Lyanne contempla la scène un instant. Les deux esprits chasseurs commençaient à frémir ce qui faisait trembler Quoiveudire. Il le regarda. Une idée venait de germer dans son esprit. Il vint au contact de son compagnon. Utilisant la magie propre aux rois-dragons, il le fit chanter. Ce fut une cacophonie joyeuse. Lyanne y mêla sa propre voix, implantant en Quoiveudire une mélodie envoûtante et étrange.
Puis il rompit le contact.
Quoiveudire rechigna lorsqu’il se retrouva seul.
- J’ai jamais rien entendu de pareil !
- Va ! Maintenant tu es à l’abri des esprits même les plus forts.
- Mais pas de toi.
- Je veux ton bien, retiens cela. Je suis différent de ces esprits.
- Tu n’es pas un esprit, tu es… tu es… autre.
- Tu l’as dit, je suis autre.
Des pensées de mort vinrent les frapper. Les esprits chasseurs venaient de se remettre en chasse et les deux se dirigèrent vers eux.
Quoiveudire hurla quand l’esprit chasseur planta ses griffes, introduisant ses pensées dans celles de sa proie à la recherche du nom.
Lyanne fit face à l’autre qui, plus prudent, faisait le tour de son repas avant de l’engloutir.
- Chante, dit Lyanne à Quoiveudire.
- Je chante quoi, répondit ce dernier dans un gargouillis
- T’VAS CHANTER TON NOM, hurla l’esprit-chasseur.
À la première note, Lyanne sentit son sentiment de victoire. À la deuxième mesure, on ne sentait plus que de la perplexité. La peur n’arriva qu’à la dixième. Son absorption n’attendit pas la fin du chant.
Lyanne n’en fut pas témoin, il était lui-même en prise avec l’autre esprit-chasseur dont la tactique était faite de courtes attaques suivies de replis tout aussi prompts. Lyanne n’était jamais en position pour lui lancer un souffle glacé qui l’aurait immobilisé. Il laissait passer une autre attaque et à la suivante, il changea de plan, se glissant entre les mondes pour revenir derrière son ennemi trop étonné par ce qui venait d’arriver. L’esprit-chasseur se retourna trop tard. Avant qu’il n’ait terminé son mouvement, il était devenu incapable de mouvoir ses pensées prises dans un froid inextinguible. Lyanne laissa Quoiveudire absorber ce dernier ennemi et grandir encore.
- Tu pourrais être le maître ici, lui dit Quoiveudire.
- Je pourrais, mais ma place est ailleurs. Je viens remettre les choses à leur place. Quelqu’un a ouvert une brèche qui doit être refermée.
Devant eux, l’ombre de la colonne du grand esprit était secouée de lumière et de spasmes d’où émanait une jouissance malsaine.
- Tu es un esprit simple, dit Lyanne à Quoiveudire. Malgré ce que tu viens de faire, tu cherches un endroit où tes pensées pourront couler comme une source claire. Il existe des lieux comme cela dans ce monde qui est tien. Tu peux en être l’instigateur si tu absorbes le grand esprit.
Lyanne ressentit physiquement la peur panique de Quoiveudire.
- Je sens ta crainte, mais tu as le chant. Ce chant chante un nom que nul ne peut trouver. Ce nom est le tien quand le Dieu Dragon t’a nommé avant que ne commence le temps.
- Mais alors t’as qu’à faire pareil avec le grand esprit….
Lyanne se mit à rire.
- Il s’y opposera de toutes ses forces. Savoir ton nom me donne le pouvoir sur toi.
- Je suis ton serviteur et tu ne me contrains pas...
- Tu es dans l’erreur. Je sais ton nom et tu es libre, car je suis libre. Le grand esprit n’est pas libre, il est enchaîné à ses noires pensées.
Lyanne sentit les pensées de Quoiveudire bouger à toute vitesse. Maintenant qu’il avait la force de six esprits-chasseurs, sa pensée évoquait une épée bien affûtée.
- Tu dis que je suis libre, même par rapport à toi.
- Tu l’es !
De nouveau, il y eut un maelström de pensées dans la personnalité de Quoiveudire.
- Non, je ne le suis pas tant qu’existe un grand esprit comme celui-ci prêt à dévorer tous et toutes pour se nourrir de leur puissance.
- Tu es libre, tu es plus puissant dans ta faiblesse que lui dans sa force. Tu es vie, il est mort.
Après un autre moment d’intense réflexion, Quoiveudire se tourna vers la colonne aux pensées suintantes :
- Alors allons voir si tu as raison, toi qui es hors les mondes.
Il n’avait pas fini de penser cela qu’ils subirent une attaque mentale venu du grand esprit. Ce fut comme un tsunami de peurs qui vint se briser sur les murs de leurs esprits.
Mais les murs tinrent bon. Tout cessa rapidement quand l’ennemi prit conscience du manque d’efficacité.
Lyanne se mit à courir vers la base de la colonne, suivi par Quoiveudire.
- Il utilise sa peur, viens, nous sommes les plus forts.
Ils couraient encore quand, par une brusque expansion, ils furent heurtés par la colonne qui les absorba.
Lyanne se sentit flotter. Autour de lui la puanteur était pire que celle des égouts. Un peu plus loin, il devinait la forme de Quoiveudire. Bientôt, il ressentit une pression intense sur son esprit. C’était comme une vrille tentant de s’immiscer dans les tréfonds de son être. Il entendit le hurlement de Quoiveudire qui devait vivre la même chose. Lyanne se décala un peu du monde des esprits. Les outils purement spirituels du grand esprit se heurtèrent à la matière. Et Lyanne se mit à chanter le chant des rois-dragons dans sa tête. Il devint comme un saphir brillant de mille feux dans une gangue de pourriture. Il se mit en phase avec les accroches mentales qu’il avait mises en Quoiveudire. Il partagea le ressenti de ce dernier. Lyanne laissa se développer le désir du chant malgré la douleur de la vrille qui forçait barrage après barrage cherchant le nom. Quoiveudire entra en vibration devenant les notes, les accords et toute la mélodie.
Autour d’eux, les ondes de pensées affreuses aux couleurs à vomir, se mirent à vibrer sur le son du chant qu’était devenu Quoiveudire. La vrille elle-même, qui cherchait la faille, se mit à l’unisson du son qui la pénétrait de partout. Lyanne laissa Quoiveudire. Il chercha la vrille qui avait échoué contre lui. Il trouva la sonde de pensées agitée du même mouvement que le reste. Il envoya alors lui-même une pensée sonder le grand esprit. Il nota les subtiles variations que connaissait la mélodie en traversant les pensées du grand esprit. Ses babines se retroussèrent en ce rictus qu’était le sourire des dragons… Il n’avait plus qu’à reconstruire le schéma de la perturbation pour arriver au nom même du grand esprit. C’est alors qu’arrivèrent par vagues déferlantes les ondes de jouissante douleur et la chaleur d’un souffle qu’il reconnut pour être celui d’un dragon. Moayanne ! Ce ne pouvait être qu’elle qui en était à l’origine. Lyanne au fur et à mesure qu’il décryptait les variations, comprenait comment fonctionnait l’esprit qui avait absorbé Cappochi. Il vit avant que cela n’arrive les connexions que le grand esprit fit avec la puissance du Frémiladur et les ondes de puissance qui se dirigèrent vers le lieu du combat dans l’autre monde… celui des hommes.
Il ressentit l’urgence de trouver le nom, et la joie de le faire. Il rugit au moment où il put se dire le nom de l’adversaire.
Quand se promènent les mots, des histoires prennent corps. Que ce lieu leur serve de repos.
samedi 28 février 2015
samedi 21 février 2015
Moayanne avait bien du mal. Elle fuyait devant Cappochi. Elle avait essayé ses griffes sans autre résultat que de s’être fait jeter au loin. Elle avait tenté différentes attaques, mais ressentait, à chaque fois qu’elle échouait, un certain plaisir chez son adversaire. Plus le combat durait et plus elle avait l’impression que Cappochi jouait avec elle. La peur commençait à s’insinuer dans son esprit, entretenue par les paroles de celui qu’elle combattait de toutes ses forces.
Alors qu’une nouvelle fois, il l’avait jetée à terre, elle cracha son premier feu. Cappochi encaissa le choc de la flamme en reculant pour la première fois. Son corps fut auréolé de flammes jaunes et rouges, qui bientôt s'éteignirent :
- Ah ! Ah ! Ah ! Tu es un de ces cracheurs de feu de légendes. Ma puissance n’en sera que plus forte quand tu seras à me demander pitié.
Cappochi ramassa une pierre qu’il lança sur Moayanne. Celle-ci replia ses ailes et roula sur le côté pour l’éviter. Le rocher fit comme elle et entraîna d’autres roches. Moayanne roulait de plus en plus vite, heurtant le sol parfois violemment, suivie par des tonnes de roches enveloppées d’un nuage de poussières. Le bruit était terrible mais couvert par les hurlements de rire de Cappochi. Moayanne freinait sa chute en accrochant ses griffes, tout en se laissant assez de vitesse pour éviter l’avalanche qui la suivait. Une barre rocheuse interrompit sa course. Elle se retrouva projetée en l’air. Déployant ses ailes et malgré ses douleurs, elle repartit se battre. La colère montait en elle. La masse énorme et informe de Cappochi se tenait au-dessus, riant aux éclats. Voyant que le dragon blanc revenait vers lui, il bondit. Ils se croisèrent en plein vol. Si Les flammes de Moayanne léchèrent Cappochi, l’espèce de fouet noir qu’il tenait s’abattit sur le dos de la dragonne, lui arrachant un cri et marquant ses écailles d’une balafre noire. Déséquilibrée dans son vol, elle toucha le Frémiladur de son aile et partit en vrille pour s’écraser un peu plus bas. Elle resta au sol, sonnée. Son dos lui faisait mal, même si elle sentait qu’elle n’avait rien de grave. Elle était momentanément à l’abri. Cappochi avait atterri bien plus.
Ça ne pouvait pas durer comme cela. Il fallait qu’elle trouve une solution pour s’en débarrasser définitivement. Elle repensa à ce que lui avait dit l’autre dragon. “Tu le battras si tu sais qui tu es”. Qui était-elle devenue ? Elle pensa à la jeune fille qui montait avec son père en portant la couronne et brutalement, le monde changea autour d’elle. Elle vit qu’elle avait retrouvé son corps de jeune fille. Elle s’interrogea sur ce qu’elle avait vécu, sur cette façon de voler, sur les griffes au bout de ses bras et elle se retrouva dragon. Elle en eut le souffle coupé. Elle refit l’essai et cela de nouveau arriva, jeune fille, dragon, jeune fille dragon… Elle n’avait pas changé tout en changeant.
Jeune fille, elle se pencha pour chercher où était Cappochi. Elle repéra la grande silhouette qui remontait la pente :
- Où te caches-tu ? Tu ne m’échapperas pas, cracheur de feu.
Moayanne se renfonça derrière les rochers. Cappochi passa sans la voir, lançant des imprécations contre ces vers volants tout juste bons à faire peur aux enfants. Elle lui emboîta le pas, sautant de roche en roche. Arrivé sur un éperon, il se retourna juste au moment où Moayanne, ayant repris sa forme de dragon, crachait son feu dans sa direction. Aveuglé par les flammes, Cappochi fouettait l’air à tort et à travers, marquant la roche sans toucher Moayanne qui s’était de nouveau réfugiée sous un auvent de pierre. Elle observa la difficulté de Cappochi à coordonner ses attaques.
- “Les yeux !” pensa-t-elle, “les yeux sont son point faible.”
- Vermine, hurlait Cappochi, et tu crois que tu peux m’avoir avec ça ! Regarde bien !
Moayanne sursauta quand elle vit le corps de son ennemi se couvrir d’yeux dont certains la regardaient. Elle se renfonça brusquement pour se mettre à l’abri. Comme rien ne se passait, elle risqua un oeil. Il était dressé de toute sa hauteur sur l’éperon rocheux. Son fouet claquait en tout sens sans privilégier sa direction. Tous ces yeux n’étaient-ils qu’un leurre ? Pour en être sure, la jeune fille se mit à découvert, prête à bondir dans le vide en cas d’attaque. Cappochi cherchait ailleurs une forme beaucoup plus grande. Rien ne se passa. Elle s’enhardit. Il regardait en bas, elle monta au-dessus de lui, faisant attention où elle mettait les pieds. Elle se lança dans le vide, pensa au vol et devint dragon. C’était enivrant. Elle attaqua Cappochi lui crachant une nouvelle fois au visage le feu brûlant de son souffle. Parmi tous les yeux, seuls deux clignèrent pour se protéger. Elle décrocha brutalement en zig zag pour éviter les retours de fouet. Arrivée au sol, elle redevint jeune fille et se glissa entre des rochers à l’abri. Quand elle sentit que la terre ne bougeait plus sous les coups de Cappochi, elle tenta de voir ce qui se passait. Une ombre couvrait le sol. Moayanne se rendit compte qu’elle était sous le monstre. La rage la prit. Elle retrouva la fureur qu’elle avait connue quand, petite, son frère aîné l’avait coincée pour lui imposer sa volonté. Il voulait le jouet qu’elle avait reçu de sa mère et Moayanne avait refusé. Cela avait dégénéré en un pugilat qui avait tourné à l’avantage du plus grand. Moayanne avait beaucoup pleuré et s’était juré que cela ne recommencerait jamais.
Pour Cappochi, ce fut comme si le sol explosait sous ses pieds. Un immense dragon blanc jaillit des entrailles de la terre, l’enveloppant dans un geyser de feu. Déstabilisé, aveuglé, il tomba en arrière, déboulant la pente qu’il venait de remonter poursuivi par les flammes sans cesse renouvelées du grand saurien.
Moayanne jubilait en voyant le monstre s’écraser dans une dernière chute. Elle cracha son feu et sa colère sur la forme répandue sur le sol. C’était d’autant plus facile que la forme restait immobile. Enfin, elle allait régler son sort. Sa joie fut de courte durée. Alors qu’elle reprenait son souffle, elle vit avec horreur les pseudopodes de la chose, qui jusque-là se tordaient dans les flots de flammes, s’appuyer sur la roche et les yeux s’ouvrirent, tous les yeux s’ouvrirent.
Alors qu’une nouvelle fois, il l’avait jetée à terre, elle cracha son premier feu. Cappochi encaissa le choc de la flamme en reculant pour la première fois. Son corps fut auréolé de flammes jaunes et rouges, qui bientôt s'éteignirent :
- Ah ! Ah ! Ah ! Tu es un de ces cracheurs de feu de légendes. Ma puissance n’en sera que plus forte quand tu seras à me demander pitié.
