dimanche 15 avril 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 47

Riak avait aimé ce voyage de nuit, le vent dans les cheveux. Devant elle, noir sur sombre, elle avait reconnu l’ombre avec qui elle avait croisé le fer dans la grotte sans toit. Les autres bayagas étaient restées derrière eux près des pirogues retournées. Plusieurs fois, ils avaient croisé d’autres embarcations qui leur avaient laissé le passage. Jirzérou avait dirigé la navigation vers la rive sud du lac. Il y avait là une série de villages de pêcheurs où il pensait qu’il serait facile de se cacher. Ils y arrivèrent au petit matin. Quand les premières lueurs du jour apparurent, l’ombre qui les précédait disparut. La pirogue perdit de sa vitesse. Riak sentit Mitaou et Bemba se détendre. Elle ressentit aussi la fatigue de cette nuit et aspirait au repos. Jirzérou manœuvra la pirogue dans les herbes. Ils descendirent la voile et le mât et finirent à la pagaie. Ils abordèrent enfin la terre ferme. Un bosquet dense les accueillit.
   - Reposons-nous un peu, dit Jirzérou. Tout à l’heure j’irai voir au village le plus proche si nous pouvons avoir de l’aide.
Bemba proposa de prendre la première veille. Riak approuva. Jirzérou renchérit :
   - Il faut faire attention, même si je crois que nous ne risquons rien…
Le sommeil les gagna rapidement. Même Bemba s’endormit malgré sa volonté de lutter. Des paroles-cris les mirent en alerte. Le soleil était haut dans le ciel.
   - On est presque au milieu du jour et je n’ai pas fait les rites, se lamenta Mitaou.
   - Chut ! lui fit Riak, laisse Jirzérou écouter.
Cela dura longtemps avant que Jirzérou ne se tourne vers elles.
   - Les nouvelles sont bonnes et mauvaises… Bonnes car les bayagas n’ont fait qu’une bouchée de ceux qui nous poursuivaient. Mauvaises car Sursu est prévenue et son gouverneur s’est mis sur le pied de guerre. Ordre est donné de nous tuer à vue, et ....
Il s’interrompit d’autres paroles-cris se faisaient entendre. À quelques centaines de pas d’eux, une voix les relaya. Jirzérou eut un sourire :
   - Ça, c’est bon pour nous. Il y a un crieur du sacré dans le village. Personne ne nous dénoncera chez lui. Venez !
Le petit groupe se mit en marche. En approchant du village, ils découvrirent une maison sur pilotis avec un totem planté devant. Tout semblait calme. Jirzérou les fit longer la haie et ils ne sortirent à découvert que devant l’habitation. Quand l’homme les vit entrer, il sauta sur ses pieds et se prosterna :
   - Bénalki me bénit !
Tout aussi rapidement, il jeta un coup d’œil dehors et ferma le rideau qui lui servait de porte. Il s’agita beaucoup dans sa maison pour préparer quelque chose à manger tout en racontant son bonheur d’avoir été choisi pour les accueillir. Tout en l’écoutant, elles apprirent ce que Jirzérou n’avait pas encore dit. Les seigneurs étaient déjà en chasse. La région était calme et les seigneurs peu nombreux. Mais la région manquait de foi en Bénalki. On avait promis une récompense et trop de gens seraient prêts à tout pour la toucher, même dans ce village. Le crieur du sacré soupira en disant cela. Il se plaignit amèrement de la dureté de son rôle dans un village plein de quasi-incroyants. Quand Jirzérou lui apprit qu’ils venaient de Tragen, l’homme eut du mal à le croire. La traversée du lac demandait trois jours quand la brise du nord soufflait bien. Une nuit ! La déesse avait œuvré ! Quand il annonça qu’ils ne pourraient pas rester dans la maison à cause des risques de dénonciation, Riak fit la moue. Elle ne se voyait pas repartir ou plutôt, elle ne voyait pas Mitaou repartir sans repos.
   - Il faut pourtant qu’on dorme !
   - Vous allez pouvoir vous reposer ici, oh Bébénalki. Mais dès que la lumière descendra, il faudra trouver un abri ailleurs. Les villageois viennent me voir pour que je les guide des conseils de la déesse. Il ne faut pas qu’ils vous voient.
   - Bien, dit Riak, nous partirons au soleil couchant. Maintenant dormons !
