mercredi 22 octobre 2014

Ils avaient repris leur progression dans une atmosphère étrange. Sounka ne comprenait pas ce qui s’était passé. Lyanne se posait la question sur ce que l’homme avait murmuré. Il n’avait pas réussi à l’interroger. Son chef l’avait envoyé en avant, soi-disant comme éclaireur. Lyanne pensait plutôt qu’il était parti donner l’alerte. Ziepkaar était le seul heureux de la situation. Ils avaient quitté les roches noires pour une région agricole faite de petits lopins de terre isolés au milieu d’une nature assez pauvre. Les volcans avaient régulièrement dévasté la région par leurs cendres par le passé. Rares étaient ceux qui osaient venir tenter leur chance sur ces terres fertiles mais inquiétantes. Leurs gardiens marchaient autour d’eux dans une attitude qui se voulait amicale quand elle n’était que tension. Si les armes étaient au repos, elles n’étaient pas rangées. Seul Lyanne profitait du soleil présent, de la nature qui se battait avec les laves pour reprendre pied sur ce territoire. Il se sentait loin de sa terre d’origine. Un brin de nostalgie le traversait quand il n’avait pas été à la Blanche depuis longtemps. Il se promit d’y aller le soir même. Les volcans, derrière lui, lui rappelaient les Montagnes Changeantes. Il y trouverait bien un passage vers les terres blanches du Pays Blanc. Le contraste des terres était saisissant dans son esprit. Il pensa au grand dragon blanc et noir. Ici, on était dans un pays chaud à la terre noire, là-bas, dans une terre froide et blanche. Contraste encore, les dragons étaient des êtres de glace et de feu. Tout en marchant, alors que son corps se laissait aller à la régularité des pas qu’on alignait l’un après l’autre, ses pensées vagabondaient sur sa double nature.
Quand arriva le soir, il sentait qu’ici se passerait quelque chose d’important. Verrait-il enfin la fin de sa quête ?
- Des Gardiens !!! M’man, des gardiens !
Les cris provenaient de quelques enfants qui coururent jusqu’à une bâtisse faite de la pierre noire extraite du sol.
- Nous allons nous reposer ici, dit Katvia.
Pour Lyanne, c’est ainsi que sonnait le nom du chef des gardiens. Il était sûr qu’il le comprenait mal. Les sonorités étaient plus riches que ce qu’il entendait. Son autre nature lui soufflait des harmoniques que son gosier humain ne savait pas produire.
Ils venaient d’arriver dans une ferme bien tenue. L’homme qui apparut était râblé et avait la peau très sombre de ceux qui vivent dehors. Une troupe d’enfants se tenait derrière lui.
- Bienvenue, Gardiens des terres noires ! dit-il en avançant les mains hautes, paumes tournées vers l’avant. Soyez en paix sur ma terre.
Katvia répondit de même et leurs mains se touchèrent rituellement.
Le fermier regarda vers Sounka.
- Vous avez des prisonniers ?
- Non, Litchu. On parlera d’invités. Ils nous accompagnent.
- Ah ! Je vois. Alors, ils dormiront dedans. Ici traînent des loups.
Ce fut au tour de Katvia d’être étonné.
- Des loups ? Mais cela fait des générations qu’on n’avait pas signalé de loups sur les terres noires.
- Un de mes fils les a vus. Ils sont aussi noirs que la terre. Peut-être même sont-ils fils du volcan ?
- Des loups ? reprit Lyanne qui s’était approché des deux hommes. Et des loups noirs ?
- Oui, étranger. Des loups noirs aussi hauts que des hommes a dit mon fils. Mais peut-être sont-ils déjà loin ? Ce serait préférable pour nous.
- Ont-ils attaqué tes bêtes ?
- Non, heureusement pour nous. Les mises-bas ont été rares cette année. Nous avons besoin de toutes nos bêtes pour survivre.
- Ta famille est nombreuse, Lichu. Je comprends, reprit Katvia. Je vais envoyer des hommes voir les traces avant que la nuit ne soit trop noire.
- Puis-je les accompagner ? demanda Lyanne. Je connais les loups noirs. Mon pays en abrite.
Pour toute réponse Katia haussa les épaules. Il donna des ordres et trois hommes accompagnés de Lyanne suivirent le fils du fermier.
Dans la lumière déclinante, ils arrivèrent près d’une mare. Ils en firent le tour inspectant les traces laissées par les larges pattes des canidés.
- J’ai jamais vu ça, dit un des gardiens. Il y a toute une meute. Elle est venue boire et est repartie. J’espère qu’elle est loin.
Lyanne pendant ce temps, contemplait le paysage autour. C’était une lande faite de buissons et de bosquets d’arbres aux branches tordues, entrecoupée de place en place de prairies plutôt maigres.
Il les sentit sans les voir. La meute était tout autour d’eux, attentive. Il sentit le désir de chasse qui en émanait.
- La lumière est mauvaise ce soir. Nous ne verrons rien. Rentrons !
Lyanne se tourna vers celui qui avait parlé. Katvia l’avait nommé chef du détachement. Il transpirait la peur par toute son attitude. Les autres ne valaient guère mieux et furent unanimes à accepter de retourner à la ferme.
- Allez devant, dit Lyanne. Je vais vérifier ces buissons et j’arrive.
Personne n’argumenta ses paroles. Ils partirent à grands pas, l’arme à la main, précédés du jeune qui se retenait pour ne pas courir. Ils disparurent bientôt derrière un repli de terrain. Les loups qui avaient senti la présence humaine attendirent que le nuit fut bien noire pour se lever. Lyanne en compta trois mains, dix adultes et cinq jeunes. Il les entendit se répartir tout autour de lui. Il était la proie et eux les chasseurs. Il s’assit sur un rocher et attendit l’approche. Le premier à apparaître fut un grand mâle sur sa droite. Puis ce fut au tour de la femelle alpha de se montrer.
- La nuit est belle, Chasseresse !
Les yeux jaunes de la louve brillèrent avec plus d’éclat.
- Tu parles notre langue, proie-homme. C’est la première fois que je vais manger une proie qui parle notre langue.
- Es-tu sûre que tu veux me manger ? Une proie muette serait plus dans tes habitudes.
- La meute a faim, proie-homme. Les autres ont fui. Toi, tu es resté. Tu es la proie.
- Une meute comme la tienne évite de chasser les hommes. Pourquoi le ferais-tu aujourd’hui ?
- Notre territoire est plus loin, proie-homme. Ici les proies sont dans des maisons en pierre la nuit. Toi, tu es là.
Lyanne sentait la présence des autres loups se rapprocher. La louve s’était assise sur son arrière-train.
- Que viens-tu faire ici, si ton territoire est ailleurs ?
- Il y a eu un Appel. Il y a longtemps que nous n’avions pas entendu l’Appel.
- Où est l’appelant ?
- Nous avons été jusqu’aux terres qui brûlent sans le trouver. Maintenant la faim est là, et toi aussi.
- Je pourrais être l’appelant.
- Non, tu es la proie…
Elle n’avait pas fini qu’elle avait bondi sur Lyanne. Le bruit des mâchoires claqua dans la nuit. Tous les loups bondirent en arrière quand le grand dragon rouge ferma sa gueule sur la louve. Lyanne laissa retomber le corps sans vie et regarda autour de lui. Tous les loups étaient aplatis par terre, la queue entre les jambes et les oreilles basses.
- Qui est la nouvelle alphe ? demanda-t-il.
Une jeune louve au regard lumineux s’approcha :
- Tu es l’appelant ! Nous sommes tes serviteurs !
- Quel est ton nom, meute de loups noirs ?
- Hapsye fille de Praznik, fille de Nanzo, fille de RRling.
- Quand as-tu entendu l’Appel ?
Les loups noirs ne vivant pas le temps comme les humains, Lyanne vit une image se former dans l’esprit de Hapsye, une image de tempête et de volcan, de vent et de mort. Il eut la certitude de la concordance entre sa chute et l’Appel.
Une autre image se forma, celle de loups chassant les gardiens.
- Ma volonté est autre, Hapsye. Connais-tu la forteresse qui surplombe la mer ?
La meute réagit en évoquant le château qu’il avait aperçu lors de son dernier vol, une forteresse de pierres blanches surplombant la mer.
- La pierre est trop dure pour nos crocs. Nous ne pouvons y pénétrer.
- Hapsye, tu seras mes yeux. Va, et explore le pays.
- Pourrons-nous chasser ?
- Oui, évite les humains.
Lyanne reprit une forme humaine et la jeune louve vint poser sa tête sur ses genoux. Ses yeux avaient presque la même couleur que les siens.
- Nous attendions depuis longtemps que tu appelles, maître.
Derrière elle, tous les loups vinrent faire soumission. Quand l’oméga eut rendu son hommage, Lyanne les vit s’élancer dans la nuit. Coureurs infatigables, ils verraient leur but avant que la nuit ne soit achevée.
Il se leva et, dans un grand mouvement d’ailes, partit pour la Blanche.

