aux prêtres. Un chariot complet de feuilles de l’arbre sacré faisait partie de l’équipage du roi. Son rôle serait de protéger l’armée des démons noirs de la sorcière blanche.
Sink fit signe au lieutenant de la suivre. Sur le débarcadère, il croisa les policiers qui étaient avec lui, et qui débarquaient. Près de la grande barque, Sink dit au capitaine :
   - Conduis-moi sur l’autre rive ! 
   - Monseigneur, notre accord s’arrête ici, si mes souvenirs sont bons. La traversée du fleuve n’est pas dans notre accord. L’eau est basse et je crains de m’échouer.
Sink sortit à moitié sa dague de son fourreau :
   - Pense, Capitaine, que je souhaite aller voir ce que ta déesse a fait… N’est-ce pas un assez grand paiement ?
   - Présenté comme cela, Monseigneur, cela me va et pour la peine, je te ramènerai …
   - Alors en route, ajouta Sink en sautant dans l’embarcation.
Le fleuve était anormalement bas. Le capitaine dut manœuvrer finement pour passer les hauts-fonds.
   - Heureusement que vous n’êtes que deux... À plus, on ne passait pas !
Sink débarqua dans la boue. C’est en pataugeant, accompagné du lieutenant, qu’il arriva sur la berge. Tout était dévasté, écrasé. Rien ne restait entier. Les arbres eux-mêmes avaient été broyés. Seules les souches restaient debout. Ils marchèrent un moment sans rencontrer âme qui vive. Tout le paysage était désolé. Parfois un piquet à moitié couché signalait un reste de tente. Du camp de l’Ost ne restait rien et Sink fut persuadé que l’Ost lui-même avait disparu corps et bien dans ce qui avait été un anéantissement. Il espéra sans y croire que le roi n’était pas présent. Ces derniers espoirs s’évanouirent quand il découvrit un poteau de tente peint aux armes du roi. Le bois dépassait à peine de la boue, il fit l’effort de le dégager. Il regarda un moment les inscriptions. Se retournant vers le lieutenant qui le suivait, il lut l’effarement sur son visage. Sink se releva. Il regarda au loin sans voir autre chose que la désolation. Le treïben avait raison, seul un dieu avait de tels pouvoirs. Si la déesse combattait avec les rebelles, avait-il une chance ? La pensée qu’elle avait anéanti les gens de Tisréal sans toucher au pays de Landlau lui traversa l’esprit. Sink regarda le ciel. Il était vivant. La déesse n’avait pas renversé la barque comme elle avait anéanti les barges de Tisréal. Devait-il d’être vivant d’avoir navigué avec des treïbens ? Ou bien… Elle avait considéré Sink et ses hommes comme appartenant au pays de Landlau… Toutes ces pensées se bousculaient dans sa tête et puis brusquement, il se tourna vers le lieutenant :
   - Rentrons ! Nous ne pouvons rien à faire ici !
La traversée de retour fut encore plus difficile que l'aller. Le niveau de l’eau avait encore baissé. Le capitaine fit remarquer qu’il ne pourrait même plus naviguer tant que le fleuve serait aussi bas. Sink, une fois sur la rive de Landlau, fit mettre ses hommes en rang. Il n’avait avec lui que dix policiers. Les autres barques s’étaient échouées un peu plus en amont. Il pensa aux barges. Elles s’étaient probablement arrêtées aussi à cause du faible étiage. L’Ost avait disparu, ses soldats n’arriveraient pas maintenant. Le lieutenant lui avait laissé entendre que les rebelles allaient attaquer. C’est ce que lui avait dit un de ses informateurs.
   - Ils auraient trouvé un autre chemin pour descendre.
Sink pensa à ceux qu’il connaissait. Il fallait passer par les montagnes et par des chemins difficiles où une armée ne pouvait pas passer. L’informateur avait parlé du Sachant qui aurait donné des informations sur d’anciens chemins.
   - En sait-on plus que ces rumeurs ?
   - Non, mon colonel. Les patrouilles n’ont rien vu, rien entendu.
   - Le lieutenant Talpen, dans ses rapports, parlait d’un dénommé Tienlou, l’homme de confiance du baron Ferai, dont les hommes surveillaient Cannfou. Que valent ses troupes ?