Le crieur du sacré s’inclina à nouveau :
   - Je laisse de quoi vous restaurer et moi, je vais aller vous chercher un abri plus sûr pour la nuit. 
Ayant dit cela, il sortit rapidement. Riak regarda Jirzérou :
   - On peut lui faire confiance ?
   - Normalement oui, répondit ce dernier.
   - Tu es comme moi, tu as senti sa peur.
   - Oui. Je ne sais pas quoi en penser.
   - Il faut rester sur nos gardes et trouver le chemin de Nairav.
   - Ça va être difficile, les Tréïbens ont peu la notion de ce qui se passe loin du lac.
   - Si au moins on savait vers où chercher, se lamenta Mitaou…
   - Dame Riak va trouver, répliqua Bemba.
   - Je vais veiller, dit Riak. Reposez-vous !
Elle prit des fruits sur la table et alla s’asseoir près du rideau de l’entrée. Elle soupira. Il y a encore quelques jours, elle était une banale paysanne dans sa vallée et maintenant Rma la faisait naviguer au gré de son tissage. Elle croqua dans le fruit. Il avait un goût doux et sucré. Le temps passa lentement. Il lui devenait difficile de lutter contre la somnolence. Bemba la secoua gentiment :
   - Dame Riak, allez vous reposer, je prends la suite.
Riak se leva et alla vers les nattes où dormaient Mitaou et Jirzérou. Elle s’y allongea et très vite s’endormit.
Le poids et la chaleur de son pendentif la réveilla. Avant même qu’elle ne soit complètement réveillée, elle était debout, l’arme à la main. Autour d’elle tout était calme. Bemba surveillait ce qui se passait par la porte et ne semblait pas alarmée. Pourtant le danger était là. Elle le sentait maintenant nettement. Elle réveilla Jirzérou doucement. Il comprit immédiatement et se mit à regarder par les fentes des parois de la hutte. Bemba, en entendant le mouvement dans la pièce, s’était aussi mise debout et scrutait plus attentivement dehors. Elle chuchota :
   - Je ne vois rien...
   - Là, dit Jirzérou, ils arrivent par derrière pour aller sous la maison.
Riak colla son œil à une fente. Des Treïbens arrivaient, armés de lances. Ils progressaient lentement pour ne pas faire de bruit.
   - Il doit y avoir un seigneur avec eux, murmura à son tour Riak en regardant au sol.
Elle souleva les nattes qui recouvraient le sol. Elle vit que de la terre battue recouvrait des solives faites de troncs de baliveaux. Si les ennemis ne pouvaient pas attaquer par-là, eux ne pourraient pas fuir non plus. Elle fit le tour de la pièce. Elle ne trouva aucune échappatoire. Il ne restait que la porte et la fenêtre, à moins de découper le mur. Après restait le problème de traverser l’espace découvert entre la hutte et le couvert. Riak jura entre ses dents. Ils s’étaient fait piéger. Restait à savoir si s’était par le crieur du sacré ou par un villageois qui les aurait vus…
   - Ils vont bientôt attaquer, dit Jirzérou, couchez-vous !
Un homme, qui était monté silencieusement, arracha le rideau de la porte et les lourdes sagaies jaillirent dans la pièce. Bemba s’était jetée en arrière. Jirzérou et Riak étaient déjà à terre. Le premier attaquant qui se présenta fut accueilli par un coup violent du gourdin qu’avait attrapé Bemba. Il s'effondra sur le sol. Un deuxième tenta de passer mais Jirzérou qui avait récupéré une des sagaies lui planta dans la poitrine. Il bascula en arrière tombant sur ceux qui tentaient de monter. Jirzérou, muni d’une autre lance, se précipita vers la porte pour la lancer. Riak lui fit un croc-en-jambe qui le fit s’étaler juste avant qu'une flèche ne siffle par la porte. Il fit un roulé-boulé sur le côté et remercia Riak d’un signe.
   - Il y a un seigneur en bas. Il a son arc, lui dit-elle.
C’est à ce moment-là que Mitaou se dressa sur son séant, les yeux encore tout embrumés de sommeil :
   - Qu’est-ce qui se passe ?
   - NE BOUGE PAS ! lui cria Bemba.
Riak se pencha en avant pour essayer de voir dehors. Elle n’eut que le temps de se reculer pour éviter une lance.