Il ne revint qu’au matin dans le pays aux roches noires. Il avait été jusqu’à son château dans la plaine glacée. Là-bas, le jour se ferait attendre encore un moment. La nuit y était étoilée et la neige immaculée. Il avait fait le bonheur de ses vassaux en arrivant à l’improviste. Les Gowaï avaient fait la fête en son honneur. Lyanne avait joué avec le temps dans les dédales des Montagnes Changeantes pour revenir près de la ferme avant le jour. Il se posa près de la mare. Le cadavre de la louve noire était encore à terre. Un seul de ses crocs l’avait transpercé. Il eut un sourire, sortit sa dague et regarda. La lame avait la bonne largeur. Il souleva le corps sans vie et le chargea sur ses épaules :
- Toi qui as été dans la désobéissance, tu vas quand même te mettre à mon service.
Les premiers rayons du soleil perçaient à travers les nuages quand il arriva devant la ferme. Il vit les gardiens sursauter et prendre leurs lances quand il déboucha entre deux bosquets.
- Les loups ne seront plus une gêne pour Litchu et sa famille, dit-il en déposant le corps de la louve sur un muret.
Katvia sortit en trombe pour venir voir. Il regarda Lyanne, la louve et encore Lyanne.
- Comment l’as-tu tuée ?
Lyanne sortit sa dague et dit :
- Je l’ai transpercée. Les autres sont partis. Elle les dirigeait et les dirigeait mal.
Un regard de crainte passa dans les yeux des spectateurs. La louve était grande, plus grande que ce qu’ils se représentaient. Un des moins craintifs s’était approché de l’animal :
- Ya qu’une plaie, Chef !
Litchu était aussi arrivé. Il regarda la louve :
- Es-tu sûr qu’ils sont partis ? Une telle meute dans les parages et c’est tout mon troupeau qui y passe.
- On peut suivre leurs traces, la meute est partie par là, dit-il en montrant la direction approximative de la forteresse. Profite de sa peau. Elle fera une riche parure.
Litchu salua pour remercier et rentra en courant en appelant sa femme. Ce fut au tour de Katvia de s’approcher :
- On t’a cru mort, quand on a vu que tu n’étais pas rentré. Mais tu es plus dur que je ne le pensais
- Je t’ai dit, Katvia. Je connais les loups, mon pays en abrite.
- Va manger, nous allons partir bientôt.

