mardi 19 mars 2013

L'arrivée du dragon changea le cours de la deuxième bataille de la ville. Si l'assaut des forces de Yas était arrivé par la vallée, l'attaque d'aujourd'hui se faisait sur la porte du haut. Le dragon-homme vit les corps étalés dans la neige, percés de flèches. Son premier passage à basse altitude figea les combattants. Son deuxième passage alors qu'il crachait le feu sur les attaquants, provoqua une panique. Lors de son virage sur l'aile, il prit conscience que les assaillants avaient des tenues de guerriers blancs. Des gestes-ordres étaient donnés pour bloquer la fuite. Il vit le regroupement des forces près de la pierre qui bouge. Il décida de se poser entre eux et la ville. Le souffle puissant de ses ailes déstabilisa les archers et les flèches partirent dans tous les sens. Il allait rôtir tout ce petit monde quand il vit quatre hommes jeter loin d'eux des étuis rouges. Ses yeux d'or se fixèrent sur eux :
- Alors princes, vous attaquez ma ville !
Il repéra les regards et les gestes incertains des guerriers blancs. Les légendes étaient trop présentes dans leurs esprits pour qu'ils ignorent la réalité du dragon. Ils se tournèrent vers les quatre princes. Trois d'entre eux avaient mis genou à terre. Le quatrième la lance à la main, déclara :
- Tremble, esprit du mal. Tes illusions ne tiendront pas devant la puissance du vrai roi !
Ayant dit cela, il lança un javelot noir comme la nuit. Le trait vola vers son poitrail. Le dragon-homme sentit le mal qui l'habitait. Le dragon-homme se transforma. Devenu le roi-dragon, il leva son bâton de pouvoir. Le feu s'empara de l'arme. Tout le monde regarda cette flamme volante se transformer en boule noire. Elle alla s'écraser sur la neige non loin de la porte haute. On vit une fumée noire s'élever pendant que fondait la couche neigeuse. Le phénomène alla jusqu'à la terre qui prit une teinte noire. Le lanceur de javelot reprit le même type d'arme. Le roi-dragon vit qu'il portait au doigt un anneau de prince neuvième comme Quiloma. Alors que l'homme armait son bras, le roi-dragon fit usage de sa puissance. Le noir javelot s'embrasa dans la main du prince formant une boule de feu et d'obscurité. Sous les yeux des combattants, l'ombre cerclée de flamme prit de l'ampleur, cachant le corps de l'homme. Un hurlement en sortit crescendo pour finir dans un borborygme indistinct. Dans le silence qui s'était installé, il ne restait plus que le grésillement d'un amas noir au sol faisant fondre la neige. Les trois autres princes portant un anneau de prince dixième, genou à terre, mirent le poing droit fermé sur le cœur. Devant ce spectacle, tous les attaquants firent de même. Derrière le roi-dragon monta l'ovation.
Quiloma sortit en boitant suivi de sa phalange en position de combat. Les autres se laissèrent désarmer sans résister, la tête basse.
Le roi-dragon et les princes se retrouvèrent dans la grande salle de Montaggone. Les trois princes-dixième étaient genoux à terre. Quiloma s'était assis. Une flèche lui avait déchiré la cuisse. Il avait eu de la chance. Seuls les javelots semblaient avoir été recouverts de ce poison noir. Il s'était avancé pour accueillir ceux qu'ils avaient pris pour des amis. Ses réflexes lui avaient sauvé la vie. On avait retrouvé une dizaine de guerriers morts de chaque côté. Maintenant, il voulait des réponses et la vengeance. Les trois princes le savaient et tremblaient. Qunienka les regardait avec un mépris non dissimulé. L'autre prince dixième de la ville n'était pas là. Il s'agissait de Sstanch qui avait été nommé ainsi pour sa mission à Tichcou. Qunienka en était heureux. Ce qui se passait ici ne regardait que les hommes du pays des glaces.
