samedi 14 mai 2016

Les mondes noirs : 45

Luzmil marchait l’arme à la main. Elle n’avait que faire de ces traînards qui n’avaient même d’eau. Ils voulaient en trouver, grand bien leur fasse ! Elle serait celle qui capturerait le voleur et le gloire serait pour elle. La piste était assez claire à ses yeux. Dans ce monde où tout semblait prêt à pourrir, elle avait repéré une trace un peu plus verte, un peu moins sale. Elle y avait même vu quelques timides fleurs. Luzta avait du mal à suivre le rythme mais cinq pas derrière, elle serrait les dents. Elles firent une courte pause sous un premier riek où Karabval ne s’était pas arrêté. Un autre riek les accueillit quand la lumière fut très basse. Luzmil eut de la peine à voir les prises pour monter. Quand elles furent allongées sur le matelas des aiguilles, Luzmil dit :
   - Le mieux est de dormir. Demain, il faudra se rapprocher de lui. 
Luzta acquiesça, déjà partie dans un demi-sommeil. 
Leur repos fut de courte durée. Un cri les réveilla, ou plutôt un hurlement. Luzmil fut tout de suite debout l’arme à la main. Luzta émergea plus difficilement.
   - Qui peut crier comme ça, demanda-t-elle ?
   - Chut, lui fit Luzmil.
Elle pencha la tête sur le côté, ferma les yeux et, tournant sur elle-même, se laissa porter par le son. Luzta la regarda faire. Le cri lui glaçait le sang. Même Karvach, le bourreau de la reine, n’avait pas le pouvoir de provoquer de tels cris. Quand Luzmil ouvrit les yeux, elle regarda sa servante et dit :
   - On ne risque rien. Je ne suis même pas sûre que ce soit un cri humain. Maintenant, il faut dormir.
Luzta fut rapidement jalouse de Luzmil. Elle entendit rapidement le souffle régulier de sa maîtresse, alors qu’elle n’arrivait pas à dormir. Le cri lui résonnait dans les oreilles, lui tordant les boyaux. Elle en écoutait les variations. Le cri montait dans les aigus, s'interrompait quelques instants et reprenait de plus belle. Elle s’assoupissait un moment et reprenait conscience violemment quand le hurlement atteignait des sommets.
Une des fois, elle vit Luzmil attentive, l'épée et la dague nues. Elle écoutait. Luzta murmurait :
   - Qu’est-ce qui se passe ?
   - Chut !!!
L'amazone écoutait la tête baissée. Luzta n'entendait que le cri et s'interrogeait sur la conduite de sa maîtresse. Elle fut surprise par le mouvement brusque de Luzmil. Elle abattit son épée sur une des branches, provoquant un couinement suraigu qui s’acheva dans un gargouillis immonde.
   - Saloperie, éructa Luzmil, Il croyait passer sans que je l’entende…
Du bout de son épée, elle souleva la bestiole tout en griffes et en piquants.
   - ...touche pas, c’est venimeux de partout.
   - C’est quoi ?
   - Je pense que c’est une Assadde.
   - Une quoi ?
   - Une Assadde ! Ma mentor savait les préparer… Je verrai demain à la lumière si je peux le découper.
   - Mais ça va pas attirer les squales ?
   - Si, mais ils ne monteront pas dans le riek. Maintenant dors !
   - Le cri m’en empêche.
   - Ferme ton esprit à ce cri, ajouta Luzmil en se recouchant.
Quelques instants plus tard,  Luzta entendit de nouveau le souffle régulier de sa maîtresse. Elle soupira, mit tout ce qu’elle pouvait sur sa tête pour étouffer le bruit et tenta de sommeiller. En dessous d’elle, les premiers claquement de mâchoires se firent entendre.
Luzta se réveilla avec mal à la tête. La douleur était lancinante. Elle regarda Luzmil qui déjeunait mais refusa d’un geste sa proposition. La moindre bouchée l’aurait fait vomir. Elle prépara lentement les affaires pendant que Luzmil s’affairait sur l’Assadde. Avec mille précautions, elle la découpa et la dépeça sans jamais la toucher.
   - Tu vois, Luzta, tout l’art consiste à enlever la peau sans toucher un seul piquant. Ils contiennent assez de venin pour te tuer. Le moindre frôlement et tu es morte.
Luzta avait fini de ranger les sacs avant que Luzmil n’ait fini d’œuvrer. Elle s’assit, prenant ses genoux entre ses bras, elle posa sa tête et ferma les yeux. Elle dut s’assoupir car Luzmil la secoua :
   - T’en veux un peu ?
Luzta releva la tête pour se trouver devant un morceau de viande sanguinolent.
   - C’est pas mauvais, mais dur à mâcher...
Luzta regarda un instant la viande, puis Luzmil et fut prise d’une intense nausée. Mettant la main devant sa bouche, elle se détourna pour vomir faisant non de la tête.
   - Tant pis, répliqua Luzmil qui ingurgita le morceau sans autre forme de procès.
Puis elle ajouta :
   - En route, on a un fugitif à attraper.
Avant de descendre, elle alla le plus loin possible sur le tapis d’aiguilles au milieu des branches de riek. En dessous, les scales claquaient des mâchoires. Elle jeta les restes de l’Assadde aussi loin qu’elle le put. Les animaux qui se chamaillaient en bas suivirent la piste. Elle les entendit grogner. Comment pouvaient-ils manger cette peau infestée de poison ?
Elle revint vers Luzta qui, bien que pâle, s’était redressée. Elle lui fit un petit signe d’invitation à se mettre en marche. Luzta répondit en faisant oui de la tête. Luzmil descendit la première. L’épée à la main, elle regarda les scales qui finissaient de nettoyer le sol. Ils levèrent la tête, la regardèrent de leurs petits yeux jaunes et s’éloignèrent.
   - C’est bon, dit-elle à Luzta, tu peux passer les sacs.
Quand elles fure: nt chargées, Luzmil, s’orienta. Elle trouva la trace et se mit à la suivre. Au bout de quelques pas, elle regarda que Luzta suivait, dégaina son épée et reprit sa quête.
Luzta ne pensait pas. Elle marchait. Posant un pied devant l’autre, elle comptait ses pas, quatre par quatre. Elle savait que si elle arrêtait, elle ne repartirait pas. Son corps fatigué supportait difficilement la nuit blanche qu’il venait de passer. Le seul point favorable était la fin des cris. Le silence s’était installé quand elles s’étaient mises en marche.
Luzta levait la tête tout les dix répétitions de quatre pas. Elle vérifiait qu’elle suivait toujours Luzmil et qu’elle ne se laissait pas distancer. Elle avait remarqué les coups d’œil en coin que lui jetait sa maîtresse. Elle était bien la première à faire attention à elle. Tous ses autres maîtres l’avaient traitée comme la dernière des choses. Elle ne voulait pas la décevoir.
Dans cet état second, les deux femmes marchaient vite. Le fugitif n’avait qu’à bien se tenir. Il ne ferait sûrement pas le poids devant Luzmil. Leurs pensées étaient tellement tournées vers leur but qu’elles en avaient oublié ceux qui les suivaient.

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