dimanche 29 avril 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 49

L’irruption des bayagas et la mort de Dorget avaient mis Riak au rang d’envoyée des dieux. Floks avait repris conscience bien après les évènements. On lui avait raconté ce qu’il s’était passé et comment son ami était mort.
   - J’ai combattu une envoyée des dieux et je suis encore vivant…
Dans sa logique, il comprenait comment ce petit bout de rien du tout avait pu le vaincre. Il comprenait aussi qu’il avait eu de la chance. Lui, qui ne faisait confiance qu’à sa force dans les combats et qui toujours s’en était sorti grâce à elle, prit conscience qu’il aurait pu devenir Tréïbénalki ou mourir comme Dorget. Autour de lui, les autres renégats découvraient cette réalité. Ces quatre-là étaient à part. Ils avaient à voir avec les dieux et n’étaient pas tout à fait du même monde qu’eux. Clète n’avait qu’une idée en tête. Comment s’en débarrasser ? Pour lui, plus longtemps ils resteraient et plus il lui serait difficile de garder le contrôle de ses troupes. Il voyait bien comment les uns et les autres répondaient avec empressement à la moindre des demandes. Il n’avait jamais obtenu une telle obéissance. Il entrevit une solution quand des gardes lui amenèrent un homme qu’on avait surpris à errer trop près de l'île. Le Tréïben qui l’accompagnait était mort en tentant de fuir. L’homme était entravé, les mains dans le dos. Son visage tuméfié signifiait que ceux qui l’avaient attrapé avaient commencé à le torturer pour obtenir des renseignements.
   - Il a dit qu’il venait chercher Bébénalki, lui dit un des gardes
 Clète regarda l’homme qu’on avait fait s’agenouiller.
   - Ici, les intrus, on les élimine après les avoir soigneusement fait hurler...
   - Je suis venu car j’ai reçu des ordres de la grande prêtresse elle-même, dit l’homme en tremblant.
Clète sursauta. La grande prêtresse avait commerce avec la déesse blanche. Personne n’osait l’attaquer de front. Même les seigneurs se gardaient bien de le faire, préférant passer par des hommes de mains comme les renégats. Cette Bébénalki devenait de plus en plus encombrante. Le garde frappa l’homme pour avoir parlé sans autorisation. Il s’effondra au sol en criant. Clète reprit, à l’intention du garde :
   - C’est bien, Yoni, de lui apprendre la politesse. Mais ne l'abîme pas trop… Il a peut-être encore des choses à nous dire.
Clète s’approcha de l’homme qui grimaçait au sol, il le prit par les cheveux et tira :
   - Alors comme ça, tu reçois tes ordres de la grande prêtresse… Tu dois être quelqu’un d’important alors… D’après toi, combien donnerait la grande prêtresse pour te récupérer ?
   - Rien… Elle ne donnera rien. Je ne suis qu’un simple serviteur, juste fidèle…
   - Alors ta fidélité va te perdre. Je viendrai t’écouter quand tu hurleras… Tu verras les renégats ont mille manières pour faire chanter les suppliciés...
   - La Déesse n’aimera pas et Rma tranchera ton fil si je ne transmets pas mon message. Après tu feras ce qu’il te plaira.
   - Tu crois qu’en me menaçant… répliqua Clète en le frappant.
   - Je te répète ce qu’a dit la grande prêtresse.
Clète arrêta de le frapper. Il se mit à réfléchir. Il se tourna vers un autre garde :
   - Va chercher la Bébénalki. Et on va voir s’il dit vrai !
Le garde partit en courant. Clète se retourna vers le prisonnier :
   - On va chercher la fille aux cheveux blancs. Sache qu’ici, on la considère comme une envoyée de Bénalki, notre déesse. Espère qu’elle t’écoute…
Après un dernier coup de pied, il fit signe d’éloigner l’homme. Les gardes le traînèrent dehors et le jetèrent dans les buissons d’épineux qui bordaient le terrain.
Dans la grande maison, Riak avait du mal à supporter toutes les marques de déférence qu’on lui adressait. Elle n’avait pas réfléchi quand elle avait interpelé les bayagas. Elle en mesurait maintenant les conséquences. Un garde se jeta à ses pieds :
   - Oh Bébénalki, que la déesse te protège ! Je viens pour te porter le message de Clète. Il souhaite te voir, rapidement si tu le peux.
Un peu agacée, Riak lui répondit :
   - Relève-toi ! Je te suis.