Le roi-dragon fit un signe à Quiloma. Ce dernier sans se lever, prit la parole :
- Votre rébellion contre le roi-dragon mérite la mort.
Son regard se promena sur les trois hommes qui ne bougeaient pas. Il laissa un temps de silence. Puis il reprit :
- Le roi-dragon ne veut pas la mort de ses serviteurs. Il souhaite vous entendre avant de prononcer sa sentence.
Étonné, un des hommes releva la tête pour jeter un coup d’œil au roi-dragon. Bien vite il reprit une attitude d'humilité. Sur un signe-ordre de son roi, Qunienka s'avança vers lui :
- Quel est ton nom et ton histoire ?
De nouveau le prince dixième releva la tête. Il regarda Qunienka puis les autres puis enfin le roi-dragon aux pupilles d'or.
- Mon roi, je ne mérite que la mort. La seule clémence que j'implore est pour ma phalange qui n'a fait que m'obéir.
- J'entends ton souhait, prince-dixième. Pourtant une nouvelle fois, tu contreviens à un ordre.
L'homme se mordit la lèvre inférieure. Il s'étala par terre en signe de soumission absolue. Le roi-dragon rugit :
- DEBOUT, PRINCE ! OBÉIS !
L'homme se redressa comme si un fouet l'avait frappé. Tremblant il se tint debout au garde-à-vous.
- Je suis Saÿnnu, fils du prince-cinquième Tatvaliu. Je suis né il y a cinq saisons dans le pays des Grands Vents que dirige mon père. Ma venue fut une joie puisque j'étais le cinquième enfant et le premier fils. Ma mère m'a raconté que la fête fut grandiose à cette occasion. Ma première épée fut mon premier souvenir. Je l'ai reçue, je savais à peine marcher mais le prince-cinquième Tatvaliu voulait que tout le monde sache que la succession ne serait pas à prendre. J'ai fait ce que je devais faire pour tenir mon rang. J'ai appris durement le métier des armes. J'ai appris durement à être un bon konsyli puis un bon prince-dixième lors de la campagne de la saison dernière quand le Prince-majeur a décidé de reprendre le contrôle des territoires que les Gowaï avaient reconquis. J'étais avec lui dans la forteresse quand les crammplacs attaquaient sans répit. J'ai été blessé et n'ai eu la vie sauve que grâce à l'arrivée du Bras du Prince-majeur qui a mis en fuite ces monstres. Mon père, le prince-cinquième du pays des grands vents a été parmi les premiers à reconnaître que le Bras du Prince-majeur tenait en main le bâton de pouvoir pour ce temps. J'ai été reconnu prince-dixième quand mes blessures ont été cicatrisées puisque j'avais su assurer l’intérim de mon prince tué au combat. J'ai alors participé aux efforts pour que règne la paix du Prince-majeur sur le pays Blanc. Je suis un bon stratège et mes campagnes ont été couronnées de succès. J'ai vaillamment défendu les frontières du pays Blanc pendant que mon père défendait les pays des Grands vents. J'ai servi mon pays et celui qui était le détenteur du bâton de pouvoir pour ce temps. J'ai servi fidèlement jusqu'à ce jour où est apparu le rouge dragon dans le ciel de mes combats.
- Qui t'a envoyé et pourquoi ? demanda le roi-dragon.
- Nous revenions à la Blanche quand est tombée la nouvelle. Les charcs annonçaient la venue d'un dragon au pouvoir du mal. Le Bras du Prince-majeur a réuni tous les princes présents. Assis aux pieds du Prince-majeur, il a ...
- Le Prince-majeur était là ! interrompit Quiloma.
- Oui, raide et droit sur le trône, le regard fixe. C'est ainsi que doit siéger celui qui détient la puissance du bâton... Enfin, c'est ce que nous a dit le Bras du Prince-majeur, ajouta le prince en baissant la tête.
- Continue, dit le roi-dragon.
L'homme se redressa et reprit la parole.