dimanche 19 octobre 2014

CORRECTION

La piqûre le réveilla. Il avait mal à la tête. Une nouvelle piqûre lui fit ouvrir les yeux.
- L’dernier s’réveille, dit une voix éraillée.
Lyanne était sur le dos sous sa forme humaine. Il avait l’impression d’avoir été roué de coups. Tout son corps rechignait à bouger. Il se redressa en regardant autour de lui. Une troupe d’une dizaine d’hommes l’entourait. Plus loin, il vit Haafefe. Le bateau était en cours d’inspection. Un homme l’examinait avec attention. Il l’entendait grommeler sans comprendre ce qu’il disait. Dans sa position, il ne voyait aucune trace de Sounka ou de Ziepkaar. Plus loin d’autres hommes formaient un groupe compact. Ils étaient tous armés de lances faites d’un tronc dont l’extrémité avait été effilée et durcie au feu. C’est une des armes qu’on avait appuyée sur sa poitrine. Alors qu’il se relevait quelqu’un passa rapidement derrière lui, lui entravant les bras en les attachant sur une solide branche avec des liens faits de fibres tressées. On le mit debout sans ménagement.
- Alors voleur, on va voir comment tu danseras tout à l’heure.
Lyanne ne répondit rien. Dans sa tête un gong sonnait au rythme de son cœur. Il avait la nausée et serait bien resté simplement allongé sur le sable à attendre d’aller mieux.
On le poussa en avant. Ils le firent se rapprocher de Haafefe. 
- Tous cas, l’ont soigné.
Lyanne tourna la tête pour voir qui parlait ainsi. L’homme qui inspectait le bateau, faisait un rapport à un individu aux cheveux blancs et coiffé d’un casque brillant. C’était le seul à avoir une arme en métal.
- C’est du bon travail, répondit l’homme aux cheveux blancs.
- Quand les tempêtes soufflent et qu’le volcan crache, ya toujours quequechose à récupérer ici, répondit un autre. J’vous ai appelé dès qu’j’ai vu qu’il y avait un de vos bateaux échoués.
- Ces voleurs n’auront que ce qu’ils méritent, Cerjas. En attendant voici pour toi.
Lyanne fut témoin d’un échange de bourses. L’homme aux cheveux blancs versait de petits coquillages aux reflets pourpres dans un sac que lui avait tendu le dénommé Cerjas. Le regard qu’il jetait sur ce qui tombait dans son escarcelle en disait long sur la valeur de ces coquillages.
Il n’en vit pas plus car on le poussa en avant. Il marcha jusqu’à la limite de la plage de sable noir. Au loin la montagne fumait toujours. Son flanc rougeoyait encore malgré la lumière déjà forte de ce début de journée. Buttant sur une roche qui dépassait, Lyanne tomba. Il se laissa aller sur le côté pour ne pas se retrouver la tête dans la sable. Il entendit rire ses gardiens qui le remirent debout sans ménagement et le dirigèrent vers un renfoncement où il découvrit assis, les mains attachées derrière le dos, Sounka et Ziepkaar.
On le fit asseoir à côté.
- Ils t’ont eu aussi, homme-oiseau. J’espérais que tu viendrais nous sauver.
- Pour le moment, Sounka, il est préférable de supporter cela, répondit Lyanne.
Dans sa tête, le bruit était trop violent pour qu’il puisse réfléchir. Il se laissa aller,détendant ses muscles autant qu’il pouvait.
Le soleil se montra quand l’homme aux cheveux blancs se rapprocha d’eux. Derrière lui, il vit une escouade pousser Haafefe à l’eau.
- Tlaloc va ramener le bateau à Souacpas. Nous allons rentrer par la terre.
- Et ceux-là ? dit un de leurs gardiens en les montrant.
- Ils marcheront.
- L’homme au drôle de manteau a pas l’air en forme.
- On verra, Raznac, on verra.
Il regarda autour de lui. Cerjas s’en allait à l’autre bout de la plage. Haafefe avançait à la pagaie, propulsé par une dizaine de gaillards qu’on entendait chanter. Les hommes étaient tous,  la lance à la main, prêts à partir.
Faisant un geste, celui qui était manifestement le chef, donna l’ordre du départ.
Ils marchèrent toute la journée. Il n’y eut que très peu de temps de repos. Heureusement, les cousmains étaient résistants. Malgré tout, Sounka et Ziepkaar connurent plusieurs chutes dont ils se protégèrent mal. Lyanne était plus lourdement chargé qu’eux avec ce joug qu’il devait porter et auquel il était attaché. Il tomba aussi dans certains passages chaotiques. À chaque fois, il réussit à planter le bout de bois en avant. Il se trouva ainsi protégé des blessures qu'arboraient ses compagnons. Contrairement à eux, la chaleur, qui régnait tout autour d’eux, dans ce paysage de laves noires à peine refroidies, lui redonnait de l’énergie. Il avait l’impression qu’elle le nourrissait. Quand arrivèrent le soir et le bivouac, il était en grande forme. Il sentait la fatigue des autres. Les gestes étaient las et lents. On ne le délia pas. Sounka connut le même sort. Ce fut Ziepkaar qui fut chargé de s’occuper d’eux et de les faire manger sous le contrôle d’un gardien. La nourriture était pauvre et mal cuite sans parler de la quantité insuffisante pour leur redonner des forces pour le lendemain. Ziepkaar avait tout juste fini de s’occuper d’eux que le dernier rayon de lumière s’éteignit. Il ne resta qu’une lueur jaunâtre venant du volcan. C’est tout juste si l’on distinguait de vagues formes. Lyanne qui n’était pas gêné par le manque de lumière, regarda les hommes tenter de trouver un coin à peu près confortable dans ce monde minéral. Si Sounka et Ziepkaar avaient été attachés à une longe reliée à un garde, Lyanne avait été suspendu par sa poutre entre deux roches assez hautes pour qu’il ait à peine les pieds qui touchaient terre. La position était rapidement devenue douloureuse. Quand Lyanne entendit les respirations se calmer, il décida de se libérer de tout cela. Son bâton de pouvoir avait servi de bâton de marche à l’un des gardes. Heureusement, il n’avait pas touché au tissu qui en couvrait l’extrémité. Son marteau, lui, avait rejoint le paquetage d’un autre. Lyanne se transforma en dragon. La position attachée lui était encore plus douloureuse. Il changea de taille, devenant suffisamment petit pour que les liens se relâchent. Il s’envola.
Vu d’en haut, il découvrit un monde façonné par les volcans. Plusieurs cratères dont certains inactifs formaient une chaîne de montagne. Derrière, il aperçut les éclairs des tempêtes qu’ils avaient traversées. Leur chemin les avait fait contourner un cône actif mais pas très haut. C’est lui qui donnait cette luminosité. De l’autre côté, il distingua une ligne de séparation. Il s’en approcha. La végétation reprenait ses droits. Il survola une partie du pays. Quelques champs çà et là montraient qu’il y avait des habitants, mais Lyanne ne vit pas de villages. Le vent avait des senteurs marines. Il le remonta pour se retrouver au-dessus d’une côte faite d’une succession de petites falaises entrecoupées de plage de galets. Au loin, il vit un forme anguleuse qui lui évoqua une forteresse. Virant sur l’aile, il repartit vers les terres noires où étaient restés Sounka et Ziepkaar.
Il se posa non loin du groupe. Il l’avait survolé. Tous les hommes dormaient plus ou moins profondément. Comme toujours quand il reprenait sa forme d’homme, son bâton de pouvoir et son marteau avaient réintégré son côté. Il avait fini par maîtriser cette magie liée à sa double nature. Sans bruit, il se rapprocha de ses deux compagnons, les libérant de leurs liens sans même les réveiller. Simplement après, il s’assit sur un rocher surplombant les lieux et attendit que le soleil se lève.
Il vit Sounka et Ziepkaar bouger tranquillement dans leur sommeil pour trouver une meilleure position. Il entendit se lever l’un ou l’autre de leurs gardiens, les vit aller se soulager un peu plus loin et revenir à tâtons à leur place. Celui qui passa au pied de Lyanne ne le vit même pas, ce qui le fit sourire.
Le soleil se leva dans une débauche de pourpre, d’or et de blancs. Les hommes se levèrent doucement. Ziepkaar se leva naturellement, oubliant qu’il devait être attaché. Il commença à déambuler cherchant un coin pour s’isoler. Pendant quelques instants, rien ne se passa et puis un des gardiens prit conscience de l’anomalie et hurla un avertissement. Cela réveilla Sounka qui n’eut pas le temps de bouger avant qu’une lance ne le bloque au sol. Ziepkaar se trouva pris en chasse par deux hommes pendant qu’un troisième hurlait que le prisonnier avait disparu. Ombre chinoise immobile dans le soleil levant, personne ne remarqua Lyanne. Ce fut le point de départ d’une grande agitation. Le chef se mit à hurler des ordres, pendant que ses guerriers s’agitaient, cherchant s’il ne leur manquait rien. Il y eut un cri quand on découvrit la disparition du bâton de pouvoir et presque immédiatement un deuxième quand on constata la disparition du marteau. Ziepkaar, qui avait déjà par deux fois échappé à ses poursuivants, commençait à fatiguer. D’autres hommes se joignant aux premiers, il semblait paniquer. Le hasard lui fit diriger ses pas vers le rocher où se tenait Lyanne. Dès que Ziepkaar fut passé derrière lui, il se mit debout et poussa un grand cri. Il vit se figer les guerriers en dessous de lui. Se reprenant rapidement, un des guerriers lui jeta sa lance que Lyanne esquiva sans difficulté. D’autres armaient leurs bras, quand un cri les bloqua. Leur chef avait crié un ordre.
Lyanne le vit s’approcher tranquillement pendant que les autres entouraient le rocher où il se trouvait.
- Rends-toi ! Tu  n’as aucune chance !
- C’est toi qu’à aucune chance, c’est un Homme-oiseau, hurla Ziapkaar de derrière le rocher.
Lyanne n’avait pas répondu. Il avait juste lentement pris son marteau de combat qui envoya des éclairs en reflétant les rayons du soleil levant.
Entre le cri de Ziepkaar et le calme de Lyanne, les hommes marquèrent un temps d’arrêt, jetant des coups d’œil vers leur chef. Ce dernier hésita.
- Qu’est-ce qu’un homme-oiseau ? demanda-t-il tout en regardant autour de lui. Préfère-t-il se rendre ou bien que son ami meure ?
Il avait fait un geste et le gardien avait appuyé un peu plus fort sa lance sur le ventre de Sounka.
Lyanne avait bougé comme il savait le faire, prenant même la forme d’un rouge dragon. Quand il se remit debout sur le rocher, un battement de paupière plus tard, la lance était en miettes et le gardien à terre.
- Devons-nous nous battre, homme d’ici ? demanda Lyanne.
- Vous avez volé un de nos bateaux.
- Je suis étranger à ce fait. Ce bateau m’a amené ici puisque tel est mon chemin.
- Alors les autres sont des voleurs et tu es complice.
- Que voulais-tu faire de nous ?
- Vous conduire en prison pour y être jugés !
- Où est-ce ?
L’homme était déstabilisé par ces questions posées calmement par un homme dont il sentait la puissance.
- Je n’ai pas l’autorité pour faire autre chose. Mes ordres sont clairs.
- Tes ordres te demandent-ils de te faire tuer ?
- Je dois remplir ma mission.
- Oui, Homme d’ici. Ta mission est de nous amener à cette prison. Bien. Est-ce cette forteresse à quelques jours de marche d’ici ?
- Ou..Oui, balbutia l’homme. Tu es déjà venu ?
- Si je t’accompagne, ainsi que mes compagnons, tu auras accompli ta mission. Mon chemin va vers ce lieu. Allons-y en paix.
- Si je refuse ?
- La mort sera votre lot.
Un des gardiens s’approcha de son chef et lui glissa quelques mots à l’oreille. Lyanne vit l’air étonné de son interlocuteur qui regarda son subordonné, puis vers lui, puis de nouveau vers son subordonné, pour lui dire :
- Es-tu sûr ?
L’homme répondit à voix basse mais ses mouvement de tête semblaient dire non.
Le chef se tourna vers Lyanne, rangea son épée et dit :
- Vous allez nous accompagner.
Puis se tournant vers ses hommes il ajouta :
- Rangez vos armes !

