lundi 7 décembre 2015

Les mondes noirs : 9


La reine se tenait sur le qui-vive. Que lui avait préparé Dame Longpeng. Si une délégation du clan bleu arrivait maintenant, ce n’était pas le hasard. Elle se tenait très droite sur son trône. Elle les regarda arriver. Elle reconnut les dames du premier cercle, celui du conseil. Dans sa tête les pensées allaient à toute vitesse. La situation était grave si Dame Longpeng envoyait une délégation de son conseil. La question était de trouver où était la chausse-trappe. Un détail alerta la reine. Celle qui marchait en tête se tenait trop droite, trop fière. Ce n’était pas son habitude. Elle la connaissait. Si son nom lui échappait sur l’instant, elle la faisait surveiller depuis un moment. Cette dame avait un ego démesuré et une ambition incommensurable peut-être même pire que Dame Longpeng. Pourquoi lui envoyait-on cette personne ? La reine se pencha vers un conseiller qui s’approchait. Ce dernier lui murmura à l’oreille :
- Il y a eu des évènements graves au clan bleu. Tous les membres ont été rappelés dans les murs. Je n’ai pas réussi à en savoir plus.
Se redressant la reine planta son regard dans celui de celle qui avançait. Elle vit une lueur fugace dont elle sut si elle était de colère, d’ambition ou de mépris. La dame se mit à genoux selon le protocole. Si les autres finissaient couchées au sol, elle resta simplement à genoux. La reine tiqua. Cette dame prenait la posture de Dame de clan. Dame Longpeng était donc morte. Une joie mauvaise l’inonda, enfin débarrassée de cette épine plantée dans son orgueil. Elle détailla dame… Dame Érausot. Son nom se présenta à son esprit en même temps que revenait ce que ses espions lui avaient présenté. Dame Érausot était comme un fauve tapi à l'affût. Le fauve avait saisi sa chance. Il lui fallait revoir ses plans.
Elle se pencha vers son conseiller :
- Dites au chef des armées d’attendre mes ordres avant de lancer quelque chose.
La reine se leva, descendit les deux marches et s’avança vers la délégation. Elle dit alors d’un ton enjoué, tout en invitant du geste son interlocutrice à se relever :
- Dame Érausot, quel plaisir de vous voir ! Ainsi le clan bleu va bénéficier de vos sages conseils. J’espère que Dame Longpeng n’a pas souffert.
- Son pauvre cœur n’a pas supporté les mauvaises nouvelles. Il en a été transpercé. Malheureusement notre première dame en a perdu la tête de la voir ainsi. C’est contrainte par les évènements que je me suis dévouée pour cette si lourde tâche.
Ainsi parla Dame Érausot en se relevant. “Redoutable !” pensa la reine. L’image d’une goulque s’imposa à son esprit mais une goulque sans collier, une goulque sauvage. “Je vais te passer le collier” se promit-elle.
- Asseyons-nous et prenons une collation.
Joignant le geste à la parole, la reine s’assit en faisant un signe aux serviteurs. Dame Érausot s’assit très droite, très raide. Les deux sièges étaient proches tout en étant à une distance suffisante pour que les deux femmes ne puissent pas se toucher
- Ma reine…
Les paroles semblèrent avoir du mal à sortir. Cela éveilla la méfiance de la reine. Que lui préparait Dame Érausot ? Elle vérifia discrètement son poignard. La sécurité était ôtée. Elle scruta son interlocutrice pour essayer de deviner si elle avait une arme. La robe que portait Dame Érausot était bleue, bien sûr. Elle évoquait le ciel juste avant que ne disparaisse la lumière. Elle était très ajustée et ne pouvait cacher une arme que n’auraient pas vue les gardes qui fouillaient les entrées.
- Ma reine….
Brusquement Dame Érausot tomba à genoux, posa sa tête sur ceux de la reine, tout en relevant ses longs cheveux pour dégager son cou dans une attitude de soumission complète.
- Ma reine, je demande protection et aide pour moi et mon clan.
La reine se retrouva sans voix un instant puis prononça les paroles consacrées :
- Ton clan devient mon clan, tes mâles deviennent mes mâles et nos forces unies vaincront l’adversité.