Cappochi ramassa une pierre qu’il lança sur Moayanne. Celle-ci replia ses ailes et roula sur le côté pour l’éviter. Le rocher fit comme elle et entraîna d’autres roches. Moayanne roulait de plus en plus vite, heurtant le sol parfois violemment, suivie par des tonnes de roches enveloppées d’un nuage de poussières. Le bruit était terrible mais couvert par les hurlements de rire de Cappochi. Moayanne freinait sa chute en accrochant ses griffes, tout en se laissant assez de vitesse pour éviter l’avalanche qui la suivait. Une barre rocheuse interrompit sa course. Elle se retrouva projetée en l’air. Déployant ses ailes et malgré ses douleurs, elle repartit se battre. La colère montait en elle. La masse énorme et informe de Cappochi se tenait au-dessus, riant aux éclats. Voyant que le dragon blanc revenait vers lui, il bondit. Ils se croisèrent en plein vol. Si Les flammes de Moayanne léchèrent Cappochi, l’espèce de fouet noir qu’il tenait s’abattit sur le dos de la dragonne, lui arrachant un cri et marquant ses écailles d’une balafre noire. Déséquilibrée dans son vol, elle toucha le Frémiladur de son aile et partit en vrille pour s’écraser un peu plus bas. Elle resta au sol, sonnée. Son dos lui faisait mal, même si elle sentait qu’elle n’avait rien de grave. Elle était momentanément à l’abri. Cappochi avait atterri bien plus.
Ça ne pouvait pas durer comme cela. Il fallait qu’elle trouve une solution pour s’en débarrasser définitivement. Elle repensa à ce que lui avait dit l’autre dragon. “Tu le battras si tu sais qui tu es”. Qui était-elle devenue ? Elle pensa à la jeune fille qui montait avec son père en portant la couronne et brutalement, le monde changea autour d’elle. Elle vit qu’elle avait retrouvé son corps de jeune fille. Elle s’interrogea sur ce qu’elle avait vécu, sur cette façon de voler, sur les griffes au bout de ses bras et elle se retrouva dragon. Elle en eut le souffle coupé. Elle refit l’essai et cela de nouveau arriva, jeune fille, dragon, jeune fille dragon… Elle n’avait pas changé tout en changeant.
Jeune fille, elle se pencha pour chercher où était Cappochi. Elle repéra la grande silhouette qui remontait la pente :
- Où te caches-tu ? Tu ne m’échapperas pas, cracheur de feu.
Moayanne se renfonça derrière les rochers. Cappochi passa sans la voir, lançant des imprécations contre ces vers volants tout juste bons à faire peur aux enfants. Elle lui emboîta le pas, sautant de roche en roche. Arrivé sur un éperon, il se retourna juste au moment où Moayanne, ayant repris sa forme de dragon, crachait son feu dans sa direction. Aveuglé par les flammes, Cappochi fouettait l’air à tort et à travers, marquant la roche sans toucher Moayanne qui s’était de nouveau réfugiée sous un auvent de pierre. Elle observa la difficulté de Cappochi à coordonner ses attaques.
- “Les yeux !” pensa-t-elle, “les yeux sont son point faible.”
- Vermine, hurlait Cappochi, et tu crois que tu peux m’avoir avec ça ! Regarde bien !
Moayanne sursauta quand elle vit le corps de son ennemi se couvrir d’yeux dont certains la regardaient. Elle se renfonça brusquement pour se mettre à l’abri. Comme rien ne se passait, elle risqua un oeil. Il était dressé de toute sa hauteur sur l’éperon rocheux. Son fouet claquait en tout sens sans privilégier sa direction. Tous ces yeux n’étaient-ils qu’un leurre ? Pour en être sure, la jeune fille se mit à découvert, prête à bondir dans le vide en cas d’attaque. Cappochi cherchait ailleurs une forme beaucoup plus grande. Rien ne se passa. Elle s’enhardit. Il regardait en bas, elle monta au-dessus de lui, faisant attention où elle mettait les pieds. Elle se lança dans le vide, pensa au vol et devint dragon. C’était enivrant. Elle attaqua Cappochi lui crachant une nouvelle fois au visage le feu brûlant de son souffle. Parmi tous les yeux, seuls deux clignèrent pour se protéger. Elle décrocha brutalement en zig zag pour éviter les retours de fouet. Arrivée au sol, elle redevint jeune fille et se glissa entre des rochers à l’abri. Quand elle sentit que la terre ne bougeait plus sous les coups de Cappochi, elle tenta de voir ce qui se passait. Une ombre couvrait le sol. Moayanne se rendit compte qu’elle était sous le monstre. La rage la prit. Elle retrouva la fureur qu’elle avait connue quand, petite, son frère aîné l’avait coincée pour lui imposer sa volonté. Il voulait le jouet qu’elle avait reçu de sa mère et Moayanne avait refusé. Cela avait dégénéré en un pugilat qui avait tourné à l’avantage du plus grand. Moayanne avait beaucoup pleuré et s’était juré que cela ne recommencerait jamais.
Pour Cappochi, ce fut comme si le sol explosait sous ses pieds. Un immense dragon blanc jaillit des entrailles de la terre, l’enveloppant dans un geyser de feu. Déstabilisé, aveuglé, il tomba en arrière, déboulant la pente qu’il venait de remonter poursuivi par les flammes sans cesse renouvelées du grand saurien.
Moayanne jubilait en voyant le monstre s’écraser dans une dernière chute. Elle cracha son feu et sa colère sur la forme répandue sur le sol. C’était d’autant plus facile que la forme restait immobile. Enfin, elle allait régler son sort. Sa joie fut de courte durée. Alors qu’elle reprenait son souffle, elle vit avec horreur les pseudopodes de la chose, qui jusque-là se tordaient dans les flots de flammes, s’appuyer sur la roche et les yeux s’ouvrirent, tous les yeux s’ouvrirent.
samedi 14 février 2015
Lyanne s’était glissé entre les mondes. L’être que combattait Moayanne ne serait pas vaincu par la force brute. Il devait aller dans le monde des esprits et trouver son nom. Il aurait alors la source de son pouvoir. L’être était puissant. Il ne fallait pas le sous-estimer. Heureusement son attention n’était pas sans limite. Pour le moment, elle était toute entière tournée vers le monde des humains et ses promesses de puissance. Avant d’aller plus avant, il se dirigea vers le centre du Frémiladur. De là venait le dragon blanc qui avait fait Shanga avec Moayanne. Traversant les roches comme de l’eau, il arriva dans le lac de lave. Il en sentit la puissance latente. Elle était brute, indistincte. Quelqu’un l’avait organisé pour que naisse le blanc dragon de Moayanne. Il repensa aux évènements qui s’étaient succédé. La couronne ! C’était la couronne qui détenait le pouvoir de faire naître le dragon blanc aux reflets d’or. Il fit le parallèle avec sa propre vie. Il évoqua l’histoire que Talmab avait racontée quand il était enfant. Il était dans le pays de l’oiseau aux plumes d’or et cet oiseau était un dragon. Il rendit mentalement gloire au Dieu Dragon qui l’avait guidé jusque-là. Suivant les courants de feu, Lyanne s’enfonça plus loin sous la terre, se laissant guider par son instinct de chasseur. L’être informe puisait aussi sa puissance en ce lieu. Le cœur noir de Cappochi était sa porte dans le monde des humains. En ce lieu, il drainait la puissance nécessaire à le maintenir sur le plan physique. Lyanne eut l’intuition qu’elle ne suffisait pas. Si cette source donnait force et pouvoir à l’avatar de l’être immonde, elle ne pouvait être celle qui avait ouvert la porte. Il lui fallait trouver la clé qui avait ouvert la porte. Il plongea dans le monde sombre des esprits malfaisants. Cela restait pour lui un monde étranger. Il avait le pouvoir d’y entrer et d’en sortir librement. Il se savait assez puissant pour faire face à ceux qui y vivaient. Il se savait aussi protégé par le Dieu Dragon. Mais, n’étant pas un esprit mais un corps, il ne pouvait voir ce monde comme le voyaient les esprits. Il habillait ce qu’il en ressentait de ce qu’il connaissait.
- Tékitoi ?
Lyanne regarda autour de lui. Le paysage sentait la mort et la désolation. On était loin des autres incursions qu’il avait pu faire dans ce monde. L’être qui possédait Cappochi venait de ces régions infernales où tout semblait fait pour blesser, meurtrir celui qui s’y aventurait. Il repéra l’origine de la question. Comme tout dans ce monde, cela avait une forme improbable et ça sautillait sur place.
- Tékitoi ? répéta-la chose.
- Un passant qui passe, répondit Lyanne.
- Impassantkipasse ! Cékoissa ? Jenouvoyonpa cékoissa ! Trogromanger, troforbattre, gentipasgenti ?
- Que suis-je ? demanda Lyanne
- Rougelumière. Jamaivurougelumièredanténébre !
Lyanne bougea.
- AAAAAAAAAAAA ! ROUGELUMIÈRETROGROS !
La chose disparut brutalement. Lyanne s’immobilisa. Il laissa tous ses sens prendre la mesure de ce monde étrange. Il repéra la chose. Elle s’était collée sous un rebord acéré d’une lame qui aurait pu être d’obsidienne.
- Je suis rassasié et sans intention de chasser, dit Lyanne en se penchant vers la créature qui ressemblait à un oursin tremblotant.
Il n’avait pas fini de parler que la chose était repartie à sautiller dans tous les sens la rendant à nouveau floue.
- Toipamanger, toipaméchan, toiaider ?
- Aider ? Peut-être, si tu aides.
- Aider ? Quoiveudire ?
- Qui es-tu ?
- Quiétu ? Quoiveudire ?
Lyanne continua à interroger la forme sautillante. Il finit par comprendre qu’il était en présence d’un esprit élémentaire, un de ces esprits qui peuplaient ce monde et qui servaient de nourriture aux autres. Ceux qui survivaient, phagocytaient l’énergie pour gagner en puissance. À travers les paroles de “Quoiveudire” comme il le surnommait, Lyanne comprit que toute la région était vide de vie depuis qu’un grand esprit malin avait fait ici son territoire de chasse. Quoiveudire avait survécu sans savoir ni pourquoi ni comment, peut-être parce que plus paresseux que les autres, il n’avait pas essayé de chasser.
- LÀ ! CACHER !
Quoiveudire alla se coller sous la roche noire. Lyanne regarda tout autour ce qui avait déclenché la peur du petit esprit. Il repéra au loin, une forme oblongue qui lui évoqua un de ces poissons tout en mâchoires, gros et gras, capable d’avaler aussi gros qu’eux. Il se pencha vers la cachette de Quoiveudire :
- As-tu peur ?
- Samangertout ! Aprèvenuplurien. Touseulici.
Lyanne observa le déplacement indolent de l’autre esprit. S’il semblait incapable de vitesse, Lyanne sentait la colère et la rage contenues qui suaient par tous les pores de la peau, si l’on avait pu parler de peau. Le “poisson” frôlait les structures déchiquetées. Il s’éloignait, se rapprochait, s’éloignait encore selon un schéma qui semblait aléatoire. Lyanne ne s’y trompa pas. L’esprit “poisson” se rapprochait. Il fut témoin d’une attaque fulgurante près d’une pointe noire. Il sentit plus qu’il n’entendit le cri de souffrance d’un esprit qui devait ressembler à Quoiveudire. Après ça, l’esprit “poisson” s’éloigna, disparaissant derrière un relief qui évoqua pour Lyanne la ruine d’une vieille citadelle.
- Je crois qu’il est parti, dit Lyanne à Quoiveudire.
- Pavrai. Sajamaiparti. Toujourlà.
Lyanne se redressa, les sens en alerte. Il se retourna juste à temps pour faire face à une gueule énorme se précipitant vers lui. Il souffla la glace comme il avait fait pour Cappochi, figeant l’esprit “poisson” qui se mit à dériver comme une baudruche dans le vent. Avant qu’il ait pu faire autre chose, Lyanne sentit Quoiveudire se précipiter pour aspirer l’ennemi.
- Sitoipasmanger, toiêtremangé ! expliqua Quoiveutdire toujours sautillant.
Lyanne se mit à rire devant le comique de cet énorme ballon qu’était devenu Quoiveudire qui essayait de bouger comme s’il était encore aussi petit.
- Quoicestça ? demanda-t-il à Lyanne riant. Quoitufailà ?
- Je suis heureux que tu aies bien grandi. Il te faut apprendre à te comporter comme un grand maintenant que tu es grand.
- Moi grand ?
- Oui et puissant aussi !
- Toi pas tuer moi et toi nourrir moi ! Qui toi être ?
- Un passant qui passe.
- Alors toi chercher quoi ?
- Tu as bien progressé en devenant grand, lui fit remarquer Lyanne.
- Moi avoir aspiré Vajdouské et Vajdouské grand pouvoir et grand savoir. Mais toi encore plus grand. Toi capable vaincre Vajdouské.
- As-tu un nom ?
- Jamais dire nom ! Nom est pouvoir, jamais dire ! Vajdouské esclave de moi, moi pouvoir dire nom Vajdouské.
- Veux-tu encore plus de puissance ?
- Moi vouloir !
- Alors, tu m’aides et tu seras puissant.
- Moi pas esclave de toi !
- Tu sais qu’il y a des esprits encore plus forts que Vajdouské. Ils peuvent t’aspirer.
Quoiveudire exprima sa peur en essayant à nouveau de sautiller.
- Les passants qui passent ont des pouvoirs encore plus grands que ce que tu as vu.
- Grands comment ?
- J’ai pouvoir de te donner un nom inconnu de tous les esprits.
- Toi avoir ce pouvoir ?
- Oui, les noms de mon Dieu sont inconnus des esprits de ton monde.
Quoiveudire tenta de s’enfuir pour se coller contre la pierre qui l’avait si souvent caché. Cela de nouveau amusa Lyanne de voir cette forme tremblotante dépasser de partout.
- Toi être lié à un dieu ? Moi perdu !
- Tranquille tu seras si tu m’aides !
- Moi pas vouloir défier les dieux.
- Tu as le choix, entre m’aider ou me combattre !
De nouveau Quoiveudire sembla frissonner.
- Moi pas combattre. Moi aider.
- Bien, dit Lyanne. Vajdouské était esclave de quel esprit ?
- Vajdouské chassait pour grand esprit, très mauvais.
Lyanne mit du temps à comprendre qu’en mangeant Vajdouské, Quoiveudire avait accès à ce que Vajdouské avait vécu. Avec précaution, ils se déplacèrent dans cette vallée aux bords déchiquetés. Quoiveudire restait craintif. Sa taille lui aurait permis de se mouvoir avec plus d’aisance mais il n’osait pas, pas encore. Ils montèrent sur un ensemble de blocs.
- Là-bas ! dit Quoiveudire en montrant un autre esprit qui ressemblait à Vajdouské. Un autre chasseur ! Et puis encore un vers la gauche.
- Je vois, répondit Lyanne, mais où est le grand esprit qui les commande ?
- Plus loin, mais maintenant chemin encore plus dangereux, esprits encore plus mauvais.
- Je m’en doute mais il faut y aller. Je connais quelqu’un qui risque sa vie si je suis dans l’erreur.
Quoiveudire sembla regarder Lyanne en s’interrogeant.
- Toi, toujours dire des choses curieuses. Ici, chacun pour soi.
- Dans mon monde, nous agissons autrement. Bon, allons.
Lyanne se déplia et commença à serpenter entre les formations qui dessinaient comme un labyrinthe tout autour d’eux. Il avait déployé le plus possible ses différents sens, repérant ainsi les esprits chasseurs. Quand l’un d’eux s’approcha, Lyanne se mit en embuscade et comme pour Vajdouské, Quoiveudire s’en reput.
- Alors ? demande Lyanne.