dimanche 12 octobre 2014

Ils longèrent le mur pendant deux jours. Malgré les voiles réduites au minimum, leur embarcation volait littéralement de vague en vague. Si Sounka tenait le choc, Ziepkaar essayait encore de vider un estomac qui ne contenait plus rien. Lyanne était tellement tendu qu’il était insensible au mal de mer. Il scrutait sans relâche le mur d’eau et de vent qui les frappait par tribord. Régulièrement Haafefe se couchait et se relevait sous les rafales. Lyanne était pleinement d’accord avec Ziepkaar. Ils étaient sur le meilleur bateau possible.
- LÀ ! hurla-t-il pour couvrir le bruit du vent et des vagues. ALLONS PAR LÀ !
Du doigt, il désigna entre deux rideaux d’eau, une espace, comme une fente dans le mur. Il se rapprocha de Sounka.
- Ça doit être comme entrer dans un de vos fjords. C’est un travail pour un Cousmain, ça !
Sounka eut un sourire forcé, mais mit le cap sur l’endroit que lui désignait Lyanne. Haafefe craqua de toutes ses membrures quand il le força à faire route face au vent. Il fut obligé de tirer des bords pour s’en approcher. Sounka aurait préféré un fjord cousmain à ce passage improbable, s’ouvrant et se fermant au gré des coups de vent. Il lutta contre le vent et la mer pour se rapprocher. Le soir arriva avant qu’ils ne soient à proximité. Sounka prit peur.
- Il faut mettre à la cape et réessayer demain !
- C’est maintenant le moment favorable, Sounka.
- Peut-être, mais la nuit arrive et je ne vais plus rien maîtriser.
- Fais-moi confiance, le passage est là.
Sounka vira de bord encore une fois dans le crépuscule sombre. Le bateau sembla renâcler avant de prendre le bon cap. Ils prirent le vent au près. Haafefe accéléra, surfant sur les vagues qui venaient maintenant par le travers arrière.
Brutalement tout se calma. Autour de la zone où il naviguait maintenant, le vent hurlait, la pluie cinglait la mer dont les vagues déferlaient en tous sens. Alors que la nuit s’installait, Lyanne prit la direction des opérations donnant à Sounka les ordres pour avancer sans quitter le couloir de calme entre les tempêtes. Ils luttèrent ainsi toute la nuit pour garder le cap entre les deux tempêtes. Parfois un brusque coup de vent ou une déferlante les mettaient en danger de sortir de l’étroit chemin qu’ils suivaient. Lyanne sentit la fatigue de Sounka quand celui-ci commença à répondre avec retard à ses indications. Ziepkaar avait fini par s’endormir. Lyanne se rapprocha du barreur :
- L’arrêt nous est interdit pour le moment. Veux-tu que je te remplace ?
- Pas encore… Je vais tenir, répondit Sounka dans un bâillement. On va réduire la voile au minimum. Mais il faut qu’on reste manœuvrant.
Tout en s’occupant de la barre, il donna à Lyanne les ordres pour accrocher la toile. Haafefe se retrouva au ralenti. Lyanne était à hauteur du mât. La première embardée faillit le faire passer par dessus bord. Un cordage lui avait permis de se tenir. Sounka s’était endormi en appuyant sur la barre. Le brusque mouvement l’avait réveillé. Lyanne lui proposa une nouvelle fois de prendre la barre jusqu’au matin, ce que Sounka refusa encore :
- Il faut que tu guides. Je ne vois rien dans le noir. On va réveiller Ziepkaar pour qu’il me remplace. Il devrait pouvoir le faire.
Lyanne alla vers l’avant. Il secoua Ziepkaar qui bougea un peu mais sans pour autant se réveiller. Il le secoua plus violemment sans plus de résultats. Une nouvelle embardée de Haafefe le fit repartir vers la poupe. Il trouva Sounka affalé sur la barre. Lyanne le secoua sans parvenir à le ramener à la conscience. Que se passait-il ?
Il regarda autour de lui, cherchant une explication. Une vague lueur sur bâbord lui fit espérer un instant l’arrivée de l’aurore, quand une brusque rafale lui apporta une odeur piquante. Il pensa : « Un volcan ! Nous sommes sous le vent d’un volcan ». Il avait déjà vu des gens mourir en voulant respirer les émanations de la terre. Il agit en même temps qu’il pensait. Il abattit le mât, le fixant sur le bordage. Sans plus attendre, il se jeta dans le vent, déployant ses ailes. En trois battements, il était devenu très grand et passait au-dessus de Haafefe qu’il saisit entre ses griffes. Il monta avec sa charge rencontrant des vents violents. Malgré tout son instinct, il ne pouvait prévoir tous les mouvements. Il passait de vents contraires à des vents portants en un battement. Parfois une zone de calme absolu séparait deux courants. Lyanne souffrait malgré sa taille. La violence de ces tempêtes était inimaginable. Il tentait de se diriger vers le volcan dont il avait aperçu la lueur, tout en évitant l’endroit des émanations toxiques. Rencontrant une zone plus calme il se laissa planer. Il sentait ses muscles à la limite de la fatigue. Haafefe et son contenu pesaient lourd entre ses griffes. Sortir de ces tourbillons de vent lui avait demandé une énergie considérable. Son corps aspirait au repos. Il vit la terre à travers une trouée. Il se dirigea par là. Entre deux promontoires de lave, il avait repéré une plage. Ils y seraient très bien pour se reposer. Il se remit à battre des ailes malgré la douleur que cela lui provoquait. Encore un effort, un petit effort et il pourrait se poser, se reposer.
Le coup de vent fut violent et le prit par surprise. Il tenta du mieux qu’il put d'atterrir en douceur mais le tourbillon l’emporta. Sa dernière pensée fut de protéger le bateau et ses passagers et sa tête heurta violemment le sol.

dimanche 5 octobre 2014

Le soleil se levait sur les falaises du pays Cousmain et le vent venait de la terre en ce petit matin. Ils montèrent la voile. Lyanne et Sounka étaient partis dans la nuit avec l’espoir que personne ne les verrait prendre Haafefe. L’Assemblée avait duré presque toute la nuit. Tous avaient bu force timbales pour tenir. Quand le sommeil s’était emparé d’eux tous, Lyanne avait réveillé Sounka. Ils avaient poussé le bateau dans l’eau et à l’aviron s’étaient éloignés dans le goulet. Maintenant que le jour se levait, ils allaient pouvoir prendre vraiment le départ de ce voyage. Ils soulevaient la lourde toile qui servait de voile quand retentirent les trompes.
- Ils ne sont pas contents ! dit Sounka.
- Que signifient ces sonneries ?
- Ils signalent qu’un bateau a pris la mer sans l’accord du chef du village.
- Nous avons outrepassé leur volonté, répondit Lyanne. Mais qui sont-ils pour vouloir décider pour moi ?
- Je sais, répondit Sounka, mais cela nous désigne comme des hors-la-loi.
- Hors leurs lois, Sounka, seulement hors leurs lois.
Sounka poussa un cri et tira sur un bras, mettant debout un garçon :
- Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
Lyanne reconnut celui qui lui avait fait la description des bateaux.
- J’me suis endormi !
- Comment ça ?
- Je savais que vous alliez partir. Je voulais pas manquer cela.
Lyanne interrompit Sounka chez qui il sentait monter la colère :
- On verra cela plus tard, il faut mettre la voile.
Sounka poussa l’enfant dans un coin. Celui-ci trébucha sur un banc et s’étala en arrière pendant que les deux hommes hissaient la voile. Sounka la régla pour qu’elle prenne bien le vent de la terre et l’embarcation prit de la vitesse. Pendant que Sounka barrait, Lyanne s’assit en face du jeune :
- Quel est ton nom ?
- Ziepkaar
- Et bien Ziepkaar, pourquoi es-tu là ?
- Hier soir, je t’ai entendu parler à Sounka. Je voulais partir mais on me dit toujours que je suis trop jeune, pas assez fort.
Lyanne le regarda mieux. S’il était assez grand, il n’avait que la peau sur les os.
- Là où nous allons, les autres refusaient d’aller.
- J’suis comme Sounka. Là où tu vas, tout ira bien.
Sounka intervint :
- Je ne sais pas si nous aurons assez d’eau.
Lyanne se tourna vers Sounka.
- Combien de jours avons-nous ?
- J’ai pris pour dix jours de vivres et d’eau pour deux. Nous sommes trois. Notre loi nous autorise à jeter à l’eau les passagers clandestins.
Ziepkaar se mit à pâlir. Lyanne se mit à rire.
- Il m’est impossible de le jeter à l’eau. Nous allons nous rationner. Le mur des tempêtes est assez près pour que nous l’atteignons.
- Oui, homme-oiseau, si le vent se maintient.
- J’ai confiance, Sounka.
Il se tourna vers Ziepkaar.
- Tu as à rester tranquille, garde cela en tête.

