mardi 30 avril 2013

Il arriva dans la grande salle qui précédait le porche. Lyanne avait repris sa forme humaine. Il avança jusqu'à l'ouverture. Dehors, le jour se levait. Tout semblait calme. Il pensait que jamais Jorohery ne laisserait le lieu sans surveillance. Les poings du Bras du Prince-majeur devaient être en poste non loin de là. Il est très probable qu'ils surveillaient ceux qui arrivaient. Les guerriers de Jorohery ne pouvaient penser que quelqu'un pouvait sortir des grottes. Lyanne s'assit sur un rocher. Il posa le bâton de pouvoir à terre, en retira le capuchon. Le tenant à deux mains, il pencha la tête pour que son front le touche. Ses perceptions s'affinèrent, s'agrandirent. Il sentait les êtres vivants autour de lui. Dans une sorte de brume, il vit à travers la roche. Deux mains d'hommes étaient à droite, et trois à gauche pour patrouiller. Plus loin vers l'aval du ruisseau, il y avait deux poings complets plus celui dont venaient les patrouilles. Il sentait les forces négatives des javelots noirs. Chaque main d'hommes en possédait au moins un. Brutalement une perturbation lui apparut nettement. Les ombres qu'il percevait se mirent en mouvement rapide. Elles convergèrent vers la grotte. Une alerte avait été lancée. C'est trois poings de guerriers qui allaient attendre sa sortie, à moins qu'il n'y ait autre chose. Il étendit sa perception aussi loin qu'il pouvait. Quelque chose approchait. C'était fort et trop blanc pour être du côté de ses ennemis. L'image des crammplacs s'imposa à son esprit. Monocarna et Malmosfia allaient arriver. Il décida de sortir. Il médita encore sur ces corps et les images qu'il en avait. Quand il se mit debout, il avait une aura rouge de la taille et de la forme d'un dragon qui l'accompagnait.
C'est ainsi qu'il apparut sous le porche. Les trois javelots noirs brûlèrent en vol sans même atteindre l'image de dragon qu'il avait déployée. Il sentit le repli prudent des guerriers. Les renforts ne tardèrent pas et avec eux les autres javelots noirs. Lyanne avait opéré un repli qu'il voulait stratégique vers le fond. Il ne fit avancer la forme leurre qu'à l'arrivée des autres guerriers, provoquant le tir des traits destinés à le tuer. Il les détruisit en plein vol. Courageusement, les hommes de main de Jorohery passèrent à l'attaque quand s'effaça l'image de dragon.
- Ce n'est qu'un homme ! cria l'un d'entre eux.
Le roi-dragon, marteau en main, les attendait. C'est ce moment que choisirent les crammplacs pour attaquer. Les trois poings contre une dizaine de crammplacs et un roi-dragon ne firent pas le poids. Le combat cessa rapidement. Les corps des guerriers jonchaient le sol.
Une grande crammplacs arriva, portant un homme sur le dos. Elle s'approcha du roi-dragon. Elle lui fit un salut de soumission comme l'avait fait Malmosfia. Monocarna en profita pour descendre. Il était pâle. Ses genoux tremblaient.
- Je n'aurais jamais cru cela possible, mon roi.
Lyanne le regarda sans comprendre.
- Les crammplacs !
Devant l'incompréhension du roi-dragon, il continua :
- Je n'arrivais pas à croire les récits que l'on racontait sur eux. La vérité est encore plus impressionnante !
- Oui, Monocarna. Le peuple des crammplacs est un peuple vaillant taillé pour le combat. Il est bien dommage que depuis toutes ces saisons, on les ait mal jugés. Il est temps de leur rendre leur honneur et leurs territoires.
Malmosfia émit un bruit qui ressemblait à un ronronnement. Monocarna n'en croyait pas ses oreilles. Lyanne se dirigea vers deux crammplacs qui gardaient un homme. Celui-ci semblait tétanisé. Son regard avait quelque chose de fou quand il le tourna vers Lyanne. Les crammplacs s'écartèrent pour laisser le roi-dragon passer. Il s'assit face à l'homme.
- Il serait bon que tu me racontes ce que tu sais, dit Lyanne. Les crammplacs s'énervent quand on me contrarie.
Le regard de l'homme passa d'une gueule à l'autre puis se fixa sur le bâton de pouvoir devant lui. Il hésita un instant puis il prit la parole :
- Je m'appelle Tchalbatch. J'étais dans le poing cinquième.
- Que faisais-tu avant ?
Il y eut un silence. L'homme de nouveau regarda les babines des crammplacs qui se retroussaient.
- J'étais... j'étais au camp de Balsfou.
