dimanche 5 juin 2016

Les mondes noirs : 49

Au petit matin Luzta était toujours vivante. Chimla avait réussi à lui faire boire quelques gorgées d’eau. Pourtant, elle n’avait pas repris conscience. Elle délirait disant parfois des mots sans suite. Luzmil avait mangé une partie des provisions qui restaient. Si Luzta se réveillait, demain, il lui faudrait chasser. Chimla et Salone étaient restés le ventre vide. Ils ne se plaignirent pas. Ils avaient encore le souvenir du serpent qu’ils avaient mangé.
   - Je vais repartir chercher Karabval. Je reviendrai ce soir voir comment va Luzta, déclara Luzmil.
Chimla lui jeta un regard fatigué :
   - Je vais faire comme Luzta et rester ici. Je ne peux plus marcher. Mes pieds sont en sang.
Salone prit la parole :
   - Je vais aller aussi à la chasse. Mais Karabval attendra que j’aie trouvé de l’eau et de la nourriture.
Les deux guerriers firent leurs préparatifs. Chimla se prépara un endroit pour s’allonger à son aise. Elle allait enfin pouvoir dormir sans être réveillé par ces hurlements nocturnes. L’amazone fut la première à descendre. Elle observait encore les environs quand Salone la rejoignit.
   - Ici le brouillard semble devenir brume, dit-il en contemplant le paysage.
   - Oui, c’est étrange. Il semble même que la brume soit moins dense encore. Je pars par là, lui dit Luzmil en désignant une direction.
   - Je t’accompagne, répondit Salone.
Ils partirent d’un pas rapide, presque courant.
Dans le riek, Chimla s’installa pour dormir. C’est la seule chose que son corps réclamait pour le moment. Elle se dit qu’elle aurait faim à son réveil. Ce fut sa dernière pensée consciente.
Les deux guerriers arrivèrent au premier rond de mousse. Luzmil l’examina. Il avait perdu sa fraîcheur pour prendre une teinte plus jaunâtre. Salone la regarda faire avec étonnement.
   - Qu’est-ce que c’est, demanda-t-il.
   - Je l’ignore, répondit Luzmil. Hier c’était d’un vert de printemps, aujourd’hui on dirait que c’est l’automne. Continuons.
Ils reprirent leur petit trot. Luzmil guida Salone jusqu’au rond suivant. La brume moins dense lui rendait l’orientation plus facile. Le rond suivant semblait plus frais, mais déjà passé.
   - La piste va par là, désigna Luzmil, hier, elle était plus fraîche.
Salone arriva le premier sur le rond suivant. Il se pencha sur la trace humaine en son centre :
   - On dirait que quelqu’un s’allonge là…
   - Oui, c’est ce que je crois. Comme nous n’avons vu personne d’autre, ça ne peut être que Karabval. Nous approchons…
Salone compta ses pas pour arriver au rond suivant. Il y en avait moins de mille. Alors qu’ils repartaient vers le quatrième, il fit un geste :
   - Regarde un arbre à eau ! Allons remplir nos gourdes.
Luzmil qui sentait battre sa gourde vide contre son flanc depuis le matin acquiesça. C'était un grand arbre. Salone arriva le premier. Il avait déjà sorti son couteau quand il marqua un temps d'arrêt. Luzmil le rejoignit. Il passait sa main sur l'arbre.
   - Regarde, quelqu'un a déjà ponctionné…
   - Karabval ?
   - Je ne vois pas qui d'autre…
Salone reprit son couteau et fit une entaille un peu plus bas. L'eau se mit à couler. Ils remplirent leurs gourdes en silence.
   - Il est là… pas loin… dit Salone en goûtant l’eau
   - Oui, répondit Luzmil. On va l’attraper, et tout va rentrer dans l’ordre.
   - Est-ce que ça sera aussi simple ?
Ils reprirent la chasse, arrivant rapidement à une nouvelle zone de mousse verte. De nouveau, ils se penchèrent sur la forme humaine dessinée dans le sol.
   - À quoi ça sert, demanda Salone?
   - C’est en rapport avec Karabval. La silhouette lui ressemble, en tout cas elle a la même taille, précisa Luzmil devant la moue de Salone.
