samedi 21 mars 2015

Deux dragons volaient de concert, slalomant entre les pierres en feu qui tombaient après avoir atteint des hauteurs inimaginables. Moayanne était heureuse de ce vol. Tout semblait si simple. Depuis que le grand dragon rouge lui avait touché le front, elle savait. Son corps de dragon répondait au moindre de ses désirs. Lyanne souriait. Leurs mouvements parfaitement accordés les faisaient s’éloigner, se rapprocher, se frôler tout en évitant toutes ces bombes qui fusaient de toutes parts.
Bientôt, ils dépassèrent la région des retombées. La nuit était presque arrivée mais de grandes coulées de lave éclairaient les flancs du Fémiladur. Ils les survolèrent sentant la chaleur intense leur chauffer les écailles. Ce fut un moment de vrai bonheur.
- On arrive, princesse, dit Lyanne.
Moayanne vit plus loin, les quelques tentes dressées qui marquaient l’emplacement du camp. Elle repéra l’agitation qui régnait. Elle ajusta sa vision pour en voir les détails. Les soldats la désignaient. Quelqu’un avait dû la repérer et donner l’alerte. Elle vit une place assez grande pour qu’elle atterrisse au centre du campement.
- Je vais me poser là, dit-elle en se tournant vers son compagnon de vol.
Elle sursauta. Elle était seule. Elle ne l’avait pas entendu partir. Elle fut déçue. Elle aurait aimé arriver avec lui.
Le camp de toile se rapprochait rapidement, elle se prépara à l’atterrissage. Les petits personnages qui s’agitaient devinrent des personnes avec leurs particularités. Ils s’étaient rassemblés en rond autour de la place, tenant chacun un lumignon. Moayanne se rappela que, pendant la préparation, on lui avait fait prendre une petite bougie au cas où. Il y a longtemps son père lui avait expliqué qu’il fallait toujours avoir un tel lumignon au pied du Fémiladur au cas où jaillirait l’Oiseau de feu. Telle était la légende transmise de mémoire de roi en mémoire de roi. Aujourd’hui, toutes ces petites flammes étaient pour elle.
Modtip en tremblait. La petite flamme dans ses mains dansait au rythme de son tremblement. Il était là, présent, le jour de la venue de l’Oiseau de feu. Il était béni des dieux pour vivre un tel événement. Il admira le spectacle de ce grand oiseau aux plumes écailles brillant comme des miroirs qui renverraient les mille images des flammes de présents.
Dans un dernier mouvement d’ailes d’une grâce absolue, le grand Oiseau de feu se posa. Et… tout disparut.
Il y eut un moment de flottement dans l’assemblée et une voix de femme cria :
- PRINCESSE ! PRINCESSE MOAYANNE !
Modtip vit se précipiter la servante de sa sœur. Elle se jeta aux pieds de Moayanne, lui étreignant les genoux, éclatant en larmes. 
Les autres ne savaient quoi penser. Où était l’Oiseau de feu ? Que faisait la princesse ici, alors que tout le monde la pensait morte dans le cratère avec son père ?
Quelqu’un hurla :
- C’EST PAS LA PRINCESSE ! UN FANTÔME ! C’EST UN FANTÔME !
Des cris fusèrent à droite et à gauche. Immédiatement certains firent des signes de conjuration. Des mouvements agitèrent la masse des courtisans. Les plus courageux dégainèrent leurs armes comme les soldats, les autres commencèrent à fuir. Moayanne regarda cela sans comprendre. Elle revenait victorieuse et on la rejetait. La colère la prit. Elle poussa un cri qui devint rugissement quand elle reprit sa forme de dragon blanc. Seule sa servante ne bougea pas, tout occupée qu’elle était à étreindre sa maîtresse. Tous se figèrent. Il y eut un instant de silence pur et le Frémiladur sembla répondre dans une une explosion qui fit trembler la terre. Tous vacillèrent, certains même se retrouvèrent à terre. Seule Moayanne resta solide face à la colonne de feu qui jaillissait en un hurlement déchirant. Une lumière aveuglante d’un blanc insoutenable, jaillit comme un éclair se mêlant aux couleurs de feu de l’éruption. La trace blanche monta très haut dans le ciel, tranchant bientôt sur les nuages noirs. Continuant sa route, la traînée lumineuse se dirigea dans un sifflement suraigu vers le campement, plaquant au sol tous les humains encore debout. Les témoins, qui racontèrent tout cela plus tard, jurèrent avoir vu la trace se diriger vers le dragon blanc. Une boule étincelante pareille à la foudre se posa sur la tête du dragon qui regardait le volcan. Tout cessa. On entendit pleuvoir les cailloux. Petit à petit, les hommes se relevèrent pour découvrir Moayanne debout, une couronne… la couronne sur la tête. Tout le monde la reconnut. L’évidence les frappa. Le Frémiladur venait de rendre la couronne royale, la déposant sur la princesse. Modtip fut le premier à réagir, mettant genou à terre et prêtant allégeance. Bientôt les autres suivirent.
Quand Moayanne se réveilla, elle vit Salmée, sa servante, lui jeter un regard idolâtre :
- Ma princesse, vous êtes la reine… la reine de feu des légendes.
Moayanne se redressa sur son séant. Elle était dans la tente de son père, couchée dans son lit. Elle prit conscience de sa position. Elle était maintenant la reine… la REINE ! Elle n’en revenait pas. Il y a quelques jours, elle n’était que la petite princesse sans autre avenir que de servir de monnaie d’échange dans une alliance avantageuse pour le pays. Et aujourd’hui, cette couronne sur sa tête... d’ailleurs où était passée sa couronne ? Elle se rappela qu’elle l’avait posée sur un tabouret à côté de son lit. Elle la chercha. Elle n’y était pas. Elle eut un moment de panique. Elle toucha sa tête. La couronne était dessus. Elle la reprit et la posa de nouveau sur le tabouret. Dès qu’elle la lâcha, la couronne s’évanouit. Elle sursauta, tâta sa tête et la retrouva. Vu sa taille, elle ne se voyait pas la porter en permanence. Son père ne la portait pas toujours. Ce fut un cri de Salmée qui la sortit de ses pensées.
- Votre couronne, votre couronne !
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Ma reine, votre couronne, elle est devenue diadème.
Moayanne palpa sa tête pour sentir le fragile anneau qui lui ceignait le front. Elle tendit la main à Salmée qui lui présenta le disque finement poli dans lequel elle put voir son reflet. Elle se découvrit le visage plus mince que dans son souvenir, comme si les événements l’avaient purifiée des dernières traces de sa silhouette d’enfant. Elle se sentit reine. Dans le même temps, elle eut une vision de ce qui l’attendait. Commander n’avait rien d’une sinécure.
Elle se tourna vers Salmée :
- Habille-moi ! Habille-moi comme une reine !
Elle la vit rougir de plaisir à cette idée.
Quand les pans de la tente s’écartèrent pour laisser le passage à Moayanne, les soldats se mirent au garde-à-vous. Un héraut sonna de la trompe, rameutant tous les présents.
Moayanne avança, frêle et royale à la fois. Tous s‘inclinèrent. Un soldat s’approcha davantage. Elle le reconnut. Malbus lui fit le salut militaire.
- La garde royale est à vos ordres, majesté.
- Allons la voir, Colonel.