Tachlbatch baissa la tête et continua :
- Je purgeais une peine pour avoir extorqué les biens du fils d'un prince-sixième. Je suis innocent de tout cela...
- Qui t'a enrôlé ?
- Un konsyli est venu. Il a expliqué que la liberté serait donnée à ceux qui s'enrôleraient dans les poings du Bras de Prince-majeur. J'ai failli ne pas être pris. Il enrôlait d'abord ceux qui s'étaient déjà battus. Après il nous a emmenés dans un autre camp près des montagnes de l'Alarbecht. La discipline a été dure. Ceux qui craquaient repartaient pour Balsfou. Les bruits couraient qu'ils n'y arrivaient pas vivants...
- As-tu prêté serment ?
- Oui, après deux lunes. Le Bras du Prince-majeur est venu nous transmettre les félicitations du Prince-majeur pour nos efforts et notre réussite. Nous étions, a-t-il dit, plus forts qu'une phalange. Nous allions être le fer de lance de la volonté du Prince-majeur. Nous avons tous bu la coupe qu'on nous avait remise et nous avons entonné le chant du serment.
- Peux-tu le chanter ?
- Ici ? Maintenant ? demanda Tachlbatch avec une expression d'horreur.
- Oui, répondit Lyanne.
- Je préfère encore les crammplacs, répondit l'homme. Si je le faisais ma mort serait trop horrible.
- Continue alors, reprit le roi-dragon.
- Après nous avons enchaîné les missions. Il fallait maintenir l'ordre et éliminer ceux qui pouvaient nuire au Prince-majeur. Nos konsylis recevaient leurs ordres du chef de poing, et lui les recevait directement du Bras du Prince-majeur.
- Que faisiez-vous ici ?
- Le chef de poing avait dit qu'un imposteur accompagné d'un dragon rouge, viendrait dans les grottes pour essayer de s'approprier ce qui revenait au futur roi-dragon, le fils du Prince-majeur.
- Quand est-il né ?
- Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est qu'il nous a fourni des javelots noirs tueurs de dragon. La puissance du Bras était dedans et nul ennemi du Prince ne pouvait y résister. Mais c'est faux puisque vous êtes là.
- Qui suis-je ?
- Je n'ose le dire. Tu n'es pas un imposteur, ta puissance est trop grande, les crammplacs trop dociles à ta voix. Ma grand-mère me racontait que le roi-dragon serait comme un berger avec son bâton, et tu as un bâton. Elle me disait aussi qu'il saurait guérir comme les marabouts et tu as une cape de marabout.
- Veux-tu guérir ? Guérir de ton serment, de ton mal ?
- Le peux-tu ?
- Le crois-tu ?
Dans les yeux de Tachlbatch, divers sentiments se succédèrent. Subitement, il sembla prendre sa décision, il se leva pour mettre un genou à terre et son poing droit fermé sur le cœur.
- Ma grand-mère était une femme sage et la seule qui m'ait aimé.
- Alors chante son chant !
- Smilatioo bila ido mi tou.
  Batch bral kah sim tou.
  Va petit enfant qui naît
  D'or et de soleil sont
  Les rêves que tu vis
  Entends la source en toi,
  Sur ses eaux, laissons
  Voguer ce qui sera ta vie.
  Mon cœur en émoi
  Entends ton simple cri
  Pour moi, aime-moi.
  ...
Monocarna regardait. Ce guerrier au passé si sombre, avait des airs d'enfant pendant qu'il chantait le chant lointain de son enfance. Le bâton de pouvoir l'enveloppa d'effluves d'or, révélant une sombre silhouette dans le corps de Tachlbatch. Bientôt comme une eau pure lave une plaie, l'ombre noire sembla se dissoudre. Le chant premier du guerrier devint comme une berceuse et finit dans un sourire murmure. Quand cessa le phénomène, l'homme semblait plus jeune. Son visage détendu se tourna en tous sens prenant la mesure du monde qui l'entourait.
- Tachlbatch tu étais, sombre et triste était ce nom. Wafadar tu seras. 
Le roi-dragon lui toucha l'épaule droite de son bâton. Wafadar chanta un nouveau chant plus rauque, plus fort.
- Je t'accepte, Wafadar. Sois celui qui me sert.
- Que dois-je faire, mon Roi ?
- Je te nomme gardien de ce lieu. Tu seras chargé de diriger les crammplacs qui t'aideront dans ta mission. Aujourd'hui, Malmosfia est là avec les siens, demain, d'autres viendront t'aider.
Wafadar regarda le grand crammplacs. Ce fut comme si un dialogue s'engageait entre eux.

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