lundi 9 mai 2016

Les mondes noirs : 44

Tordak ne comprenait pas sur quoi se basait Luzmil. Il ne pouvait constater que sa réussite. Chimla confirmait tous ses choix. Il l’avait questionnée et avait eu pour toute réponse :
   - Mais tu ne sens pas… Là, regarde, on sent la force qui a laissé sa trace.
Avait-elle le pouvoir de sentir le butin que Karabval avait volé ? Tordak ne savait pas bien ce que Karabval avait dérobé. On lui avait parlé du cœur de l’Idole. La seule précision qu’il avait eue de la part de la dame du conseil lors du briefing, était de ne pas toucher ce qu’avait volé Karabval et de le ramener sans essayer de regarder ou de le sortir de son sac.
   - Garder toujours avec vous un sac… Grand comme ça, avait-elle ajouté en écartant un peu les mains pour en montrer la taille. Et mettez le cœur de l’Idole dedans. Rentrez victorieux et vous serez couvert de gloire et d’honneurs !
Ces dernières paroles avaient fait retentir des cris d'allégresse dans l’assemblée des mâles. 
Tordak y repensait en suivant l’amazone et sa servante. Où étaient-ils maintenant tous ces fiers guerriers ? Il préférait ne pas y penser. Luzmil semblait infatigable. Elle réduisait les pauses à leurs plus simples expressions. Son regard s’était rempli de reflets d’exaltation. Tout son être était tendu vers la chasse. Tordak pensa qu’il lui faudrait la tuer pour récupérer le butin. Salone devrait pouvoir l’aider et comme il n’était qu’un simple mâle, il ne poserait pas de problème. Restait Chimla. Même avec sa branche de riek, pourrait-elle s’occuper de Luzta ? Il ruminait ces pensées en suivant la servante de Luzmil, qui bien que pas très grande, était large d’épaules et semblait posséder une force peu commune.
C’est Salone qui le repéra le premier. L’arbre à eau était à la limite de la brume. Sa forme était heureusement bien reconnaissable. Salone qui souffrait de la soif, fut envahi de bonheur à l’idée de l’étancher. Il prévint Chimla et Tordak. Celui-ci se retourna pour regarder dans la direction indiquée. 
   - Luzmil ! Il y a un arbre à eau !
Sans se retourner, elle répondit :
   - On a de l’eau, vous nous rattraperez!
Et sans rien ajouter s’enfonça dans la brume. Tordak se posa un instant la question de poursuivre la traque ou d’aller chercher de l’eau. Sa gourde était plate. Sans en faire le plein, il ne tiendrait pas. Il haussa les épaules. Puis il fit signe à Chimla et à Salone. Ils allèrent vers l’arbre bouteille.
   - C’est très humide ici, fit remarquer Salone. Y aurait pas des nids de schka ?
   - T’as raison. Restons prudents.
Tordak se concentra sur ce qu’il foulait. Le sol était effectivement gorgé d’eau. Il ne remarqua rien de suspect, hormis quelques mouvements furtifs signalant la fuite de petits animaux. Arrivés près de l’arbre, ils en firent le tour pour l’examiner.
   - Et maintenant, comment fait-on demanda Chimla ?
   - Regarde, dit Tordak en s’approchant de l’arbre. Tu vois, le tronc est fait de feuilles qui s’imbriquent. L’eau est comme filtrée par en haut et elle s’accumule en bas.
Il avait préparé sa gourde et joignant le geste à la parole, il perça le bas du tronc. Un liquide un peu brun s’écoula. Il devint plus clair au fur et à mesure. Tordak mit sa gourde. Quand elle fut pleine, il laissa sa place à Chimla qui fit de même. Salone fut le dernier à pouvoir présenter sa gourde devant l’ouverture. L’arbre n’était pas bien gros. L’eau cessa de couler alors que sa gourde était encore à moitié vide. Il jura intérieurement, se promettant la prochaine fois de se servir avant les autres. Il avait compris comment faire. Il devait atteindre l’arbre avant les autres.
Le temps qu’il range sa provision d’eau, Chimla était déjà penchée à écouter son amulette. Sans elle, auraient-ils été capables de trouver un chemin ?
Salone fut rassuré quand ils retrouvèrent les traces des deux autres. Manifestement, elles marchaient tout droit. Ils eurent beau marcher vite, ils ne les rattrapaient pas. La lumière déclina sans qu’ils les revoient.
   - Il nous faut un riek, dit Salone.
   - La lumière baisse beaucoup, ajouta Chimla.
Tordak qui menait la marche, soupira.
   - Bien, on s’arrête dès qu’on en trouve un…
La nuit était presque tombée quand ils commencèrent à fouler des aiguilles de riek. Tous trois furent soulagés. Aucun d’eux n’avait envie de passer la nuit sans l’abri des épines. Des bruits étranges et inquiétants surgissaient non loin d’eux. C’est les armes à la main qu’ils se précipitèrent vers le tronc. Ils trouvèrent sans difficulté le passage pour monter. Tordak fut le dernier à escalader le tronc. Il fut déçu de ne trouver ni Luzmil, ni Luzta.
   - Elles n’ont quand même pas continué à marcher dans la nuit, fit remarquer Chimla.
   - Je ne pense pas, répondit Salone. Elles ont dû trouver un autre riek un peu plus loin.
   - On verra ça demain, ajouta Tordak qui émergeait entre les grosses branches. On a bien marché. On ferait bien de dormir.
Chimla en avait profité pour sortir sa gourde. La soif la tenaillait aussi. Elle but plus que de raison. Tordak lui fit remarquer. Elle râla pour la forme, tout en sachant qu’il disait la vérité. Les arbres à eau ne semblaient pas nombreux. Salone lui, buvait par petites gorgées en se rinçant bien la bouche. L’eau récupérée avait un goût de moisi et de bois, mais c’était de l’eau. Une fois sa gourde reposée, il s’allongea. Il était préférable pour lui de dormir. Il n’avait plus rien à manger.
Chimla et Tordak partagèrent quelques miettes de ce qui leur restait. Le silence fut bientôt total dans les branches du riek.
C’est alors qu’ils entendirent le cri. Quelqu’un hurlait dans la nuit. Quelqu’un hurlait sa douleur. Ils furent tous éveillés, les armes à la main. Quand le cri cessait quelques instants, c’était pour reprendre plus aigu, plus fort, impossible de dire si il venait d’un gosier d’homme ou de femme. Tous frissonnèrent. Ce cri réveillait leurs peurs et leurs angoisses.
La lumière du matin ne leur apporta pas le repos. Ils repartirent l’esprit lourd et le corps fatigué. Les cris avaient cessé. Ils repérèrent facilement les traces de  l’amazone et de sa servante. Elles correspondaient avec ce qu’indiquait l’amulette de Chimla. Salone suivait. Il traînait les pieds. Il essayait de rester vigilant. Parfois un bruit ou un mouvement le remettaient en alerte et le stimulaient. Cela lui permettait de se sentir mieux un peu de temps puis l’apathie revenait et la fatigue prenait le dessus. Il serrait les dents pour ne pas être le faible qui demande l’arrêt. Il espérait que Chimla le demanderait avant lui.
En milieu de matinée, ils atteignirent un autre riek. Les traces suivies y allaient. Luzmil et Luzta y avaient séjourné. C’est ce que déclara Tordak en redescendant. Il n’alla pas plus loin, Chimla dormait. Il fit signe à Salone :
   - On fait une pause, juste une petite pause.
En quelques instants, tous dormaient.

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