- Son nom est Cartanko. Son rôle était le même que Vajdouské. Son savoir n’est pas plus grand. Il connaissait juste une autre région.
- Bien, avançons encore. Nous sommes sur le bon chemin. Combien sont-ils à chasser pour le grand esprit ?
Quoiveudire resta immobile un moment, puis répondit :
- Six !
- Il en reste quatre, fit remarquer Lyanne. Si le grand esprit reste sans eux, il va avoir faim.
- Et ce sera terrible, dit Quoiveudire sur un ton de lamentation.
- Tu es maintenant grand et fort. Tu peux te défendre. Sans ton nom, peut-il te vaincre ?
- Le grand esprit est très puissant et devine les noms.
- Alors il est sans pouvoir contre toi, tu ignores ton nom.
- Moi, je ne le sais pas… mais s’il le devine, je suis perdu.
Ce fut au tour de Lyanne d’être perplexe en entendant les paroles de Quoiveudire. Il n’avait jamais envisagé cette situation. Que quelqu’un devine son nom secret et il serait lui aussi à la merci de l’autre.
Ils continuèrent leur chemin, se glissant de zones d’ombre en zones d’ombre. Quoiveudire y tenait particulièrement. Même s’il ne le sentait pas, il avait progressé et semblait pouvoir contrôler ses mouvements et sa taille. Il continuait cependant à préférer marcher à l’ombre des sortes de pierres levées qui les entouraient. Lyanne trouvait curieux que dans ce monde sans soleil, il existe des zones d’ombre.
- On sent une odeur mauvaise, dit-il.
- Ça, grand esprit. On sent ses pensées. Je les comprends. Les tiennes sentent un bien curieux parfum. Je ne le trouve pas désagréable mais jamais je n’avais senti un tel parfum dans les pensées de quelqu’un.
Lyanne pensa au nom “Quoiveudire” et demanda :
- Que ressens-tu quand je pense à cela ?
- Que ce parfum-là est particulièrement agréable.
Ils ne purent continuer leur conversation. Leur route croisa un autre esprit chasseur qui subit le même sort que les autres. Il en restait encore trois, mais déjà dans le monde des hommes Cappochi devait commencer à ressentir un manque. Plus ils s’approchaient de la combe où régnait le grand esprit et plus l’odeur devenait épouvantable pour Lyanne. Cela aurait eu des relents de pourriture ailleurs que dans le monde des esprits. Cela puait la délectation à la souffrance de l’autre, à son anéantissement. Lyanne en conçut des pensées de colère. Quoiveudire prit peur :
- Tu m’en veux ?
- Ma colère est contre le grand esprit et ses sales pensées.
- Ce que tu penses est pire que le feu sombre des grands esprits. Qui peut résister à cela ? se plaignit Quoiveudire.
- Tu es mon ami, pense à cela.
Quoiveudire eut un frisson et une onde rouge et or le parcourut.
- Quelle étrange pensée ! Tes paroles sont terribles, terriblement puissantes. Jamais je n’ai entendu pareille chose ici, ni les esprits chasseurs que je possède.
- Nous avons encore du chemin, lui répondit Lyanne qui éleva une barrière mentale.
Il pensa à la puissance du grand esprit. Il allait devoir apprendre son nom pour le vaincre. Cappochi n’était que le nom de l’être dont il avait pris possession.
La rencontre avec le quatrième esprit chasseur faillit mal tourner. Il avait planté ses crocs dans Quoiveudire avant que Lyanne ne l’ait touché. Le temps que Lyanne se repositionne pour aider son guide, l’autre avait commencé à aspirer les forces vitales de Quoiveudire qui émit une sorte de couinement inarticulé. L’autre explosa en milliers de fragments de pensées parcellaires et incohérentes. Lyanne ne comprenait pas.
- Que s’est-il passé ?
- Il a voulu me prendre mon nom. Mais je n’en ai pas. Il n’a pas supporté, il était incapable de le deviner.
Quoiveudire redoubla de prudence, tremblant à l’idée de rencontrer un des autres esprits chasseurs et encore plus à l’idée de voir le grand esprit dont la puanteur des pensées augmentait à chaque pas.
Ils passèrent sous une arche et débouchèrent sur une vaste dépression occupée en son centre par une immense colonne palpitante. Ils furent oppressés dès qu’ils mirent un pied sur la pente.
- Il sait que nous sommes là, dit Quoiveudire. Il nous sent comme nous, nous le sentons.
- J’espère sentir moins mauvais que lui, plaisanta Lyanne.
Quoiveudire resta sérieux :
- Tes pensées sont aussi dérangeantes pour lui que les siennes le sont pour toi.
Ils aperçurent en bas, collés à la colonne, les deux esprits chasseurs.
- Ils amènent leur tribu, fit remarquer Quoiveudire. Ils ne sont pas dangereux pour le moment. Ils le deviendront quand ils se détacheront. Ils seront affamés.
Il y eut une grande déflagration qui fit osciller la colonne. Elle palpita de blanc, de rouge, de jaune en une sorte de feu d’artifice interne qui s’étiola petit à petit. Lyanne pensa à Moayanne qui devait se battre dans l’autre monde. Ce qu’elle avait fait n’avait pas déstabilisé le grand esprit dont l’aspect reprenait cette couleur bien en accord avec les pensées affreuses qui en suintaient.
- Tékitoi ?
Lyanne regarda autour de lui. Le paysage sentait la mort et la désolation. On était loin des autres incursions qu’il avait pu faire dans ce monde. L’être qui possédait Cappochi venait de ces régions infernales où tout semblait fait pour blesser, meurtrir celui qui s’y aventurait. Il repéra l’origine de la question. Comme tout dans ce monde, cela avait une forme improbable et ça sautillait sur place.
- Tékitoi ? répéta-la chose.
- Un passant qui passe, répondit Lyanne.
- Impassantkipasse ! Cékoissa ? Jenouvoyonpa cékoissa ! Trogromanger, troforbattre, gentipasgenti ?
- Que suis-je ? demanda Lyanne
- Rougelumière. Jamaivurougelumièredanténébre !
Lyanne bougea.
- AAAAAAAAAAAA ! ROUGELUMIÈRETROGROS !
La chose disparut brutalement. Lyanne s’immobilisa. Il laissa tous ses sens prendre la mesure de ce monde étrange. Il repéra la chose. Elle s’était collée sous un rebord acéré d’une lame qui aurait pu être d’obsidienne.
- Je suis rassasié et sans intention de chasser, dit Lyanne en se penchant vers la créature qui ressemblait à un oursin tremblotant.
Il n’avait pas fini de parler que la chose était repartie à sautiller dans tous les sens la rendant à nouveau floue.
- Toipamanger, toipaméchan, toiaider ?
- Aider ? Peut-être, si tu aides.
- Aider ? Quoiveudire ?
- Qui es-tu ?
- Quiétu ? Quoiveudire ?
Lyanne continua à interroger la forme sautillante. Il finit par comprendre qu’il était en présence d’un esprit élémentaire, un de ces esprits qui peuplaient ce monde et qui servaient de nourriture aux autres. Ceux qui survivaient, phagocytaient l’énergie pour gagner en puissance. À travers les paroles de “Quoiveudire” comme il le surnommait, Lyanne comprit que toute la région était vide de vie depuis qu’un grand esprit malin avait fait ici son territoire de chasse. Quoiveudire avait survécu sans savoir ni pourquoi ni comment, peut-être parce que plus paresseux que les autres, il n’avait pas essayé de chasser.
- LÀ ! CACHER !
Quoiveudire alla se coller sous la roche noire. Lyanne regarda tout autour ce qui avait déclenché la peur du petit esprit. Il repéra au loin, une forme oblongue qui lui évoqua un de ces poissons tout en mâchoires, gros et gras, capable d’avaler aussi gros qu’eux. Il se pencha vers la cachette de Quoiveudire :
- As-tu peur ?
- Samangertout ! Aprèvenuplurien. Touseulici.
Lyanne observa le déplacement indolent de l’autre esprit. S’il semblait incapable de vitesse, Lyanne sentait la colère et la rage contenues qui suaient par tous les pores de la peau, si l’on avait pu parler de peau. Le “poisson” frôlait les structures déchiquetées. Il s’éloignait, se rapprochait, s’éloignait encore selon un schéma qui semblait aléatoire. Lyanne ne s’y trompa pas. L’esprit “poisson” se rapprochait. Il fut témoin d’une attaque fulgurante près d’une pointe noire. Il sentit plus qu’il n’entendit le cri de souffrance d’un esprit qui devait ressembler à Quoiveudire. Après ça, l’esprit “poisson” s’éloigna, disparaissant derrière un relief qui évoqua pour Lyanne la ruine d’une vieille citadelle.
- Je crois qu’il est parti, dit Lyanne à Quoiveudire.
- Pavrai. Sajamaiparti. Toujourlà.
Lyanne se redressa, les sens en alerte. Il se retourna juste à temps pour faire face à une gueule énorme se précipitant vers lui. Il souffla la glace comme il avait fait pour Cappochi, figeant l’esprit “poisson” qui se mit à dériver comme une baudruche dans le vent. Avant qu’il ait pu faire autre chose, Lyanne sentit Quoiveudire se précipiter pour aspirer l’ennemi.
- Sitoipasmanger, toiêtremangé ! expliqua Quoiveutdire toujours sautillant.
Lyanne se mit à rire devant le comique de cet énorme ballon qu’était devenu Quoiveudire qui essayait de bouger comme s’il était encore aussi petit.
- Quoicestça ? demanda-t-il à Lyanne riant. Quoitufailà ?
- Je suis heureux que tu aies bien grandi. Il te faut apprendre à te comporter comme un grand maintenant que tu es grand.
- Moi grand ?
- Oui et puissant aussi !
- Toi pas tuer moi et toi nourrir moi ! Qui toi être ?
- Un passant qui passe.
- Alors toi chercher quoi ?
- Tu as bien progressé en devenant grand, lui fit remarquer Lyanne.
- Moi avoir aspiré Vajdouské et Vajdouské grand pouvoir et grand savoir. Mais toi encore plus grand. Toi capable vaincre Vajdouské.
- As-tu un nom ?
- Jamais dire nom ! Nom est pouvoir, jamais dire ! Vajdouské esclave de moi, moi pouvoir dire nom Vajdouské.
- Veux-tu encore plus de puissance ?
- Moi vouloir !
- Alors, tu m’aides et tu seras puissant.
- Moi pas esclave de toi !
- Tu sais qu’il y a des esprits encore plus forts que Vajdouské. Ils peuvent t’aspirer.
Quoiveudire exprima sa peur en essayant à nouveau de sautiller.
- Les passants qui passent ont des pouvoirs encore plus grands que ce que tu as vu.
- Grands comment ?
- J’ai pouvoir de te donner un nom inconnu de tous les esprits.
- Toi avoir ce pouvoir ?
- Oui, les noms de mon Dieu sont inconnus des esprits de ton monde.
Quoiveudire tenta de s’enfuir pour se coller contre la pierre qui l’avait si souvent caché. Cela de nouveau amusa Lyanne de voir cette forme tremblotante dépasser de partout.
- Toi être lié à un dieu ? Moi perdu !
- Tranquille tu seras si tu m’aides !
- Moi pas vouloir défier les dieux.
- Tu as le choix, entre m’aider ou me combattre !
De nouveau Quoiveudire sembla frissonner.
- Moi pas combattre. Moi aider.
- Bien, dit Lyanne. Vajdouské était esclave de quel esprit ?
- Vajdouské chassait pour grand esprit, très mauvais.
Lyanne mit du temps à comprendre qu’en mangeant Vajdouské, Quoiveudire avait accès à ce que Vajdouské avait vécu. Avec précaution, ils se déplacèrent dans cette vallée aux bords déchiquetés. Quoiveudire restait craintif. Sa taille lui aurait permis de se mouvoir avec plus d’aisance mais il n’osait pas, pas encore. Ils montèrent sur un ensemble de blocs.
- Là-bas ! dit Quoiveudire en montrant un autre esprit qui ressemblait à Vajdouské. Un autre chasseur ! Et puis encore un vers la gauche.
- Je vois, répondit Lyanne, mais où est le grand esprit qui les commande ?
- Plus loin, mais maintenant chemin encore plus dangereux, esprits encore plus mauvais.
- Je m’en doute mais il faut y aller. Je connais quelqu’un qui risque sa vie si je suis dans l’erreur.
Quoiveudire sembla regarder Lyanne en s’interrogeant.
- Toi, toujours dire des choses curieuses. Ici, chacun pour soi.
- Dans mon monde, nous agissons autrement. Bon, allons.
Lyanne se déplia et commença à serpenter entre les formations qui dessinaient comme un labyrinthe tout autour d’eux. Il avait déployé le plus possible ses différents sens, repérant ainsi les esprits chasseurs. Quand l’un d’eux s’approcha, Lyanne se mit en embuscade et comme pour Vajdouské, Quoiveudire s’en reput.
- Alors ? demande Lyanne.
- Son nom est Cartanko. Son rôle était le même que Vajdouské. Son savoir n’est pas plus grand. Il connaissait juste une autre région.
- Bien, avançons encore. Nous sommes sur le bon chemin. Combien sont-ils à chasser pour le grand esprit ?
Quoiveudire resta immobile un moment, puis répondit :
- Six !
- Il en reste quatre, fit remarquer Lyanne. Si le grand esprit reste sans eux, il va avoir faim.
- Et ce sera terrible, dit Quoiveudire sur un ton de lamentation.
- Tu es maintenant grand et fort. Tu peux te défendre. Sans ton nom, peut-il te vaincre ?
- Le grand esprit est très puissant et devine les noms.
- Alors il est sans pouvoir contre toi, tu ignores ton nom.
- Moi, je ne le sais pas… mais s’il le devine, je suis perdu.
Ce fut au tour de Lyanne d’être perplexe en entendant les paroles de Quoiveudire. Il n’avait jamais envisagé cette situation. Que quelqu’un devine son nom secret et il serait lui aussi à la merci de l’autre.
Ils continuèrent leur chemin, se glissant de zones d’ombre en zones d’ombre. Quoiveudire y tenait particulièrement. Même s’il ne le sentait pas, il avait progressé et semblait pouvoir contrôler ses mouvements et sa taille. Il continuait cependant à préférer marcher à l’ombre des sortes de pierres levées qui les entouraient. Lyanne trouvait curieux que dans ce monde sans soleil, il existe des zones d’ombre.
- On sent une odeur mauvaise, dit-il.
- Ça, grand esprit. On sent ses pensées. Je les comprends. Les tiennes sentent un bien curieux parfum. Je ne le trouve pas désagréable mais jamais je n’avais senti un tel parfum dans les pensées de quelqu’un.
Lyanne pensa au nom “Quoiveudire” et demanda :
- Que ressens-tu quand je pense à cela ?
- Que ce parfum-là est particulièrement agréable.
Ils ne purent continuer leur conversation. Leur route croisa un autre esprit chasseur qui subit le même sort que les autres. Il en restait encore trois, mais déjà dans le monde des hommes Cappochi devait commencer à ressentir un manque. Plus ils s’approchaient de la combe où régnait le grand esprit et plus l’odeur devenait épouvantable pour Lyanne. Cela aurait eu des relents de pourriture ailleurs que dans le monde des esprits. Cela puait la délectation à la souffrance de l’autre, à son anéantissement. Lyanne en conçut des pensées de colère. Quoiveudire prit peur :
- Tu m’en veux ?