   - Je n’ai jamais rencontré le personnage. La rumeur dit qu’il en veut beaucoup aux rebelles pour avoir tout perdu et que lui est ses hommes sont prêts à leur faire payer très cher leur descente. Ils s’entraînent beaucoup mais ils manquent de savoir-faire. 
   - Et cette histoire de bayagas ?
   - Des lumières courent sur la montagne depuis quelques jours. Dans la plaine, on ne les voyait plus depuis le jour de leur grande fête. Les hommes s’interrogent. Les oracles ont parlé de la pleine lune qui sera ce soir. Ce qui est arrivé à l’Ost et au roi…
   - Pour le roi, on ne sait pas, coupa Sink. On espère !
   - Oui, mon colonel. Mais j’ai vu la montagne d’eau s’abattre sur la berge…
Sink regarda ses pieds :
   - Je sais, lieutenant. Dès que possible, on enverra des hommes, mais aujourd’hui on doit s’occuper de la menace des rebelles. Envoyez un messager vers l’amont. Qu’il dise à tous de se presser d’arriver. Nous ne sommes pas assez nombreux pour les combattre. Nous allons faire mouvement vers Cannfou. Qu’ils nous rejoignent là-bas. Avec la cohorte de Talpen, nous devrions pouvoir faire face le temps d’attendre les renforts, mais qu’ils fassent vite. Nous allons partir. Nous rejoindrons Cannfou à marches forcées.
Le lieutenant salua Sink et repartit rejoindre sa patrouille. Sink chargea son sac à dos et fit signe à ses policiers de le suivre. Tout en donnant ses ordres, le lieutenant regarda Sink s’éloigner au petit trot suivi de ses hommes.

La lune était pleine et le ciel dégagé. La journée avait été calme et presque chaude. Le soleil descendait. Il y avait encore du temps avant le crépuscule. Pourtant une première flamme se mit à danser sur le rempart de bois de Cannfou la haute. Les hommes de garde dépêchèrent un messager pour prévenir Tienlou. Il était arrivé peu après avec tous les hommes disponibles. Il avait regardé le ciel et les lumières dansantes puis il s’était tourné vers ses guerriers :
   - C’est pour maintenant !
Il avait fait vérifier les pièges et les chausses-trappes. Il fallait que tout soit en état pour mettre le maximum d’ennemis hors de combat avant le choc de guerrier contre guerrier. Il fit mettre les archers en place. Les arcs furent préparés et les réserves de flèches distribuées. Les lances étaient prêtes et chacun attendait de voir les échelles ou les cordes se déployer. L’attente leur parut longue. Quand le disque solaire eut complètement disparu à l’horizon, un bruit de bois qui casse se fit entendre. Le rempart de Cannfou la haute tomba laissant une plateforme où se tenait une silhouette blanche. Une pluie de flèches s’abattit sur Cannfou la basse. Le rempart s’écrasa au sol soulevant des nuages de poussières. Tous se protégèrent les yeux. Quand ils les rouvrirent. La plateforme là-haut était déserte.
Devant eux, une silhouette à la chevelure blanche avançait en courant. L’épée dans une main, une dague dans l’autre. Tienlou fut le premier à réagir. Il hurla :
   - TIREZ ! MAIS TIREZ DONC !
Les archers décochèrent leurs traits qui vinrent s’écraser sur un mur de glace qui était apparu. Avant qu’ils n’aient pu ré-encocher une flèche, deux fauves leur avaient sauté dessus, égorgeant les uns, blessant les autres.
   - La sorcière blanche, hurla un des guerriers avant de s’écrouler en se tenant le ventre dont les entrailles se répandaient à terre.
Les lances ne furent d’aucun secours, les épées non plus. Quand la lumière du soleil eut complètement disparu, Tienlou et ses hommes étaient tous morts.
Riak essuya ses lames et les rangea. Les deux léopards des neiges vinrent se frotter contre ses jambes en ronronnant :
   - C’est bien, ceux-là ne haïront plus personne.
Riak regarda autour d’elle. Il devait rester des guerriers cachés. Elle leva les yeux vers les Bayagas :
   - Trouvez-les moi !