Fier comme un paon de guider l’envoyée des dieux, le garde la précéda. À la lumière du jour, elle découvrit les environs. La grande maison n’était pas la seule construction. Il y avait d’autres bâtisses sur pilotis, moins grandes, tout autour. Le garde se dirigea vers l’une d’elle. Riak, en montant les marches qui y menaient, vit un homme ligoté dans les buissons. Arrivée en haut, le garde lui indiqua un siège et se retira. Clète apparut entouré de deux hommes. Il s’essuya la bouche et dit :
   - Sois la bienvenue, Bébénalki. J’ai un dilemme. Nous avons intercepté un homme qui a pénétré sur notre territoire sans y être invité… D’habitude, c’est la mort qui les attend. Mais là… Il aurait un message pour toi… de la part de la grande prêtresse…
Riak sursauta. La grande prêtresse avait donc plus de pouvoir qu’elle ne pensait. Était-ce le guide pour aller à Nairav ? Clète, sans attendre sa réponse, avait fait signe. Elle vit entrer l’homme qu’elle avait vu dans les épineux. Il était en triste état, couverts d’écorchures et de bleus. Il fut jeté au sol sans ménagement.
   - Parle ! ordonna Clète. Elle est là !
L’homme se redressa comme il put :
   - Noble Hôte, je suis celui qui vous attendait à la descente du bateau. Je connais le chemin que vous devez emprunter. Vos compagnes sont Bemba et Mitaou. Elles doivent venir avec vous. La grande prêtresse a insisté sur ce point.
Riak sentit son cœur battre plus vite. Elle allait pouvoir continuer son chemin. Elle s’approcha de l’homme et se pencha vers lui. Elle lui murmura à l’oreille :
   - Et quel est ce lieu ?
   - Nairav, Noble Hôte. Nairav !
Riak se redressa. Elle regarda autour d’elle. Le regard brillant de Clète la mit en alerte. Il fallait qu’ils partent. Le plus vite serait le mieux.
   - Cet homme est envoyé par les dieux ! Libérez-le !
Les gardes regardèrent vers Clète qui donna son accord d’un signe de tête. On coupa ses liens. L’homme qui était à genoux, tenta de mettre debout. Riak vint l’aider pour qu’il y arrive. Elle se tourna vers Clète :
   - Rma tisse un chemin pour moi. Il me faut le suivre. Cet homme est venu me le rappeler. Il me faut partir avec mes compagnons.
Clète eut un trop grand sourire :
   - Alors nous allons fêter ton départ et demain je mettrai un équipage à ton service. Où doit-il vous conduire ?
Riak, qui soutenait l’homme, lui répondit :
   - Il me le dira demain… Là, je vais l’emmener afin qu’il se repose.
Clète haussa les épaules. En s’adressant à ses hommes, il ordonna qu’on aide la Bébénalki pour emmener l’homme. Elle s’éloigna vers une autre maison, sans voir Clète discuter avec un de ses lieutenants.
Riak fut heureuse de se reposer un peu. Bemba entreprit de soigner l’homme. Mitaou s’était isolée derrière des paravents pour dire tous les offices qu’elle avait manqués. Clète avait mis à leur disposition une des bâtisses non loin de la grande maison. Il avait prévenu Riak. Il y aurait une fête le soir pour son départ. En attendant, elle appréciait de ne plus voir tous ceux qui venaient se prosterner devant le lieu où elle était pour faire brûler qui une petite bougie, qui un peu d’encens. Si les dieux réclamaient la Bébénalki, certains regrettaient son départ. Une vieille femme annonçait déjà partout que la Bébénalki l’avait guérie de ses rhumatismes rien qu’en posant son regard sur elle… Plus elle entendait ces bruits, et plus Riak souhaitait partir. Elle n’aimait pas Clète. Son instinct lui disait de se méfier, mais son pendentif ne brûlait pas. La journée se passa dans le calme et le repos. Quand le soleil fut au Zénith, tout un groupe en procession leur amena de quoi manger, un véritable festin de privation comme lui dit Jirzérou. Il expliqua que la viande était rare sur l’île hormis le poisson et le crocodile. Un plateau couvert de viandes appétissantes ne pouvait s’expliquer que par le désir de la combler en lui offrant ce mets rare qu’était la viande de bovidés.
L’homme de la grande prêtresse se réveilla dans l’après-midi. Couvert de bleus et d’écorchures, il apprécia la viande et ce qui allait avec. Bemba et Riak refirent les pansements qui le nécessitaient. Quand on lui demanda où il fallait aller, il ne voulut pas répondre :
   - Vous le saurez, Noble Hôte, quand nous aurons quitté ce lieu de malheur et que nous serons en sécurité.