   - Détruisez le plancher, ordonna une voix en bas, on va les faire griller.
Immédiatement, des coups résonnèrent sous leurs pieds, ébranlant les troncs et faisant tomber la terre battue. Jirzérou attrapa une sagaie plantée dans un des murs et, courant vers la porte, la lança en criant :
   - QUE BÉNALKI VOUS MAUDISSE !
Riak, qui observait à travers une fente de la cloison, vit un des guerriers sauter en arrière pour éviter la lance et entendit les autres rigoler. Un d’eux répondit :
   - Elle nous bénit ! Votre capture va nous rapporter gros.
Tandis que les coups sous leurs pieds détruisaient le plancher, Riak vit des Treïbens faire des allers-retours avec des brassées de bois et de paille. Elle mit la main sur son pendentif toujours aussi chaud qui lui brûlait la poitrine. Elle ne voyait pas quoi faire. Elle lisait la même détresse dans les yeux des autres. Elle essaya de faire le vide en elle pour entendre Koubaye. En pleine journée, pouvait-elle y arriver ?
Alors qu’elle entendait les premiers craquements du feu qu’on allumait, elle ressentit la paix en elle. Une pensée l’emplit : “ Du mal viendra le bien !” Elle ouvrit les yeux pour découvrir la fumée qui commençait à traverser les nattes du sol. Elle se répéta tout haut :
   - Du mal viendra le bien !
Les autres la regardèrent sans comprendre.
   - Ça veut dire quoi, dame Riak ? On va brûler vive ! s’exclama Mitaou en pleurant.
   - Le mal vient ! répondit Riak dont l’esprit était empli de cette pensée.
Elle avait à peine fini de parler que des cris de guerre jaillirent autour du village. En regardant dehors, ils virent jaillir tout un groupe de guerriers Treïbens, le visage peint en noir.
   - Des renégats ! s'exclama Jirzérou.
Bientôt sous leurs pieds ce fut la confusion.
   - Sortons ! ordonna Riak.
Sans attendre elle avait sauté sans prendre l’échelle. La dague à la main, elle se retrouva au centre d’une mélée. Les villageois fuyaient poursuivis par les renégats. Le seigneur avait tué un de ces derniers et se battait avec un autre. Riak courut vers lui en hurlant :
   - IL EST À MOI !
Le renégat et le seigneur la regardèrent. Le renégat rompit le combat pour aller vers le village. Riak se retrouva face au seigneur. Il avait une épée et elle n’avait que sa dague. Il était grand, massif, et son armure le rendait lent. Riak était fine et rapide. Elle se lança dans un combat virevoltant qui déstabilisa le seigneur. C’était un guerrier aguerri, aux réflexes affutés. Il toucha Riak une fois alors qu’elle se précipitait sur lui, mais son épée était maintenant trop loin, alors que Riak venait de se coller à lui, et dans un mouvement tournant, lui planta sa dague dans le cou à la jointure de son casque. Elle se dégagea aussi vite qu’elle s’était approchée. Le seigneur était tombé à genoux, dans ses yeux toute l'incompréhension du monde.
La maison du crieur du sacré s’embrasa. Jirzérou arriva près de Riak. Bemba soutenait Mitaou qui toussait sans arriver à reprendre haleine.
   - Fuyons, dit le Treïbénalki, les renégats ne valent pas mieux que les seigneurs.
Ils se dirigeaient vers la lisière de la forêt proche quand ils furent bloqués par un nouveau groupe de renégats. Jirzérou avait deux lances tout comme Bemba. Riak avait sa dague et l’épée du seigneur. Même Mitaou, qui avait ramassé l’arc et les flèches, semblait armée. Ils furent rapidement cernés. Un grand Treïben au visage peint en noir se détacha du groupe qui les menaçait avec des arcs :
   - Le Treïbénalki et la Bébénalki… ! Voilà une belle prise...
Il se tourna vers les autres du groupe :
   - … Notre expédition va être fructueuse. Les seigneurs donneront cher pour eux...
Riak fit un pas en avant. Les arcs se bandèrent plus fort. Le chef des renégats se mit à rire :
   - Tu sais, Bébénalki, vivante ou morte, ils paieront autant. Alors lâchez vos armes !