C’est ainsi qu’avait commencé le voyage. Une fois passée la colère de s’être fait avoir par un gamin, Sounka s’était calmé et avait débuté la formation de Ziepkaar. Les côtes avaient disparu derrière l’horizon au soir du premier jour. Depuis, ils naviguaient au milieu de rien. Sounka montrait la nuit, les étoiles et les constellations sur lesquelles on pouvait s’appuyer pour naviguer. Les dieux les avaient mises là pour que les hommes puissent se repérer. Dans la journée, la position du soleil lui servait à régler le bateau selon les vents. Il y avait peu de vivres à bord. Les Cousmains pêchaient pendant leurs voyages. À trois sur un bateau qui aurait pu porter vingt hommes, ils avaient de la place.
Au troisième jour, Sounka avait déclaré :
- Le dieu des vents est avec toi, Homme-Oiseau. Je n’ai jamais vu ce vent durer aussi longtemps.
C’est à partir du quatrième que les vents étaient devenus plus capricieux et la mer plus formée. Haafefe montait et descendait les vagues avec beaucoup d’aisance. La voile était encore complètement déployée. Ils avançaient bien. Sounka estimait, selon les légendes, qu’ils verraient le mur des tempêtes dans trois jours s’ils continuaient comme cela.
C’est au cours de cette dernière nuit tranquille que Ziepkaar posa la question :
- Homme-Oiseau, pourquoi tu n’as pas volé pour aller au mur des tempêtes ?
Lyanne le regarda droit dans les yeux, ce qui le mit mal à l’aise.
- C’est une question que je me pose, Ziepkaar. Je crois que j’ai besoin de suivre le chemin que me montre un autre que moi. Cet autre aujourd’hui est Sounka. Comment lui volerait-il ?
Le vent avait forci. Les vagues maintenant étaient plus hautes que les hommes. Sounka avait réduit la voile. Malgré cela, Haafefe semblait voler. Son étrave étroite fendait les vagues
- Est-ce le mur des tempêtes ? demanda Lyanne.
- Non, c’est juste la mer qui nous secoue un peu. Les vraies tempêtes sont plus loin.
Le vent se mit à leur arriver par le travers de leur route, obligeant Sounka à tirer des bords. Plus la nuit avançait et plus le vent devenait violent. Ils durent s’attacher pour ne pas être emportés. Ils hurlaient pour s’entendre. Sounka ne savait pas où ils allaient. Les étoiles étaient invisibles. Cela dura deux jours et cessa presque aussi brutalement que cela avait commencé. Haafefe était encore en état. Sounka avait affalé la voile et le mât avant que la tempête ne puisse le casser.
Ziepkaar hurla sa joie :
- J’T’AVAIS DIT ! J’T’AVAIS DIT ! Haafefe c’est l’meilleur.
Il dansait sur place, faisant sourire les deux adultes qui vérifiaient l’état de l'embarcation.
- As-tu une idée de notre position, demanda Lyanne.
- Cette nuit, si les nuages se dégagent, je pourrais estimer où nous sommes par rapport au pays Cousmains.
Ils remontèrent le mât et mirent un peu de voile pour stabiliser le bateau. Lyanne en profita pour scruter l’horizon. Sur bâbord, la tempête s’éloignait. On voyait encore les éclairs. Sur tribord, il aperçut ce qu’il prit au départ pour des montagnes. Il en fit la remarque à Sounka qui se tourna de ce côté.
- Non, Homme-Oiseau, ce n’est pas une terre et des montagnes. C’est le mur des tempêtes. Pour trouver ce que tu cherches, il faut passer de l’autre côté. Je suis déjà venu pêcher par ici… C’est toujours impressionnant de le voir. On n’aura pas besoin des étoiles. Il suffit d’aller à la rencontre de l’orage.
Comme une réponse aux paroles de Sounka, un sourd grondement se fit entendre. Ziepkaar se mit à pâlir.
- Le Dieu du tonnerre parle ! dit-il. Ma mère m’a dit que la dernière fois qu’il avait parlé au-dessus du village, les falaises s’étaient effondrées...
- Il n’y a pas de falaises ici, Ziepkaar, et nous sommes trop loin pour risquer quelque chose, lui répondit Sounka.
- Mais tu veux y aller !
- Oui, ziepkaar, je vais y aller, nous allons y aller car l’homme-oiseau est avec nous.
Lyanne écouta sans rien dire. Là-bas était-ce le territoire où s’affrontaient les dieux ?
- Approchons-nous, Sounka, mais prenons notre temps. Je comprends pourquoi il me fallait être homme pour venir. En volant, j’aurais affronté la puissance d’un dieu. La faiblesse est parfois meilleure que la force pour passer certaines barrières.
Sounka envoya un peu plus de toile et Haafefe qui semblait n’attendre que cela, bondit en avant.