Tout en disant cela, elle jurait intérieurement, injuriant en pensées dame Érausot qui lui coupait l’herbe sous le pied. Cette vieille formule n’avait pas été employée depuis des lustres et des lustres. Le dernier clan qui l’avait utilisée était le clan vert quand les barbares venus des montagnes avaient dévasté leurs terres. Elle connaissait le protocole. Le cou offert de son ennemie était une vraie invitation à le trancher, mais elle savait qu’elle ne pourrait pas aller contre ce qui faisait les fondements de sa fonction. Elle posa la question rituelle :
- Dame Érausot, fille du royaume, quel est ton ennemi ? Qu’il soit mon ennemi !
- Ma reine… Un des nôtres, protégé de Dame Longpeng, a volé le talisman du clan. Notre Dame le portait sur elle, mais au moment de sa mort, elle ne portait que le talisman du voleur. Notre clan ne peut rester sans protection. Je suis venue à tes pieds demander la protection spéciale de l’Idole.
C’était donc ça ! La garce profitait que l’annonce de la disparition de l’Idole n’avait pas été faite pour venir se mettre au seul endroit que la reine ne pouvait atteindre. La reine enrageait intérieurement. Si la protection du clan bleu lui donnait des droits, cela lui donnait surtout des devoirs. Elle demanda néanmoins d’une voix douce :
- Quel est le nom de ton voleur ?
- Karabval ! Un jeune mâle de deuxième rang, connu pour son insubordination et ses frasques. D’après mon enquête, il a quitté le territoire du clan hier avec le talisman sacré. Et le malheur a fondu sur nous. Dame Longpeng est morte. Sa première dame est morte et la peur est notre compagne.
Redoutable ! Cette garce était redoutable pensa la reine. Elle réfléchit rapidement. Elle ne pouvait pas envoyer l’armée dans le territoire du clan bleu avec ce que venait de faire Dame Érausot. Mais elle ne pouvait pas laisser entendre qu’elle avait appelé l’armée pour rien.
- Dame Érausot, fille du royaume, ton malheur est mon malheur et ton voleur est mon voleur. Il a fait bien pire que cela. Il s’est servi du talisman sacré de son clan pour voler l’Idole. L’armée est sur le pied de guerre pour le retrouver. Ses complices sont morts. Lui a fui dans les mondes noirs…
Dame Érausot eut le bon goût de sembler horrifiée en apprenant ces nouvelles. Elle savait que la reine ne lui pardonnerait pas ce qu’elle venait de faire. Elle attendait d’entendre les exigences de la reine. Elle avait fait le pari du moindre coût de son attitude. Bien sûr, les intendants de la couronne allaient essayer de piller les richesses du clan bleu et la reine choisirait les mâles qui seraient intégrés dans son cheptel. Tout cela était préférable à la disparition du clan. Dame Érausot connaissait l’histoire aussi bien que la reine. Un clan avait subi, il y a longtemps, le déshonneur d’avoir profondément transgressé les lois royales. Son anéantissement par l’armée avait été complet. Dame Érausot savait que sans le talisman du clan, ils étaient vulnérables. Sa puissance était très grande, moins que celle de l’Idole, puisqu’il en tirait sa force. Il avait rendu le clan bleu très puissant. L’Idole était l’idole. Son pouvoir était immense et ne dépendait de personne. Les prêtres en étaient les gardiens. Seule la reine pouvait la solliciter. Seulement, l’Idole était le maître et sa réponse était son désir… Ce qui n’était pas toujours ce que souhaitaient les hommes. Dame Érausot n’avait pas de souvenir d’un appel à la puissance de l’Idole. Elle la vivait comme une entité, certes très puissante, mais surtout absente. Les derniers évènements semblaient lui donner raison. La reine continuait son discours :
- … la contribution du clan bleu sera la clef de la réussite de l’expédition. Les mâles du clan et leur intendance appuieront avec force les troupes de l’armée.
Dame Érausot encaissa la nouvelle sans rien montrer. Si elle pensait être mise en coupe réglée par les intendants de la reine, elle ne pensait pas envoyer ses mâles se faire tuer dans les mondes noirs. Le discours de la reine continua sur le même ton préparant l’action des troupes. Le clan bleu allait être en première ligne sans même son talisman pour le protéger.

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