Comme il refusait d’aller à la fête, on décida que Bemba et Mitaou resteraient avec lui. Jirzérou et Riak se préparèrent et quittèrent la maison au coucher du soleil. Derrière eux, Bemba fit une porte avec un des paravents et la bloqua.
Riak et Jirzérou furent accueillis comme des Dieux. Riak fut tout de suite mal à l’aise. Elle pensa : “Trop c’est trop !”. Elle en eut vite assez des compliments et des libations des uns et des autres. Elle n’arrivait pas à supporter tout ce décorum qui lui semblait sonner faux. Jirzérou profitait pleinement des offres qu’on lui faisait et buvait beaucoup. Avant le milieu de la nuit, la moitié des participants étaient fin saouls. Jirzérou s’était endormi appuyé contre une table. Riak avait fini par maîtriser le cérémonial. Bien que ne comprenant pas la langue, elle avait compris. Elle accueillait maintenant chacun de ceux qui venaient la saluer d’un sourire courtois. Elle écoutait sans mot dire ce que disait la personne qui lui faisait face. Joignant les mains, elle saluait puis mettait ses mains sur la tête de son vis-à-vis. Elle disait quelques mots de remerciements ou d’encouragements que l’autre ne comprenait pas mais qu’il accueillait en souriant, puis venait la libation. On avait donné à Riak une longue paille qu’elle trempait dans la jarre d’alcool qu’on lui offrait. Celui qui lui faisait face faisait de même et chacun devait aspirer le plus longtemps possible. Si Riak faisait semblant, ne consommant que quelques gouttes, celui qui offrait la jarre buvait, buvait, buvait jusqu’à ce que Riak cesse de boire.
Riak, au fur et à mesure que la nuit avançait, sentait son énergie monter. L’heure de Lex était passée depuis longtemps quand Clète vint à son tour. Sa garde l’encadrait. Il salua RIak, faisant l’effort de lui parler en langue commune. Après un long et plat compliment, il lui dit :
   - Tu seras contente, Bébénalki. Demain un bateau à dix rameurs te mènera là où tu dois aller. Je t’ai choisi des hommes forts et endurants.
Riak désigna tous les corps affalés autour d’elle :
   - Ton effort me va droit au cœur mais s’ils sont comme ceux-ci…
Clète se mit à rire :
   - Non, non, ils ne sont pas là. Ils ont l’honneur de partir avec toi. Alors ils se préparent dans une des petites maisons à entreprendre le voyage de la Bébénalki…
Clète aspira un peu par sa paille.  Riak fit de même. Il fit allusion plusieurs fois à la destination sans que Riak ne réagisse. Elle pensa qu’heureusement elle l’ignorait. L’insistance de Clète lui semblait suspecte. Quand ils eurent tiré plusieurs fois sur leurs pailles, Clète demanda la permission de se retirer. Riak se retrouva quasiment seule au milieu de la grande maison devenu pareille à un gigantesque dortoir. Elle s’appuya un instant sur la table et s’y endormit aussi.
Elle se réveilla au chant du coq. Elle avait les muscles endoloris de s’être mal posée. Elle se sentait raide et fatiguée. L’idée du départ proche la réconforta. Elle secoua Jirzérou qui se réveilla de mauvaise grâce en râlant, pour se confondre en excuses quand il reconnut Riak. Ils sortirent de la grande maison où quelques silhouettes commençaient à évoluer d’un pas incertain. Quand ils arrivèrent à la maison de Bemba, dix rameurs les attendaient. Ils s’étaient rangés de part et d’autre de l’allée tenant leurs grandes rames comme des lances. Riak passa au milieu de cette haie d’honneur pour monter chercher Bemba et les autres. Elle fut surprise de reconnaître Floks. Dans la maison, tout était prêt pour le départ. Mitaou et Bemba avaient fait un tas de leurs vêtements pour adopter la tenue des femmes Tréïben. Le guide avait meilleure mine, même si un de ses yeux était à moitié fermé en raison d’un hématome. Riak vit à leurs mimiques combien elles étaient soulagées de la revoir.
   - Les rameurs sont en bas… On part tout de suite.