- Ma colère est contre le grand esprit et ses sales pensées.
- Ce que tu penses est pire que le feu sombre des grands esprits. Qui peut résister à cela ? se plaignit Quoiveudire.
- Tu es mon ami, pense à cela.
Quoiveudire eut un frisson et une onde rouge et or le parcourut.
- Quelle étrange pensée ! Tes paroles sont terribles, terriblement puissantes. Jamais je n’ai entendu pareille chose ici, ni les esprits chasseurs que je possède.
- Nous avons encore du chemin, lui répondit Lyanne qui éleva une barrière mentale.
Il pensa à la puissance du grand esprit. Il allait devoir apprendre son nom pour le vaincre. Cappochi n’était que le nom de l’être dont il avait pris possession.
La rencontre avec le quatrième esprit chasseur faillit mal tourner. Il avait planté ses crocs dans Quoiveudire avant que Lyanne ne l’ait touché. Le temps que Lyanne se repositionne pour aider son guide, l’autre avait commencé à aspirer les forces vitales de Quoiveudire qui émit une sorte de couinement inarticulé. L’autre explosa en milliers de fragments de pensées parcellaires et incohérentes. Lyanne ne comprenait pas.
- Que s’est-il passé ?
- Il a voulu me prendre mon nom. Mais je n’en ai pas. Il n’a pas supporté, il était incapable de le deviner.
Quoiveudire redoubla de prudence, tremblant à l’idée de rencontrer un des autres esprits chasseurs et encore plus à l’idée de voir le grand esprit dont la puanteur des pensées augmentait à chaque pas.
Ils passèrent sous une arche et débouchèrent sur une vaste dépression occupée en son centre par une immense colonne palpitante. Ils furent oppressés dès qu’ils mirent un pied sur la pente.
- Il sait que nous sommes là, dit Quoiveudire. Il nous sent comme nous, nous le sentons.
- J’espère sentir moins mauvais que lui, plaisanta Lyanne.
Quoiveudire resta sérieux :
- Tes pensées sont aussi dérangeantes pour lui que les siennes le sont pour toi.
Ils aperçurent en bas, collés à la colonne, les deux esprits chasseurs.
- Ils amènent leur tribu, fit remarquer Quoiveudire. Ils ne sont pas dangereux pour le moment. Ils le deviendront quand ils se détacheront. Ils seront affamés.
Il y eut une grande déflagration qui fit osciller la colonne. Elle palpita de blanc, de rouge, de jaune en une sorte de feu d’artifice interne qui s’étiola petit à petit. Lyanne pensa à Moayanne qui devait se battre dans l’autre monde. Ce qu’elle avait fait n’avait pas déstabilisé le grand esprit dont l’aspect reprenait cette couleur bien en accord avec les pensées affreuses qui en suintaient.
jeudi 5 février 2015
Pour Moayanne, le monde s’était écroulé quand son père était tombé. Malgré sa précipitation, elle n’avait pu empêcher sa chute. Elle-même avait glissé dans la pente, s’arrachant les vêtements et la peau sur les roches coupantes. Quand le coffret s’était arraché pour finir dans le lac de lave, elle avait perdu tout espoir et toute force. C’est presque avec soulagement qu’elle avait lâché prise. Bientôt, plus rien n’aurait d’importance, ni les joies qu’elle ne connaîtrait pas, ni ses peines qui allaient cesser, définitivement. Elle avait été surprise de voir le temps se ralentir et ce grand oiseau rouge feu plonger vers elle. Et tout fut noir.
Le monde était fait de blanc et d’or. Moayanne sentait ses ailes battre de toute leur puissance, malgré la violence du volcan tout autour. Des ailes ? Des ailes !!!! Où étaient son corps, ses bras, ses mains ? La panique naissait au centre de son esprit.
- “Sois sans crainte !”
Elle sursauta en comprenant le message.
- “Sois sans crainte ! Tu es qui tu es.”
- Je sens la puissance, dit Moayanne sans savoir comment elle le disait.
- “Tu es la puissance !”
- Je sens le feu !
- “Tu es le feu!”
Moayanne vit le grand oiseau rouge à côté d’elle. Il battait des ailes au même rythme qu’elle. Elle sut, elle était comme cet oiseau fait de feu.
- “Le volcan va exploser !”
- Modtip ! Le fils du roi, il faut les sauver
- “Va, tu peux faire ce que tu sens”
Moayanne pensa à ceux qui étaient restés sur la corniche. Et la corniche apparut devant ses yeux. Elle repéra Modtip facilement, puis le fils du roi. Elle sentit le danger. Elle le vit. Elle le reconnut. C’était le même que dans ses cauchemars. Ces cauchemars qu’elle faisait depuis toutes ces années, depuis la disparition de sa mère. Elle manœuvra maladroitement touchant presque la forme hideuse, saisissant dans ses griffes… Des griffes ! Elle découvrait à chaque instant quelque chose de nouveau avec ce nouveau corps. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Son esprit avait du mal à s’accorder à cette nouvelle “enveloppe”. Ses ailes la trahirent. Elle décrocha. Sa maladresse la sauva du coup de fouet de la créature. Elle sentit une force en elle :
- “Continue. Laisse-toi devenir ce que tu es !”
Ça aussi, il faudrait qu’elle prenne le temps de comprendre. Des choses plus urgentes l’occupaient. Elle récupéra Modtip sans difficulté. Le fils du roi faillit lui échapper. Elle assura sa prise avant de plonger dans le vide vers la plaine. Portée par le vent, les ailes largement déployées, ce fut une expérience grisante. Un autre esprit était là, bienveillant, attentif. Elle le sentait aussi. Quand elle n’arrivait pas à quelque chose, il lui venait en aide. Encore un mystère. Elle vit en bas les soldats du roi qui se protégeaient de la pluie de roches brûlantes qui tombaient autour d’eux. Elle se laissa planer jusqu’à eux. Elle arriva vite, et d’instinct sut quoi faire pour casser sa vitesse et poser son fardeau. Son œil fut attiré par une forme aux contours mouvants qui semblait glisser sur la montagne. Une bouffée de haine lui emplit le cœur. Elle savait. Il était l’ennemi. L’antique ennemi, enfin présent, ici et maintenant, elle avait la force pour le vaincre. Elle battit vigoureusement des ailes pour s’éloigner des hommes. Il était nécessaire de les protéger. Elle sentait l'immense puissance de cette chose immonde qui dévalait le Frémiladur en blessant la pierre de ses flancs. Le volcan allait devenir tombeau. Son père déjà y reposait. Il fallait arrêter cet… cette… ce truc impensable venu d’on ne sait où. Tout en pensant cela, elle vit le monde différemment. Comme si après avoir regardé un dessin, elle en voyait le modèle. Elle regarda autour d’elle, cherchant l’être qui “parlait” dans sa tête. Elle ne vit que l’ombre de l’ennemi. Elle prit peur. Elle se savait née de la puissance du Frémiladur, elle pensait qu’il pourrait la débarrasser de ça. Pourtant elle douta. Elle dirigea son vol vers les retombées de l’éruption. La poursuivant, l’être informe s’éloigna des hommes. La traversée des chutes de pierres brûlantes fut éprouvante. Elle dut manœuvrer comme elle ne savait pas qu’elle pouvait. Malgré cela, elle fut touchée un certain nombre de fois. Elle sentit les chocs et la chaleur de ces rencontres imprévues. Sa finesse lui permettait ces acrobaties, elle en profita pour se retourner et voir où en était le monstre. Il suivait sans perdre de terrain. Les bombes volcaniques se plantaient dans ce qui lui servait de corps. Les plus grosses le traversaient créant des canaux qui se rebouchaient lentement. Il devenait difforme encore plus hideux si cela était possible. Il avançait semblant insensible aux pierres ou à la lave qu’il traversait. Il lançait imprécations et injures.
Moayanne fut déçue de voir le manque de résultat. Il allait lui falloir trouver autre chose. L’éruption elle-même se calmait.
Alors qu’une nouvelle fois, elle se retournait pour surveiller son poursuivant, elle faillit se faire heurter par un énorme rocher qui retombait. L’autre oiseau de feu qui l’accompagnait depuis la gueule du volcan la bouscula, les éloignant de la trajectoire de la bombe volcanique qui passa en sifflant.
- “Faire attention à tout est une bonne chose” dit la voix dans sa tête.
Maintenant elle était sûre. Ce grand oiseau de feu rouge qui était sorti en même temps qu’elle du volcan était la voix. Il avait une parfaite maîtrise de son vol, semblant glisser sans effort entre les roches qui pleuvaient.
- Mais comment penser à tout ! répondit Moayanne qui peinait à faire de même.
- “Deviens qui tu eeeeees!” répondit l’oiseau rouge en s’éloignant. “Tu as à affronter tes cauchemars. Tu le battras si tu suis qui tu es. La vérité est en toi….”
D’un coup, il disparut. Moayanne en fut peinée. Les retombées du Frémiladur ne lui laissaient pas le temps de s'appesantir sur cette peine. Elle avait des choses plus urgentes à faire.
Le monde était fait de blanc et d’or. Moayanne sentait ses ailes battre de toute leur puissance, malgré la violence du volcan tout autour. Des ailes ? Des ailes !!!! Où étaient son corps, ses bras, ses mains ? La panique naissait au centre de son esprit.
- “Sois sans crainte !”
Elle sursauta en comprenant le message.
- “Sois sans crainte ! Tu es qui tu es.”
- Je sens la puissance, dit Moayanne sans savoir comment elle le disait.
- “Tu es la puissance !”
- Je sens le feu !
- “Tu es le feu!”
Moayanne vit le grand oiseau rouge à côté d’elle. Il battait des ailes au même rythme qu’elle. Elle sut, elle était comme cet oiseau fait de feu.
- “Le volcan va exploser !”
- Modtip ! Le fils du roi, il faut les sauver
- “Va, tu peux faire ce que tu sens”
Moayanne pensa à ceux qui étaient restés sur la corniche. Et la corniche apparut devant ses yeux. Elle repéra Modtip facilement, puis le fils du roi. Elle sentit le danger. Elle le vit. Elle le reconnut. C’était le même que dans ses cauchemars. Ces cauchemars qu’elle faisait depuis toutes ces années, depuis la disparition de sa mère. Elle manœuvra maladroitement touchant presque la forme hideuse, saisissant dans ses griffes… Des griffes ! Elle découvrait à chaque instant quelque chose de nouveau avec ce nouveau corps. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Son esprit avait du mal à s’accorder à cette nouvelle “enveloppe”. Ses ailes la trahirent. Elle décrocha. Sa maladresse la sauva du coup de fouet de la créature. Elle sentit une force en elle :
- “Continue. Laisse-toi devenir ce que tu es !”
Ça aussi, il faudrait qu’elle prenne le temps de comprendre. Des choses plus urgentes l’occupaient. Elle récupéra Modtip sans difficulté. Le fils du roi faillit lui échapper. Elle assura sa prise avant de plonger dans le vide vers la plaine. Portée par le vent, les ailes largement déployées, ce fut une expérience grisante. Un autre esprit était là, bienveillant, attentif. Elle le sentait aussi. Quand elle n’arrivait pas à quelque chose, il lui venait en aide. Encore un mystère. Elle vit en bas les soldats du roi qui se protégeaient de la pluie de roches brûlantes qui tombaient autour d’eux. Elle se laissa planer jusqu’à eux. Elle arriva vite, et d’instinct sut quoi faire pour casser sa vitesse et poser son fardeau. Son œil fut attiré par une forme aux contours mouvants qui semblait glisser sur la montagne. Une bouffée de haine lui emplit le cœur. Elle savait. Il était l’ennemi. L’antique ennemi, enfin présent, ici et maintenant, elle avait la force pour le vaincre. Elle battit vigoureusement des ailes pour s’éloigner des hommes. Il était nécessaire de les protéger. Elle sentait l'immense puissance de cette chose immonde qui dévalait le Frémiladur en blessant la pierre de ses flancs. Le volcan allait devenir tombeau. Son père déjà y reposait. Il fallait arrêter cet… cette… ce truc impensable venu d’on ne sait où. Tout en pensant cela, elle vit le monde différemment. Comme si après avoir regardé un dessin, elle en voyait le modèle. Elle regarda autour d’elle, cherchant l’être qui “parlait” dans sa tête. Elle ne vit que l’ombre de l’ennemi. Elle prit peur. Elle se savait née de la puissance du Frémiladur, elle pensait qu’il pourrait la débarrasser de ça. Pourtant elle douta. Elle dirigea son vol vers les retombées de l’éruption. La poursuivant, l’être informe s’éloigna des hommes. La traversée des chutes de pierres brûlantes fut éprouvante. Elle dut manœuvrer comme elle ne savait pas qu’elle pouvait. Malgré cela, elle fut touchée un certain nombre de fois. Elle sentit les chocs et la chaleur de ces rencontres imprévues. Sa finesse lui permettait ces acrobaties, elle en profita pour se retourner et voir où en était le monstre. Il suivait sans perdre de terrain. Les bombes volcaniques se plantaient dans ce qui lui servait de corps. Les plus grosses le traversaient créant des canaux qui se rebouchaient lentement. Il devenait difforme encore plus hideux si cela était possible. Il avançait semblant insensible aux pierres ou à la lave qu’il traversait. Il lançait imprécations et injures.
Moayanne fut déçue de voir le manque de résultat. Il allait lui falloir trouver autre chose. L’éruption elle-même se calmait.
Alors qu’une nouvelle fois, elle se retournait pour surveiller son poursuivant, elle faillit se faire heurter par un énorme rocher qui retombait. L’autre oiseau de feu qui l’accompagnait depuis la gueule du volcan la bouscula, les éloignant de la trajectoire de la bombe volcanique qui passa en sifflant.
- “Faire attention à tout est une bonne chose” dit la voix dans sa tête.
Maintenant elle était sûre. Ce grand oiseau de feu rouge qui était sorti en même temps qu’elle du volcan était la voix. Il avait une parfaite maîtrise de son vol, semblant glisser sans effort entre les roches qui pleuvaient.
- Mais comment penser à tout ! répondit Moayanne qui peinait à faire de même.
- “Deviens qui tu eeeeees!” répondit l’oiseau rouge en s’éloignant. “Tu as à affronter tes cauchemars. Tu le battras si tu suis qui tu es. La vérité est en toi….”
D’un coup, il disparut. Moayanne en fut peinée. Les retombées du Frémiladur ne lui laissaient pas le temps de s'appesantir sur cette peine. Elle avait des choses plus urgentes à faire.
mercredi 28 janvier 2015
Modtip tremblait de tous ses membres. La terre tremblait, le volcan explosait. L’atmosphère elle-même était sens dessus dessous. Malgré la chaleur et les vapeurs délétères, il ne ressentait aucune douleur mais préférait rester derrière le rocher sans rien voir. Le fils du roi était recroquevillé en boule dans un coin sanglotant comme un enfant. Cappochi avait jeté un regard de mépris vers le fils du roi et avait hurlé sa joie face au chaos.