- J'étais au fond de la salle avec les autres princes-dixième. Le discours du Bras du Prince-majeur a été long. Je ne me souviens que des grandes lignes. Un imposteur venait de se déclarer dans la région en marge du pays Blanc, là où avait péri l'enfant héritier quand des traîtres l'avaient enlevé. Cet imposteur s'était lié avec un dragon et celui qui avait été un prince-neuvième digne de son rang avait déchu en s'alliant à l'imposteur. À la fin de son discours, nous étions tous prêts à courir sus à l'imposteur et à son dragon. Mais d'autres mauvaises nouvelles suivaient. Le peuple Gowaï semblait se rassembler. Il fallait les arrêter avant qu'ils ne puissent marcher sur nous. Le Bras du Prince-majeur a alors choisi le plus brave et le plus téméraire pour porter la loi du Prince-majeur détenteur de la puissance du bâton. Il a choisi le prince-neuvième Sanki pour être le représentant du Prince-majeur en ces lieux de désolation où mouraient les héritiers et où naissaient les imposteurs. Les bruits du palais disaient que le Prince Quiloma ne disposait pas d'une phalange complète et que ses troupes autochtones n'étaient pas à la hauteur. Le prince Sanki a demandé trois phalanges pour mener ce combat. C'est lui qui nous a choisis. Nous avons alors mené grand train pour arriver avant que fonde la neige. Je ne connaissais pas ces javelots noirs qui empoisonnent. Je les ai découverts quand le prince Sanki les a utilisés.
- Bien, dit le roi-dragon.
Se tournant vers un autre prince à genoux, il dit :
- Toi, lève-toi et présente-toi.
Le deuxième prince se mit debout. Il semblait moins assuré que Saÿnnu :
- Je suis Bagochalis, prince-dixième de la famille du prince Coïtti, cousin du Prince-majeur. Mon histoire est simple. J'ai été élevé pour être au service du Prince-majeur. J'ai gravi les échelons comme tous ceux de ma famille. Ma phalange a toujours bien combattu. J'étais konsyli quand Sanki était prince-dixième. Je suis devenu second de la phalange quand il est devenu prince-neuvième. C'était un homme de valeur, courageux, fidèle. Quand Jorohery est revenu alors que la défaite frappait aux portes de la Blanche, il a participé avec lui à la campagne victorieuse. Il l'a vu, m'a-t-il raconté, entrer dans les cavernes des rois-dragon pour y trouver le bâton de pouvoir pour ce temps. Il en est sorti auréolé de la lumière des dragons et le bâton a fait merveille au combat en sauvant le fort Smiloun. Sanki s'est alors dévoué corps et âme pour celui qu'il prenait pour le roi-dragon. Il y a eu d'autres combats. Mon prince-dixième est mort vaillamment au combat. Sanki m'a nommé à ce moment-là. J'ai été le plus proche du prince Sanki. Ma phalange était sa garde personnelle. Nous voyagions avec lui, nous vivions avec lui, nous combattions avec lui. J'étais présent à la réunion des princes. J'ai aussi accompagné Sanki lors de sa rencontre avec Jorohery, puisque je commandais sa garde rapprochée. Nous sommes arrivés au palais du Prince-majeur. Le Bras du Prince-majeur nous attendait dans la salle de réception. J'ai été étonné de le voir ainsi assis sur le trône du roi-dragon. À côté de lui était le bâton de pouvoir pour ce temps. Nous sommes restés en faction près de la porte. Sanki s'est avancé et s'est incliné comme devant le roi-dragon. Ils ont parlé à voix basse un long moment. J'ai vu Sanki se relever brusquement comme si Jorohery lui avait dit des choses inconvenantes. Le Bras du Prince-majeur a pris le bâton de pouvoir pour ce temps et Sanki a repris sa position de vassal. J'ai vu des gardes amener des lances lourdes. Ils ont pris une peau de crammplac et l'ont étendue à terre. Les deux javelots y ont été déposés. Jorohery s'est levé. Il a levé les bras vers le ciel tendant bien haut le bâton de pouvoir pour ce temps. Il a imploré les esprits des dragons et a touché les lances du bout du bâton. Pendant un instant, ce fut comme si la lumière avait disparu de la pièce. Puis la noirceur reflua pour se fixer sur les javelots. Sanki s'est approché. Jorohery l'a aussi touché du bout de son bâton. Je l'ai vu pâlir malgré la distance. Après, il a roulé la peau de crammplac avec les lances et est venu vers nous. Elles ne l'ont plus quitté jusqu'à votre arrivée, Oh vrai Roi-dragon.