Le bateau était une longue barque avec cinq bancs de nage, suivait un abri et en poupe un barreur s’occupait de la rame gouvernail. Elle possédait même un mât. La voile était carguée. Le barreur les aida à monter et rapidement ils s’éloignèrent. Riak fut soulagée de ne pas avoir vu Clète. Elle ne se sentait pourtant pas entièrement rassurée. Le guide, qui s’appellait Baillonde, se refusa à toute déclaration tant qu’il verrait les iles. Propulsée par ses dix rameurs, la barque avançait vite. Le guide avait simplement dit d’aller vers Sursu. Ils avaient de l’eau et des provisions pour trois ou quatre jours. Quand ils furent assez loin pour que, même une parole cri ne puisse parvenir au bord, le guide expliqua qu’il leur fallait remonter le fleuve en allant vers le sud jusqu’à la capitale. Le barreur sursauta en entendant cela. Il retourna et mit cap au sud. Personne ne fit attention quand il lâcha deux insectes ailés aux élytres verts. Il les regarda s’éloigner un moment et se concentra à nouveau sur sa rame. Régulièrement les rameurs se reposaient. La journée passa tranquillement. Jirzérou put dessoûler. Riak en profita pour dormir. Le guide surveillait que le barreur gardait bien son cap. Quand la nuit tomba, les rameurs et le barreur se firent un abri pour dormir. Riak à la poupe contempla le lac. Elle vit l’étoile de Lex se lever. Les autres étaient dans l’abri. Elle était la seule dehors pour voir l’ombre sombre s’approcher de l’embarcation. Il n’y eut même pas un choc quand elle toucha le bois de la barque. Riak entrevit le lent déplacement de l’eau. L’ombre sombre mettait le bateau en mouvement. Lentement, ils accélérèrent. Sans roulis ni tangage, ils avançaient rapidement. Riak se prit à sourire. Le voyage serait moins long que prévu. Elle rentra elle aussi à l’abri. Les autres s’étaient installés pour la nuit. Elle fit de même.
Au matin, la barque était presque échouée sur un de ces îlots de jacinthes d’eau. Les rameurs et le barreur regardèrent vers l’abri avec crainte. Jamais le bateau n’aurait pu dériver tout seul jusqu’à être en vue de Sursu. Ils murmurèrent entre eux. Les bayagas revenaient souvent dans leur conversation à voix basse. Le guide sortit de l’abri. Il fit signe au barreur :
   - On va remonter le fleuve et je te dirai où t’arrêter.
Ce dernier acquiesça. Dès qu’ils eurent fini de manger, les rameurs dégagèrent la barque et reprirent le chemin du fleuve. Ils virent bientôt la tour de guet qui était construite à l’embouchure du fleuve. La tension monta d’un cran. Leur barque était banale. On ne voyait pas les passagers, tout semblait calme. Les rameurs sentaient les premiers effets du courant et forçaient plus. Bemba et Mitaou se cachaient du mieux qu’elles pouvaient. Jirzérou avait accepté de rester calme et de ne défier personne. Le guide et Riak guettaient à l’avant de l’abri. Chacun de son côté. Tout semblait normal. Les barges défilaient les unes derrière les autres et les petites embarcations, comme la leur, se faufilaient entre elles. Ils virent bien passer un bateau des seigneurs. Il allait vite vers l’amont et ne s'intéressa pas à eux. En haut de la tour de guet, les gardes, adossés au parapet, semblaient en grande discussion. Ils passèrent sans se faire remarquer. La tension descendit. Ils prirent un régime de croisière. Dans l’abri, on se félicita de ce passage sans encombre.
   - Il y a d’autres dangers. Celui-là était le pire, fit remarquer le guide. D’ici ce soir, nous pourrons si nous le voulons continuer à pied. Dès que nous aurons dépassé le défilé des roches noires, nous serons plus en sécurité.
   - Et c’est quoi, ce défilé ?
Il y avait une certaine anxiété dans la voix de Mitaou.
   - Il n’y a pas de danger à y naviguer. Le fleuve reste assez large. Les berges sont en roches noires et on ne peut y accoster. Une avarie dans ces parages est toujours plus compliquée à gérer.
   - C’est loin ?
   - Nous y serons au milieu du jour si nous continuons comme cela.
L’ambiance sur la barque se décontracta. Ils doublaient de temps à autre une barge qui remontait difficilement le fleuve. Bemba voulut savoir comment elles faisaient pour passer les roches noires. Le guide lui expliqua qu’il y avait un port en aval. Les barges y faisaient halte, le temps de trouver assez de pirogues pour les remorquer dans le défilé.