Ainsi commença sa première journée de règne. Elle passait en revue la troupe qui allait devenir sa garde personnelle quand on lui annonça l’arrivée de la colonne des courtisans. Elle se souvint qu’après la blessure de son père, ils les avaient laissés en arrière. Elle ressentit de nouveau de l’appréhension. Comment allaient-ils réagir ? Elle se reprit. Elle était la reine. Elle redressa les épaules et reprit son inspection. Son oeil fut attiré par un des soldats, au troisième rang. Il allait la trahir. Elle le sentait. Cela l’étonna qu’elle puisse ainsi en être aussi sûre. Elle regarda mieux les uns et les autres. La vérité s’imposa à elle. C’était évident. Elle était femme et dragon. D’ailleurs, elle pouvait sentir ses ailes, ses griffes, et le feu qui couvait en elle prêt à jaillir. Elle remarqua le peu d’enthousiasme de Malbus qui l’accompagnait. Il ne la trahirait pas, mais la servirait parce qu’il avait servi son père. Intérieurement, il lui reprochait d’être ce qu’elle était… une femme. Une ombre passa sur le visage de Moayanne. Jamais elle ne pourrait supporter cela. Elle arrivait au bout du rang quand une aura d’or attira son œil. Il était jeune et beau. Poussant plus loin son analyse, elle sentit toute l’intelligence et la fierté qui régnaient dans cette tête. Elle n’eut même pas besoin de demander son nom, elle en eut la révélation en contactant l’esprit de ce jeune officier.
- “Très bien”, pensa-t-elle. “Voilà qui fera un excellent colonel de ma garde!”
Il lui faudrait trouver une place pour Malbus qui avait si bien servi son père. Elle pensa que ce ne serait pas trop dur. Les voisins de son royaume avaient senti leur faiblesse et massé des troupes sur les frontières.
- “ Malbus sera un parfait général là-bas”, se dit-elle encore, tout en se dirigeant vers l’entrée du camp pour accueillir le convoi. 

vendredi 13 mars 2015

Cappochi hurlait sa haine et sa rage quand il arriva sur la lèvre du volcan. Il allait en finir avec ce ridicule cracheur de feu. Il ne savait pas comment elle avait pu disparaître. Il savait juste qu’il la ferait souffrir au- delà de tout ce qu’elle pouvait imaginer. Il fouetta la montagne pour montrer sa force. Le dragon ne bougea pas. Elle semblait le narguer. Il se fit pousser d’autres tentacules fouets :
- On va en finir, lézard !
Cappochi attaqua, cinglant de tous ses membres la place où se trouvait Moayanne. La roche explosa en tous sens. L’esprit hurla. Le dragon avait de nouveau disparu.
Moayanne faillit rire de la déconvenue de son ennemi. Si dans son monde, il pouvait bouger à la vitesse de l’esprit, ici, il ne pouvait aller plus vite que le corps de l’homme qu’il avait occupé. Ce fut un jeu d’enfant pour elle que de le pousser à bout. À chaque tentative, il rencontrait le vide, malgré tous ses yeux et tous ses membres.
Elle fit un dernier passage presque lent pour elle. Cappochi ne vit qu’une flèche blanche lui passer devant et plonger dans le cratère. Il la suivit. Elle fit sa ressource au ras du lac de lave, levant derrière elle des vagues de roche en fusion. Il ne put la suivre sur cette surface mouvante. Malgré la chaleur intense, il courait autour du lac pour la rejoindre. Moayanne le regarda courir. Elle s’était posée sur un reste de piton basaltique en plein milieu du lac de lave. Tranquillement, elle se mit à nettoyer ses écailles attendant qu’il comprenne qu’il ne pouvait l’atteindre sans traverser la lave. Les volutes de fumées plus ou moins épaisses gênaient la vue. Moayanne avait étendu ses perceptions comme elle venait de l’apprendre. Elle ressentit, au centre de la silhouette, les restes du corps de Cappochi. Cela lui enleva les derniers doutes sur la nature non humaine de la chose. Quand elle l’entendit hurler, elle sut qu’il avait compris. Il s’élança de toute sa vitesse pour traverser le lac. Il progressait en sautant d’un morceau de lave solidifiée flottant sur le lac en roche se solidifiant bougeant au gré des courants qui agitaient la surface du lac. Moayanne le regarda. Elle l’avait amené là où elle désirait qu’il soit. Le dragon rouge avait raison. En arrêtant de fuir, elle avait choisi le lieu de la rencontre. Le monstre écumait de rage quand il prit pied sur l’îlot. Moayanne vit dans tous ses yeux la même certitude. Celle d’être le plus fort. Son orgueil allait le perdre. Elle fit face. Tous les fouets déjà filaient vers elle. Elle souffla, comme lui avait dit Lyanne, un feu de glace figeant la silhouette dans une position incongrue. “Les choses seraient-elles si faciles ?” pensa-t-elle.
C’est alors qu’elle subit une attaque sur sa pensée même. Elle sentit en elle un déferlement de peurs, de dégoût d’elle et de tout ce qu’elle avait fait, d’incapacité à agir. Elle se mit à trembler, saisie par l’angoisse. Ce fut un des pires moments de sa vie. Elle s’enfonçait dans les puits sombres de ses pensées les plus noires.
En face d’elle, Cappochi mobilisait toute l’énergie possible pour dégeler son corps. Il avait sous-estimé sa proie. Il en payait le prix. Une joie mauvaise l’envahit quand il sentit les premiers craquements libérateurs. Il la tenait sous la coupe de ses pensées, la rendant incapable de mouvement. Le bout d’un fouet se libéra, puis un autre. Encore un instant et il serait le maître. Il était esprit, il allait devenir corps.
Une brume légère se leva entre les deux. Moayanne la regarda sans réagir. Elle était sans valeur, tout ce qu’elle pouvait faire ne serait jamais suffisant pour réparer sa faute, avoir laissé son père tomber dans la gueule du volcan. Le monstre la remarqua à peine tout occupé qu’il était à se libérer pour frapper un grand coup. La brume devint silhouette, toute droite, digne, immense malgré sa petite taille. Elle se refléta dans les prunelles mordorées du dragon. Une pensée en jaillit, forte, lumineuse :
- Tu es ma fille ! Va, en toi je reconnais la reine !
Ce fut comme une lampe dans les ténèbres. L’esprit de son père était là, invaincu malgré la mort. Moayanne rugit à faire trembler le cratère. Brutalement le lac de lave se rétracta comme aspiré par la terre. Tout en haut d’un piton se faisant face, un dragon blanc affrontait l’esprit du mal. Moayanne entra dans une fureur immense. Elle contacta Quoiveudire et hurla le nom de son ennemi :
- IKUIS !
Les fouets se figèrent, les yeux s’agrandirent d’une peur immense.
- TU SAIS MON NOM ! TU SAIS MON NOM !
Le cri finit dans une sorte de gargouillement. La silhouette s’affaissa sur elle-même, devenant une sorte de monticule de gelée tremblotante.
- Mon âme peut reposer en paix, dit la brume qui se dissipait. Tu es celle que j’ai toujours souhaitée.
Moayanne se retrouva seule sur son piton face à des restes encore agités de soubresauts. La tension immense retombait. C’était fini. Elle relâcha ses muscles douloureux, elle pouvait se reposer. Et maintenant, qu’allait-elle faire ?
Elle regarda autour d’elle. Son royaume l’attendait. C’est alors que lentement la masse gélatineuse se remit debout.
Moayanne rugit, faisant trembler la silhouette qui émergeait.
- Toi pas crier !
Elle en resta interloquée.
- Quoiveudire ? demanda-t-elle.
- Chut ! Toi pas dire cela si fort.
- Je te croyais devenu grand et fort !
- Oui, mais pas drôle, toujours combattre, pas drôle.
- Qu’as-tu fait ?