Mitaou fut la première à le faire, avant de s’effondrer inconsciente par terre. Bemba était en rage. Elle planta ses lances devant elle de toute la force dont elle était capable. Jirzérou hésita. Valait-il mieux mourir là ou espérer une issue heureuse ? Il savait que les renégats torturaient leurs prisonniers avant de les tuer. Riak mit fin à son hésitation en lui disant :
   - Laisse tomber tes lances.
Jirzérou les laissa tomber. Riak resta seule, cheveux au vent :
   - Tu veux l’épée, viens la chercher !
Elle la planta devant elle. Le chef ricana et avança vers elle. Il tenait à la main un sabre. Elle le vit raffermir sa prise. Quand il fut tout près, elle recula d’un pas. Il prit l’épée et la jeta en arrière.
   - La dague maintenant !
Elle avait une forte envie de lui passer à travers le corps, mais elle lui tendit en la tenant par la lame. Il la prit et l’examina.
   - Belle arme. Je sens qu’elle m’ira très bien !
Il se retourna vers son groupe et ajouta :
   - Attachez-les !
Quelques hommes se détachèrent du groupe. Ils avaient des liens en mains. Riak sentait son pendentif pulser contre sa poitrine. Sans réfléchir, elle bondit en avant et attrapa le chef qui lui tournait le dos. Sans qu’elle comprenne, elle se retrouva avec sa dague en main et elle l’appliqua sur la gorge du renégat.
    - Vous bougez, il est mort ! déclara Riak
Il y eut un flottement parmi le groupe. Un des Treïbens répondit :
   - Si tu le tues, tu es morte ! Tu ferais mieux de le lâcher.
   - Tu es prêt à jouer sa vie ? lança Riak.
Un des hommes du groupe qui était derrière Riak lâcha sa flèche. Sentant le danger, elle tourna rapidement et le chef hurla en prenant la flèche dans le bras. Les autres se mirent à hésiter. Le chef, qui grimaçait de douleurs, cria pour qu’on tue ce démon qui le tenait.
   - Maintenant ça suffit !
La voix était calme mais impérative. Tous les hommes baissèrent leurs armes. Riak se tourna pour voir qui avait parlé.
   - Dorget, tu es toujours aussi stupide.
L’homme qui s’avançait avait son épée à la ceinture. Derrière lui, tous les renégats qui avaient attaqué le village suivaient, porteurs du butin. Riak lâcha Dorget qui s’éloigna en tenant son bras blessé. Elle se tourna vers le nouvel arrivant.
   - Excusez Dorget, Bébénalki. Il n’a jamais su se comporter. Il est des sacrés que même nous devons respecter.
Il s’approcha de Riak, et prit l’épée plantée dans le sol. Il la soupesa, le regarda et dit :
   - Vous êtes vive et  légère, une telle arme ne vous aurait été d’aucune utilité… sauf si vous vouliez mourir…
   - Qui êtes-vous ? balbutia Riak
   - Je suis celui qui commande cette troupe. Mais venez, ne restons pas là. Les représailles ne vont pas tarder. Les tribus n’aiment pas quand nous venons piller.
Sans attendre, il repartit vers le lac. Riak lui emboîta le pas. Jirzérou récupéra les lances avant de suivre. Bemba s’occupa de Mitaou et rejoignit le groupe. Le chef donna ses ordres, répartissant les renégats dans différents bateaux. Pour finir, il se tourna vers Jirzérou :
   - Le mieux est que je monte avec vous. Ce sera plus facile pour vous guider.
   - Va-t-on à l'île des morts ? demanda le Treïbénalki.
   - Non, nous avons un refuge plus près.
Bientôt toute la flottille s’éloigna des berges. Ils cinglèrent vers l’ouest  pour s'enfoncer dans un dédale de petites îles. Le soir tombait quand ils accostèrent. Riak n’avait aucune idée de l’endroit où ils étaient. Après le débarquement, les bateaux furent tirés à l’abri des regards venant de l’eau. Suivant toujours le chef qui les guidait, ils arrivèrent à une longue maison basse. L’homme les invita à entrer. Riak passa la première et s’arrêta stupéfaite. L’intérieur bourdonnait d’une activité fébrile. Des femmes faisaient de la cuisine, des enfants couraient partout en criant. Quand ils virent entrer le chef, ils arrivèrent tous en hurlant :
   - Clète ! Clète ! Que nous as-tu ramené ?
