dimanche 29 mai 2016

Les mondes noirs : 48

Elle n’était plus très loin du riek quand les hurlements reprirent. La nuit tombait. Ils lui semblèrent plus proches. Avant même d’entendre quelque chose, son instinct l’avait avertie. Le danger était proche. Elle dégaina ses armes et avança avec prudence. Elle renifla l’air chargé d’odeur de putréfaction à la recherche d’une flaveur inconnue. Elle sentit ce que charriait le vent. Une odeur musquée persistait sous la puanteur banale. Son esprit ne l’associa pas avec un animal ou une plante. Cela lui évoquait de plus vieux souvenirs.
“Impossible dans les mondes noirs”, pensa-t-elle. “Mon esprit me joue des tours!”
Entre deux hurlements, il lui sembla entendre comme des voix. Elle se figea, écoutant de tout son être. Le bruit était plus distinct quand les cris devenaient gargouillements. Des gens parlaient. Ennemis ou amis ? Elle s’avança sans bruit avec lenteur, attentive à tout. Cela venait du riek. Quand elle fut assez près, elle reconnut la voix. Chimla !
Rengainant son épée, elle se précipita vers le tronc.
Elle trouva Chimla près de Luzta. Elle lui tenait la tête et lui parlait doucement pour essayer de la faire boire. Salone était près des sacs et fouillait dedans.
Luzmil dégaina sa dague.
   - Attends, lui dit Chimla. Il ne vole rien, il cherche des herbes à fièvre.
   - Qu’il arrête !
Salone regarda Chimla qui lui fit un signe d’acquiescement. Il reposa doucement le sac sous le regard noir de Luzmil. Elle s’approcha des sacs et sortit d’une musette ce que voulait Chimla. Elle lui tendit en disant :
   - C’est ça que tu cherches.
   - Oui, on va les faire macérer dans de l’eau mais je crains que sans feu, ça manque d’efficacité.
Luzmil jeta un regard circulaire et demanda :
   - Où est Tordak ?
   - Tordak est mort, répondit Salone.
   - Comment ?
   - Il s’est fait piquer par une Assade. C’est ce que j’ai compris… On l’a vu… On l’a vu…
Chimla ne put poursuivre. Elle se dirigea vers le bord du trou qui permettait de monter et se mit à vomir. Luzmil regarda Salone d’un air étonné. Il semblait lui aussi mal à l’aise.
   - Et alors, interrogea Luzmil ?
D’une voix grave mais altérée, Salone se mit à parler sans regarder Luzmil.
   - On l’a vu mourir… C’était… c’était horrible. Il a pourri sur pied, si l’on peut dire. C’est arrivé peu après notre départ du matin… Il est tombé… Je crois que c’est là qu’il s’est blessé. On n’a pas vu de bête, on n’a rien vu… C’est en voyant la tache noire sur son doigt qu’il a parlé d’Assade. Il crevait de peur, rien qu’en disant ce nom…
Chimla était encore secouée de spasmes mais ne vomissait plus. Salone s’était arrêté quelques instants. Il respira bruyamment et reprit :
   - Quand il s’est amputé le doigt, comme lui j’ai cru que c’était fini, et puis à la pause, il a fallu couper plus haut… C’est toute la main qui était noire… Le soir au riek quand la nuit est tombée et que les hurlements ont commencé, lui aussi a commencé....
De nouveau Salone s’arrêta. Luzmil sentit qu’il avait la gorge serrée, comme si trop de choses lui passaient devant les yeux. Elle se dirigea vers le sac à dos de Luzta qui était toujours allongée inconsciente. Elle fouilla dedans et sortit une petite fiole en terre. Elle en fit sauter le bouchon et la tendit à Salone :
   - Bois, c’est fort mais ça remonte.
Salone la regarda d’un air étrange et but à même le goulot. Il s’étrangla à moitié et se mit à tousser.
   - C’est quoi ton truc ? C’est du feu !
   - Chez moi, on appelle cela du tarsla… Rien que des plantes qui ont macéré des jours et des jours… ça réveille un mort...
   - Tordak s'est mis geindre. Quand j'ai regardé sous les vêtements, toute l'épaule était noire. Heureusement pour lui, il a perdu connaissance très vite. Par la suite ça a commencé à couler… et à puer…
   - C'est comme s’il pourrissait sur pied...
Chimla, la voix rauque, venait de couper Salone.
   - On n'a pas pu… je n'ai pas pu supporter…  Quand le petit jour est arrivé, j’ai demandé à Salone de ne pas le laisser souffrir.
Ce dernier prit à nouveau une gorgée de tarsla… et reprit
   - Je me suis approché pour soulager ses souffrances… mais quand je l'ai touché…
Salone avala sa salive avant de continuer d'une voix étranglée :
   - C'est comme si j'avais touché un sac de viande pourrissante… Il ne bougeait plus, il ne respirait plus. Alors on a attrapé nos sacs et on a foutu le camp…
Chimla reprit la parole :
   - En chemin, on a croisé des scales… une meute. Ils couraient vers le riek qu’on venait de quitter. Nous, on a continué à suivre mon talisman. En arrivant ici, quand j’ai vu Luzta aussi mal, j’ai demandé à Salone de chercher des herbes à fièvre…
Luzmil ne put s’empêcher de penser à l’Assade qu’elle avait découpée.

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