- Moi manger IKUIS et devenu tellement fort, tellement savant et puis moi regretter moi petit. Moi libérer tout le monde mais moi avoir changé nom de tous et moi connaître tous les noms.
- Que fais-tu là ?
- Moi venu dire toi, fermer brèche quand moi parti. Moi déposer ici pensées noires, toutes. Quand toi fermer brèche, toutes disparaître. Pschiitttt ! Fini ! Et mon monde que pensées claires.
- Comment ferme-t-on la brèche ?
- Toi, comme autre dragon, liée avec dieu. Toi savoir.
La couleur de la masse gélatineuse était passée du jaune sale au brun presque noir. Moayanne ne savait pas quoi faire. C’est alors que Lyanne arriva.
- Tu as vaincu, lui dit-il.
- Oui, mais Quoiveudire a laissé toutes les noires pensées de son monde pour que je les fasse disparaître et j‘ignore comment faire.
- Le Frémiladur va s’en occuper. Je le sens bouillonner. Bientôt, il va exploser. Il faut partir.
Lyanne souffla le froid sur le tas de noires pensées, le couvrant d’une pellicule blanche.
- Partons. Maintenant !
Il décolla, suivi de près par Moayanne qui ressentait la même urgence à s’en aller. Ils dépassaient les lèvres du cratère quand l’éruption explosa.

samedi 7 mars 2015

Moayanne de nouveau fuyait devant Cappochi. Elle avait cru un instant le vaincre et voilà qu’il revenait toujours plus effrayant avec tous ces yeux qui semblaient la fixer. Elle avait pris un coup de ce tentacule fouet qui l’avait fait rugir de douleur et avait marqué ses écailles blanc-doré d’un trait noir.
Elle avait tenté de redevenir petite mais n’avait pu échapper à tous ces regards qui la poursuivaient sans cesse. Elle fatiguait maintenant alors que son ennemi semblait avoir encore gagné en puissance. Ses coups d’ailes devenaient moins puissants et son vol moins précis. Elle s’était engagée dans un dédale de vallées dessiné par les coulées de lave. Elle arrivait au bout de l’une d’elle quand le fouet laboura les pentes du Frémiladur au-dessus d’elle. Elle ne put éviter la pluie de roches qui la mirent au sol. Elle entendit le rire démoniaque de Cappochi se rapprocher. Elle voulut bouger mais une de ses ailes était prise sous des monceaux de rochers. Elle ne pouvait la retirer sans arracher toute la membrane. Le découragement la prit. Elle avait perdu. Elle ferma les yeux attendant le coup mortel qui l’achèverait.
Ce fut un rire qui lui répondit.
- Tu crois que tu vas mourir ! Ah ! C’est trop drôle ! Non, tu ne vas pas mourir tout de suite, cracheur de feu. Tu vas devenir mon esclave !
Entendant cela, Moayanne eut un haut le corps et se débattit. La douleur dans son aile lui interdit rapidement d’aller plus loin. De la voir ainsi augmenta la délectation de son ennemi.
- Tu es la princesse ! Je le sais, cracheur de feu. Tu me seras plus utile en tant qu’épouse qu’en trophée dans mon palais.
Cappochi partit d’un grand éclat de rire qui glaça le sang de Moayanne. Il reprit sur un ton dur :
- Et maintenant tu vas me dire ton nom secret !
- JAMAIS, hurla Moayanne.
Le fouet s’abattit sur elle. Elle ferma les yeux attendant la douleur… qui ne vint pas.
Elle ouvrit les yeux, ne comprenant pas ce qui se passait. Cappochi était là devant elle, tous les yeux grand ouverts, semblant la haine personnifiée, son tentacule fouet levé. Pourtant tout semblait figé, comme arrêté. Elle regarda autour d’elle cherchant un signe pour comprendre. Elle vit… Elle vit le grand dragon rouge assis un peu plus haut.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.
- Tu as encore beaucoup à apprendre, jeune dragonne. Tu es femme-dragon, le sais-tu ?
- Oui, j’ai découvert cela. Je peux être l’un ou l’autre. J’ai peur de redevenir humaine, mon bras serait écrasé par la roche.
- Tu as bien fait. Alors dégageons-le !
Lyanne souffla sur le rocher. Moayanne fut surprise. Quand elle l’avait vu se mettre en position pour souffler, elle s’attendait à du feu et ce fut de la glace.
- Tu souffles le froid !
Lyanne s’arrêta pour répondre :
- Glace de feu, je suis né ! Feu de glace, je suis !
Il reprit son ouvrage. Il s’arrêta au bout d’un moment et s’approcha du rocher. Quand il fut tout près, il le regarda bien et choisit un point pour y souffler le feu. Il y eut une explosion qui fit fermer les yeux à Moayanne, mais le rocher avait explosé, déchiré par les différences de températures.
- Tu dois pouvoir bouger maintenant.
Moayanne effectivement put retirer son aile de sous les gravats qui restaient. Elle la testa pour la trouver en état de marche.
- Bien, dit Lyanne, maintenant redeviens celle que tu es quand tu es humaine et accroche-toi à mes griffes.
- Mais Cappochi est immobile !
- Presque, les dragons que nous sommes ont le pouvoir de jouer avec le temps. Nous allons trop vite pour lui.
Moayanne fit ce que Lyanne avait dit et soupira d’aise en se retrouvant bien calée entre deux griffes. Lyanne n’attendit pas plus longtemps pour décoller. Moayanne trouva le vol presque aussi agréable que si elle volait elle-même.
Elle regarda la silhouette de Cappochi rapetisser au fur et à mesure qu’ils s’en éloignaient. Lyanne remonta les pentes du Frémiladur. Arrivé à son sommet, sur la lèvre du cratère, il se posa. En bas la lave bouillonnait et d’épaisses fumées en montaient alimentant le gigantesque panache qui les surplombait.
- L’être qui a pris possession de Cappochi doit être en rage en ce moment, fit remarquer Lyanne.
Moayanne descendit de sa place et reprit sa forme de dragon. Elle s’aperçut qu’elle était à peine plus petite que le dragon rouge qui l’examinait.
- La marque du fouet restera, je le crains, dit-il en désignant ce qui avait marqué les écailles. Le reste est simplement douloureux. Tu t’en es bien sorti.
- Oui, mais il reste le plus fort. Je fuis devant lui. Tous les affrontements ont tourné à mon désavantage. Je préfère mourir que devenir son esclave ou pire son épouse.
- Je le comprends fort bien, répondit Lyanne, mais tu es femme-dragon, fille du Dieu-dragon. C’est un esprit qui tente de prendre pied dans notre monde. Son savoir et sa puissance sont immenses dans le monde des esprits mais insuffisants dans le monde des hommes tant qu’il est sans ancrage solide. Cappochi est trop faible pour lui assurer cela. Le corps de Cappochi a été consumé depuis longtemps. S’il veut rester ici, il doit te réduire à sa merci. Toi seule peux lui apporter la force dont il a besoin. Pour l’instant le Frémiladur lui communique sa puissance. Il ne peut s’en éloigner longtemps sans la perdre. Avec toi comme esclave, il aura accès à ta puissance.
- Mais je suis incapable de le vaincre !
- Telle est ta croyance. Tu peux le vaincre car tu es celle que tu es devenue, une femme-dragon capable de voyager entre les mondes, de ralentir le temps des autres ou d’accélérer le tien, de trouver le nom de ton adversaire et de le réduire à ta merci.
- J’ignore tout cela. Comment faire ? demanda Moayanne.
- J’ai été dans l’autre monde, celui des esprits et j’ai vu l’autre face de ce que tu combats. J’ai rencontré un esprit mineur aux idées claires. Je sais son nom. Il est en ce moment même dans l’esprit de celui que tu combats. Si tu lui dis le nom de ton ennemi, alors ton ennemi sera vaincu.