Ce dernier leur distribua des morceaux de canne à sucre qu’il avait pillés au village. Seule une petite fille au regard fiévreux ne bougeait pas. Elle le regardait fixement. Il s’approcha d’elle et s’accroupit pour être à sa hauteur :
   - Bonjour Snoza. J’ai invité quelqu’un pour toi.
Tout en disant cela, il désigna Riak.
   - Il s’en fallut de peu que Rma ne coupe le fil de Dorget.
Riak fut encore plus surprise par la voix profonde de l’enfant. Alors qu’elle s’approchait pour la dévisager, elle remarqua ses orbites vides.
   - Snoza n’a plus d’yeux, lui dit Clète, mais elle voit plus loin que notre meilleur guetteur.
Il se tourna vers l’enfant.
    - Elle a les cheveux blancs comme tu l’avais dit.
L’enfant tourna son regard vide vers Riak.
    - Rma trame son chemin vers là où vie et mort se rejoignent. C’est là qu’elle connaîtra la chaîne.
Bemba, qui s’était rapprochée, demanda :
   - Qu’est-ce qu’elle raconte ?
   - Snoza parle toujours par énigme, répondit Clète. À nous d'interpréter.
   - Et qu’interprètes-tu ? s’enquit Jirzérou.
   - Avant notre rencontre, elle m’avait parlé de celle aux cheveux blancs, fille de Bénalki. Sa mise en garde était claire. Si nous touchions au fil de Rma, il n’aurait plus rien tramé avec nous.
   - Je ne comprends rien, dit la petite voix de Mitaou.
   - Sache, jeune nonne, que Rma peut couper le fil de nos vies quand il le veut. Malheur à celui qui s’oppose à lui. Aujourd’hui Snoza dit que vous devez aller là où vie et mort se rejoignent. Alors demain, je vous conduirai sur la route où vie et mort se rejoignent. Ma tribu doit vivre. Mais ce soir fêtons la victoire !
Clète les emmena vers un local en retrait en leur expliquant qu’il fallait revêtir des atours de fêtes en lieu et place des hardes qui les couvraient. Riak et ses compagnons virent que d’autres déjà rajoutaient sur leurs habits usuels qui une cape, qui une robe. Les accoutrements aléatoires qu’ils obtenaient donnèrent à l’assemblée un air complètement irréel. À leur tour, ils fouillèrent dans le tas de fripes qui étaient entassées. Il leur fallut beaucoup de temps pour trouver ce qu’elles cherchaient. Jirzérou avait opté rapidement pour un pantalon de toile blanche. Par contre, trouver de la pierre de lune fut beaucoup plus compliqué. Aucune des trois ne firent attention à son départ, tout occupées qu’elles étaient à soulever des monceaux de vêtements. Mitaou poussa enfin un cri de joie. Elle venait de trouver une tenue de novice propre et presque à sa taille. Elle allait enfin pouvoir se débarrasser de celle qu’elle portait déchirée et couverte de taches. Bemba opta comme Riak pour une tenue de Tréïben traditionnelle. Elles se dirigèrent vers l’autre bout de la grande maison. Des cris et des chants leur parvenaient de là-bas. Elles s’arrêtèrent un instant, interloquées. Devant leurs yeux, s’étalait une véritable cour des miracles. Déjà certains étaient complètement ivres, d’autres jouaient, se battaient, criaient dans un désordre indescriptible. Riak ne savait que penser, ni vers où diriger ses pas. C’est alors que deux gardes manifestement sobres lui indiquèrent une direction. Elle comprit alors que Clète ne les avait jamais laissées sans surveillance. Elles s’avancèrent slalomant entre les groupes, s’attirant des quolibets ou des remarques qui choquèrent les oreilles de Mitaou.
   - C’est elle !
Riak se retourna pour voir qui avait parlé. Dorget, complètement aviné, le bras en écharpe désignait Riak à ses amis :
   - C’est elle, la salope qui m’a fait ça ! Mérite pas de vivre !
Riak vit se lever un colosse :
   - T’inquiète Dorget, l’aura pas l’occasion de recommencer… J’vais te la casser en deux…
Bousculant tout sur son passage, il se dirigea directement sur Riak. Elle regarda autour d’elle pour voir si elle pouvait se dégager. Il y avait trop de monde, trop de tables… Avec une masse pareille, elle ne pouvait s’en sortir qu’en allant plus vite et en étant plus agile que lui… Bemba fit passer Mitaou derrière elle. Il valait mieux la protéger. Elle arracha un bâton à un homme non loin de là qui s’abstint de réagir quand il vit la montagne de muscles qui s’approchait.
