dimanche 17 juillet 2016

Les mondes noirs : 56

Ce fut Salone qui donna l’alerte. Luzmil vomissait. Arrivée la dernière, elle était près de l’accès. Elle était penchée au-dessus, secouée de violents spasmes. Elle n’avait manifestement plus rien à vomir. Luzta s’approcha d’elle en enjambant Chimla. La nuit était encore très sombre.
   - Les insectes ? demanda-t-elle.
Luzmil tourna vers elle un visage blafard, avant de se pencher au-dessus de l’ouverture pour une nouvelle série de spasmes. Luzta se tourna vers Chimla :
   - Je n’ai rien pour la soigner. Tu as le pouvoir, puisque tu m’as sauvée.
Chimla eut un regard étonné. L’amulette avait du pouvoir mais pas elle.
   - Mais si, insista Luzta. Ma figurine n’avait aucun pouvoir. Je ne sais pas ce que tu lui as fait. Elle m’a guérie.
Chimla ne comprenait pas :
   - Je n’ai rien fait de particulier. Je croyais que tu allais mourir alors je l’ai mise sur ton cœur pour t’apaiser.
   - Oui, mais ça m’a guérie. Il faut faire pareil pour Luzmil. Sans elle, nous ne survivrons pas.
   - Mais je n’ai rien fait, répliqua Chimla avec véhémence.
Salone intervint :
   - Comment as-tu trouvé cette figurine ?
Chimla devint pensive. Elle rappelait ses souvenirs. Elle avait fouillé les affaires, puis elle avait trouvé la figurine et l’avait donnée à… Non, avant elle l’avait serrée contre elle. La puissance de l’amulette pouvait-elle se transmettre simplement comme cela ?
Se tournant vers Luzmil, elle lui dit :
   - Donne-moi ce à quoi tu tiens le plus.
Luzmil qui commençait un geste, s’interrompit pour une nouvelle salve de spasmes. Entre deux efforts, elle murmura :
   - Mon petit couteau.
Luzta se précipita pour le récupérer. Elle avait toujours vu Luzmil s’en servir. Elle avait affûté la lame si souvent qu’elle en était usée. Luzta le passa à Chimla :
   - Fais vite. 
Chimla serra le couteau contre son amulette, en espérant que cela suffirait. Elle pensa qu’elle ne savait rien de la vraie puissance de ce qu’elle portait autour du cou. Et si cela avait affaire avec la Sanmaya ? Elle n’avait même pas été initiée aux rudiments de cette magie. La Sanmaya pouvait-elle avoir un côté lumineux ? Elle n’en avait jamais entendu parler. Elle savait juste que c’était une magie de puissance pour prendre pouvoir sur les autres. Elle avait un coût. Plus on montait de degré d’initiation et plus on était seul. Après avoir traversé les mondes noirs, elle ne savait plus si elle souhaitait le pouvoir. Avant, tant qu’elle avait été une fidèle collaboratrice de Dame Longpeng, le pouvoir la séduisait. Après avoir vécu ce qu’elle avait vécu ici, elle aspirait à une vie simple et surtout sans danger. 
Salone l’arracha à ses réflexions :
   - Passe !
Chimla lui tendit le couteau. Il eut juste le temps de le donner avant une nouvelle crise. Luzmil n’eut pas le temps de le remettre dans sa poche, elle le tenait encore en main quand elle se pencha pour tenter de vomir à nouveau. Le deux mains fermées sur son couteau, elle prit appui sur le rebord de la branche, maudissant son envie de manger qui l’avait conduit là. Penchée en avant, elle attendait le spasme qui ne vint pas. La nausée l’envahissait toujours mais lui revint en mémoire le jour où elle avait reçu son premier couteau, celui précisément qu’elle serrait dans ses mains. Elle se souvint de sa joie. Ce couteau était le signe qu’elle ne serait jamais servante et qu’elle allait devenir une amazone. Elle était une des rares de son âge à en rêver. Les autres n’enviaient pas le sort des apprenties amazones. La discipline était de fer et le rythme de fou. Tout le monde parlait des blessés et des morts qui survenaient régulièrement, les uns pour blâmer la maîtresse des amazones, les autres pour la justifier. Celles qui accédaient au rang d’amazone étaient des guerrières d’élite. C’était le rêve de Luzmil. Très tôt, elle avait su qu’on observait les enfants pour les classer dans différentes catégories. Les matrones qui s’occupaient des enfants les jaugeaient régulièrement. Elle avait toujours été une petite fille bagarreuse. Mais ça ne suffisait pas. Sa dureté naturelle l’avait beaucoup servie. Elle ne pleurait pas, ne se plaignait pas et réglait ses histoires sans en appeler aux adultes même avec les plus grandes. Rêvant de combats et de batailles, elle passait son peu de temps libre à observer l'entraînement des amazones. Elle avait ainsi acquis le respect de tout le groupe des enfants quand elle avait mis hors de combat un grand, déjà désigné pour être un mâle du clan. Elle avait bien vu la maîtresse des amazones montrer les points faibles. Et quand le grand était venu l’embêter, tout en arrogance tellement il était sûr de sa force, elle avait fait ce qu’elle avait vu faire. Le garçon s’était effondré, le souffle coupé. Tout à sa colère, Luzmil avait continué à frapper. Une matrone, alertée par les cris, était arrivée et l’avait ceinturée. À la saison suivante, elle recevait le couteau signe de son destin. Elle l’avait toujours chéri. Elle le tenait constamment affûté et prêt à sortir. Même plus tard, quand elle avait eu accès à de vraies armes, elle avait toujours gardé ce petit coutelas dans sa ceinture. Il était devenu son grigri personnel. C’est avec lui qu’elle avait traversé toutes les épreuves. Elle lui devait sa survie. Larguée sans arme, ni provisions sur le terrain de chasse des mâles d’un clan autre, elle avait eu la chance de découvrir que l’amazone, qui l’avait fouillée pour lui ôter toutes ses armes, n’avait pas trouvé son couteau fétiche. Elle avait été la première à rentrer. Non seulement elle avait survécu mais elle avait chassé les chasseurs. Elle avait décimé le groupe de mâles qui l’avait pris en chasse. Le regard des autres amazones du clan sur elle avait changé. Elle était devenue une héroïne, un modèle à suivre.
Les images de ses souvenirs défilaient dans sa tête. Puis la voix de Luzta la ramena dans le moment présent :
   - Ça va ? Oh ! Ça va ?... lui demanda-t-elle en la secouant.
Luzmil n’avait pas envie de bouger. Elle était bien malgré l’inconfort de la position allongée sur le ventre les deux mains contre sa poitrine.
Luzta s’adressa aux autres :
   - Elle ne bouge plus !
   - Elle respire, déclara Chimla. Je crois que le pire est passé.

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