- Comment puis-je faire cela ? J’entends tes mots mais leur signification m’échappe.
- Cet être esprit est ton ennemi. Tu es celle qui doit le vaincre. En es-tu convaincue ?
- Oui. Je le sais.
- Alors quand viendra la confrontation, laisse jaillir la glace plutôt que le feu et appelle *Quoiveudire*.
Lyanne avait donné le nom de Quoiveudire dans le langage des dragons. Ce langage que nul ne connaît et ne comprend.
- * Si j’appelle Quoiveudire, que va-t-il se passer ?*
- *Tu auras le lien et tu pourras lui donner le nom U Ι Ι Κ Σ*.
Lyanne tourna la tête vers la pente. La silhouette honnie montait arrachant les pierres sur son passage, hurlant imprécations et malédictions.
- Alors tu seras celle qui a vaincu.
Moayanne jeta un coup d’œil dans la montée. Son ennemi arrivait. Maintenant elle savait son nom. Elle n’avait pas compris comment elle allait faire. Pourtant elle avait moins peur. Dans quelques instants, le combat allait reprendre. Elle tourna la tête vers le dragon rouge pour y chercher un regard d’encouragement. Il se penchait vers elle comme… comme si il voulait l’embrasser. Moayanne recula. Lyanne, voyant le mouvement de recul, dit :
- Sois sans crainte !
Il mit son front contre le front du dragon blanc. Moayanne eut un petit rugissement de surprise. Elle entendait, voyait, sentait, apprenait tellement de choses qu’elle en eut le vertige. Quand leurs têtes se séparèrent, elle se sentait comme Lyanne au sortir des grottes.
Lyanne s’effaça. Elle savait maintenant ce qu’un dragon doit savoir.

samedi 28 février 2015

Lyanne contempla la scène un instant. Les deux esprits chasseurs commençaient à frémir ce qui faisait trembler Quoiveudire. Il le regarda. Une idée venait de germer dans son esprit. Il vint au contact de son compagnon. Utilisant la magie propre aux rois-dragons, il le fit chanter. Ce fut une cacophonie joyeuse. Lyanne y mêla sa propre voix, implantant en Quoiveudire une mélodie envoûtante et étrange.
Puis il rompit le contact.
Quoiveudire rechigna lorsqu’il se retrouva seul.
- J’ai jamais rien entendu de pareil !
- Va ! Maintenant tu es à l’abri des esprits même les plus forts.
- Mais pas de toi.
- Je veux ton bien, retiens cela. Je suis différent de ces esprits.
- Tu n’es pas un esprit, tu es… tu es… autre.
- Tu l’as dit, je suis autre.
Des pensées de mort vinrent les frapper. Les esprits chasseurs venaient de se remettre en chasse et les deux se dirigèrent vers eux.
Quoiveudire hurla quand l’esprit chasseur planta ses griffes, introduisant ses pensées dans celles de sa proie à la recherche du nom.
Lyanne fit face à l’autre qui, plus prudent, faisait le tour de son repas avant de l’engloutir.
- Chante, dit Lyanne à Quoiveudire.
- Je chante quoi, répondit ce dernier dans un gargouillis
- T’VAS CHANTER TON NOM, hurla l’esprit-chasseur.
À la première note, Lyanne sentit son sentiment de victoire. À la deuxième mesure, on ne sentait plus que de la perplexité. La peur n’arriva qu’à la dixième. Son absorption n’attendit pas la fin du chant.
Lyanne n’en fut pas témoin, il était lui-même en prise avec l’autre esprit-chasseur dont la tactique était faite de courtes attaques suivies de replis tout aussi prompts. Lyanne n’était jamais en position pour lui lancer un souffle glacé qui l’aurait immobilisé. Il laissait passer une autre attaque et à la suivante, il changea de plan, se glissant entre les mondes pour revenir derrière son ennemi trop étonné par ce qui venait d’arriver. L’esprit-chasseur se retourna trop tard. Avant qu’il n’ait terminé son mouvement, il était devenu incapable de mouvoir ses pensées prises dans un froid inextinguible. Lyanne laissa Quoiveudire absorber ce dernier ennemi et grandir encore.
- Tu pourrais être le maître ici, lui dit Quoiveudire.
- Je pourrais, mais ma place est ailleurs. Je viens remettre les choses à leur place. Quelqu’un a ouvert une brèche qui doit être refermée.
Devant eux, l’ombre de la colonne du grand esprit était secouée de lumière et de spasmes d’où émanait une jouissance malsaine.
- Tu es un esprit simple, dit Lyanne à Quoiveudire. Malgré ce que tu viens de faire, tu cherches un endroit où tes pensées pourront couler comme une source claire. Il existe des lieux comme cela dans ce monde qui est tien. Tu peux en être l’instigateur si tu absorbes le grand esprit.
Lyanne ressentit physiquement la peur panique de Quoiveudire.
- Je sens ta crainte, mais tu as le chant. Ce chant chante un nom que nul ne peut trouver. Ce nom est le tien quand le Dieu Dragon t’a nommé avant que ne commence le temps.
- Mais alors t’as qu’à faire pareil avec le grand esprit….
Lyanne se mit à rire.
- Il s’y opposera de toutes ses forces. Savoir ton nom me donne le pouvoir sur toi.
- Je suis ton serviteur et tu ne me contrains pas...
- Tu es dans l’erreur. Je sais ton nom et tu es libre, car je suis libre. Le grand esprit n’est pas libre, il est enchaîné à ses noires pensées.
Lyanne sentit les pensées de Quoiveudire bouger à toute vitesse. Maintenant qu’il avait la force de six esprits-chasseurs, sa pensée évoquait une épée bien affûtée.
- Tu dis que je suis libre, même par rapport à toi.
- Tu l’es !
De nouveau, il y eut un maelström de pensées dans la personnalité de Quoiveudire.
- Non, je ne le suis pas tant qu’existe un grand esprit comme celui-ci prêt à dévorer tous et toutes pour se nourrir de leur puissance.
- Tu es libre, tu es plus puissant dans ta faiblesse que lui dans sa force. Tu es vie, il est mort.
Après un autre moment d’intense réflexion, Quoiveudire se tourna vers la colonne aux pensées suintantes :
- Alors allons voir si tu as raison, toi qui es hors les mondes.
Il n’avait pas fini de penser cela qu’ils subirent une attaque mentale venu du grand esprit. Ce fut comme un tsunami de peurs qui vint se briser sur les murs de leurs esprits.
Mais les murs tinrent bon. Tout cessa rapidement quand l’ennemi prit conscience du manque d’efficacité.
Lyanne se mit à courir vers la base de la colonne, suivi par Quoiveudire.
- Il utilise sa peur, viens, nous sommes les plus forts.
Ils couraient encore quand, par une brusque expansion, ils furent heurtés par la colonne qui les absorba.
Lyanne se sentit flotter. Autour de lui la puanteur était pire que celle des égouts. Un peu plus loin, il devinait la forme de Quoiveudire.  Bientôt, il ressentit une pression intense sur son esprit. C’était comme une vrille tentant de s’immiscer dans les tréfonds de son être.  Il entendit le hurlement de Quoiveudire qui devait vivre la même chose. Lyanne se décala un peu du monde des esprits. Les outils purement spirituels du grand esprit se heurtèrent à la matière. Et Lyanne se mit à chanter le chant des rois-dragons dans sa tête. Il devint comme un saphir brillant de mille feux dans une gangue de pourriture. Il se mit en phase avec les accroches mentales qu’il avait mises en Quoiveudire. Il partagea le ressenti de ce dernier. Lyanne laissa se développer le désir du chant malgré la douleur de la vrille qui forçait barrage après barrage cherchant le nom. Quoiveudire entra en vibration devenant les notes, les accords et toute la mélodie.