- Enfin, la force est pour moi.
Cappochi se sentait régénéré par cette chaleur et la force du volcan. Il s’approcha de la gueule du volcan qui crachait sa lave vers le ciel. Il ne bougea même pas quand une partie de la roche en fusion lui retomba dessus. Les bras en croix, il reçut comme un cadeau cette lave qui lui brûla la chair, mettant les os à nu. En se dégoulinant, la roche dessina les contours improbables d’un être qui hurlait:
- JE SUIS LE ROI ! LE MONDE EST À MOI !
Et puis Cappochi sembla devenir comme une flamme jaune, jaune et noire. L’être innommable qui l’habitait prenait pied sur la terre des hommes. Une silhouette qui ne cessait de grandir se tourna vers le fils du roi.
- Tu voulais régner … et bien, tu vas régner… mais tu vas apprendre à obéir. DEBOUT !
Le fils du roi resta prostré. Cappochi fit un geste de son bras de feu. Ce fut comme si le fils du roi avait pris un coup de fouet. Il hurla de douleur lui qui ne l’avait jamais connue.
- DEBOUT !
Il se mit tant bien que mal debout et retomba immédiatement quand la terre se mit de nouveau à trembler. Le corps difforme de Cappochi fermement campé sur des membres griffus resta debout. Il leva de nouveau le bras :
- Le roi est parti sans sa couronne ! dit Cappochi, la chaîne des successions est brisée. Mon temps est venu….
Il n’acheva pas sa phrase. Un choc le fit tomber. Un grand dragon blanc et or venait de le mettre à terre. Il se retourna fouettant l’air d’un grand filament zébrant une nouvelle colonne de lave d’une grande trace noire. Sentant une présence derrière lui, il vit le dragon blanc et or se saisir des deux fils du roi et plonger vers la vallée. L’être immonde hurla. Bondissant à son tour, il sauta dans le vide.
Plus bas au pied du Frémiladur, tout le monde se cherchait un abri. Des pierres tombaient du ciel, brûlantes et mortelles. Plus loin, sur les contreforts, la colonne des courtisans s’était prudemment arrêtée, attendant que le danger s’éloigne.
- Regardez ! Qu’est-ce que c’est ?
Sur le fond noir des fumées du Frémiladur, une ombre blanche se découpait. Derrière elle, semblant jaillir de la colonne de lave et de vapeur dont elle reprenait les couleurs, une forme indistincte dévala les pentes du volcan. Bien peu remarquèrent la petite forme rouge qui planait en arrière.
Louvoyant entre les bombes et les maelströms de vent, ce qui était une forme lointaine devint :
- Un oiseau de feu ! C’EST UN OISEAU DE FEU !
Ce fut comme un feu d’herbe dans un prairie sèche, tout le monde vint voir ce qui se passait, malgré la peur et le danger. Les soldats de la garde rapprochée qui avaient accompagné le roi au pied du Frémiladur, virent le grand dragon blanc et or cabrer brutalement les ailes pour poser à leurs pieds deux silhouettes recroquevillées.
Les soldats se précipitèrent pour les mettre à l’abri. Au-dessus d’eux dans un fracas qui dépassait le bruit de l’éruption, une avalanche de pierres arrivait. Le dragon déjà repartait, reprenant de la hauteur en donnant de grands coups d’ailes. Le flot de rochers chutant s’éloigna pendant que la terre se mit à trembler. Et puis ils virent quelque chose qu’ils ne purent décrire. Ça descendait de la montagne en rabotant la paroi, entraînant les arbres comme les roches vers le bas. Une sorte de pulsation malsaine faisait vibrer un ectoplasme jaune sale zébré de noir. Un hurlement en sortit.
- JE T’AURAI ET JE SERAI LE MAITRE !
Terrés sous l’auvent de pierres qui leur servait d’abri, les soldats se mirent à trembler en s’interrogeant.
- Mais c’est quoi ?
- C’est Cappochi, répondit le fils du roi, assis le dos appuyé à la paroi.
Le chef du détachement se retourna :
- Cappochi ! Mais c’est pas possible !
- Hélas si ! Sans l’arrivée de l’oiseau de feu, je serais, nous serions tous devenus ses esclaves.
- C’est l’oiseau de feu des légendes ?
- Je le crois, mais là-haut, le roi et Moayanne sont tombés dans la gueule du volcan.
- Enfin, la force est pour moi.
Cappochi se sentait régénéré par cette chaleur et la force du volcan. Il s’approcha de la gueule du volcan qui crachait sa lave vers le ciel. Il ne bougea même pas quand une partie de la roche en fusion lui retomba dessus. Les bras en croix, il reçut comme un cadeau cette lave qui lui brûla la chair, mettant les os à nu. En se dégoulinant, la roche dessina les contours improbables d’un être qui hurlait:
- JE SUIS LE ROI ! LE MONDE EST À MOI !
Et puis Cappochi sembla devenir comme une flamme jaune, jaune et noire. L’être innommable qui l’habitait prenait pied sur la terre des hommes. Une silhouette qui ne cessait de grandir se tourna vers le fils du roi.
- Tu voulais régner … et bien, tu vas régner… mais tu vas apprendre à obéir. DEBOUT !
Le fils du roi resta prostré. Cappochi fit un geste de son bras de feu. Ce fut comme si le fils du roi avait pris un coup de fouet. Il hurla de douleur lui qui ne l’avait jamais connue.
- DEBOUT !
Il se mit tant bien que mal debout et retomba immédiatement quand la terre se mit de nouveau à trembler. Le corps difforme de Cappochi fermement campé sur des membres griffus resta debout. Il leva de nouveau le bras :
- Le roi est parti sans sa couronne ! dit Cappochi, la chaîne des successions est brisée. Mon temps est venu….
Il n’acheva pas sa phrase. Un choc le fit tomber. Un grand dragon blanc et or venait de le mettre à terre. Il se retourna fouettant l’air d’un grand filament zébrant une nouvelle colonne de lave d’une grande trace noire. Sentant une présence derrière lui, il vit le dragon blanc et or se saisir des deux fils du roi et plonger vers la vallée. L’être immonde hurla. Bondissant à son tour, il sauta dans le vide.
Plus bas au pied du Frémiladur, tout le monde se cherchait un abri. Des pierres tombaient du ciel, brûlantes et mortelles. Plus loin, sur les contreforts, la colonne des courtisans s’était prudemment arrêtée, attendant que le danger s’éloigne.
- Regardez ! Qu’est-ce que c’est ?
Sur le fond noir des fumées du Frémiladur, une ombre blanche se découpait. Derrière elle, semblant jaillir de la colonne de lave et de vapeur dont elle reprenait les couleurs, une forme indistincte dévala les pentes du volcan. Bien peu remarquèrent la petite forme rouge qui planait en arrière.
Louvoyant entre les bombes et les maelströms de vent, ce qui était une forme lointaine devint :
- Un oiseau de feu ! C’EST UN OISEAU DE FEU !
Ce fut comme un feu d’herbe dans un prairie sèche, tout le monde vint voir ce qui se passait, malgré la peur et le danger. Les soldats de la garde rapprochée qui avaient accompagné le roi au pied du Frémiladur, virent le grand dragon blanc et or cabrer brutalement les ailes pour poser à leurs pieds deux silhouettes recroquevillées.
Les soldats se précipitèrent pour les mettre à l’abri. Au-dessus d’eux dans un fracas qui dépassait le bruit de l’éruption, une avalanche de pierres arrivait. Le dragon déjà repartait, reprenant de la hauteur en donnant de grands coups d’ailes. Le flot de rochers chutant s’éloigna pendant que la terre se mit à trembler. Et puis ils virent quelque chose qu’ils ne purent décrire. Ça descendait de la montagne en rabotant la paroi, entraînant les arbres comme les roches vers le bas. Une sorte de pulsation malsaine faisait vibrer un ectoplasme jaune sale zébré de noir. Un hurlement en sortit.
- JE T’AURAI ET JE SERAI LE MAITRE !
Terrés sous l’auvent de pierres qui leur servait d’abri, les soldats se mirent à trembler en s’interrogeant.
- Mais c’est quoi ?
- C’est Cappochi, répondit le fils du roi, assis le dos appuyé à la paroi.
Le chef du détachement se retourna :
- Cappochi ! Mais c’est pas possible !
- Hélas si ! Sans l’arrivée de l’oiseau de feu, je serais, nous serions tous devenus ses esclaves.
- C’est l’oiseau de feu des légendes ?
- Je le crois, mais là-haut, le roi et Moayanne sont tombés dans la gueule du volcan.
mardi 20 janvier 2015
Le départ se fit avant l’aube. C’est Lyanne qui hérita du bois à porter. Cappochi transporta les bouteilles. On prit le chemin traditionnel. La montée en était régulière. La terre vibrait sous les pieds en même temps que la montagne semblait grommeler. Les deux mille premiers pas furent faciles et puis Lyanne commença à sentir le poids de la charge. On lui avait fixé une sorte de harnais sur lequel on avait entassé le bois. C’étaient les peuples de la grande plaine qui régulièrement l’amenaient. Il était dense et donnait un beau feu sans fumée. Cela avait fait sourire Lyanne qu’on le charge de combustible pour le feu. Mille pas plus loin il ne souriait plus. Il avait les épaules cisaillées par les sangles trop étroites. Cappochi caracolait en tête non loin du roi. Il semblait parfaitement remis. Les quelques flacons qu’il transportait ne le gênaient pas. Le roi ne marchait plus. Ses soldats le portaient. De nouveau son teint terreux et ses gémissements involontaires lors des cahots, trahissaient sa souffrance. Moayanne était une boule d’anxiété regardant son père. Le fils du roi gardait un visage impassible et avançait sans regarder ni à droite, ni à gauche.
Au milieu de la matinée, Lyanne ne sentait plus ses épaules. La progression qui jusque là avait été bonne devint subitement impossible. La chaleur venant de la roche devant eux était telle que pas un homme ne pouvait se risquer à passer.
- Il faut trouver un autre chemin, Majesté. La lave est encore brûlante.
Le découragement se peignit sur le visage du roi.
- Il faut passer, tu entends, il faut !
Le chef du détachement fit signe aux hommes de poser le roi du mieux qu’ils pouvaient. Puis il envoya vers le haut quelques éclaireurs. Pendant ce temps, il donna à boire le remède contre la douleur. Lyanne posa sa charge et bougea les épaules pour les décontracter.
- Alors, on fait moins le fier, lui fit remarquer Moayanne.
- Le bois est lourd et le chemin bien long pour ceux qui souffre. Il existe des passages plus faciles.
- Qu’en sais-tu, toi qui es étranger à ces lieux ?
- Mon instinct me guide quand je l’écoute.
- Et que te dit-il ?
- Un pas plus loin, juste un pas après l’impossible, il y a un passage.
Moayanne se retourna vivement regardant les ondes de chaleur s’élever dans le ciel gris. Elle planta ses yeux dans ceux de Lyanne :
- Cappochi a raison : tu es fou ! Aller par là c’est la mort !
- Je dirai que c’est juste ta peur.
- Le fils du roi dit que c’est trop dangereux.
- Le fils du roi ou Cappochi ?
Moayanne foudroya du regard Lyanne. Elle fit demi-tour et se dirigea vers la coulée de lave. La chaleur était infernale. Elle ferma à moitié les yeux pour se protéger, tout en baissant la tête. Elle pensa : “Encore un pas et mes cheveux vont prendre feu ou ma figure se couvrir de cloques !” Elle hésita. Pensant au regard moqueur que lui lancerait sûrement l’homme-oiseau, elle fit un pas de plus et vit le trou dans le sol. Elle s’y engouffra, heureuse d’être à l’abri de la fournaise. Ces yeux s’habituèrent au manque de lumière. Elle découvrit un tunnel qui montait en ligne presque droite. Ses parois étaient presque lisses comme si une rivière avait coulé là. Aussi loin qu’elle pouvait voir, le tunnel où sa monture serait passée sans se baisser allait dans la bonne direction.
Elle courut porter la nouvelle. L’homme-oiseau n’était pas là. C’est Modtip qui l’accueillit :
- Mais t’étais où ?
- Là en dessous, il y a un passage, lui répondit-elle en l’entraînant vers son père.
Bien que somnolant par l’effet de la drogue, le roi n’hésita pas. Il donna l’ordre d’emprunter le tunnel. À son fils et à Cappochi qui lui recommandaient la prudence, il ne répondit même pas. Ses soldats coururent avec lui pour atteindre l’entrée. Une fois à l’abri, ils se moquèrent les uns des autres, leurs cheveux avaient roussi. Ils reprirent la progression, jetant des regards étonnés tout autour.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Modtip, jamais une rivière n’aurait pu couler ici !
- Tu as raison… et tort… mon fils…, répondit le roi. La tradition parle de ces tunnels où ont coulé des fleuves de roches en fusion. C’est un excellent présage pour nous. Il va là où nous devons aller.
- Et si la lave décidait de reprendre ce chemin, Majesté… que deviendrions-nous ? demanda Cappochi.
- Le frémiladur se calme pour le jour de Bevaka. Écoute, il grommelle mais n’éructe plus. Fais confiance…
Le roi se laissa aller au balancement de ses porteurs, somnolant de plus en plus. Ils avancèrent ainsi à la lueur des torches dans cette roche noire et lisse reflétant la lumière presque comme un miroir. Lyanne suivait. Il utilisait le bois pour en faire des torches qu’il fournissait au fur et à mesure de leur avancée. Ça faisait toujours ça de moins à porter !
Moayanne marchait devant, impatiente d’avancer. Modtip la suivait comme son ombre. Les soldats portaient leur souverain sur un brancard fait de lances et de manteaux. Ils toussaient de plus en plus, incommodés par les émanations venues des roches. Le fils du roi suivi de Cappochi avec lequel il parlait sans cesse venaient après. Lyanne, que les autres considéraient comme un portefaix, fermait le convoi.
- LÀ ! DE LA LUMIÈRE ! hurla Moayanne.
La chaleur augmenta de nouveau brusquement. Heureusement le courant d’air moins chaud qui les poussait dans le dos, montrait une voie possible. Une partie du tunnel s’était effondrée. Un trou grand comme deux hommes surplombait une rivière de lave coulante. C’est avec beaucoup de crainte qu’ils passèrent sur la partie restante. Les soldats y perdirent leurs cheveux. Les plus près du trou eurent la peau couverte de cloques en raison de la puissance de la chaleur. Lyanne dut abandonner son chargement qui avait pris feu. Il rattrapa le groupe au moment où il débouchait en haut du tunnel. Le courant d’air devenait si violent, qu’ils furent presque éjectés sur une étroite plateforme qui se révéla être le chemin traditionnel. Quand Lyanne émergea, cherchant comment expliquer qu’il avait perdu le bois pour le sacrifice, les soldats toussaient à en perdre la respiration. Sans l’air frais venant du tunnel, ils auraient été immédiatement asphyxiés. Le roi était assis le dos contre un rocher. Il buvait à petites gorgées le remède contre la douleur. Son fils était à côté de lui. Cappochi regardait tout autour comme s’il cherchait la suite du sentier. Modtip discutait avec Moayanne.
- On ne peut pas continuer avec les soldats, fit remarquer le roi. Je vais renvoyer les hommes.