dimanche 28 septembre 2014

Lyanne vola un moment avant de trouver de quoi se nourrir. Il eut la chance de trouver un de ces bancs de grands poissons argentés dont le dos brillait sous la lune. Il en captura trois qu’il mangea en vol. Il pensa qu’à Rémaï, la faim devait tenailler bien des ventres. Il profita d’un passage du banc près de la surface pour en attraper deux d’un coup. C’est avec ces proies de la taille d’un homme que le dragon rouge reprit le chemin de la faille où se logeaient les Cousmains.
La lune s’était couchée et la nuit bien noire. La largeur entre les falaises était juste suffisante pour sa voilure. Lyanne fit quelques acrobaties pour arriver au village sans toucher les parois. Il posa son fardeau au milieu de l’espace avant de se dégager de forts coups d’ailes. Les quelques personnes à moitié réveillées, témoignèrent que l’homme-oiseau était venu et qu’ils avaient vu sa silhouette. Lyanne eut droit aux remerciements appuyés du chef du village. Ils firent une autre fête pour partager le repas. Ils firent un grand feu. De nouveau l’alcool coula à flots jusqu’à ce que résonnent les trompes qui mirent tout le monde en alerte. À Lyanne, on expliqua que des bateaux approchaient de la passe. Rapidement d’autres sonneries se firent entendre. L’atmosphère se détendit aussi vite qu’elle s’était tendue.
- Les messagers reviennent avec des délégations, lui dit le chef.
Des sonneurs de trompes prirent position sur les bords de la plage. Lyanne vit s’approcher toute une flottille de bateaux rapides aux formes effilées. Chaque fois que retentissait la sonnerie d’un marin, répondaient les trompes. Il compta ainsi une vingtaine d’embarcations portant de trois à quatre hommes chacune. Elles atterrirent avec élégance. Ceux qui débarquaient, déposaient devant le chef du village, des provisions tout en lui adressant les salutations d’usage. Ils s’inclinèrent après, devant Lyanne, appelant la bénédiction des hommes-oiseaux sur leur clan. Chacun d’eux appela Lyanne à choisir un guide de leur village. Il en fut étonné. L’un d’eux lui expliqua que dans la légende, le guide de l’homme-oiseau devenait le roi des Cousmains. Il était celui qui fédérerait tous les clans en une grande nation. Certains lui firent remarquer que Rémaï était une bourgade pauvre et sans importance, alors que chez eux, vivaient de grands guerriers et de redoutables navigateurs. Lyanne sentait bouillir Rémaïkhan, le chef de Rémaï, quand il entendait ce type de propos. Pourtant, Rémaïkhan n’intervint pas, preuve pour Lyanne qu’il y avait des contraintes qui pesaient sur lui, soit des lois sur l’hospitalité, soit des craintes pour le village face à des groupes plus puissants.
- J’ai suivi le courant et la rivière m’a déposé près de Rémaï. Ainsi en ont décidé les dieux, fut la réponse que Lyanne fit à l’un des chefs qui insistait.
De lourds nuages passaient au-dessus de leurs têtes, signe que cette année la saison des pluies serait une vraie saison. Lyanne interrogeait les uns et les autres pour mieux connaître les Cousmains et sentir vers qui il devait se tourner pour continuer sa route. Tout en déambulant, il s’était approché des bateaux qu’on avait remontés sur la plage. Un jeune Cousmains lui en détailla les histoires. Chaque bateau avait la sienne. Dans un pays où le bois vient de ce que la mer rejette, aucune embarcation n’avait la même structure.
- Tu vois, Homme-oiseau, ceux-là c’est des “coulepasvite”.
- Des coulepavite ?  Qu’est-ce que c’est ?
- Si tu veux rester à flot, il faut écoper tout le temps, répondit le jeune en rigolant. Tiens, regarde celui-là ! c’est mon préféré.  C’est celui de Sounka. Il l’a capturé lors de la dernière razzia. C’est Rémaïkhan qui lui prend tout le temps parce que c’est le meilleur mais c’est bien à Sounka.
- Qui est Sounka ?
Le jeune regarda autour de lui, cherchant du regard Sounka.
- Tu vois, celui qui monte avec la nourriture vers la vieille femme, là-haut ?
- Celui qui boîte ?
- Oui ! Il a pris un mauvais coup à sa première razzia. Il a jamais eu de chance. Son père s’est fait tuer quand il était petit. Lui et sa mère z’ont vécu du partage jusqu’à ce qu’il puisse partir. Mais même-là, il a pas ramené beaucoup de butin, juste une sale blessure qui lui fait traîner la patte. Rémaïkhan lui y sait s’battre, c’est pour ça qu’il est chef. Il a toujours ramené beaucoup de butin. C’est pour ça qu’il continue à avoir plus que les autres même quand y’a pas de butin.
- Et Sounka, il sait bien naviguer ?
- Ah ! Ça c’est sûr ! Il ne s’est jamais perdu. On le prend dans la flottille pour ça, parce qu’au combat, y vaut pas l’coup.
- Est-il mauvais au combat ?
- C’est pas ça, mais il est trop lent. Vaut mieux qui reste sur le bateau.
- Et ce bateau d’où vient-il ?
- D’une razzia ! Un groupe était parti avec Sounka sur un coulepavite. Quand ils ont débarqué dans la crique, ils sont tous descendus pour l’attaque. Sounka était resté pour vider l’eau. Ils avaient caché l’embarcation dans des buissons. C’est de là qu’il a vu arriver ce bateau. Ses occupants ont fait comme nous, mais de l’autre côté de la plage. Il les a vus partir une fois qu’ils l’eurent camouflé. Quand les nôtres sont revenus, Sounka avait dégagé le bateau étranger et avait réussi à le remettre à flot. Heureusement car les gens de la ville avaient lancé la chasse. Grâce à Sounka et son bateau, ils ont pu dégager vite malgré les flèches. Si y zavaient dû repartir avec le coulepavite, ils seraient tous morts.
- Pourquoi ?
- Il était lourd et lent. Alors que ce bateau tu l’verrais, une flèche ! Léger et solide ! Sounka l’entretient tous les jours. Il l’appelle Haafefe.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Ça parle du vent et de vitesse.
Lyanne fut empli de la certitude qu’il avait trouvé l’homme qui le guiderait.
- Dis-lui que j’aimerais le voir pour lui parler de son bateau.
L’enfant partit en courant en criant le nom de Sounka. Cela attira l’attention des présents. Ils jetèrent un regard interrogatif vers Lyanne. Rémaïkhan s’approcha de lui :
- Que se passe-t-il avec Sounka ?
- Les hommes-oiseaux ont besoin de voler. Quoi de meilleur que le Haafefe pour le faire ?
- Je peux t’emmener partout où tu as besoin.
- Tu es un guerrier, Rémaïkhan et un grand guerrier, comme tous ces messagers qui sont venus aujourd’hui. Là où je vais, je dois arriver en paix.
- Où vas-tu ?
- Dans une île où le feu de la terre bouillonne en permanence.
Rémaïkhan resta sans voix. D’autres s’approchèrent, demandant ce qui se passait. Rémaïkhan leur donna la réponse de Lyanne. Tous se retrouvèrent en silence sauf un qui déclara :
- Parle-t-il de l’île de la mort ?
Rémaïkhan lui fit signe trop tard de se taire. Lyanne tourna ses yeux aux pupilles d’or vers lui :
- Tu sais de quoi je parle. Dis m’en plus…
L’homme avala sa salive :
- En fait, Homme-oiseau, je ne sais rien de plus que ce que disent les légendes.
- Bien, que disent les légendes ?
- Derrière le mur des tempêtes se trouve un endroit où la terre, l’eau et le feu bouillonnent ensemble dans un univers interdit aux mortels. C’est déjà la terre des dieux.
- Alors tu sais où aller..
- NON ! On ne va pas derrière le mur !
L’homme s’était décomposé. Les autres, pourtant tous farouches guerriers, n’en menaient pas large non plus. Sounka arriva à ce moment-là. Visiblement mal à l’aise de voir tous ces grands personnages autour de son bateau et de l’homme-oiseau. Lyanne le regarda. Il ne le sentait pas en difficulté, juste mal à l’aise d’être ainsi exposé à tous ces regards.
- Connais-tu le mur des tempêtes ? lui demanda Lyanne.
- C’est un endroit difficile.
- Tu y as déjà été.
Ce n’était pas une question. C’était une affirmation. Sounka regarda Lyanne dans les yeux.
- Oui,...
L’air se remplit de murmures de désapprobation et de peur.
- …, c’est le seul endroit où l’on trouve du poisson quand tous les autres sont vides.
- Saurais-tu y retourner ?
- La saison des pluies est mauvaise pour naviguer. Je préférerais attendre.
- Mon désir est autre, répondit Lyanne.
- Tu as apporté la pluie, Homme-oiseau. Tu as apporté du poisson. Ma vieille mère là-haut t’a vu. Si tel est ton désir, j’irai. Tes pas sont bénédictions.
- Quand pourrais-tu partir ?
- Quand tu le désires, répliqua l’homme.
- Tu es fou, Sounka, dit Rémaïkhan. Un homme-oiseau a des pouvoirs que tu n’as pas. Peux-tu affronter les tempêtes ?
- Haafefe le peut et je serai dessus.
Lyanne regarda les hommes débattre de ce voyage. Sounka n’avait pas les peurs qui habitaient les autres. Ne connaissant pas les légendes des Cousmains, Lyanne ne comprenait pas l’interdiction d’aller là-bas. Les mots “sacré” et “tabou” revenaient tout le temps dans la conversation avec “homme-oiseau”. Au bout d’un moment, un des chefs de clan dit :
- Convoquons une assemblée ! Elle nous dira quoi faire.