Autour d’eux, les ondes de pensées affreuses aux couleurs à vomir, se mirent à vibrer sur le son du chant qu’était devenu Quoiveudire. La vrille elle-même, qui cherchait la faille, se mit à l’unisson du son qui la pénétrait de partout. Lyanne laissa Quoiveudire. Il chercha la vrille qui avait échoué contre lui. Il trouva la sonde de pensées agitée du même mouvement que le reste. Il envoya alors lui-même une pensée sonder le grand esprit. Il nota les subtiles variations que connaissait la mélodie en traversant les pensées du grand esprit. Ses babines se retroussèrent en ce rictus qu’était le sourire des dragons… Il n’avait plus qu’à reconstruire le schéma de la perturbation pour arriver au nom même du grand esprit. C’est alors qu’arrivèrent par vagues déferlantes les ondes de jouissante douleur et la chaleur d’un souffle qu’il reconnut pour être celui d’un dragon. Moayanne ! Ce ne pouvait être qu’elle qui en était à l’origine. Lyanne au fur et à mesure qu’il décryptait les variations, comprenait comment fonctionnait l’esprit qui avait absorbé Cappochi. Il vit avant que cela n’arrive les connexions que le grand esprit fit avec la puissance du Frémiladur et les ondes de puissance qui se dirigèrent vers le lieu du combat dans l’autre monde… celui des hommes.
Il ressentit l’urgence de trouver le nom, et la joie de le faire. Il rugit au moment où il put se dire le nom de l’adversaire.

samedi 21 février 2015

Moayanne avait bien du mal. Elle fuyait devant Cappochi. Elle avait essayé ses griffes sans autre résultat que de s’être fait jeter au loin. Elle avait tenté différentes attaques, mais ressentait, à chaque fois qu’elle échouait, un certain plaisir chez son adversaire. Plus le combat durait et plus elle avait l’impression que Cappochi jouait avec elle. La peur commençait à s’insinuer dans son esprit, entretenue par les paroles de celui qu’elle combattait de toutes ses forces.
Alors qu’une nouvelle fois, il l’avait jetée à terre, elle cracha son premier feu. Cappochi encaissa le choc de la flamme en reculant pour la première fois. Son corps fut auréolé de flammes jaunes  et rouges, qui bientôt s'éteignirent :
- Ah ! Ah ! Ah ! Tu es un de ces cracheurs de feu de légendes. Ma puissance n’en sera que plus forte quand tu seras à me demander pitié.
Cappochi ramassa une pierre qu’il lança sur Moayanne. Celle-ci replia ses ailes et roula sur le côté pour l’éviter. Le rocher fit comme elle et entraîna d’autres roches. Moayanne roulait de plus en plus vite, heurtant le sol parfois violemment, suivie par des tonnes de roches enveloppées d’un nuage de poussières. Le bruit était terrible mais couvert par les hurlements de rire de Cappochi. Moayanne freinait sa chute en accrochant ses griffes, tout en se laissant assez de vitesse pour éviter l’avalanche qui la suivait. Une barre rocheuse interrompit sa course. Elle se retrouva projetée en l’air. Déployant ses ailes et malgré ses douleurs, elle repartit se battre. La colère montait en elle. La masse énorme et informe de Cappochi se tenait au-dessus, riant aux éclats. Voyant que le dragon blanc revenait vers lui, il bondit. Ils se croisèrent en plein vol. Si Les flammes de Moayanne léchèrent Cappochi, l’espèce de fouet noir qu’il tenait s’abattit sur le dos de la dragonne, lui arrachant un cri et marquant ses écailles d’une balafre noire. Déséquilibrée dans son vol, elle toucha le Frémiladur de son aile et partit en vrille pour s’écraser un peu plus bas. Elle resta au sol, sonnée. Son dos lui faisait mal, même si elle sentait qu’elle n’avait rien de grave. Elle était momentanément à l’abri. Cappochi avait atterri bien plus.
Ça ne pouvait pas durer comme cela. Il fallait qu’elle trouve une solution pour s’en débarrasser définitivement. Elle repensa à ce que lui avait dit l’autre dragon. “Tu le battras si tu sais qui tu es”. Qui était-elle devenue ? Elle pensa à la jeune fille qui montait avec son père en portant la couronne et brutalement, le monde changea autour d’elle. Elle vit qu’elle avait retrouvé son corps de jeune fille. Elle s’interrogea sur ce qu’elle avait vécu, sur cette façon de voler, sur les griffes au bout de ses bras et elle se retrouva dragon. Elle en eut le souffle coupé. Elle refit l’essai et cela de nouveau arriva, jeune fille, dragon, jeune fille dragon… Elle n’avait pas changé tout en changeant.
Jeune fille, elle se pencha pour chercher où était Cappochi. Elle repéra la grande silhouette qui remontait la pente :
- Où te caches-tu ? Tu ne m’échapperas pas, cracheur de feu.
Moayanne se renfonça derrière les rochers. Cappochi passa sans la voir, lançant des imprécations contre ces vers volants tout juste bons à faire peur aux enfants. Elle lui emboîta le pas, sautant de roche en roche. Arrivé sur un éperon, il se retourna juste au moment où Moayanne, ayant repris sa forme de dragon, crachait son feu dans sa direction. Aveuglé par les flammes, Cappochi fouettait l’air à tort et à travers, marquant la roche sans toucher Moayanne qui s’était de nouveau réfugiée sous un auvent de pierre. Elle observa la difficulté de Cappochi à coordonner ses attaques.
- “Les yeux !” pensa-t-elle, “les yeux sont son point faible.”
- Vermine, hurlait Cappochi, et tu crois que tu peux m’avoir avec ça ! Regarde bien !
Moayanne sursauta quand elle vit le corps de son ennemi se couvrir d’yeux dont certains la regardaient. Elle se renfonça brusquement pour se mettre à l’abri. Comme rien ne se passait, elle risqua un oeil. Il était dressé de toute sa hauteur sur l’éperon rocheux. Son fouet claquait en tout sens sans privilégier sa direction. Tous ces yeux n’étaient-ils qu’un leurre ? Pour en être sure, la jeune fille se mit à découvert, prête à bondir dans le vide en cas d’attaque. Cappochi cherchait ailleurs une forme beaucoup plus grande. Rien ne se passa. Elle s’enhardit. Il regardait en bas, elle monta au-dessus de lui, faisant attention où elle mettait les pieds. Elle se lança dans le vide, pensa au vol et devint dragon. C’était enivrant. Elle attaqua Cappochi lui crachant une nouvelle fois au visage le feu brûlant de son souffle. Parmi tous les yeux, seuls deux clignèrent pour se protéger. Elle décrocha brutalement en zig zag pour éviter les retours de fouet. Arrivée au sol, elle redevint jeune fille et se glissa entre des rochers à l’abri. Quand elle sentit que la terre ne bougeait plus sous les coups de Cappochi, elle tenta de voir ce qui se passait. Une ombre couvrait le sol. Moayanne se rendit compte qu’elle était sous le monstre. La rage la prit. Elle retrouva la fureur qu’elle avait connue quand, petite, son frère aîné l’avait coincée pour lui imposer sa volonté. Il voulait le jouet qu’elle avait reçu de sa mère et Moayanne avait refusé. Cela avait dégénéré en un pugilat qui avait tourné à l’avantage du plus grand. Moayanne avait beaucoup pleuré et s’était juré que cela ne recommencerait jamais.
