samedi 2 juillet 2016

Les mondes noirs : 54

Chimla regardait Luzta. Les guerriers étaient. partis. La survie de la servante était loin d'être assurée. Chimla prépara les herbes à fièvre. Elle en fit boire à Luzta. Puis elle s'installa pour l'attente. Elle se doutait bien que les guerriers ne seraient pas de retour avant la nuit. Elle se reposa un moment, mieux, elle dormit. À son réveil, Luzta grelottait et délirait. Elle lui fit boire une nouvelle dose d'herbes à fièvre. En attendant l’action des herbes, elle fit l'inventaire des sacs. Elle admira tout ce qu'avaient pu préserver les deux femmes. Luzta était une femme organisée. Tout était bien agencé, bien rangé. Luzmil ne connaissait pas sa chance. Il y avait même des vêtements de rechange… 
En déplaçant une tunique, elle découvrit une petite figurine de chiffon. L'émotion envahit le coeur de Chimla. Elle ne s'attendait pas à trouver un tel trésor. Chimla reconnaissait sans difficulté ce trésor de petite fille. Luzta était si sûre de ne pas revenir qu'elle avait pris son bien le plus précieux, la figurine de son enfance. Chimla devint nostalgique en évoquant la sienne. Elle l'avait perdue depuis longtemps. Les nécessités de la course au pouvoir lui avaient fait se débarrasser de toutes ces choses qui pourraient devenir une arme contre elle. En réfléchissant à leur situation d'aujourd'hui, Chimla pensa que Luzta avait eu raison. Elle avait dû y trouver du réconfort. Chimla prit la figurine de chiffon contre elle. Elle pencha la tête pour lui embrasser le bonnet comme elle faisait quand elle était petite fille. Elle retrouva les mêmes sensations quand enfant elle jouait avec la sienne. Des larmes perlèrent à ses yeux. Chimla ne se laissa pas aller. Elle n'avait rien à retirer de bien d'une faiblesse dans les mondes noirs. Elle reposa la figurine de chiffon qu'elle avait serrée sur son cœur au point de marquer sa peau avec l'amulette du clan bleu.
Elle se concentra sur l'état de Luzta ne s'améliorant pas malgré les infusions. Dans le royaume, on l'aurait amenée à la dame du clan pour qu'elle utilise l’amulette clanique pour la soigner. Mais ici…
Chimla pensa qu'elle ne pouvait rien faire. Elle n'allait pas se séparer de son amulette pour la passer autour du cou de Luzta. Elle prit la figurine de chiffon et la posa sur le cou de Luzta. Ensuite, elle installa la malade du mieux qu'elle put. Autant qu'elle passe les derniers moments de sa vie, le plus calmement possible. Comme la figurine tombait, Chimla prit la main droite de Luzta pour la poser sur le jouet tout en lui murmurant tout bas des mots pour la calmer. Elle vit la main de Luzta se contracter sur la figurine.
   - Bien, dit-elle, au moins avec ça tu seras calme.
Un bruit la mit en alerte. Chimla bondit sur la dague et sur son bâton de riek. Elle se posta au-dessus de la voie d'accès, prête à abattre quiconque voudrait entrer. Un long moment passa et sa patience fut récompensée. Un curieux petit animal avec de longues pattes griffues escaladait le tronc du riek. Elle entendit son reniflement. Il avançait avec prudence. Chimla était immobile comme une statue. Elle attendait. Si elle réussissait, elle aurait son dîner tout chaud. L'animal renifleur arriva à la hauteur de Chimla. Il marqua un long temps d'arrêt. Ses reniflements redoublés étaient le signe de sa perplexité. Chimla vit d'abord monter une patte avant que ne se montre le reste. En le voyant en entier, elle pensa à un échassier à quatre pattes. Elle ne s'interrogea pas plus. Elle planta la dague à travers le corps de la bête, la fixant sur le tronc du riek et l’acheva d'un grand coup de bâton. Les épines lui ouvrirent le crâne. L'animal émit un dernier couinement et ne bougea plus.
Chimla poussa un cri de joie. De la viande fraîche !...
Prudente, elle examina sa prise sous toutes les coutures. Elle voulait être sûre qu'il n'ait pas des piquants venimeux, ou des griffes empoisonnées, ou des dents à vous faire pourrir vivant ou autre chose. Elle attrapa le solide couteau de Luzta et trancha le bout des pattes et la tête. N'ayant vu qu'une peau nue ailleurs, elle détacha la bestiole pour l’étaler sur les aiguilles. Elle la dépeça proprement, mangeant au fur et à mesure les muscles de la bête. Quand son estomac fut plein, Chimla rôta de satisfaction. Avec ce qui restait de viande, elle se dit qu'elle allait revigorer Luzta. Méfiante, avant de faire cela, elle expédia les viscères de la bête à l'extérieur du riek, persuadée qu'elle allait bientôt entendre les scales se battre.
Elle s'approcha de sa compagne de riek. Elle avait toujours la main droite crispée sur sa figurine de chiffon, pressée sur son coeur. Elle semblait moins bouillante et surtout ne délirait plus. Chimla se dit qu'elle verrait peut-être le soir.
En attendant de voir ce qui lui adviendrait, Chimla s'occupa de la viande qui restait. Elle prépara une des branches du riek en lui ôtant toutes ses épines. Quand elle eut une surface suffisante, elle posa une peau sur le bois, puis un tissu. Enfin elle y posa la viande qu'elle emballa dans le tissu. Une fois terminée sa préparation, elle s'installa confortablement et, de toute sa force, avec ses poings, elle écrasa la viande pour lui faire rendre son jus. Tout en travaillant, elle calculait. Si Luzta mourait, ce qui restait probable, jamais Luzmil ne pourrait tout prendre. En s'occupant de Luzta, Chimla gagnait le droit de prendre ce que Luzmil laisserait. Si Luzta survivait, et encore plus, si elle guérissait, elle serait l'obligée de Chimla, ce qui était une position encore plus favorable.
Alors qu'elle finissait de marteler la viande, elle entendit les claquements de mâchoires des scales. Elle trouva que dans ces mondes noirs, ils étaient quelque chose de prévisible...
Elle contempla avec satisfaction le gobelet de jus qu'elle avait obtenue en essorant le tissu dans lequel elle avait martelé la viande. Ça lui avait pris du temps mais ça en valait la peine. Munie du gobelet de jus de viande, elle s'approcha de Luzta. Chimla fut étonnée de sentir sa peau plus fraîche et son corps moins couvert de sueurs. Elle souleva la tête de Luzta, qui ouvrit les yeux, sans lâcher sa figurine de chiffon.
  
- Tiens, bois ! Ça va te revigorer. On fait ça dans le clan bleu pour soigner les malades..
Luzta lui adressa un pâle sourire et se mit en devoir de boire. Elle fit la grimace. Chimla lui donnait raison. La viande de cet animal n'était pas de bonne qualité. Pourtant, elle la houspilla pour qu'elle avale tout. Ce fut un gros effort pour Luzta. La tête à peine reposée, elle s’endormit.
Chimla pensa qu'elle n'avait rien de mieux à faire. Elle piéga l'accès au riek. Elle ne voulait pas se faire surprendre par une bestiole. À peine allongée, elle s'endormit.

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