Elle ramassa de la mousse qu’elle malaxa entre ses doigts.
   - Elle vient de pousser, elle est aussi tendre que sa couleur.
Salone fit de même. Il la renifla. L’odeur de frais lui sembla curieuse dans ce monde où tout pourrissait.
   - Il faudrait Chimla et son amulette pour l’atteindre au plus vite.
   - Elle n’est pas là, répliqua Luzmil sur un ton sec. La piste est bonne, il n’y a qu’à la suivre…
Joignant le geste à la parole, elle était repartie au petit trot. Salone lui emboîta le pas pour ne pas se laisser distancer. Ils trouvèrent un endroit où la mousse était encore plus fraîche. Luzmil montra avec fierté les traces de pas marquant sur le sol.
   - Il était ici ce matin… courons, on va le rattraper.
Les deux guerriers, l’arme à la main, se mirent au pas de course. Salone laissa Luzmil mener le train. Elle était plus en forme que lui et surtout meilleure pisteuse.
   - Là ! Un riek… Allons voir…
Luzmil avait parlé sans ralentir le rythme. Ils arrivèrent sous l’arbre rapidement. Immédiatement, elle alla vers le tronc pour voir si on avait taillé les épines. Elle se retourna déçue. Il n’avait pas été touché.
   - Il ne s’est pas arrêté, dit Salone, Ses traces continuent par là.
Il montrait une direction avec plus de brume. Luzmil fit une grimace.
   - Là-dedans, ça va être plus difficile de le voir.
   - Oui, mais il ne doit pas être en meilleure forme que nous. Il n’a pas de logistique.
   - Alors, courons…
Ils repartirent. La brume dans laquelle ils rentrèrent les obligea à marcher. La visibilité était réduite. Le sol était moins mou. Ils virent même quelques rochers ici ou là. La végétation changeait.
Brusquement Luzmil s’arrêta. Elle s’était figée. Salone fit de même. La proie devait être là. Il regarda et vit la forme non loin : KARABVAL !
Les deux guerriers se regardèrent. La forme ne bougeait pas. Karabval leur tournait le dos. Ils ne voyaient pas ce qu’il faisait. Par signe, ils se concertèrent pour l’attaque. Salone commença un mouvement tournant pour l’attaquer par le flanc droit. Luzmil lui laissa un peu de temps avant de se mettre elle-même en route. Pas après pas, sans bruit, elle progressa. Karabval ne bougeait pas et semblait même ignorer la menace qui pesait sur lui. Il était concentré par quelque chose qu’il tenait devant lui. L’épée dans la main droite et sa dague dans la gauche, Luzmil n’était plus qu’à dix pas… neuf… huit… sept. Le mieux serait de la clouer au sol avant de récupérer ce qu’il avait volé.
Elle l’entendait marmonner tout seul. Le peu qu’elle comprenait lui semblait sans suite. Il ne restait que quatre pas et Salone attaqua.
Il fit l’erreur de crier.
Vif comme un éclair, Karabval para le coup de sa dague, dégageant son épée, il roula sur le côté. Salone essaya de la clouer au sol mais ne parvint qu’à le blesser. Luzmil entra dans le combat. Elle fut gênée par Salone et ne put porter les coups qu’elle souhaitait. Karabval était un très bon guerrier. Ses coups allaient plus vite que les leurs. Ils se retrouvèrent sur la défensive. C’est lui qui, maintenant, malgré le sang qui coulait de son côté, dirigeait le combat. La suite stupéfia Luzmil. Quant à Salone, il ne la vit même pas. Karabval, de deux énergiques coups de plat de son épée, les assomma proprement. Le plus stupéfiant pour Luzmil fut de ne pas en mourir. Elle n’aurait jamais laissé vivre un ennemi. Quand elle revint à elle, Salone était toujours inconscient. Karabval avait fui sans les tuer, leur laissant leurs armes et leurs affaires. Elle se dit que, s’il était assez bête pour rater sa chance, ce ne serait pas son cas. Elle se releva et, bien qu’à moitié groggy, elle se remit en chasse.

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