- Mais vous ne pouvez pas marcher !
- Regarde ! Ni Cappochi, ni l’homme-oiseau ne toussent ! Pour Cappochi, je ne suis pas étonné !
- Pourquoi ? demanda le fils du roi.
- On dit qu’il ne serait pas le fils de son père… et que sa mère a beaucoup aimé mon frère…
- Je n’ai jamais entendu cela…
- Tout cela s’est passé avant ta naissance.
Le roi posa la tête sur le rocher en fermant les yeux un instant. Puis il reprit :
- Nous manquons de temps. On va repartir. Cappochi et l’homme-oiseau vont me porter. Nous ne sommes plus très loin.
Le voyage reprit. La journée était bien avancée. Cappochi avait passé une sangle sur ses épaules et tirait devant. Lyanne était devenu le porteur arrière. Le fils du roi ouvrait la marche. Sa crainte de voir le bord du cratère détruit par les éruptions se révéla infondée. Le chemin montait rapidement, épuisant pour les porteurs. Sous leurs pieds la terre vibrait toujours. On en sentait la puissance. Moayanne était devant, répétant :
- Plus vite, plus vite !
Modtip suivait avec les flacons qui s’entrechoquaient à chacun de ses pas.
Hahanant, Cappochi tirait et Lyanne poussait. Les muscles souffraient. Aucun des deux ne voulaient avouer sa fatigue. Cappochi cherchait une manière d’en finir. Il avait bien essayé de trébucher mais Lyanne avait réussi à maintenir la stabilité de leur étrange attelage. Si la terre tremblait un peu plus, il réussirait. En attendant, il tirait mettant toute son énergie à cette tâche.
Tout changea quand ils atteignirent la berge du cratère. Ils eurent l’impression d’entrer en enfer. Non seulement la chaleur était violente mais les vapeurs épaisses et piquantes les assaillirent. Moayanne fit deux pas en arrière. Elle se retourna pour attendre le brancard. Son père dodelinait de la tête, dans un sommeil artificiel. Elle vit sur sa poitrine le flacon vide du remède contre la douleur. Elle eut envie de pleurer. Lui seul savait ce qu’il convenait de faire, à moins qu’il ne l’ait dit à son fils. Elle l’interpella.
- Non, Père ne m’a rien dit pour après, répondit-il. On va dans le cratère près de la lave mais après je ne sais pas. Il disait toujours, tu verras quand tu y seras.
Lyanne avait posé une des lances qui servait pour la civière sur un rocher pour se reposer. Cappochi avait fait de même. Pendant qu’il reprenait son souffle, Lyanne observa autour de lui. Ils étaient juste sur la ligne de crête. Moayanne se disputait avec le fils du roi, pendant que Modtip s’était assis le souffle court.
- On n’a qu’à redescendre, disait le fils du roi. Je mettrai la couronne et tout le monde sera content.
- C’est impossible, lui répondit Moayanne, La couronne resterait sans force et tous nos ennemis pourraient en profiter.
- Tu rêves, ma pauvre fille ! Toutes ces histoires de puissance et de gloire ne sont que des légendes. Je n’ai jamais vu Père s’en servir.
- Les temps ont changé, autour de nous de nouvelles puissances se lèvent. Nous devons être forts pour les combattre.
Le fils du roi se mit à rire :
- Et tu crois que ces bouts de métal peuvent aider !
- Tout semblait perdu et le mal semblait triompher quand la reine a reçu la puissance de l’oiseau aux plumes d’or pour vaincre le chambellan.
- Tout cela remonte si loin, soupira le fils du roi. Je ne crois plus aux contes de mon enfance, ni à l’oiseau aux plumes d’or qui viendra dans le soleil. Je ne crois qu’à ma force et à ma ruse.
Lyanne vit sourire Cappochi. Son plan allait enfin marcher. Le fils du roi serait sa créature. Encore un effort, et il serait le maître. Lyanne vit presque distinctement l’ombre jaune sombre prête à dévorer l’âme du fils du roi…
- Je suis l’héritier, alors obéis. Nous redescendons et tout se passera bien.
- Je refuse ! dit Moayanne.
- Il a peut-être raison, dit la petite voix de Modtip. La nuit arrive et je commence à avoir très peur.
- Allez grandis, Moayanne, reprit le fils du roi. Je t’offrirai des robes et des bijoux.
Moayanne ne savait plus quoi faire. Au bord d’un gouffre de feu aux effluves asphyxiantes, elle se trouvait face à une réalité qu’elle n’avait jamais imaginée. Dans ses rêves, ils descendaient au bord du lac de lave et lançait la couronne qui revenait sous la forme de l’oiseau aux plumes d’or tout auréolé de soleil se poser sur la tête de l’héritier qui recevait sagesse et force. Elle sentit sa détermination fléchir. Elle qui s’était assise pour se reposer les épaules du fardeau du coffret, se mit debout, vaincue par le discours du fils du roi, ne voyant pas ce qu’elle pourrait faire d’autre. Elle s’approcha de son père qui avait les yeux fermés. La chaleur évaporait ses larmes.
- Père, Père, sans tes conseils, nous sommes perdus.
Cappochi, derrière elle, sourit. Il avait fait boire tout le flacon au roi, sachant l’effet du médicament, pour mieux influencer le fils. Il allait triompher.
Lyanne écarta le pan de son manteau et dégagea son bâton de pouvoir. Il le décapuchonna tout en le posant par terre.
Alors le monde explosa. Un jet de lave jaillit du cratère dans une explosion assourdissante. Le Frémiladur entrait en éruption. L’étroite bande de terre où ils se reposaient se mit à pencher dangereusement vers l’intérieur. Le roi glissa de son brancard et tomba pendant que les autres s’accrochaient à tout ce qu’ils pouvaient.
- PÈRE ! PÈRE ! hurla Moayanne en tendant un bras comme pour le saisir.
Puis le silence se fit.
- Là ! Regardez ! Père est là ! Vite allons le secourir.
Le fils du roi ne fit pas un geste. Modtip serrait convulsivement un rocher les yeux fermés. Cappochi, arc-bouté, essayait de se dégager des sangles de la civière. Voyant que personne ne bougeait, Moayanne sauta sur une roche en contre-bas.
- RESTE ICI ! lui hurla le fils du roi, FUYONS SI NOUS VOULONS VIVRE !
Moayanne n’écoutait rien et descendait encore. Cappochi, qui s’était dégagé, fit signe au fils du roi, désignant la descente. Celui-ci fit oui de la tête.
À Nouveau la terre trembla. On entendit alors distinctement la voix du roi :
- LE JOUR DE BEVAKA !
Et ce fut le chaos.
Le roi, de nouveau, se mit à tomber, Moayanne aussi. Elle glissait sur la pente de pierres, déchirant ses vêtements et sa peau. Le coffret de la couronne s’arracha, continuant sa dégringolade, rebondissant de pierre en pierre. Il y eut comme un éclat blanc quand il explosa, libérant son contenu. Moayanne qui s’était tant bien que mal accrochée à un rocher, lâcha prise quand une nouvelle explosion envoya des montagnes de lave dans les airs.
Lyanne plongea, devenant rouge dragon, immense et chargé de la puissance du Dieu Dragon, pour affronter la puissance des forces de la terre.
Le lac de lave tout en bas semblait se rétracter, comme s’il prenait son élan pour mieux se projeter. Entre deux panaches de fumées, il vit la silhouette de Moayanne. Il se précipita.
En bas, il vit la lave exploser. Ce fut comme si un soleil éclatait sous ses yeux. Rouge dragon, il ferma ses paupières de feu, celles qui lui permettaient de regarder le soleil en face. Alors il vit. Il vit l’incroyable silhouette d’un oiseau de feu aux ailes immenses se précipitant vers le haut. Il vit la gueule grande ouverte de l’oiseau qui ressemblait de plus en plus à un dragon blanc aux reflets d’or. Il vit le dragon engloutir le corps de Moayanne qui chutait.
Lyanne hurla :
- SHANGAAAAAAAAAA...
Au milieu de la matinée, Lyanne ne sentait plus ses épaules. La progression qui jusque là avait été bonne devint subitement impossible. La chaleur venant de la roche devant eux était telle que pas un homme ne pouvait se risquer à passer.
- Il faut trouver un autre chemin, Majesté. La lave est encore brûlante.
Le découragement se peignit sur le visage du roi.
- Il faut passer, tu entends, il faut !
Le chef du détachement fit signe aux hommes de poser le roi du mieux qu’ils pouvaient. Puis il envoya vers le haut quelques éclaireurs. Pendant ce temps, il donna à boire le remède contre la douleur. Lyanne posa sa charge et bougea les épaules pour les décontracter.
- Alors, on fait moins le fier, lui fit remarquer Moayanne.
- Le bois est lourd et le chemin bien long pour ceux qui souffre. Il existe des passages plus faciles.
- Qu’en sais-tu, toi qui es étranger à ces lieux ?
- Mon instinct me guide quand je l’écoute.
- Et que te dit-il ?
- Un pas plus loin, juste un pas après l’impossible, il y a un passage.
Moayanne se retourna vivement regardant les ondes de chaleur s’élever dans le ciel gris. Elle planta ses yeux dans ceux de Lyanne :
- Cappochi a raison : tu es fou ! Aller par là c’est la mort !
- Je dirai que c’est juste ta peur.
- Le fils du roi dit que c’est trop dangereux.
- Le fils du roi ou Cappochi ?
Moayanne foudroya du regard Lyanne. Elle fit demi-tour et se dirigea vers la coulée de lave. La chaleur était infernale. Elle ferma à moitié les yeux pour se protéger, tout en baissant la tête. Elle pensa : “Encore un pas et mes cheveux vont prendre feu ou ma figure se couvrir de cloques !” Elle hésita. Pensant au regard moqueur que lui lancerait sûrement l’homme-oiseau, elle fit un pas de plus et vit le trou dans le sol. Elle s’y engouffra, heureuse d’être à l’abri de la fournaise. Ces yeux s’habituèrent au manque de lumière. Elle découvrit un tunnel qui montait en ligne presque droite. Ses parois étaient presque lisses comme si une rivière avait coulé là. Aussi loin qu’elle pouvait voir, le tunnel où sa monture serait passée sans se baisser allait dans la bonne direction.
Elle courut porter la nouvelle. L’homme-oiseau n’était pas là. C’est Modtip qui l’accueillit :
- Mais t’étais où ?
- Là en dessous, il y a un passage, lui répondit-elle en l’entraînant vers son père.
Bien que somnolant par l’effet de la drogue, le roi n’hésita pas. Il donna l’ordre d’emprunter le tunnel. À son fils et à Cappochi qui lui recommandaient la prudence, il ne répondit même pas. Ses soldats coururent avec lui pour atteindre l’entrée. Une fois à l’abri, ils se moquèrent les uns des autres, leurs cheveux avaient roussi. Ils reprirent la progression, jetant des regards étonnés tout autour.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Modtip, jamais une rivière n’aurait pu couler ici !
- Tu as raison… et tort… mon fils…, répondit le roi. La tradition parle de ces tunnels où ont coulé des fleuves de roches en fusion. C’est un excellent présage pour nous. Il va là où nous devons aller.
- Et si la lave décidait de reprendre ce chemin, Majesté… que deviendrions-nous ? demanda Cappochi.
- Le frémiladur se calme pour le jour de Bevaka. Écoute, il grommelle mais n’éructe plus. Fais confiance…
Le roi se laissa aller au balancement de ses porteurs, somnolant de plus en plus. Ils avancèrent ainsi à la lueur des torches dans cette roche noire et lisse reflétant la lumière presque comme un miroir. Lyanne suivait. Il utilisait le bois pour en faire des torches qu’il fournissait au fur et à mesure de leur avancée. Ça faisait toujours ça de moins à porter !
Moayanne marchait devant, impatiente d’avancer. Modtip la suivait comme son ombre. Les soldats portaient leur souverain sur un brancard fait de lances et de manteaux. Ils toussaient de plus en plus, incommodés par les émanations venues des roches. Le fils du roi suivi de Cappochi avec lequel il parlait sans cesse venaient après. Lyanne, que les autres considéraient comme un portefaix, fermait le convoi.
- LÀ ! DE LA LUMIÈRE ! hurla Moayanne.
La chaleur augmenta de nouveau brusquement. Heureusement le courant d’air moins chaud qui les poussait dans le dos, montrait une voie possible. Une partie du tunnel s’était effondrée. Un trou grand comme deux hommes surplombait une rivière de lave coulante. C’est avec beaucoup de crainte qu’ils passèrent sur la partie restante. Les soldats y perdirent leurs cheveux. Les plus près du trou eurent la peau couverte de cloques en raison de la puissance de la chaleur. Lyanne dut abandonner son chargement qui avait pris feu. Il rattrapa le groupe au moment où il débouchait en haut du tunnel. Le courant d’air devenait si violent, qu’ils furent presque éjectés sur une étroite plateforme qui se révéla être le chemin traditionnel. Quand Lyanne émergea, cherchant comment expliquer qu’il avait perdu le bois pour le sacrifice, les soldats toussaient à en perdre la respiration. Sans l’air frais venant du tunnel, ils auraient été immédiatement asphyxiés. Le roi était assis le dos contre un rocher. Il buvait à petites gorgées le remède contre la douleur. Son fils était à côté de lui. Cappochi regardait tout autour comme s’il cherchait la suite du sentier. Modtip discutait avec Moayanne.
- On ne peut pas continuer avec les soldats, fit remarquer le roi. Je vais renvoyer les hommes.
- Mais vous ne pouvez pas marcher !
- Regarde ! Ni Cappochi, ni l’homme-oiseau ne toussent ! Pour Cappochi, je ne suis pas étonné !
- Pourquoi ? demanda le fils du roi.
- On dit qu’il ne serait pas le fils de son père… et que sa mère a beaucoup aimé mon frère…
- Je n’ai jamais entendu cela…
- Tout cela s’est passé avant ta naissance.
Le roi posa la tête sur le rocher en fermant les yeux un instant. Puis il reprit :
- Nous manquons de temps. On va repartir. Cappochi et l’homme-oiseau vont me porter. Nous ne sommes plus très loin.
Le voyage reprit. La journée était bien avancée. Cappochi avait passé une sangle sur ses épaules et tirait devant. Lyanne était devenu le porteur arrière. Le fils du roi ouvrait la marche. Sa crainte de voir le bord du cratère détruit par les éruptions se révéla infondée. Le chemin montait rapidement, épuisant pour les porteurs. Sous leurs pieds la terre vibrait toujours. On en sentait la puissance. Moayanne était devant, répétant :
- Plus vite, plus vite !
Modtip suivait avec les flacons qui s’entrechoquaient à chacun de ses pas.
Hahanant, Cappochi tirait et Lyanne poussait. Les muscles souffraient. Aucun des deux ne voulaient avouer sa fatigue. Cappochi cherchait une manière d’en finir. Il avait bien essayé de trébucher mais Lyanne avait réussi à maintenir la stabilité de leur étrange attelage. Si la terre tremblait un peu plus, il réussirait. En attendant, il tirait mettant toute son énergie à cette tâche.