Pour Cappochi, ce fut comme si le sol explosait sous ses pieds. Un immense dragon blanc jaillit des entrailles de la terre, l’enveloppant dans un geyser de feu. Déstabilisé, aveuglé, il tomba en arrière, déboulant la pente qu’il venait de remonter poursuivi par les flammes sans cesse renouvelées du grand saurien.
Moayanne jubilait en voyant le monstre s’écraser dans une dernière chute. Elle cracha son feu et sa colère sur la forme répandue sur le sol. C’était d’autant plus facile que la forme restait immobile. Enfin, elle allait régler son sort. Sa joie fut de courte durée. Alors qu’elle reprenait son souffle, elle vit avec horreur les pseudopodes de la chose, qui jusque-là se tordaient dans les flots de flammes, s’appuyer sur la roche et les yeux s’ouvrirent, tous les yeux s’ouvrirent.

samedi 14 février 2015

Lyanne s’était glissé entre les mondes. L’être que combattait Moayanne ne serait pas vaincu par la force brute. Il devait aller dans le monde des esprits et trouver son nom. Il aurait alors la source de son pouvoir. L’être était puissant. Il ne fallait pas le sous-estimer. Heureusement son attention n’était pas sans limite. Pour le moment, elle était toute entière tournée vers le monde des humains et ses promesses de puissance. Avant d’aller plus avant, il se dirigea vers le centre du Frémiladur. De là venait le dragon blanc qui avait fait Shanga avec Moayanne.  Traversant les roches comme de l’eau, il arriva dans  le lac de lave. Il en sentit la puissance latente. Elle était brute, indistincte. Quelqu’un l’avait organisé pour que naisse le blanc dragon de Moayanne. Il repensa aux évènements qui s’étaient succédé. La couronne ! C’était la couronne qui détenait le pouvoir de faire naître le dragon blanc aux reflets d’or. Il fit le parallèle avec sa propre vie. Il évoqua l’histoire que Talmab avait racontée quand il était enfant. Il était dans le pays de l’oiseau aux plumes d’or et cet oiseau était un dragon. Il rendit mentalement gloire au Dieu Dragon qui l’avait guidé jusque-là. Suivant les courants de feu, Lyanne s’enfonça plus loin sous la terre, se laissant guider par son instinct de chasseur. L’être informe puisait aussi sa puissance en ce lieu. Le cœur noir de Cappochi était sa porte dans le monde des humains. En ce lieu, il drainait la puissance nécessaire à le maintenir sur le plan physique. Lyanne eut l’intuition qu’elle ne suffisait pas. Si cette source donnait force et pouvoir à l’avatar de l’être immonde, elle ne pouvait être celle qui avait ouvert la porte. Il lui fallait trouver la clé qui avait ouvert la porte. Il plongea dans le monde sombre des esprits malfaisants. Cela restait pour lui un monde étranger. Il avait le pouvoir d’y entrer et d’en sortir librement. Il se savait assez puissant pour faire face à ceux qui y vivaient. Il se savait aussi protégé par le Dieu Dragon. Mais, n’étant pas un esprit mais un corps, il ne pouvait voir ce monde comme le voyaient les esprits. Il habillait ce qu’il en ressentait de ce qu’il connaissait. 
- Tékitoi ?
Lyanne regarda autour de lui. Le paysage sentait la mort et la désolation. On était loin des autres incursions qu’il avait pu faire dans ce monde. L’être qui possédait Cappochi venait de ces régions infernales où tout semblait fait pour blesser, meurtrir celui qui s’y aventurait. Il repéra l’origine de la question. Comme tout dans ce monde, cela avait une forme improbable et ça sautillait sur place.
- Tékitoi ? répéta-la chose.
- Un passant qui passe, répondit Lyanne.
- Impassantkipasse ! Cékoissa ? Jenouvoyonpa cékoissa ! Trogromanger, troforbattre, gentipasgenti ?
- Que suis-je ? demanda Lyanne
- Rougelumière. Jamaivurougelumièredanténébre !
Lyanne bougea.
- AAAAAAAAAAAA ! ROUGELUMIÈRETROGROS !
La chose disparut brutalement. Lyanne s’immobilisa. Il laissa tous ses sens prendre la mesure de ce monde étrange. Il repéra la chose. Elle s’était collée sous un rebord acéré d’une lame qui aurait pu être d’obsidienne.
- Je suis rassasié et sans intention de chasser, dit Lyanne en se penchant vers la créature qui ressemblait à un oursin tremblotant.
Il n’avait pas fini de parler que la chose était repartie à sautiller dans tous les sens la rendant à nouveau floue.
- Toipamanger, toipaméchan, toiaider ?
- Aider ? Peut-être, si tu aides.
- Aider ? Quoiveudire ?
- Qui es-tu ?
- Quiétu ? Quoiveudire ?
Lyanne continua à interroger la forme sautillante. Il finit par comprendre qu’il était en présence d’un esprit élémentaire, un de ces esprits qui peuplaient ce monde et qui servaient de nourriture aux autres. Ceux qui survivaient, phagocytaient l’énergie pour gagner en puissance. À travers les paroles de “Quoiveudire” comme il le surnommait, Lyanne comprit que toute la région était vide de vie depuis qu’un grand esprit malin avait fait ici son territoire de chasse. Quoiveudire avait survécu sans savoir ni pourquoi ni comment, peut-être parce que plus paresseux que les autres, il n’avait pas essayé de chasser.
- LÀ ! CACHER !
Quoiveudire alla se coller sous la roche noire. Lyanne regarda tout autour ce qui avait déclenché la peur du petit esprit. Il repéra au loin, une forme oblongue qui lui évoqua un de ces poissons tout en mâchoires, gros et gras, capable d’avaler aussi gros qu’eux. Il se pencha vers la cachette de Quoiveudire :
- As-tu peur ?
- Samangertout ! Aprèvenuplurien. Touseulici.
Lyanne observa le déplacement indolent de l’autre esprit. S’il semblait incapable de vitesse, Lyanne sentait la colère et la rage contenues qui suaient par tous les pores de la peau, si l’on avait pu parler de peau. Le “poisson” frôlait les structures déchiquetées. Il s’éloignait, se rapprochait, s’éloignait encore selon un schéma qui semblait aléatoire. Lyanne ne s’y trompa pas. L’esprit “poisson” se rapprochait. Il fut témoin d’une attaque fulgurante près d’une pointe noire. Il sentit plus qu’il n’entendit le cri de souffrance d’un esprit qui devait ressembler à Quoiveudire. Après ça, l’esprit “poisson” s’éloigna, disparaissant derrière un relief qui évoqua pour Lyanne la ruine d’une vieille citadelle.
- Je crois qu’il est parti, dit Lyanne à Quoiveudire.
- Pavrai. Sajamaiparti. Toujourlà.
Lyanne se redressa, les sens en alerte. Il se retourna juste à temps pour faire face à une gueule énorme se précipitant vers lui. Il souffla la glace comme il avait fait pour Cappochi, figeant l’esprit “poisson” qui se mit à dériver comme une baudruche dans le vent. Avant qu’il ait pu faire autre chose, Lyanne sentit Quoiveudire se précipiter pour aspirer l’ennemi.
- Sitoipasmanger, toiêtremangé ! expliqua Quoiveutdire toujours sautillant.
Lyanne se mit à rire devant le comique de cet énorme ballon qu’était devenu Quoiveudire qui essayait de bouger comme s’il était encore aussi petit.