- Comment sais-tu que je suis le vrai roi-dragon ?
- Quand mon fragment du bâton de puissance s'est enflammé et que j'ai vu les autres fragments faire de même, les légendes ont pris sens. J'implore vôtre clémence pour ma phalange. Ce sont de bons guerriers qui n'ont fait qu'obéir aux ordres.
- J'entends tes paroles prince-dixième Bagochalis.
Il fit un geste vers le dernier prince agenouillé. Qunienka s'approcha de lui :
- À ton tour, lui dit-il.
L'homme se leva d'un bond. Il avait le regard fier et fixa le roi-dragon dans les yeux.
- Je suis Yaé, fils de Ham, de la lignée des Princes-majeur. Ma témérité et mon courage aux combats m'ont fait reconnaître prince-dixième dès mon plus jeune âge. Ma phalange est la phalange des francs-tireurs. Je recevais mes ordres directement du Prince-majeur. Et quand est arrivé le bâton de pouvoir pour ce temps, c'est le Bras du Prince-majeur qui nous transmettait ses ordres en direct. La rencontre avec le Prince-majeur pouvait être fatale pour nous s'il devenait comme un dragon.
- Quel était ton rôle prince Yaé ? l'interrompit le roi-dragon.
- Nous devions éliminer tous les dangers pour le Prince-majeur et arrêter tous ceux qui pouvaient lui vouloir du mal. Avant même qu'une pensée hérétique ne naisse dans l'esprit d'un de ses sujet, notre Prince-majeur la connaissait. Ils nous envoyaient pour mettre hors d'état de nuire ceux qui auraient pu nuire au Royaume Blanc. Nous l'avons fait et nous l'avons bien fait. Tous ont avoué lors de nos interrogatoires dans les sous-sols du palais.
- Tous ?
- Non, pas tous ! Les marabouts ont préféré mourir que de se reconnaître hérétiques devant le Bras du Prince-majeur.
- Qu'est-il arrivé aux autres ?
- Ils sont morts pour la plupart dans les grottes sous les montagnes chaudes pour extraire les métaux avec les autres hérétiques qui ont eu droit à la clémence du Prince-majeur. Il aurait mieux valu les éliminer. Leur vie même constituait une menace. Mais le Prince-majeur est trop bon. Nous revenions de conduire un convoi quand la nouvelle de l'hérésie majeure est arrivée. Un homme et un dragon réclamaient le pouvoir du Prince-majeur en se disant Roi-dragon. Mon sang n'a fait qu'un tour. Le Bras du Prince-majeur a écouté ma requête et a donné l'ordre au Prince Sanki de nous choisir. Nous avons failli avec l'arrivée du dragon. Je n'implore ni grâce ni clémence. Nous savions que notre mission pourrait être un échec, que l'imposteur serait séducteur. Le Bras du Prince-majeur nous a prévenus. Mieux vaut la mort que servir un faux roi !
À ces paroles Qunienka avait dégainé son épée.
- Suffit, Prince Qunienka, dit le roi-dragon. Le prince-dixième Yaé pose la question de ma reconnaissance. Il a raison. Un homme tel que lui ne peut lâcher la proie pour l'ombre. Il a vu la puissance du Bras du Prince-majeur. Alors, il me faudra lui répondre de la seule manière qu'il puisse entendre.

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