Tout changea quand ils atteignirent la berge du cratère. Ils eurent l’impression d’entrer en enfer. Non seulement la chaleur était violente mais les vapeurs épaisses et piquantes les assaillirent. Moayanne fit deux pas en arrière. Elle se retourna pour attendre le brancard. Son père dodelinait de la tête, dans un sommeil artificiel. Elle vit sur sa poitrine le flacon vide du remède contre la douleur. Elle eut envie de pleurer. Lui seul savait ce qu’il convenait de faire, à moins qu’il ne l’ait dit à son fils. Elle l’interpella.
- Non, Père ne m’a rien dit pour après, répondit-il. On va dans le cratère près de la lave mais après je ne sais pas. Il disait toujours, tu verras quand tu y seras.
Lyanne avait posé une des lances qui servait pour la civière sur un rocher pour se reposer. Cappochi avait fait de même. Pendant qu’il reprenait son souffle, Lyanne observa autour de lui. Ils étaient juste sur la ligne de crête. Moayanne se disputait avec le fils du roi, pendant que Modtip s’était assis le souffle court.
- On n’a qu’à redescendre, disait le fils du roi. Je mettrai la couronne et tout le monde sera content.
- C’est impossible, lui répondit Moayanne, La couronne resterait sans force et tous nos ennemis pourraient en profiter.
- Tu rêves, ma pauvre fille ! Toutes ces histoires de puissance et de gloire ne sont que des légendes. Je n’ai jamais vu Père s’en servir.
- Les temps ont changé, autour de nous de nouvelles puissances se lèvent. Nous devons être forts pour les combattre.
Le fils du roi se mit à rire :
- Et tu crois que ces bouts de métal peuvent aider !
- Tout semblait perdu et le mal semblait triompher quand la reine a reçu la puissance de l’oiseau aux plumes d’or pour vaincre le chambellan.
- Tout cela remonte si loin, soupira le fils du roi. Je ne crois plus aux contes de mon enfance, ni à l’oiseau aux plumes d’or qui viendra dans le soleil. Je ne crois qu’à ma force et à ma ruse.
Lyanne vit sourire Cappochi. Son plan allait enfin marcher. Le fils du roi serait sa créature. Encore un effort, et il serait le maître. Lyanne vit presque distinctement l’ombre jaune sombre prête à dévorer l’âme du fils du roi…
- Je suis l’héritier, alors obéis. Nous redescendons et tout se passera bien.
- Je refuse ! dit Moayanne.
- Il a peut-être raison, dit la petite voix de Modtip. La nuit arrive et je commence à avoir très peur.
- Allez grandis, Moayanne, reprit le fils du roi. Je t’offrirai des robes et des bijoux.
Moayanne ne savait plus quoi faire. Au bord d’un gouffre de feu aux effluves asphyxiantes, elle se trouvait face à une réalité qu’elle n’avait jamais imaginée. Dans ses rêves, ils descendaient au bord du lac de lave et lançait la couronne qui revenait sous la forme de l’oiseau aux plumes d’or tout auréolé de soleil se poser sur la tête de l’héritier qui recevait sagesse et force. Elle sentit sa détermination fléchir. Elle qui s’était assise pour se reposer les épaules du fardeau du coffret, se mit debout, vaincue par le discours du fils du roi, ne voyant pas ce qu’elle pourrait faire d’autre. Elle s’approcha de son père qui avait les yeux fermés. La chaleur évaporait ses larmes.
- Père, Père, sans tes conseils, nous sommes perdus.
Cappochi, derrière elle, sourit. Il avait fait boire tout le flacon au roi, sachant l’effet du médicament, pour mieux influencer le fils. Il allait triompher.
Lyanne écarta le pan de son manteau et dégagea son bâton de pouvoir. Il le décapuchonna tout en le posant par terre.
Alors le monde explosa. Un jet de lave jaillit du cratère dans une explosion assourdissante. Le Frémiladur entrait en éruption. L’étroite bande de terre où ils se reposaient se mit à pencher dangereusement vers l’intérieur. Le roi glissa de son brancard et tomba pendant que les autres s’accrochaient à tout ce qu’ils pouvaient.
- PÈRE ! PÈRE ! hurla Moayanne en tendant un bras comme pour le saisir.
Puis le silence se fit.
- Là ! Regardez ! Père est là ! Vite allons le secourir.
Le fils du roi ne fit pas un geste. Modtip serrait convulsivement un rocher les yeux fermés. Cappochi, arc-bouté, essayait de se dégager des sangles de la civière. Voyant que personne ne bougeait, Moayanne sauta sur une roche en contre-bas.
- RESTE ICI ! lui hurla le fils du roi, FUYONS SI NOUS VOULONS VIVRE !
Moayanne n’écoutait rien et descendait encore. Cappochi, qui s’était dégagé, fit signe au fils du roi, désignant la descente. Celui-ci fit oui de la tête.
À Nouveau la terre trembla. On entendit alors distinctement la voix du roi :
- LE JOUR DE BEVAKA !
Et ce fut le chaos.
Le roi, de nouveau, se mit à tomber, Moayanne aussi. Elle glissait sur la pente de pierres, déchirant ses vêtements et sa peau. Le coffret de la couronne s’arracha, continuant sa dégringolade, rebondissant de pierre en pierre. Il y eut comme un éclat blanc quand il explosa, libérant son contenu. Moayanne qui s’était tant bien que mal accrochée à un rocher, lâcha prise quand une nouvelle explosion envoya des montagnes de lave dans les airs.
Lyanne plongea, devenant rouge dragon, immense et chargé de la puissance du Dieu Dragon, pour affronter la puissance des forces de la terre.
Le lac de lave tout en bas semblait se rétracter, comme s’il prenait son élan pour mieux se projeter. Entre deux panaches de fumées, il vit la silhouette de Moayanne. Il se précipita.
En bas, il vit la lave exploser. Ce fut comme si un soleil éclatait sous ses yeux. Rouge dragon, il ferma ses paupières de feu, celles qui lui permettaient de regarder le soleil en face. Alors il vit. Il vit l’incroyable silhouette d’un oiseau de feu aux ailes immenses se précipitant vers le haut. Il vit la gueule grande ouverte de l’oiseau qui ressemblait de plus en plus à un dragon blanc aux reflets d’or. Il vit le dragon engloutir le corps de Moayanne qui chutait.
Lyanne hurla :
- SHANGAAAAAAAAAA...
jeudi 15 janvier 2015
Moayanne s’inquiétait. Malgré les soins du guérisseur, l’état de son père empirait. L’odeur de la plaie était épouvantable, son aspect repoussant. Le tissu du pantalon était distendu par l’œdème de la jambe. Son père tentait de faire bonne figure. Malgré toute sa volonté, son visage était gris de douleur et de fatigue. En plus, il ne voulait rien entendre et obligeait à un train d’enfer. La seule consolation de Moayanne était que son père refusait d’écouter ce … Cappochi et même son propre fils. Chaque foulée de leurs montures les rapprochait du Frémiladur. Il lui avait confié la vraie date du jour de Bevaka. Il fallait serrer les dents encore un peu et la puissance de nouveau coulerait dans les veines d’un roi coiffé de sa couronne. Alors ce Cappochi n’aurait qu’à bien se tenir… Enfin elle espérait. Moayanne avait bien vu les manœuvres de cet arriviste pour séduire son aîné. Tout fils de roi qu’il était, il manquait de jugement pour donner ainsi tant d’importance à ce personnage.
À la nuit tombante, quand arriva l’ordre de bivouaquer, Moayanne se laissa tomber plus qu’elle ne descendit de sa selle. Elle soutint du mieux qu’elle put la boîte contenant la couronne. Le poids en devenait trop lourd pour elle. Il fallait qu’elle la pose. Ses servantes étaient restées avec le gros de la troupe. Si les soldats étaient gentils et attentifs, elle ne pouvait en attendre aucune aide pour elle-même. Elle s’écroula dans sa tente, ôtant juste ses habits de journée pour ne garder que sa fine chemise.
Cette nuit-là, elle fit un rêve étrange, ou plutôt un cauchemar. Un bruit l’avait alertée. Elle était dans un espace sombre dont les parois semblaient battre au rythme de son cœur. Regardant autour d’elle, elle vit la boîte contenant la couronne royale. “Où suis-je ?” se demanda-t-elle. Elle remarqua alors qu’elle voyait aussi la couronne qui semblait luire d’une douce lumière comme une braise dans un feu qui s’éteint. Un mouvement à la limite de son champ de vision lui fit tourner la tête. Elle fixa l’endroit sans rien voir. Elle reprit sa contemplation de la couronne, détaillant chaque décoration, chaque pierre et jusqu’à ce curieux oiseau qui était au milieu. De nouveau, elle eut l’impression de voir quelque chose, une forme, une silhouette à la limite de sa vue sur la gauche. Tournant son regard vers ce qui bougeait, elle ne vit rien. Elle prit peur, sentant une présence qu’elle ne voyait pas. Elle essaya de se calmer. Elle allait se réveiller et tout allait rentrer dans l’ordre. C’est alors que prit naissance cette chose hideuse qui lui fit pousser un petit cri. Elle ne la voyait qu’à la condition de ne pas la regarder en face. Si elle braquait son regard dessus, elle devinait avec peine une brume jaune sale. Ce qu’elle apercevait lui rappela les arbres des marais, sortes de totems chétifs couverts de lichens moussus aux silhouettes torturées.
Son malaise augmenta devant cette magie à l’oeuvre au sein même de sa tente. Une pensée lui vint, elle devait ouvrir la boîte qui contenait la couronne. Elle avança la main presque sans y penser. C’est en touchant le coffret qu’elle prit conscience de ce qu’elle faisait. Elle fit un effort pour arrêter sa main qui déjà commençait à jouer avec la serrure. Ce coffre de voyage était en lui-même une protection contre tout ce qui pouvait atteindre la puissance qui y habitait. Elle savait que seule l’union de son père et de la couronne pouvait résister aux êtres maléfiques. Elle cria à nouveau, luttant avec elle-même pour retenir sa main qui semblait ne plus vouloir lui obéir. En périphérie de son champ de vision la chose hideuse s’agitait comme habitée de convulsions. Moayanne connut la panique. Elle avait perdu le pouvoir sur son corps qui semblait ne plus lui obéir. C’était maintenant la deuxième main qui tentait de faire jouer la serrure. Elle banda ses forces pour résister mais rien n’y fit. Le premier verrou venait de jouer quand souffla le vent le plus glacial qu’elle n’ai jamais connu. Comme au pire de l’hiver, elle se mit à tant frissonner que ses mains ne purent continuer leur mouvement. À la seule lueur émanant de la couronne, elle vit l’hideuse créature se recroqueviller. Touchée de plein fouet par ce vent plus froid que la mort, la forme jaune sale convulsa une dernière fois avant de s’abattre par terre. Moayanne sentit alors la pression mentale la quitter brusquement. Elle put attraper un manteau pour couvrir son frêle vêtement de nuit. Elle parcourut la tente qui l’abritait pour voir d’où venait ce vent qui soufflait ainsi. Elle repéra sans peine la déchirure dans la paroi de sa tente par où il pénétrait. Et brusquement tout cessa.
Moayanne bondit de son lit. Le noir était absolu. Tout semblait calme. Un rêve ! Elle avait simplement cauchemardé tout cela. Demain le voyage reprendrait et son père pourrait régénérer sa puissance en faisant le rite de Bevaka. Elle souleva le pan de sa porte, dehors l’air était tiède. La pluie avait cessé. Un rayon de lune éclairait le paysage. Elle examina sa tente, tout était en ordre. Les verrous du coffret à leur place. Elle retourna se coucher. Elle avait rêvé, simplement un mauvais rêve. Une seule chose la dérangea, pourquoi faisait-il aussi froid dans sa tente ?
Lyanne était assez content de lui. Il avait réussi à intervenir encore une fois en évitant la confrontation directe avec Cappochi. Il savait maintenant que l’être sombre serait en rage. celui-ci avait été mis en échec trop de fois pour que ce soit le hasard. Le jour de Bevaka approchait, l’obligeant à prendre plus de risques. Lyanne pensa que la discrétion restait sa meilleure arme. Il avança prudemment dans la nuit. Les soldats abrutis de fatigue dormaient. Les sentinelles elles-mêmes, somnolaient. Lyanne, rouge dragon de glace et de feu, marchait dans l’entre-deux mondes, comme savent le faire les dragons. C’est à peine si on le remarquait dans le monde des hommes. Il était comme une brume légère aux reflets rouges. Sa taille ne le gênait pas. Les objets matériels n’étant pas sur le même plan que lui, n’étaient pas un obstacle. Lyanne repéra la tente de Cappochi. Celui-ci la partageait avec un petit hobereau qui lui était tout dévoué. Aussi noir de cœur que son maître, il surveillait le corps physique de l’être sombre quand celui-ci en sortait. Lyanne sourit en les voyant. Cappochi grelottait de ce qu’il avait vécu dans la tente de Moayanne. Il ne serait pas opérationnel avant le jour. Son alter ego l’avait couvert et tentait de faire prendre un feu avec du bois trop humide. Lyanne pensa qu’il aurait pu éliminer l’être sombre là maintenant en finissant de geler le corps de Cappochi. Ayant perdu son ancrage physique, l’être sombre aurait été neutralisé. Il ne fit rien. Ce n’était pas son combat. Il passa son chemin pour aller plus loin. Il s’était rapproché de la tente du roi. Il entendit bientôt le gémissement que le blessé laissait échapper. Il sonda le corps du roi. Il y trouva le mal. La jambe était marbrée, tendue, violine et jaune. Non seulement l’infection avait fait gonfler les chairs, mais déjà le crépitement de sa fermentation s’étendait vers le ventre. Lyanne ne pouvait pas le sauver. Le roi allait mourir. Il pensa qu’il pourrait peut-être soulager ses douleurs. Il fit appel à sa magie. Lentement le froid s’insinua dans le membre malade, insensibilisant les nerfs et paralysant les muscles. Quand le rouge dragon s’éloigna, le roi dormait d’un sommeil calme et sans rêve.
Le matin venu, il fallut aider le roi à se mettre en selle. À Moayanne qui s’inquiétait, il répondit qu’il n’avait plus de douleurs, signe que les choses allaient mieux. À son fils qui le suppliait de se reposer, il répondit que le jour de Bevaka n’attendrait pas. À Modtip qui ne savait que croire, il lui dit de chevaucher à côté de lui.
- Et ne traînons pas. Ce soir nous serons au pied du Frémiladur.
Gather ne comprenait pas. Il n’avait jamais vu cela. Il mit ce membre devenu froid et raide sur le compte de la magie propre au roi et à sa couronne. Il remarqua bien que Cappochi grelottait malgré la douceur du vent de la mer, qui poussait les lourds nuages du Frémiladur loin devant eux. Il avait voulu l’aider mais le courtisan avait refusé toute aide.
- Le roi devrait se reposer et il ne le fait pas. Je ne vais pas me plaindre pour un rhume.
Gather doutait des paroles de Cappochi. Il n’avait jamais vu de rhume faire autant grelotter. Il pensa que Cappochi devait être brûlant de fièvre.
