mardi 24 mai 2016

Les mondes noirs : 47

Luzmil écoutait les hurlements. Elle s’en était rapprochée. Son instinct de chasseur lui disait qu’elle était sur la bonne voie. Cela la galvanisait. Luzta avait le corps épuisé d’avoir trop marché trop vite en portant trop lourd. Luzmil entendait son souffle bruyant alors qu’elle dormait. Si on pouvait appeler cela un sommeil. Luzta perdait conscience par moment et se réveillait brutalement quand les cris montaient dans les aigus. Luzmil pensa qu’elle n’avait pas fait assez attention à elle. Sans logistique, elle n’irait pas loin. Elle se sentait tiraillée entre son désir d’en finir au plus vite et son désir de prudence. Ils étaient partis nombreux et maintenant elles n’étaient plus que deux. Elle était persuadée que son savoir-faire, l’avait protégée de tous les méfaits de ces mondes noirs. Elle les dominait. Karabval ne pouvait être très loin et quel que soit le fauve qui hurlait comme cela, il ne se mettrait pas entre elle et sa proie. Elle se sentait prête à disputer son gibier avec un Gouam. Pourtant, Luzta était son point faible. Elle en avait conscience. Les provisions allaient s’épuiser. Les gourdes étaient presque vides. Dans un ou deux jours, il lui faudrait chasser et trouver de l’eau. Si elle avait bien vu quelques arbres à eau, elle se méfiait de toutes les plantes. Quant aux bêtes, elles étaient toutes dangereuses, de la plus petite à la plus grande. Sa dernière chasse n’avait fait que la conforter dans cette croyance. Si la viande de l’Assade était nourrissante, elle restait insuffisante pour leur permettre de durer très longtemps. Les scales empêchaient toutes provisions. Elle les avait entendus se disputer la viande de l’Assade, malgré les piquants et le venin. Étaient-ils immunisés contre ça ? Elle ne pourrait même pas en tuer un. Ils se déplaçaient toujours en meute. Elle n’aurait même pas le temps d’en dépecer un que les autres auraient attaqué sa carcasse, n’en laissant que des petits bouts d’os brisés. Les cris semblaient s’espacer. Lusmil décida que le mieux était de dormir.
A son réveil, Lusta dormait encore. Luzmil la regarda. Luzta transpirait malgré la fraîcheur. Luzmil fit la moue. Ce n’était pas bon signe. La fièvre dans les marais est rarement une bonne chose. Il était préférable de ne pas obliger Lusta à marcher et à se déplacer. Elle n’en aurait pas la force. Luzmil fit l”inventaire de leurs provisions. Elle pouvait prendre une des musettes et partir en reconnaissance autour du riek. Cela laisserait le temps à Luzta d’aller mieux. Luzmil prit avec elle une gourde qu’elle vida au cas où elle trouverait un arbre à eau. Il était impossible de dire combien de temps duraient les fièvres, ni même si Luzta survivrait. Il fallait faire de ce riek un camp de base et essayer de coincer Karabval à partir de là. Il ne devait pas être loin. C’est ce que lui disait son instinct. Elle disposa les affaires pour prévenir Luzta de ce qu’elle allait faire. Avant de descendre, elle regarda. Posés sur les aiguilles, les objets faisaient comme un rébus. Elle vérifia qu’il disait bien ce qu’elle voulait dire et descendit. Elle s’arrêta au bord du riek, là où le tapis d’aiguilles prenait fin. La brume était moins dense ce matin. Elle pouvait voir un peu plus loin. C’était la première fois, depuis qu’ils étaient entrés dans les mondes noirs, qu’elle voyait autant de paysage. Cela lui fit plaisir. La piste était pour elle, bien visible. Était-ce un oracle favorable ? Luzmil en douta. Pouvait-il y avoir quelque chose de favorable en ces lieux ? Elle se mit au petit trot. La gourde vide lui battait les flancs. Elle avait tout bu avant de partir et elle n’aurait rien d’autre avant de revenir. Sa musette était aussi légère. Luzmil avait pris la dernière galette, laissant les autres provisions dans le riek pour Luzta si elle se réveillait.
La pluie s’invita à la traque. Des grosses gouttes s’écrasèrent sur sa tête. Luzmil réajusta sa cape. Elle maugréa mais ne ralentit pas. Sa course maintenant faisait un bruit mouillé. Elle courait sur une sorte de mousse. C’est la première fois qu’elle voyait de la mousse aussi verte, un vert tendre comme elle n’en avait encore jamais vu dans ces mondes.
Elle s’arrêta.
Cela faisait comme un rond tranchant par sa couleur sur le paysage environnant. Elle remarqua une dépression au centre de cet espace. Elle sursauta. La forme était celle d’une homme allongé par terre, bras en croix. Elle examina l’anomalie sans en comprendre l’origine. Un bruit la fit se relever. Elle dégaina son épée. Une meute de scales se dirigeait vers elle. Ils étaient au moins une dizaine. Cela contraria Luzmil. Elle allait mourir là, bêtement, alors qu’elle approchait du but. De sa main gauche, elle dégagea sa dague. Elle vendrait chèrement sa peau. Bien campée sur ses deux jambes, elle était prête.
Les scales firent alors la seule chose à laquelle elle ne s’attendait pas. La meute se sépara en deux. Chaque partie fit le tour de la mousse vert tendre de son côté pour se rejoindre derrière. Luzmil les regarda s’éloigner toute surprise d’être encore en vie.
Pensive, elle rengaina dague et épée. La piste continuait bien droite. Elle la suivit. La fin de la journée approchait quand elle décida de retourner au riek. Elle avait rencontré un deuxième cercle de mousse vert tendre avec le même artefact en son centre, l’empreinte d’un homme allongé les bras en croix. Elle rentra au trot, espérant sans trop y croire que Luzta serait sur pied.

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