Immédiatement les formes lumineuses des bayagas se mirent à danser à certains endroits. Les léopards des neiges débusquèrent les hommes qui s’étaient cachés. Ils en firent un troupeau qu’ils guidèrent vers Riak qui accueillait un groupe de personnes arrivant avec des fleurs et des offrandes en criant : “Vive la reine “. Quand ils virent les léopards arriver, poussant devant eux les guerriers de Tienlou comme on mène des moutons, certains se mirent à crier leur haine des seigneurs.
    - SILENCE !
L’ordre de Riak les figea. Elle avait l’épée à la main et sa chevelure blanche flottait dans l’air noir de la nuit. Elle se retourna vers les prisonniers et commença à les interroger. Elle comprit vite que ce n’était que de simples exécutants. Elle regretta que Koubaye soit parti. Elle avait besoin d’informations et ceux-là ne lui en donneraient pas. Elle les fit s’aligner devant elle. À la lumière des torches, cela fit un rang sombre face à la silhouette blanche de Riak dont l’épée semblait jeter des éclairs. Certains se tenaient droits, le regard plein de défi. D’autres étaient à moitié courbés jetant des coups d’œil apeurés vers la reine qui les toisait faisant des moulinets avec son arme. Elle s’approcha du premier. L’homme se raidit. Il avait reçu une flèche dans le bras. Son regard semblait de feu. Riak le fixa droit dans les yeux. Il les baissa le premier. Riak lui mit l’épée sur le menton et lui releva la tête. Ses yeux flambaient toujours.
   - Tu me hais !
   - Oui, Sorcière et quand le roi viendra, il mettra ta tête sur une pique.
   - Sans cette flèche, tu aurais continué à te battre, n’est-ce-pas !
   - Le roi aura ta peau !
Il avait à peine fini de dire cela que sa tête se décolla de son corps. Le sang en jaillissant éclaboussa les autres.
Il y eut des cris et un mouvement de recul quand les gens de Cannfou comprirent que leur reine venait de décapiter un homme. Pendant que le corps sans tête s’effondrait, elle se tourna vers le deuxième. Celui-là avait le regard effaré. Sa tête allait de Riak au guerrier mort. Il se mit à trembler. Il se retrouva avec l’épée sous le menton.
   - Et toi que dis-tu ?
Le ton de Riak était glacial. Les deux léopards observaient la scène, couchés à ses pieds.
   - Je… Je...
   - Parle plus fort, les gens aimeraient t’entendre.
   - Je n’ai fait qu’obéir. Je ne voulais pas me battre.
   - Je t’ai vu. Tu te précipitais comme les autres !
   - J’avais pas le choix, dit-il en larmoyant.
   - C’est une brute, hurla une femme dans le dos de Riak.
Riak regarda la femme puis l’homme.
    - Que réponds-tu ?
    - Ce n’est pas moi… Ce n’est pas moi !
Il n’avait pas fini de parler que le léopard des neiges lui sautait à la gorge. Il s'effondra en émettant un gargouillis sanglant.
Riak se déplaça devant le troisième guerrier. Il tremblait de tout son corps mais soutint le regard de la reine.
   - Je me suis battu autant que j’ai pu. À vous voir, je comprends que nous n’avions aucune chance. Je suis prêt à mourir.
Riak se tourna vers la femelle léopard :
   - Qu’en dis-tu ?
Celle-ci feula doucement sans bouger de sa place.
   - Je suis d’accord.
De nouveau tout alla très vite. Riak trancha les deux talons d’Achille du prisonnier qui tomba à genoux.
   - Tu vivras, mais plus jamais tu ne combattras.
Riak continua ainsi jusqu’à arriver devant un renégat. Il était déjà à genoux tremblant de peur.
   - Tu as choisi le mauvais maître.
   - Je ne pouvais pas faire autrement. il fallait que je nourrisse les miens.
Le léopard gronda sourdement.
   - Tu entends, il ne te croit pas.