En fait Cappochi se sentait encore gelé. L’être avait passé la nuit à chasser les esprits mineurs pour leur voler leur énergie. Mais la chasse avait été médiocre. Il rageait d’autant plus qu’il commençait à manquer de temps. Il avait compté sur l’infection royale pour ralentir le voyage. Il avait prévu de neutraliser la couronne. Rien n’avait fonctionné comme prévu. Tous ses plans avaient échoué. Un autre esprit, puissant et glaçant, le poursuivait. Il en était sûr. Il avait sondé tous les gens de l’expédition sans trouver l’accroche de son ennemi dans le monde des hommes. Même celui qu’on appelait l’homme-oiseau était trop réel pour être un avatar. Les soldats avaient parlé de loups noirs avec beaucoup de crainte. Il avait lui-même vu les traces. Une meute complète pouvait très bien contenir la puissance pour un tel esprit.
Moayanne s’était positionnée derrière son père. Elle n’avait pas du tout été rassurée par ses explications. Elle ne le quittait pas des yeux, guettant les signes annonciateurs de la catastrophe. La seule chose qui lui arrachait une sourire était de voir le fils du roi, son demi-frère, aller et venir. Régulièrement il se laissait distancer pour prendre des nouvelles de Cappochi et revenait prendre sa place non loin du roi. Sa grise mine réjouissait Moayanne. Tant que cela serait ainsi, Cappochi ne pourrait plus influencer personne.
Le vent était assez fort, rendant la pluie cinglante. C’était une pluie grise des poussières venues des nuages vomie par le Frémiladur. Quand arriva le soir, le roi eut un sourire las. Ils étaient aux pieds du grand volcan qui grondait sans cesser de fumer.
- Les anciens chemins ont disparu, mon Père, dit le fils du roi. Demain nous enverrons des éclaireurs pour trouver le meilleur passage.
- Non, mon fils, tes conseils de prudence sont inutiles. Nous serons pas sages, nous irons directement.
Le fils du roi eut un frémissement de peur, à l’idée de s’aventurer sans reconnaissance sur ces pentes changeantes.
- Il faut préparer les offrandes ce soir. Nous partirons avant l’aube.
La nuit était tombée quand, sous des abris humides, ils finirent les préparatifs. Le roi ne porterait rien. Ses soldats les plus anciens s’étaient portés volontaires pour le soutenir pendant la montée. Ils allaient mourir au service du roi pour que le rite soit accompli. Ils y allaient sans rechigner, ils avaient tant et tant risqué leurs vies pour lui qu’ils étaient prêts à la donner. Derrière le fils du roi monterait avec les herbes à faire fumer ainsi qu’avec les bouteilles pour les libations. Moayanne, fidèle à sa mission, porterait la couronne dans son écrin de voyage. Modtip porterait les ustensiles pour les autels. Pour le bois destiné au feu des offrandes, Cappochi s’offrit spontanément pour le porter. Il fit tout un discours sur son attachement au jour de Bevaka et aux traditions, au possible don de sa vie pour la grandeur du roi que ce dernier en fut ému et qu’il le remercia chaleureusement. Seule Moayanne se tint en retrait des louanges. Elle ne lui faisait pas confiance. La soirée était bien avancée quand il y eut des cris puis, on amena Lyanne près du feu.
- Majesté, nous l’avons trouvé avançant vers le camp.
Cappochi fit la grimace, mettant en doute la compétence des soldats qui l’avaient attaché lors d’un précédent arrêt.
Moayanne se glissa derrière son père et lui chuchota quelques mots. Le roi se redressa :
- L’homme-oiseau est là, alors il portera les offrandes. S’il survit, il aura la vie sauve.
Personne n’avait fait de commentaires. Pour Lyanne la simple vue de chaque visage était éloquente. D’autant plus que dans cette nuit où le feu rougeoyait plus qu’il n’éclairait, chacun pensait son visage invisible.
À la nuit tombante, quand arriva l’ordre de bivouaquer, Moayanne se laissa tomber plus qu’elle ne descendit de sa selle. Elle soutint du mieux qu’elle put la boîte contenant la couronne. Le poids en devenait trop lourd pour elle. Il fallait qu’elle la pose. Ses servantes étaient restées avec le gros de la troupe. Si les soldats étaient gentils et attentifs, elle ne pouvait en attendre aucune aide pour elle-même. Elle s’écroula dans sa tente, ôtant juste ses habits de journée pour ne garder que sa fine chemise.
Cette nuit-là, elle fit un rêve étrange, ou plutôt un cauchemar. Un bruit l’avait alertée. Elle était dans un espace sombre dont les parois semblaient battre au rythme de son cœur. Regardant autour d’elle, elle vit la boîte contenant la couronne royale. “Où suis-je ?” se demanda-t-elle. Elle remarqua alors qu’elle voyait aussi la couronne qui semblait luire d’une douce lumière comme une braise dans un feu qui s’éteint. Un mouvement à la limite de son champ de vision lui fit tourner la tête. Elle fixa l’endroit sans rien voir. Elle reprit sa contemplation de la couronne, détaillant chaque décoration, chaque pierre et jusqu’à ce curieux oiseau qui était au milieu. De nouveau, elle eut l’impression de voir quelque chose, une forme, une silhouette à la limite de sa vue sur la gauche. Tournant son regard vers ce qui bougeait, elle ne vit rien. Elle prit peur, sentant une présence qu’elle ne voyait pas. Elle essaya de se calmer. Elle allait se réveiller et tout allait rentrer dans l’ordre. C’est alors que prit naissance cette chose hideuse qui lui fit pousser un petit cri. Elle ne la voyait qu’à la condition de ne pas la regarder en face. Si elle braquait son regard dessus, elle devinait avec peine une brume jaune sale. Ce qu’elle apercevait lui rappela les arbres des marais, sortes de totems chétifs couverts de lichens moussus aux silhouettes torturées.
Son malaise augmenta devant cette magie à l’oeuvre au sein même de sa tente. Une pensée lui vint, elle devait ouvrir la boîte qui contenait la couronne. Elle avança la main presque sans y penser. C’est en touchant le coffret qu’elle prit conscience de ce qu’elle faisait. Elle fit un effort pour arrêter sa main qui déjà commençait à jouer avec la serrure. Ce coffre de voyage était en lui-même une protection contre tout ce qui pouvait atteindre la puissance qui y habitait. Elle savait que seule l’union de son père et de la couronne pouvait résister aux êtres maléfiques. Elle cria à nouveau, luttant avec elle-même pour retenir sa main qui semblait ne plus vouloir lui obéir. En périphérie de son champ de vision la chose hideuse s’agitait comme habitée de convulsions. Moayanne connut la panique. Elle avait perdu le pouvoir sur son corps qui semblait ne plus lui obéir. C’était maintenant la deuxième main qui tentait de faire jouer la serrure. Elle banda ses forces pour résister mais rien n’y fit. Le premier verrou venait de jouer quand souffla le vent le plus glacial qu’elle n’ai jamais connu. Comme au pire de l’hiver, elle se mit à tant frissonner que ses mains ne purent continuer leur mouvement. À la seule lueur émanant de la couronne, elle vit l’hideuse créature se recroqueviller. Touchée de plein fouet par ce vent plus froid que la mort, la forme jaune sale convulsa une dernière fois avant de s’abattre par terre. Moayanne sentit alors la pression mentale la quitter brusquement. Elle put attraper un manteau pour couvrir son frêle vêtement de nuit. Elle parcourut la tente qui l’abritait pour voir d’où venait ce vent qui soufflait ainsi. Elle repéra sans peine la déchirure dans la paroi de sa tente par où il pénétrait. Et brusquement tout cessa.
Moayanne bondit de son lit. Le noir était absolu. Tout semblait calme. Un rêve ! Elle avait simplement cauchemardé tout cela. Demain le voyage reprendrait et son père pourrait régénérer sa puissance en faisant le rite de Bevaka. Elle souleva le pan de sa porte, dehors l’air était tiède. La pluie avait cessé. Un rayon de lune éclairait le paysage. Elle examina sa tente, tout était en ordre. Les verrous du coffret à leur place. Elle retourna se coucher. Elle avait rêvé, simplement un mauvais rêve. Une seule chose la dérangea, pourquoi faisait-il aussi froid dans sa tente ?
Lyanne était assez content de lui. Il avait réussi à intervenir encore une fois en évitant la confrontation directe avec Cappochi. Il savait maintenant que l’être sombre serait en rage. celui-ci avait été mis en échec trop de fois pour que ce soit le hasard. Le jour de Bevaka approchait, l’obligeant à prendre plus de risques. Lyanne pensa que la discrétion restait sa meilleure arme. Il avança prudemment dans la nuit. Les soldats abrutis de fatigue dormaient. Les sentinelles elles-mêmes, somnolaient. Lyanne, rouge dragon de glace et de feu, marchait dans l’entre-deux mondes, comme savent le faire les dragons. C’est à peine si on le remarquait dans le monde des hommes. Il était comme une brume légère aux reflets rouges. Sa taille ne le gênait pas. Les objets matériels n’étant pas sur le même plan que lui, n’étaient pas un obstacle. Lyanne repéra la tente de Cappochi. Celui-ci la partageait avec un petit hobereau qui lui était tout dévoué. Aussi noir de cœur que son maître, il surveillait le corps physique de l’être sombre quand celui-ci en sortait. Lyanne sourit en les voyant. Cappochi grelottait de ce qu’il avait vécu dans la tente de Moayanne. Il ne serait pas opérationnel avant le jour. Son alter ego l’avait couvert et tentait de faire prendre un feu avec du bois trop humide. Lyanne pensa qu’il aurait pu éliminer l’être sombre là maintenant en finissant de geler le corps de Cappochi. Ayant perdu son ancrage physique, l’être sombre aurait été neutralisé. Il ne fit rien. Ce n’était pas son combat. Il passa son chemin pour aller plus loin. Il s’était rapproché de la tente du roi. Il entendit bientôt le gémissement que le blessé laissait échapper. Il sonda le corps du roi. Il y trouva le mal. La jambe était marbrée, tendue, violine et jaune. Non seulement l’infection avait fait gonfler les chairs, mais déjà le crépitement de sa fermentation s’étendait vers le ventre. Lyanne ne pouvait pas le sauver. Le roi allait mourir. Il pensa qu’il pourrait peut-être soulager ses douleurs. Il fit appel à sa magie. Lentement le froid s’insinua dans le membre malade, insensibilisant les nerfs et paralysant les muscles. Quand le rouge dragon s’éloigna, le roi dormait d’un sommeil calme et sans rêve.
Le matin venu, il fallut aider le roi à se mettre en selle. À Moayanne qui s’inquiétait, il répondit qu’il n’avait plus de douleurs, signe que les choses allaient mieux. À son fils qui le suppliait de se reposer, il répondit que le jour de Bevaka n’attendrait pas. À Modtip qui ne savait que croire, il lui dit de chevaucher à côté de lui.
- Et ne traînons pas. Ce soir nous serons au pied du Frémiladur.
Gather ne comprenait pas. Il n’avait jamais vu cela. Il mit ce membre devenu froid et raide sur le compte de la magie propre au roi et à sa couronne. Il remarqua bien que Cappochi grelottait malgré la douceur du vent de la mer, qui poussait les lourds nuages du Frémiladur loin devant eux. Il avait voulu l’aider mais le courtisan avait refusé toute aide.
- Le roi devrait se reposer et il ne le fait pas. Je ne vais pas me plaindre pour un rhume.
Gather doutait des paroles de Cappochi. Il n’avait jamais vu de rhume faire autant grelotter. Il pensa que Cappochi devait être brûlant de fièvre.
En fait Cappochi se sentait encore gelé. L’être avait passé la nuit à chasser les esprits mineurs pour leur voler leur énergie. Mais la chasse avait été médiocre. Il rageait d’autant plus qu’il commençait à manquer de temps. Il avait compté sur l’infection royale pour ralentir le voyage. Il avait prévu de neutraliser la couronne. Rien n’avait fonctionné comme prévu. Tous ses plans avaient échoué. Un autre esprit, puissant et glaçant, le poursuivait. Il en était sûr. Il avait sondé tous les gens de l’expédition sans trouver l’accroche de son ennemi dans le monde des hommes. Même celui qu’on appelait l’homme-oiseau était trop réel pour être un avatar. Les soldats avaient parlé de loups noirs avec beaucoup de crainte. Il avait lui-même vu les traces. Une meute complète pouvait très bien contenir la puissance pour un tel esprit.
Moayanne s’était positionnée derrière son père. Elle n’avait pas du tout été rassurée par ses explications. Elle ne le quittait pas des yeux, guettant les signes annonciateurs de la catastrophe. La seule chose qui lui arrachait une sourire était de voir le fils du roi, son demi-frère, aller et venir. Régulièrement il se laissait distancer pour prendre des nouvelles de Cappochi et revenait prendre sa place non loin du roi. Sa grise mine réjouissait Moayanne. Tant que cela serait ainsi, Cappochi ne pourrait plus influencer personne.
Le vent était assez fort, rendant la pluie cinglante. C’était une pluie grise des poussières venues des nuages vomie par le Frémiladur. Quand arriva le soir, le roi eut un sourire las. Ils étaient aux pieds du grand volcan qui grondait sans cesser de fumer.
- Les anciens chemins ont disparu, mon Père, dit le fils du roi. Demain nous enverrons des éclaireurs pour trouver le meilleur passage.
- Non, mon fils, tes conseils de prudence sont inutiles. Nous serons pas sages, nous irons directement.
Le fils du roi eut un frémissement de peur, à l’idée de s’aventurer sans reconnaissance sur ces pentes changeantes.
- Il faut préparer les offrandes ce soir. Nous partirons avant l’aube.
La nuit était tombée quand, sous des abris humides, ils finirent les préparatifs. Le roi ne porterait rien. Ses soldats les plus anciens s’étaient portés volontaires pour le soutenir pendant la montée. Ils allaient mourir au service du roi pour que le rite soit accompli. Ils y allaient sans rechigner, ils avaient tant et tant risqué leurs vies pour lui qu’ils étaient prêts à la donner. Derrière le fils du roi monterait avec les herbes à faire fumer ainsi qu’avec les bouteilles pour les libations. Moayanne, fidèle à sa mission, porterait la couronne dans son écrin de voyage. Modtip porterait les ustensiles pour les autels. Pour le bois destiné au feu des offrandes, Cappochi s’offrit spontanément pour le porter. Il fit tout un discours sur son attachement au jour de Bevaka et aux traditions, au possible don de sa vie pour la grandeur du roi que ce dernier en fut ému et qu’il le remercia chaleureusement. Seule Moayanne se tint en retrait des louanges. Elle ne lui faisait pas confiance. La soirée était bien avancée quand il y eut des cris puis, on amena Lyanne près du feu.
- Majesté, nous l’avons trouvé avançant vers le camp.
Cappochi fit la grimace, mettant en doute la compétence des soldats qui l’avaient attaché lors d’un précédent arrêt.
Moayanne se glissa derrière son père et lui chuchota quelques mots. Le roi se redressa :
- L’homme-oiseau est là, alors il portera les offrandes. S’il survit, il aura la vie sauve.
Personne n’avait fait de commentaires. Pour Lyanne la simple vue de chaque visage était éloquente. D’autant plus que dans cette nuit où le feu rougeoyait plus qu’il n’éclairait, chacun pensait son visage invisible.
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