   - Suffit, Floks !
Une nouvelle fois, Clète venait d’intervenir. Le dénommé Floks s’arrêta net. Il regarda Clète et lui dit :
   - J’la défie comme notre charte m’en donne le droit.
Ses paroles firent l’effet d’un électrochoc sur l’assemblée. Rapidement un murmure la parcourut… “ Un combat ! Un combat ! “ Avec une rapidité qui surprit Riak un cercle vide se creusa autour d’eux et les paris s’engagèrent.
   - Je te le déconseille Floks ! Elle est mon hôte !
   - C’est mon droit et le je veux !
   - Tu sais qu’après c’est moi que tu combattras…
   - C’est mon droit…
Clète haussa les épaules. Il s’approcha de Riak et lui dit :
   - J’espère que tu es aussi bonne au combat que tu en as l’air !
Il monta alors sur une table et rappela les règles : pas d’armes et tous les coups permis. Riak eut à peine le temps de comprendre que déjà Floks la chargeait en hurlant. Riak l’évita de justesse et recula vivement. Floks freina et repartit vers elle avec le même regard de haine. Si Dorget était complètement saoul, Floks en était loin. De nouveau, elle esquiva. Elle faisait la moitié de sa taille et ne voyait pas comment elle allait s’en sortir. C’est à ce moment-là que son pendentif se mit à bourdonner. Le calme l’envahit. Le monde autour d’elle se mit à bouger comme au ralenti. Elle venait une nouvelle fois d’éviter une charge, sans lui laisser le temps de se retourner, elle lui appliqua un coup de pied à la jointure du genou. L’homme s’effondra dans un grand bruit. La foule hurla et trépigna. Floks se releva. Il massa un instant son mollet tout en cherchant Riak des yeux. Elle courait à l’opposé de lui. Il remit sa lourde masse en route tout en boitant un peu. De nouveau il échoua dans sa volonté de l’attraper et de lui briser les os. Ce fut un autre coup de pied sur l’autre genou qui le fit tomber. Il hurla de rage mais se releva. Il avait encore le bras en appui par terre quand il fut touché au coude qui céda sous le choc. Floks s’écrasa le nez par terre. La foule était en transe. Riak semblait être partout autour de lui, lui assénant coup sur coup. Floks se releva à nouveau. Dorget voyant ce qui se passait, lui tendit un gourdin ce qui fit hurler les spectateurs. Les vociférations reprirent de plus belle. L’arme frappait vite et fort, mais pas assez vite. Si Floks faisait voler la terre du sol, il ne faisait que frôler Riak. Bemba sentit qu’on lui arrachait son bâton et ne réalisa qu’après que Riak était venue le chercher. Alors que Floks réarmait son bras, on entendit un bruit de calebasse qu’on frappe et Riak qui s’immobilisait non loin. Floks oscilla un moment sur lui-même l’air surpris et dans un grand bruit s’effondra inconscient sur le sol. Les spectateurs firent silence puis ce fut la cacophonie la plus complète. À ce moment-là Jirzérou surgit au milieu du cercle de combat, peint en blanc et habillé de blanc, il avait l’air d’un spectre :
   - À genoux ! À genoux devant celle que Bénalki la déesse a choisie.
Dorget s’avança tenant une épée de sa main libre :
    - Jamais !
Le toit explosa à ce moment-là. Un éclair venait de le frapper. Le tonnerre gronda et la pluie se mit à tomber. La foule muette regarda médusée, la silhouette noire qui entrait par le trou. Ce fut un sauve-qui-peut général. Les bayagas étaient là. Riak s’avança la dague à la main. Dorget tremblait de tous ses membres. Il tomba à terre quand l’ombre le toucha. Riak s’écria :
   - Va-t-en ! Je n’ai pas besoin de toi ! Ni de vous ajouta-t-elle en désignant de sa dague les ombres lumineuses qui s’immiscaient dans la longue maison.
Comme de la fumée, les bayagas s’évanouirent. Autour d’elle tous les genoux fléchirent...


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