mercredi 4 mai 2016

Les mondes noirs : 43

Tordak avait profité du repos de la fin de journée au pied du riek pour examiner les environs. Il allait et venait. Luzmil s’était jointe à lui avant que la lumière ne soit trop faible. Elle avait retrouvé des indices laissant penser que Karabval était passé par là.
  - Regarde, lui avait-elle dit.
Tordak avait beau tourner son regard dans la direction, il ne remarquait rien.
   - Que vois-tu ?
   - Il y a comme une trace là, une sorte de chemin. Rien de très net, pourtant j’ai l’impression que le sol est moins sombre par là. On verra demain. Ce soir, on ne peut pas s’y aventurer.
Tordak soupira.
   - Non, on ne se promène pas la nuit dans les mondes noirs.
Tordak avait un peu traîné encore dans le coin, essayant de comprendre ce que Luzmil avait vu. Pour lui le sol, les herbes, les bosquets, tout avait le même aspect, quelle que soit la direction. À quoi était-elle sensible ? Il rejoint le riek avant que la lumière ne manque. Les autres étaient déjà montés. La place y était comptée. L’arbre était encore jeune et n’avait pas pris l’ampleur qui leur aurait permis d’être, sinon à l’aise, tout du moins plus confortable. Salone et Luzta avaient élargi autant que possible l’espace en coupant les épines sur les branches inclinées. Ils avaient attaché les sacs. Luzta était même allée chercher des aiguilles au sol pour améliorer le couchage. Ils mangèrent en silence, chacun sortant ce qui lui restait. Salone secoua sa gourde et but les dernières gorgées. Tordak le regarda faire. Il sortit aussi sa provision d’eau. Même en se rationnant, il ne durerait pas longtemps.
   - Demain, il faudra aussi trouver de l’eau à boire. Certains arbres renferment un suc buvable.
   - Oui, ceux qui ont une forme renflée au pied. Je n’en ai pas encore vu, répondit Luzmil.
   - On ne tiendra pas plus de deux jours avec ce qu’il nous reste.
La nuit fut agitée. Des bruits de combat se firent entendre autour du riek. Puis se furent les scales qui les dérangèrent.
Au petit matin, Salone était déjà réveillé. Il avait faim, il avait soif. Il regarda avec envie les sacs de Luzta. Il bougea un peu, et calcula s’il pouvait atteindre celui qui contenait de l’eau. Lentement, il se dressa sur son coude. Son esprit se tendait vers le but, la gourde. Sous lui les aiguilles bruissaient à peine. Il commença un lent mouvement de rotation. Après le charivari de la nuit, les autres dormaient. Il était maintenant bien tourné. Il allait avancer le bras quand il vit les yeux de Luzmil à moitié ouverts. Il changea son mouvement en un petit salut tout en jurant intérieurement pour cet échec. Puis, il prit son sac. Il vit alors le mouvement de Luzmil pour reposer sa dague. Il jura une nouvelle fois intérieurement. Il avait toujours jugé les amazones inférieures aux mâles. Aujourd’hui, il se posait la question. Elle avait bien de la chance d’avoir encore sa servante et ses sacs. Puis il pensa que si elle n’avait pas aidé Luzta celle-ci aurait disparu comme avait disparu son propre serviteur. Cette pensée le perturba. Cela heurtait tout ce qu’on lui avait appris.
Il descendit du riek. Assis sur le tapis d'aiguilles à la limite de la protection des branches, il regarda autour. Il repéra rapidement le lieu du combat nocturne. Les herbes y étaient écrasées. Il s'approcha avec précaution pour examiner le sol. Les scales étaient passés par là. Il ne restait que quelques débris d'os. Il revint vers le riek. Il eut une impression de mouvement à la limite de son champ visuel. Il tourna vivement la tête vers la droite, repérant un mouvement dans l’herbe. Les autres entendirent son cri de victoire quand il planta son épée dans le corps du serpent. Il le ramena immédiatement sous le riek et le dépeça dans la foulée. Il jeta au loin les viscères et découpa la chair. Il avait à peine fini que des scales arrivaient. Ils n’étaient pas très nombreux. Pendant qu’il mangeait la viande crue, il les observa. Il était prêt à défendre sa nourriture, l’épée à la main. Les scales durent le comprendre. Ils n’approchèrent pas du riek. Derrière lui, Tordak descendait, les autres allaient suivre :
   - Ils n’approcheront pas, dit-il à Salone. Ils sentent ta détermination et vont voir que nous sommes plusieurs.
Salone se décontracta. Il planta son épée non loin et utilisa ses deux mains pour avaler le plus possible de nourriture avant le départ.
Ce fut au tour de Luzmil de descendre et de réceptionner les sacs que lui fit passer Luzta. Chimla arriva la dernière. Elle avait les yeux cernés et les traits tirés. Sa nuit ne l’avait pas reposée. Elle s’approcha du bord du tapis d’aiguilles. Luzmil scrutait déjà le terrain.
   - Le combat de cette nuit a effacé les marques, dit-elle sans regarder Chimla.
Cette dernière se pencha un peu en avant. Le sac contenant l’amulette se balança un peu au bout de son cordon.
   - Par là, dit Chimla en désignant un arbuste à la limite de la brume.
   - Ton amulette est puissante, fit remarquer Luzmil. Elle est de ton clan ?
   - Oui, elle est de mon clan.
Elle n’ajouta rien et se mit en marche derrière Tordak. Autour du riek, les herbes avaient été écrasées par les combattants de la nuit, leur facilitant la marche. Arrivés près de l’arbuste, le sol changea. Il devint, encore une fois, spongieux et humide. De nouveau Chimla s’était arrêtée pour laisser son amulette montrer la route. Luzmil regarda le terrain devant elle. Avant que Chimla ne parle, elle avait désigné une direction.
   - Il est passé par là, affirma-t-elle !
Derrière elle, Chimla confirma.
   - Oui, l’amulette dit pareil !
Avant que Tordak ne se soit remis en route, Luzmil était repartie, Luzta cinq pas derrière elle.
   - Elle a l’air bien pressée, l’amazone, fit remarquer Salone !
   - Elle est en chasse, lui répondit Tordak. Elle a trouvé la piste.
   - Alors ne traînons pas, dit Salone, si nous voulons participer à la capture.

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