- Quoicestça ? demanda-t-il à Lyanne riant. Quoitufailà ?
- Je suis heureux que tu aies bien grandi. Il te faut apprendre à te comporter comme un grand maintenant que tu es grand.
- Moi grand ?
- Oui et puissant aussi !
- Toi pas tuer moi et toi nourrir moi ! Qui toi être ?
- Un passant qui passe.
- Alors toi chercher quoi ?
- Tu as bien progressé en devenant grand, lui fit remarquer Lyanne.
- Moi avoir aspiré Vajdouské et Vajdouské grand pouvoir et grand savoir. Mais toi encore plus grand. Toi capable vaincre Vajdouské.
- As-tu un nom ?
- Jamais dire nom ! Nom est pouvoir, jamais dire ! Vajdouské esclave de moi, moi pouvoir dire nom Vajdouské.
- Veux-tu encore plus de puissance ?
- Moi vouloir !
- Alors, tu m’aides et tu seras puissant.
- Moi pas esclave de toi !
- Tu sais qu’il y a des esprits encore plus forts que Vajdouské. Ils peuvent t’aspirer.
Quoiveudire exprima sa peur en essayant à nouveau de sautiller.
- Les passants qui passent ont des pouvoirs encore plus grands que ce que tu as vu.
- Grands comment ?
- J’ai pouvoir de te donner un nom inconnu de tous les esprits.
- Toi avoir ce pouvoir ?
- Oui, les noms de mon Dieu sont inconnus des esprits de ton monde.
Quoiveudire tenta de s’enfuir pour se coller contre la pierre qui l’avait si souvent caché. Cela de nouveau amusa Lyanne de voir cette forme tremblotante dépasser de partout.
- Toi être lié à un dieu ? Moi perdu !
- Tranquille tu seras si tu m’aides !
- Moi pas vouloir défier les dieux.
- Tu as le choix, entre m’aider ou me combattre !
De nouveau Quoiveudire sembla frissonner.
- Moi pas combattre. Moi aider.
- Bien, dit Lyanne. Vajdouské était esclave de quel esprit ?
- Vajdouské chassait pour grand esprit, très mauvais.
Lyanne mit du temps à comprendre qu’en mangeant Vajdouské, Quoiveudire avait accès à ce que Vajdouské avait vécu. Avec précaution, ils se déplacèrent dans cette vallée aux bords déchiquetés. Quoiveudire restait craintif. Sa taille lui aurait permis de se mouvoir avec plus d’aisance mais il n’osait pas, pas encore. Ils montèrent sur un ensemble de blocs.
- Là-bas ! dit Quoiveudire en montrant un autre esprit qui ressemblait à Vajdouské. Un autre chasseur ! Et puis encore un vers la gauche.
- Je vois, répondit Lyanne, mais où est le grand esprit qui les commande ?
- Plus loin, mais maintenant chemin encore plus dangereux, esprits encore plus mauvais.
- Je m’en doute mais il faut y aller. Je connais quelqu’un qui risque sa vie si je suis dans l’erreur.
Quoiveudire sembla regarder Lyanne en s’interrogeant.
- Toi, toujours dire des choses curieuses. Ici, chacun pour soi.
- Dans mon monde, nous agissons autrement. Bon, allons.
Lyanne se déplia et commença à serpenter entre les formations qui dessinaient comme un labyrinthe tout autour d’eux. Il avait déployé le plus possible ses différents sens, repérant ainsi les esprits chasseurs. Quand l’un d’eux s’approcha, Lyanne se mit en embuscade et comme pour Vajdouské, Quoiveudire s’en reput.
- Alors ? demande Lyanne.
- Son nom est Cartanko. Son rôle était le même que Vajdouské. Son savoir n’est pas plus grand. Il connaissait juste une autre région.
- Bien, avançons encore. Nous sommes sur le bon chemin. Combien sont-ils à chasser pour le grand esprit ?
Quoiveudire resta immobile un moment, puis répondit :
- Six !
- Il en reste quatre, fit remarquer Lyanne. Si le grand esprit reste sans eux, il va avoir faim.
- Et ce sera terrible, dit Quoiveudire sur un ton de lamentation.
- Tu es maintenant grand et fort. Tu peux te défendre. Sans ton nom, peut-il te vaincre ?
- Le grand esprit est très puissant et devine les noms.
- Alors il est sans pouvoir contre toi, tu ignores ton nom.
- Moi, je ne le sais pas… mais s’il le devine, je suis perdu.
Ce fut au tour de Lyanne d’être perplexe en entendant les paroles de Quoiveudire. Il n’avait jamais envisagé cette situation. Que quelqu’un devine son nom secret et il serait lui aussi à la merci de l’autre.
Ils continuèrent leur chemin, se glissant de zones d’ombre en zones d’ombre. Quoiveudire y tenait particulièrement. Même s’il ne le sentait pas, il avait progressé et semblait pouvoir contrôler ses mouvements et sa taille. Il continuait cependant à préférer marcher à l’ombre des sortes de pierres levées qui les entouraient. Lyanne trouvait curieux que dans ce monde sans soleil, il existe des zones d’ombre.
- On sent une odeur mauvaise, dit-il.
- Ça, grand esprit. On sent ses pensées. Je les comprends. Les tiennes sentent un bien curieux parfum. Je ne le trouve pas désagréable mais jamais je n’avais senti un tel parfum dans les pensées de quelqu’un.
Lyanne pensa au nom “Quoiveudire” et demanda :
- Que ressens-tu quand je pense à cela ?
- Que ce parfum-là est particulièrement agréable.
Ils ne purent continuer leur conversation. Leur route croisa un autre esprit chasseur qui subit le même sort que les autres. Il en restait encore trois, mais déjà dans le monde des hommes Cappochi devait commencer à ressentir un manque. Plus ils s’approchaient de la combe où régnait le grand esprit et plus l’odeur devenait épouvantable pour Lyanne. Cela aurait eu des relents de pourriture ailleurs que dans le monde des esprits. Cela puait la délectation à la souffrance de l’autre, à son anéantissement. Lyanne en conçut des pensées de colère. Quoiveudire prit peur :
- Tu m’en veux ?
- Ma colère est contre le grand esprit et ses sales pensées.
- Ce que tu penses est pire que le feu sombre des grands esprits. Qui peut résister à cela ? se plaignit Quoiveudire.
- Tu es mon ami, pense à cela.
Quoiveudire eut un frisson et une onde rouge et or le parcourut.
- Quelle étrange pensée ! Tes paroles sont terribles, terriblement puissantes. Jamais je n’ai entendu pareille chose ici, ni les esprits chasseurs que je possède.
- Nous avons encore du chemin, lui répondit Lyanne qui éleva une barrière mentale.
Il pensa à la puissance du grand esprit. Il allait devoir apprendre son nom pour le vaincre. Cappochi n’était que le nom de l’être dont il avait pris possession.
La rencontre avec le quatrième esprit chasseur faillit mal tourner. Il avait planté ses crocs dans Quoiveudire avant que Lyanne ne l’ait touché. Le temps que Lyanne se repositionne pour aider son guide, l’autre avait commencé à aspirer les forces vitales de Quoiveudire qui émit une sorte de couinement inarticulé. L’autre explosa en milliers de fragments de pensées parcellaires et incohérentes. Lyanne ne comprenait pas.
- Que s’est-il passé ?
- Il a voulu me prendre mon nom. Mais je n’en ai pas. Il n’a pas supporté, il était incapable de le deviner.
Quoiveudire redoubla de prudence, tremblant à l’idée de rencontrer un des autres esprits chasseurs et encore plus à l’idée de voir le grand esprit dont la puanteur des pensées augmentait à chaque pas.