Riak sentait la colère des gens derrière elle. Les murmures des habitants faisaient un grondement sourd comme un contrepoint de rage contenue qui cessa brusquement. Riak se retourna. Une vieille femme approchait les yeux pleins de larmes. Elle se jeta à genoux devant Riak :
   - C’est mon fils, mon unique. Prends ma vie, ma Reine, mais laisse-le vivre. Il a fait de mauvaises choses, c’est vrai ! Mais c’est mon fils. Je n’aurai bientôt plus la force de cultiver, qui va me nourrir ?
    - Je t’entends, femme, mais il faut que  justice se fasse.
Riak se tourna vers les habitants :
   - Qui a quelque chose contre lui ?
   - C’est un salaud, cria quelqu’un aussitôt rejoint par un choeur de haine.
Riak se retourna vers l’homme qui maintenant sanglotait roulé en boule par terre.
   - Tu as cultivé la haine autour de toi…
Elle regarda vers le ciel :
   - Et vous les bayagas … que dites-vous de lui ?
Deux formes rouges presque noires surgirent autour de l’homme à terre. Leur danse les conduisait du fils à la mère dans une sorte de spirale affolée. Le mouvement allait si vite qu’on ne distinguait plus qu'un brouillard de lumière rougeâtre de plus en plus sombre. Le tourbillon descendit jusqu’à terre cachant le guerrier à la vue du monde. On entendit un hurlement qui se termina en couinement. Brusquement les bayagas disparurent laissant une silhouette pantelante au sol. La vieille femme se précipita pour le prendre dans ses bras. Quand elle vit les yeux de son fils où ne régnait aucune étincelle humaine, elle hurla.
Le renégat suivant était déjà à genoux en implorant d’être tué plutôt que de subir ce sort. Riak lui hurla :
   - DEBOUT !
Il se leva péniblement, et fit face.
   - Ma reine, j’ai fait ce que je croyais bien pour les miens. J’avais tort. Je voudrais mourir en soldat. Tuez-moi !
Le léopard femelle s’était levée. Elle fit le tour de l’homme en grondant doucement. Elle le renifla et revint se coucher aux pieds de Riak.
    - Elle pense que tu ne mérites pas la mort...
Riak vit l’étonnement dans les yeux du prisonnier, puis au fur et à mesure que les paroles le pénétraient, une lueur d'espoir apparut dans ses yeux.
   - … Mais tu es coupable de ce que tu as fait. Approche.
Quand l’homme fut à moins d’un bras de Riak, elle l’attrapa et le colla contre sa poitrine. Il hurla en se reculant brusquement. De sa joue montait de la fumée. Le symbole du royaume de Landlau brûlait ses chairs. L’homme sous la douleur tomba à genoux, tenant sa joue à deux mains. Riak se tourna vers le peuple.
   - Il est mien maintenant. Il porte ma marque. Sa peine, pour avoir servi les seigneurs, sera de servir mon peuple. Tu leur as donné trois ans de ta vie, tu m’en donneras quatre en servant ton village. Quiconque portera la main sur toi devra répondre devant moi.
Quand l’homme comprit qu’il allait vivre, il jeta un regard de reconnaissance éperdu à la reine. Sur sa joue pulsait la forme du médaillon de Riak comme marquée au fer rouge.
   - L’étoile de Lex !
Le cri d’une femme fit lever la tête à tout le monde. La peur fit son apparition dans le groupe des habitants de Cannfou. Riak lança un ordre. Les bayagas se rassemblèrent et, dans un même ensemble s’envolèrent vers le fleuve. Riak les regarda s’éloigner. Derrière elle, les regards des gens allaient de l’étonnement à l’adoration. Un premier : “Vive la reine !” fut lancé et repris par l’ensemble des présents.
Le bruit couvrit le léger sifflement que firent les cordes lancées depuis la falaise. Des hommes descendirent en rappel, leurs grands arcs sur le dos. Une fois regroupés en bas, ils firent mouvement vers la reine. Quand le premier mit genou à terre devant Riak, les cris s’arrêtèrent.
   - A tes ordres, ma Reine.
   - Il n’y a plus de seigneurs à Cannfou hormis les prisonniers. Maintenant, Capitaine, voyez avec le chef de la communauté pour organiser et garder la ville. Je vais rejoindre les nôtres. Nous ferons mouvement vers le fleuve. C’est là qu’aura lieu la prochaine bataille.

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