jeudi 18 septembre 2014

Dans ce désert existait ce que Lyanne pensait impossible : des rivières. Il suivait le fil de l’eau tout en songeant à l’ironie de son destin. Il était roi-dragon, maître d’une bonne partie du monde et il était là, sur un rondin de bois à se laisser aller sur une rivière improbable au milieu d’un paysage quasi désertique où êtres et hommes ne faisaient que survivre. L’eau était claire, mais le courant violent. Lyanne avançait vite. Une fois ou l’autre, il avait été très chahuté et avait failli tomber. Il avait réussi à rester à cheval sur son morceau de tronc. Cela lui avait valu d’être mouillé de la tête au pied. cela ne l’avait pas inquiété. La pluie avait cessé et le soleil s’était montré entre les nuages, réchauffant l’atmosphère rapidement. Il estimait que la vitesse du courant l’entraînait à la vitesse du vol paresseux du dragon. Autour de lui, le paysage était toujours aussi rude bien que tempéré de quelques touches vertes, ici et là. Avec cette pluie, elles gagneraient en surface et les Muranu seraient heureux de venir y faire paître leurs bêtes. Derrière lui, de plus en plus loin, les lourds nuages de pluie continuaient à déverser leur cataracte. Il en fut satisfait. La rivière ne se tarirait pas trop vite. La journée passa ainsi sans qu’il ne voie personne. Sur le soir, il aperçut au loin, des silhouettes de troupeau. La nuit fut calme et étoilée. Le cours d’eau serpentait maintenant entre de petites collines. Au milieu de la matinée, il remarqua que le courant avait fortement diminué. La rivière s’étalait en méandres paresseux se divisant et se réunissant au gré des bosses. Plusieurs fois, ses pieds avaient raclé le fond. Maintenant, il devait plier les jambes pour que son embarcation improvisée continue sa navigation. Cela retarda l’échouage qui eut lieu au sortir d’un méandre plus étalé que les autres.
Lyanne avait pied. Il marcha dans l’eau rejoignant un banc de sable un peu plus loin. Il repéra un monticule un peu plus loin et s’y dirigea. Il marchait alternativement dans l’eau et sur le sable dérangeant à l’occasion un certain nombre de bestioles qui y avaient trouvé refuge.
Un gros lézard s’enfuit en sifflant quand Lyanne monta sur le sommet de la butte. Il dominait la région. La rivière s’étalait formant une sorte de lac aux multiples îles. Il repéra assez loin une ligne de rupture comme si le paysage disparaissait. La mer devait être par là. Il se mit en marche dans cette direction. L’eau s’étalait sous ses pas. Il ne savait jamais ce qui venait après le prochain repli. La rivière formait un vaste lacis de canaux qu’il devait traverser les uns après les autres. Il s’enfonçait parfois jusqu’au genou. La plus souvent, l’eau lui recouvrait seulement les pieds gênant à peine sa progression. 
Il entendit la cataracte avant de la voir. Il suivait le courant qui avait repris de la vitesse quand il lui parvint le bruit de l’eau qui tombait.
C’est à ce moment-là qu’il les vit. Le groupe semblait émerger de la terre. Eux le virent aussi. Le premier leva le bras. La main était ouverte et ne portait pas d’arme. Lyanne répondit de même et dirigea ses pas vers eux. Ils étaient une dizaine qui s’étaient mis au travail. En approchant, Lyanne découvrit qu’ils bougeaient des pierres pour fabriquer une digue pour contenir l’eau qui avait trouvé un chemin. Avec un sourire, il se mit à les aider. Leur langue avait des tonalités rauques comme le relief. En les écoutant, il apprenait. Il aidait à construire une défense contre la rivière qui avait emprunté le sentier escarpé qui plongeait dans la faille. Il se rapprocha du bord pour mieux voir ce qui était en dessous. Le plateau était échancré à cet endroit. Il repensa à ce qu’il avait vu en volant. La mer ne devait pas être loin et un village Cousmain devait être en dessous. Dans le babillage de ceux qui l’entouraient, Lyanne avait compris qu’avec la pluie, un véritable ruisseau envahissait le village en ravinant tout. Ils étaient montés pour refaire le mur qui s’était effondré. La rivière n’avait pas atteint ce point depuis au moins deux générations. Si les dieux bénissaient ainsi ce temps, c’est que quelque chose de bon se préparait pour les Cousmains. Lyanne était maintenant au bord du plateau. D’autres personnes montaient et, sans plus de question, se mettaient au travail dès leur arrivée. Ils furent nombreux en fin de journée à aider à la réfection du mur. L’eau maintenant ne passait plus. Il sentit leur joie.
- Viens, homme-oiseau, nous allons fêter la pluie et ton arrivée.
L’homme qui avait parlé, était petit et carré d’épaules. Lyanne l’avait vu bouger des rochers impressionnants. Sa force ne faisait aucun doute. Les autres lui avaient obéi sans discuter.
- Ainsi tu sais qui je suis, répondit Lyanne.
- Ton manteau est à nul autre pareil. Seuls les hommes-oiseaux savent faire ces manteaux. Nos légendes parlent d’eux, mais tu es le premier que je vois de mes yeux.
- Vos légendes parlent des hommes-oiseaux.
- Oui, ils venaient pour chercher un guide et poursuivre leur quête.
Ils parlaient tout en descendant le chemin que la boue rendait glissant. À certains passages, on avait tendu des cordes pour éviter les chutes. Lyanne pensa à ses montagnes d’enfance et à tous ces chemins escarpés qu’il avait parcourus. Au fond, se nichait le village. Les maisons, à moitié troglodytes, s’étageaient tout le long des parois.
- Où sommes-nous ici, demanda Lyanne.
- Mon village s’appelle Rémaï. Les hommes y sont braves et les bateaux solides.
Lyanne, pour sa part, constata que, hormis le chef du village qui semblait avoir gardé sa carrure, les hommes étaient maigres et les baraques bien délabrées.
- Les saisons dernières ont été peu favorables, dit-il. La pluie vous sera une aide.
- Je ne te cache pas que nous avons connu de meilleures années. La dernière razzia date d’avant la saison des tempêtes. Avec toute cette eau sur le plateau, nous pourrons cultiver.
L’homme s’arrêta, regarda Lyanne dans les yeux et ajouta :
- Ta venue est bénédiction. Mon village deviendra un grand village. Les autres chefs vont m’envier.
Ils étaient maintenant à côté des bateaux. C’était le seul endroit presque plat de ce fjord. De toutes parts arrivaient les habitants. Ceux qui avaient un tambourin ou une flûte les avaient amenés. Bientôt, la musique jaillit. Des rondes s’organisèrent. Lyanne ne put s’y soustraire. Après la première danse, il y en eut une deuxième, puis une troisième. Lyanne était invité à chaque fois. Chacun voulait danser avec lui. Quand les instruments se taisaient, on lui fourrait dans la main une timbale pleine d’un liquide ocre au fort goût d’alcool. Quand la nuit arriva, on fit des feux en divers endroits sans pour autant arrêter de danser, de chanter et de boire. Lyanne, que la boisson ne saoulait pas, vit s’écrouler les participants, les uns après les autres, tous ivres. Il regrettait de ne rien avoir à manger. La faim commençait à le tenailler. Quand il vit qu’il restait seul debout, il décida de profiter de la nuit pour aller pêcher. Il devint dragon et, de quelques vigoureux coups d’ailes, s’en alla vers le large.
Une vieille femme, sur le seuil de sa maison, le regarda partir en hochant la tête.
- Les légendes revivent ! Par tous les dieux, les légendes revivent !