Ils passèrent sous une arche et débouchèrent sur une vaste dépression occupée en son centre par une immense colonne palpitante. Ils furent oppressés dès qu’ils mirent un pied sur la pente.
- Il sait que nous sommes là, dit Quoiveudire. Il nous sent comme nous, nous le sentons.
- J’espère sentir moins mauvais que lui, plaisanta Lyanne.
Quoiveudire resta sérieux :
- Tes pensées sont aussi dérangeantes pour lui que les siennes le sont pour toi.
Ils aperçurent en bas, collés à la colonne, les deux esprits chasseurs.
- Ils amènent leur tribu, fit remarquer Quoiveudire. Ils ne sont pas dangereux pour le moment. Ils le deviendront quand ils se détacheront. Ils seront affamés.
Il y eut une grande déflagration qui fit osciller la colonne. Elle palpita de blanc, de rouge, de jaune en une sorte de feu d’artifice interne qui s’étiola petit à petit. Lyanne pensa à Moayanne qui devait se battre dans l’autre monde. Ce qu’elle avait fait n’avait pas déstabilisé le grand esprit dont l’aspect reprenait cette couleur bien en accord avec les pensées affreuses qui en suintaient.

jeudi 5 février 2015

Pour Moayanne, le monde s’était écroulé quand son père était tombé. Malgré sa précipitation, elle n’avait pu empêcher sa chute. Elle-même avait glissé dans la pente, s’arrachant les vêtements et la peau sur les roches coupantes. Quand le coffret s’était arraché pour finir dans le lac de lave, elle avait perdu tout espoir et toute force. C’est presque avec soulagement qu’elle avait lâché prise. Bientôt, plus rien n’aurait d’importance, ni les joies qu’elle ne connaîtrait pas, ni ses peines qui allaient cesser, définitivement. Elle avait été surprise de voir le temps se ralentir et ce grand oiseau rouge feu plonger vers elle. Et tout fut noir.
Le monde était fait de blanc et d’or. Moayanne sentait ses ailes battre de toute leur puissance, malgré la violence du volcan tout autour. Des ailes ? Des ailes !!!! Où étaient son corps, ses bras, ses mains ? La panique naissait au centre de son esprit.
- “Sois sans crainte !”
Elle sursauta en comprenant le message.
- “Sois sans crainte ! Tu es qui tu es.”
- Je sens la puissance, dit Moayanne sans savoir comment elle le disait.
- “Tu es la puissance !”
- Je sens le feu !
- “Tu es le feu!”
Moayanne vit le grand oiseau rouge à côté d’elle. Il battait des ailes au même rythme qu’elle. Elle sut, elle était comme cet oiseau fait de feu.
- “Le volcan va exploser !”
- Modtip ! Le fils du roi, il faut les sauver
- “Va, tu peux faire ce que tu sens”
Moayanne pensa à ceux qui étaient restés sur la corniche. Et la corniche apparut devant ses yeux. Elle repéra Modtip facilement, puis le fils du roi. Elle sentit le danger. Elle le vit. Elle le reconnut. C’était le même que dans ses cauchemars. Ces cauchemars qu’elle faisait depuis toutes ces années, depuis la disparition de sa mère. Elle manœuvra maladroitement touchant presque la forme hideuse, saisissant dans ses griffes… Des griffes ! Elle découvrait à chaque instant quelque chose de nouveau avec ce nouveau corps. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Son esprit avait du mal à s’accorder à cette nouvelle “enveloppe”. Ses ailes la trahirent. Elle décrocha. Sa maladresse la sauva du coup de fouet de la créature. Elle sentit une force en elle :
- “Continue. Laisse-toi devenir ce que tu es !”
Ça aussi, il faudrait qu’elle prenne le temps de comprendre. Des choses plus urgentes l’occupaient. Elle récupéra Modtip sans difficulté. Le fils du roi faillit lui échapper. Elle assura sa prise avant de plonger dans le vide vers la plaine. Portée par le vent, les ailes largement déployées, ce fut une expérience grisante. Un autre esprit était là, bienveillant, attentif. Elle le sentait aussi. Quand elle n’arrivait pas à quelque chose, il lui venait en aide. Encore un mystère. Elle vit en bas les soldats du roi qui se protégeaient de la pluie de roches brûlantes qui tombaient autour d’eux. Elle se laissa planer jusqu’à eux. Elle arriva vite, et d’instinct sut quoi faire pour casser sa vitesse et poser son fardeau. Son œil fut attiré par une forme aux contours mouvants qui semblait glisser sur la montagne. Une bouffée de haine lui emplit le cœur. Elle savait. Il était l’ennemi. L’antique ennemi, enfin présent, ici et maintenant, elle avait la force pour le vaincre. Elle battit vigoureusement des ailes pour s’éloigner des hommes. Il était nécessaire de les protéger. Elle sentait l'immense puissance de cette chose immonde qui dévalait le Frémiladur en blessant la pierre de ses flancs. Le volcan allait devenir tombeau. Son père déjà y reposait. Il fallait arrêter cet… cette… ce truc impensable venu d’on ne sait où. Tout en pensant cela, elle vit le monde différemment. Comme si après avoir regardé un dessin, elle en voyait le modèle. Elle regarda autour d’elle, cherchant l’être qui “parlait” dans sa tête. Elle ne vit que l’ombre de l’ennemi. Elle prit peur. Elle se savait née de la puissance du Frémiladur, elle pensait qu’il pourrait la débarrasser de ça. Pourtant elle douta. Elle dirigea son vol vers les retombées de l’éruption. La poursuivant, l’être informe s’éloigna des hommes. La traversée des chutes de pierres brûlantes fut éprouvante. Elle dut manœuvrer comme elle ne savait pas qu’elle pouvait. Malgré cela, elle fut touchée un certain nombre de fois. Elle sentit les chocs et la chaleur de ces rencontres imprévues. Sa finesse lui permettait ces acrobaties, elle en profita pour se retourner et voir où en était le monstre. Il suivait sans perdre de terrain. Les bombes volcaniques se plantaient dans ce qui lui servait de corps. Les plus grosses le traversaient créant des canaux qui se rebouchaient lentement. Il devenait difforme encore plus hideux si cela était possible. Il avançait semblant insensible aux pierres ou à la lave qu’il traversait. Il lançait imprécations et injures.
Moayanne fut déçue de voir le manque de résultat. Il allait lui falloir trouver autre chose. L’éruption elle-même se calmait. 

Alors qu’une nouvelle fois, elle se retournait pour surveiller son poursuivant, elle faillit se faire heurter par un énorme rocher qui retombait. L’autre oiseau de feu qui l’accompagnait depuis la gueule du volcan la bouscula, les éloignant de la trajectoire de la bombe volcanique qui passa en sifflant.
- “Faire attention à tout est une bonne chose” dit la voix dans sa tête.
Maintenant elle était sûre. Ce grand oiseau de feu rouge qui était sorti en même temps qu’elle du volcan était la voix. Il avait une parfaite maîtrise de son vol, semblant glisser sans effort entre les roches qui pleuvaient.
- Mais comment penser à tout ! répondit Moayanne qui peinait à faire de même.
- “Deviens qui tu eeeeees!” répondit l’oiseau rouge en s’éloignant. “Tu as à affronter tes cauchemars. Tu le battras si tu suis qui tu es. La vérité est en toi….”
D’un coup, il disparut. Moayanne en fut peinée. Les retombées du Frémiladur ne lui laissaient pas le temps de s'appesantir sur cette peine. Elle avait des choses plus urgentes à faire.