    - D’ailleurs le voilà !
Ils regardèrent tous. Moins d’une dizaine de barges attendaient. Ils virent des bateaux de seigneurs. Le guide fit refermer les panneaux. Avec Riak et Jirzérou, ils observèrent à travers les fentes.
   - Ils font un contrôle, déclara Jirzérou. Ce sont les bateaux de Sursu. Je les vois. Ils doivent chercher de la contrebande ou autre chose…
   - Si c’est nous, on n’est pas bien…
   - Ils sont trop occupés, un des capitaines semble s’énerver.
La barque continua sans ralentir et personne ne fit attention à elle. Ils passèrent la porte des roches noires et naviguèrent entre des berges de blocs de pierre noire usés par le temps. Le courant restait calme. Ils croisèrent une barge descendante, puis une autre sur laquelle se disputaient les marins. Le barreur avait décidé de faire halte après les roches noires pour reposer les rameurs et manger. Le guide avait laissé Bemba remonter les panneaux latéraux. Le fleuve était très calme et il n’y avait plus de bateau autour d’eux. Jirzérou fut le premier à s’en inquiéter :
   - Je n’ai jamais traversé les roches noires sans voir personne.
Sa remarque mit tout le monde en alerte.
   - Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Riak.
   - On n’a pas le choix. Il faut qu’on continue, répondit le guide.
Le cri d’alerte du barreur qui désignait un point devant eux les mit sur le qui-vive. Riak regarda en amont et découvrit une barre de bateaux bloquant le fleuve.
    - Demi-tour, cria le barreur, cadence de fuite…
Les barreurs se penchèrent sur leurs rames et tirèrent plus fort. La barque vira rapidement et prit de la vitesse en entrant dans le courant. Jirzérou cria à son tour en voyant la flottille des seigneurs ramant à leur rencontre.
   - On est faits comme des rats !
Riak dégaina sa dague. Son pendentif se mit à lui brûler la poitrine. Mais à part se battre pour mourir dignement, elle ne voyait pas ce qu’elle allait pouvoir faire. Le découragement la saisit. Mitaou se mit à sangloter. Bemba se dit prête au combat. Les renégats voyant cela choisirent de sauter à l’eau. La barque tangua tellement que Riak se retrouva à l’eau. Jirzérou lui lança un cordage qu’elle attrapa. Leur embarcation était ingouvernable et allait droit sur les bateaux des seigneurs. On entendait déjà les cris de victoire. Déjà, ils brandissaient leurs arbalètes
Riak, tout en tentant de remonter à bord, se mit à pleurer de rage. Si la première larme tomba sur le bateau, les autres se mêlèrent au fleuve. Riak prit conscience que quelque chose se passait en entendant Mitaou crier de surprise. Le fleuve blanchissait sous la barque. Riak sentit quelque chose de dur sous ses pieds et, y prenant appui, elle sauta à bord. Les premiers carreaux finirent dans l’eau. La bordée suivante se planta sur la barque, heureusement sans toucher personne. Ils n’eurent pas le temps de s’en inquiéter. Sous leurs pieds, l’eau était devenue solide. La barque se souleva en même temps qu’émergeait un être de glace. Mitaou criait de peur en demandant ce qui se passait. Sur les bateaux des seigneurs, les cris de victoire s’étaient tus. Riak vit devant eux se dresser l’encolure d’un grand cheval blanc. La tête dépassait l’eau comme une tour. La barque était maintenant à plusieurs pieds au-dessus de la surface et montait toujours. Bemba se jeta à genoux en criant :
   - Le cheval de la déesse blanche… c’est le cheval de la déesse blanche !
Riak ne comprenait rien pas plus que les autres. Ils durent se cramponner quand brusquement leur monture partit au galop. Secoués en tous sens, ils essayaient de se maintenir. L’animal de glace semblait galoper dans le fleuve. Devant lui, la vague souleva et éparpilla les bateaux des seigneurs, renversant ceux qui étaient trop près. Ils parcoururent ainsi le défilé des roches noires, laissant derrière eux des seigneurs médusés et apeurés. Le cheval de glace dépassa la sortie du défilé. Dans la barque brinqueballée, ils virent tous les bateaux amarrés qui avaient été retenus là. Le cheval de glace poursuivit sur sa lancée. Il dépassa le premier virage et commença à fondre. Quand ils touchèrent à nouveau l’eau, ils avaient assez de vitesse pour aller s’échouer sur la berge. Sans attendre, ils prirent la fuite.

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