lundi 8 septembre 2014

La fête avait duré jusqu’au petit matin. L’aube pâle répandait sa clarté et sa lumière prenait le pas sur celle des feux. Tous les présents dans l’oasis avaient défilé pour venir lui toucher les pieds. Storguez était le marabout de ce peuple. Il était parti se reposer en milieu de la nuit. Lyanne était sur une des dunes entourant l’oasis quand il entendit la vibration. Immédiatement Braeguen surgit à ses côtés.
- Les cordes-son vibrent tôt ce matin. C’est mauvais signe.
- Qu’est-ce que des cordes-son ?
- Les nomades les utilisent pour communiquer. Ils tendent une grande corde entre deux piquets devant une sorte de tambour. Cela s’entend de très loin. La venue d’un homme-oiseau leur fait peur.
- Est-ce la guerre entre vous ?
- Non et oui. Ils viennent chercher de l’eau et nos lois nous interdisent de leur refuser, mais souvent des bêtes disparaissent quand ils sont là, voire des gardiens sont tués et cela est punissable. Nous faisons une expédition punitive mais ils sont maîtres dans le grand désert et nous n’allons jamais bien loin.
Braeguen regarda autour de lui.
- Les hommes sont fatigués avec la fête. S’ils viennent chercher le combat, cela sera difficile.
Lyanne soupira. Il se trouvait à nouveau dans une situation délicate. Son arrivée faisait bouger des équilibres. Un sentiment de nostalgie l’envahit. Parfois, il avait le désir d’une vie un peu plus calme.
Avant qu’il n’ait pu se laisser aller à cet état d’esprit, il ressentit l’approche des gens du désert. Il le signala à Braeguen qui fit la grimace.
- Je vais aller à leur rencontre, ajouta Lyanne.
- Seul ?
- Oui, Braeguen, je suis Homme-oiseau.
Braeguen le regarda partir. Dans le dos de Lyanne, les mouvements du manteau donnait vie au dessin de l’oiseau rouge et jaune.
Lyanne marcha un moment passant d’une dune à l’autre. Il était hors de vue de l’oasis quand eut lieu la rencontre. Il sentit leur présence avant de les voir. Certains étaient presque enterrés, d’autres juste derrière un repli de terrain. Le piège n’attendait que lui.
L’homme qui l’avait déjà interpellé s’avança :
- T’aurais mieux fait de ne pas te montrer, marabout !
Dans sa bouche, les mots prenaient une connotation injurieuse.
- Contrairement à ton opinion, je crois que je suis là où je dois être.
Lyanne avança presque au centre du dispositif qu’ils avaient mis en place.
- T’as peur de te battre que t’approches pas !
- Je voudrais vous laisser une chance de vie.
L’homme du désert ricana.
- J’vais m’occuper de toi puis on ira voir les éleveurs.
- Tu as mal compris, homme du désert. Soit toi et les tiens vous partez, soit vous êtes morts.
De nouveau l’homme ricana. Il siffla un signal et d’autres guerriers apparurent tout autour de Lyanne.
- Vous ignorez ce que vous combattez. C’est une erreur fatale.
Derrière lui, petits pas par petits pas, il sentait approcher les combattants. Dans quelques pas, ils seraient à portée d’armes.
Lyanne releva le pan du manteau, dégageant son marteau. Ce fut comme un signal, tous se précipitèrent en hurlant.
Leurs armes frappèrent le vide. Lyanne avait décollé. Le vent de son envol les envoya tous à terre. Le temps qu’ils comprennent, un déluge de feu vitrifiait le sable autour d’eux. Ils hurlèrent de peur, rampant les uns vers les autres dans une recherche illusoire de protection.
Le dragon rouge se posa devant eux.
- Tu vois petit homme, il est des jours où la guerre est une mauvaise chose. Vous allez fuir vers vos tentes. Peut-être y arriverez-vous… sans eau !
- TU… VOUS… vous… vous pouvez pas faire ça.
- Tu voulais bien me tuer, petit homme et tuer les éleveurs qui osent accueillir l’inconnu. Je te laisse une chance… une petite chance de vivre mais… peut-être préfères-tu mourir tout de suite ?
Une langue de feu vint lui roussir la tête, le faisant crier de peur.
- Le cercle de feu est incomplet. Fuyez maintenant… ou mourez !
Le sable en fusion rendait l’air quasi irrespirable. Les plus proches étaient déjà morts. Ceux qui restaient en vie, se précipitèrent dans le goulot froid que Lyanne avait laissé.
- Ne revenez pas, hommes du désert. Je ne serai pas aussi clément la prochaine fois.
Lyanne les regarda fuir. Ils ne s’arrêteraient pas de si tôt.
Derrière lui montèrent les acclamations de joie. Braeguen était sorti avec ses guerriers qui criaient leur joie de cette victoire.
Braeguen s’inclina devant le dragon rouge qui le surplombait de toute sa hauteur :
- C’est une chose d’entendre les récits, c’en est une autre de les voir prendre vie!

- Avant nous étions aussi sauvages que les hommes du désert et puis est arrivé le premier homme-oiseau.
Ainsi parlait Storguez dans la pénombre de sa tente. Lyanne l’écouta lui faire le récit de l’histoire des Muranu. Leur tradition orale parlait de temps très lointain sans préciser le nombre de générations. Dans ce désert, l’évolution se faisait lentement. De loin en loin, dans le temps, passaient des hommes-oiseaux. Voilà ce que retint Lyanne du récit. Personne ne les avait décrits précisément. Ils étaient hommes et ils volaient, comme lui. C’était le seul point commun à diverses légendes. Lyanne s’inscrivait dans cette tradition. Les dragons n’étaient qu’une sorte d’oiseau aux yeux des Muranu. Storguez parlait toujours quand tombèrent les premières gouttes de pluie. Comme cela coïncida avec la légende de l’homme-oiseau faiseur de pluie, il leva vers Lyanne un regard étonné.
- Serais-tu le plus grand des hommes-oiseaux ? demanda-t-il.
Lyanne n’eut pas besoin de répondre. La pluie tombait maintenant en cataracte. Le vent avait soufflé toute la journée poussant devant lui des hordes de nuages qui crevaient maintenant au-dessus de leurs têtes. Dehors c’était de nouveau des cris de joie, entrecoupés de cris d’alerte et de cavalcades des uns et des autres pour mettre les affaires à l’abri. La tente de Storguez présentait des gouttières que le vieil homme regardait avec bonheur. Lyanne le voyait imaginer l’avenir, l’herbe serait au rendez-vous, les bêtes seraient grasses. En le regardant sourire ainsi béatement devant des gouttes d’eau qui s’écrasaient sur un sol maintenant détrempé, Lyanne imaginait Storguez en train de composer le prochain épisode de l’épopée des hommes-oiseaux.
- Je suis un passant, dit-il à Storguez. Mon chemin continue. Il me faut aller vers la côte.
- Oui, oui, je sais. Tu iras chez les Cousmains dès que la pluie aura cessé.
- Comment sais-tu que je vais là ?
- Tous les hommes-oiseaux ont été vers le soleil levant, là où habitent les Cousmains.
- Les légendes disent-elles quelque chose sur leur devenir ?
- Elles ne parlent que des Muranu…
La porte de la tente se souleva brutalement :
- Il nous faut vous déménager, dit Braeguen, les fleuves morts reprennent vie. Bientôt ici vous serez dans l’eau.
Lyanne sortit en même temps que Braeguen. La pluie était dense. Tout autour, les gens s’agitaient pour vider le centre de l’oasis de tout ce qu’il contenait. Avec des protections de fortune, ils vinrent chercher les affaires de Storguez et ils l’aidèrent à traverser l’eau qui commençait à ruisseler partout. Lyanne comprit qu’il était sur la passage de la rivière. Il pensa que, comme toute rivière, celle-ci finirait dans la mer. Il en fit part à Braeguen.
- Pas toujours, répondit ce dernier. Parfois elle se perd dans les sables. Si la pluie continue comme cela, l’eau atteindra la mer cette année.
- Alors, je vais tenter ma chance et me laisser porter par le courant. Les forces de la terre sont avec moi… Elles me conduiront.
L’eau montait de plus en plus. Il en avait déjà jusqu’aux chevilles et cela continuait à grimper. Lyanne fit ses adieux à Braeguen et attrapa un morceau de bois entraîné par le courant.
- Voilà mon guide ! Que tes jours soient prospères et ton chemin tranquille !
Braeguen répondit par un grand signe du bras, criant quelque chose que le bruit de l'eau emporta.
Ainsi Lyanne quitta l’oasis à cheval sur un morceau de bois emporté par le flot.