vendredi 8 juillet 2016

Les mondes noirs : 55

Luzmil ouvrait la marche. Quand elle arriva au riek, à la nuit tombante, son humeur ne s'était pas arrangée. Elle allait monter dans l'arbre quand elle s'arrêta. Salone, qui était juste derrière elle, faillit lui rentrer dedans.
   - Qu’est-ce qui se passe, demanda Salone ?
   - Quelque chose ne va pas.
   - Qu'est-ce qui ne va pas ?
   - Je sens le danger.
Luzmil fit le tour de l'arbre, cherchant ce qui n'allait pas. Elle ne trouva rien. Elle commença à escalader le tronc. Elle s'arrêta à mi-hauteur, examinant chaque détail.
   - Quelqu'un a piégé l'entrée…
   - Chimla ?
   - Sûrement ! Reste à désamorcer ça…
Luzmil remonta dans l'arbre en appelant Chimla. Personne ne répondit. Salone, à son tour, donna de la voix, sans plus d'effet. Regardant Luzmil, il demanda :
   - Tu crois qu'elle est partie ?
   - Je l'ignore, comme j'ignore ce qu'est devenue Luzta. Si elle a piégé le riek, c'est qu'il reste quelque chose là-haut.
Luzmil, la dague à la main, agita le bras en tous sens. Elle sentit une légère résistance. Elle abaissa immédiatement le bras, mais pas assez vite. Sa dague lui fut arrachée de la main par un morceau de bois qui alla s'écraser sur les épines. Le temps qu'elle récupère son arme, elle entendit des bruits dans le riek. Très vite, elle aperçut la tête de Chimla qui entreprit de dégager le passage. Quand ils furent montés, Luzmil, examina le mécanisme du piège. Elle regarda Chimla d'un autre œil. Elle n'aurait jamais pensé qu'une servante pouvait connaître de tel stratagème.
Luzmil, tout en réfléchissant aux implications de ce qu'elle venait de découvrir, s'approcha de Luzta. Cette dernière dormait paisiblement, couchée en chien de fusil sur le côté, tenant contre son coeur, un jouet d'enfant. Luzmil en fut étonnée. Elle s'attendait à retrouver sa servante agonisante. Elle en fut heureuse. Pendant un instant, elle ne pensa plus à l’échec de sa traque. Sa compagne allait mieux. Elle se tourna vers Chimla :
   - Crois-tu qu’elle pourra marcher demain ? Karabval n’est pas loin.
   - Entre les boissons d’herbes à fièvre, le jus de la bête que j’ai tuée et le repos, elle est mieux. Si elle se réveille, alors…
   - Tu as mangé, interrogea Salone ?
   - Oui, répondit Chimla, j’ai tué une drôle de bête renifleuse qui montait dans le riek. J’ai jeté la tête et les pattes aux scales et j’ai mangé tout ce que je pouvais. Avec le reste, j’ai fait un jus pour Luzta.
   - Il ne reste rien ?
   - Si, dans le linge, là, tu trouveras ce qu’il reste.
Salone se précipita sur la viande. Elle était encore assez fraîche pour être mangée. Même pressée par Chimla, la viande qu’il mangeait lui semblait bonne. Luzmil se contenta de grignoter quelques noix qui restaient dans le paquetage. Heureusement, ils avaient rempli leur gourde pendant le retour.

Le lendemain matin, Luzta se sentait mieux. Elle était assise quand les autres se réveillèrent. Elle tenait toujours sa figurine de chiffon serrée contre elle. Luzmil la regarda :
   - Tu peux marcher, demanda-t-elle ?
Luzta répondit en faisant oui de la tête.
   - Bien, répliqua Luzmil, alors nous allons partir.
Luzta glissa la figurine dans son vêtement contre sa poitrine. Cela étonna Luzmil. Elle allait lui en faire la remarque quand elle vit que Luzta commençait à préparer les sacs. Elle se retourna alors vers les deux autres qui se réveillaient à peine.
   - Luzta peut marcher ! Il faut rattraper Karabval !
On lisait une telle détermination dans son regard que ni Chimla ni Salone ne firent de remarque. Ils rassemblèrent leurs affaires et bientôt, ils furent tous au pied du riek. 
Ils s’étaient répartis les sacs, tellement il était évident que Luzta ne pourrait pas tout porter. Chimla donna une direction et ils se mirent en marche. Le brouillard était dense et chaud. La luminosité était forte preuve que le soleil brillait au-dessus d’eux. Malgré son impatience, Luzmil fermait la marche. Elle craignait trop un égarement. Très vite, la transpiration les détrempa. Ce fut une marche pénible et fatigante.
Très vite Luzmil déchanta. Luzta ne suivait pas le rythme. Ils devaient faire des pauses plus souvent qu’elle ne le souhaitait. Luzmil brûlait du désir de laisser ses compagnons pour courir sus à Karabval, mais la piste était devenue trop froide. Ils avaient commencé à la suivre. Chimla s’en était écartée après un cercle de mousse. Luzmil, qui l’avait vu vert tendre, fut étonnée de voir comme déjà tout pourrissait. Elle avait interrogé Chimla sur son choix.
   - On ne suit pas les traces ! Es-tu sûre ?
   - C’est ce que dit mon amulette, avait répondu l’intéressée. Je serai incapable de le pister. Je dois faire confiance.
Salone avait renchéri en rappelant que l’amulette du clan bleu, en plus de protéger et de soigner, semblait être attirée par l’homonculus. Il pensait même que toutes les amulettes réagissaient de même mais avec moins d’intensité. Luzmil avait sorti la sienne pour tenter l’expérience, sans rien ressentir.
   - Ton amulette n’est pas une amulette de clan ! Elle est loin d’en avoir la puissance ! avait déclaré Salone.
Luzmil n’avait pas été convaincue. Faire le choix de les quitter pour continuer seule était suicidaire. Elle le savait. Elle en avait cependant très envie. Elle passa sa journée à remâcher sa rancoeur de marcher quasiment à l’aveugle.
Quand ils s’arrêtèrent pour la nuit, ils n’avaient pas fait la moitié de ce qu’elle pensait nécessaire pour rattraper le fugitif. Elle était furieuse. Devant les traits tirés de Luzta, elle se contint et déclara qu’elle allait chasser. Chimla commença à préparer le riek pour la nuit. Luzmil ne l’entendit pas, elle était déjà loin.
C’était un petit arbre. Ils durent se serrer pour tenir sur l’encorbellement des branches. Luzmil n’arriva qu’aux dernières lueurs du jour. Les autres sentirent sa colère. Elle jurait contre le sort issu des mondes noirs. Elle n’avait pas vu une seule proie digne de ce nom. Elle avait cependant ramassé des insectes sur son passage. Ils étaient meilleurs cuits. Ce soir, elle les mangerait crus.  

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